Des renouvelables vraiment écologiques ?

27 mai 2016 par Robin Delobel


Photo by Sharada Prasad (CC)

« L’Afrique subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique alors qu’elle n’est responsable que de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont les pays riches sont historiquement responsables. Il existe une dette écologique que le monde doit régler à l’égard du continent africain »



Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces phrases ne viennent pas d’une ONG environnementale mais ont été prononcées par François Hollande lors de la COP 21 à Paris.

Que propose-t-il pour résorber cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique envers l’Afrique ? Surtout pas l’annulation des dettes publiques totalement odieuses et encore moins d’enrayer la Françafrique et ses pillages des ressources du continent. Sa proposition ? Rien de plus original que des financements pour des énergies renouvelables.

Or, problème rarement soulevé, ces énergies renouvelables ont un impact environnemental lourd si l’on prend en compte l’ensemble de la chaîne de production, plus particulièrement la phase d’exploitation des métaux nécessaires à la production de ces énergies. Elles sont souvent mises en avant pour leur faible émission de CO2 à la consommation, mais en oubliant totalement l’ensemble du cycle de vie du produit. La phase d’exploitation nécessite également l’utilisation de nombreux produits chimiques et entraîne de graves pollutions à long terme. Notons également que l’extraction, le transport, et le raffinage des minerais représentent 8 à 10 % de l’énergie primaire mondiale. De plus, elles font appel à des métaux dont les réserves sont loin d’être infinies voire en déclin, sans oublier qu’elles sont la plupart du temps exploitées dans des régions pauvres sans respect des droits humains et sans contributions équitables à l’État où ces ressources sont puisées. Par exemple, le Congo RDC concentre 10 % des réserves de cuivre, 25 % du tantale, 30 % des réserves de cobalt et 75 % du coltan, ainsi que d’importantes réserves d’or, diamant, tungstène et étain. Le rôle de l’exploitation de ces ressources minières dans les conflits qui touchent la RDC et plus spécialement l’est du pays est à présent de notoriété publique. La Bolivie, concentre, elle, les plus importantes réserves de lithium au monde, minerai utilisé notamment pour les voitures électriques. Dans son article Dans l’ombre de la Pachamama [1], Renaud Lambert explique comment le gouvernement bolivien autorisait l’exploitation de ses réserves par le groupe Bolloré à condition de travailler « en harmonie avec la Pachamama ».


De plus en plus d’énergie nécessaire pour extraire de l’énergie

Alors que se profile l’ère du pétrole rare et cher, il en va de même pour les métaux, ressources finies et de plus en plus coûteuses à extraire. Les prix anormalement bas du pétrole et des métaux depuis la fin de l’année 2014 masquent le fait que l’extraction de ces ressources est de plus en plus contraignante. Le calcul de l’énergie produite comparée à l’énergie investie, appelé taux de retour énergétique (TRE) ou EROEI - Energy return on energy invested - illustre cet imparable problème. Il y a un siècle, une seule unité d’énergie était nécessaire pour en récupérer 100, le pétrole des États-Unis avait un TRE de 100 pour 1. En 1990, il était de 35 pour 1 et aujourd’hui de 11 pour 1. Le TRE moyen de la production de pétrole conventionnel au niveau mondial se situe entre 10:1 et 20:1. Il est de 5 pour 1 en ce qui concerne le pétrole de schiste. Pour les agro-carburants, le bénéfice est quasi nul avec un taux compris entre 1:1 et 1,6:1.

Comme le dit Pablo Servigne, « tous ces TRE sont non seulement en déclin, mais en déclin qui s’accélère » ! Le rapport énergie produite sur énergie investie des renouvelables s’avère également très faible : 18:1 pour l’éolien mais surtout 1,6:1 pour le solaire à concentration (grandes exploitations de miroirs dans le désert) et 2,5:1 pour le photovoltaïque en Espagne.


Finitude des métaux

Comment expliquer le fait que les taux de retour énergétiques soient si faibles ? Les réserves, tant énergétiques que métalliques, sont limitées. Elles varient entre 10 et 20 ans pour certains éléments tels que l’antimoine, le zinc, l’étain, l’indium, mesurées en année de production actuelle. La plupart des réserves se situent entre 30 et 60 ans, mais comme pour le pétrole, « les problèmes arrivent plus vite que le nombre théorique d’années de réserve, car toute ressource limitée passe par un pic de production » note Philippe Bihouix dans son livre Quel futur pour les métaux.

