Droits fondamentaux des êtres humains ou droit des créanciers ?

24 novembre 2017 par Didier Epsztajn




Comme l’indique Jean Ziegler, dans son introduction Les riches contre les peuples, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est un puissant moyen de domination et les fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
spolient et tuent. « Cette spoliation s’est encore aggravée ces dernières décennies avec l’apparition des fonds vautours, ainsi nommés du fait de leur caractère rapace et charognard. Les fonds vautours sont des fonds d’investissements spéculatifs, enregistrés dans les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et qui sont spécialisés dans le rachat de dettes largement en dessous de leur valeur nominale, avec pour objectif d’engranger des profits maximaux. Ces fonds spéculatifs sont la propriété d’individus extrêmement riches, qui comptent parmi les plus terribles prédateurs du système capitaliste. Ceux-ci disposent de trésors de guerre se chiffrant en milliards de dollars. Ils commandent à des bataillons d’avocats capables d’engager des procédures sur les cinq continents, pendant dix ou quinze ans s’il le faut. »

Les dettes, les créanciers, la jungle financière