Des infrastructures complexes et des ressources métalliques s’avèrent indispensables pour récupérer métaux et énergies nécessaires à la production des énergies renouvelables, sans oublier le fait que le taux de recyclage reste peu élevé malgré les promesses de l’économie circulaire. Comme l’explique William Sacher, coauteur de Noir Canada et de Paradis Sous Terre, « l’industrie minière est confrontée à ce grand paradoxe : d’un côté, les gisements importants s’épuisent. De l’autre, la croissance de la demande est toujours plus forte. Cette contradiction la contraint à adopter un modèle qui est celui de la mégaexploitation minière moderne. Ce modèle implique l’utilisation d’énormes quantités de réactifs chimiques, parfois très toxiques, mais aussi la génération d’énormes quantités de déchets. Les pollutions engendrées représentent souvent des dangers pour les décennies, voire des siècles à venir. Les impacts sociaux, économiques, politiques, voire même culturels ou psychologiques sont à la mesure de ce modèle de méga-exploitation ».

Des technologies souvent présentées comme salvatrices sont en réalité demandeuses de ressources rares et précieuses

Nombreuses sont les fausses alternatives basées sur une utilisation accrue des nouvelles technologies, ces dernières étant considérées, abusivement, comme des facteurs pour réduire l’empreinte écologique de tel ou tel domaine. Ces alternatives s’inscrivent dans des scénarios qui envisagent de changer de modèle énergétique en privilégiant les ENR au détriment des énergies fossiles. Cependant, ces projets « alternatifs » reposent sur l’idée de déploiements industriels massifs, qui bien que faisant appel aux ENR, s’avèrent déconnectés de la réalité physique, et très peu démocratiques par le gigantisme de leur exploitation : dévastation de zones habitées et pollution de l’eau et de larges territoires.

Extraire des énergies fossiles de moins en moins accessibles nécessite un besoin accru en métaux et inversement, des métaux de moins en moins concentrés demande de plus en plus d’énergies fossiles. Exploiter les ENR via des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes nécessite d’avoir recours à des ressources métalliques rares telles que le néodyme, l’indium, le sélénium ou le tellure. Le dilemme « plus d’énergie nécessaire pour les métaux moins concentrés, plus de métaux nécessaires pour une énergie moins accessible » – représente un défi inédit pour un système hyper complexe et interconnecté qui devra faire face à un pic généralisé (peak everything), géologique et énergétique. Les réserves d’argent, d’antimoine (utilisés notamment dans l’électronique), d’indium (utilisé dans les cellules photovoltaïques ou les écrans LCD) se limiteraient à 20 ans, pointe l’étude de Philippe Bihouix.

On le voit ici, des technologies souvent présentées comme salvatrices ne font qu’accroître la dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
et l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. . Plus ces technologies sont « performantes » plus elles sont demandeuses de ressources rares et précieuses : « les nouvelles technologies vertes sont généralement basées sur des nouvelles technologies, des métaux moins répandus et contribuent à la complexité des produits, donc à la difficulté du recyclage » précise Philippe Bihouix.

Quelle alternative viable dans ce cas ? L’ingénieur parle des low tech, des techniques simples. Ainsi, croire dans les énergies renouvelables pour relocaliser la production d’énergie est possible dans le cas de technologies simples (solaire thermique domestique ou petites éoliennes) mais impossible s’il s’agit des grandes technologies high tech développées actuellement. D’autres alternatives qui prennent en compte cette problématique des métaux pourraient être : « démachiniser les services », privilégier l’utilisation de matériaux renouvelables et recyclables, les objets réparables... Mais tout d’abord il faut partir des besoins, se poser la question quoi produire, pourquoi et comment.

Privilégier les low tech et les petites structures locales consiste aussi bien sûr à :

  • rejeter les grands projets d’infrastructures énergétiques qui provoquent un endettement illégitime tant au Nord qu’au Sud de la planète ;
  • prioriser la recherche sur des projets prenant en compte la finitude des ressources et leur impact écologique ;
  • arrêter de financer les recherches sur les agrocarburants, les énergies fossiles, les nanotechnologies (dont les besoins énergétiques sont loin d’être nanométriques) et aussi sur le nucléaire ;
  • un audit intégral, comprenant la dette écologique, amènerait une réflexion sur les choix énergétiques, qui, comme on l’a vu, ont de nombreux impacts écologiques, économiques, sanitaires ou sociaux sur la vie quotidienne des populations.

Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Notes

[1Manière de voir, Environnement Climat, Désordres et combats, décembre 2015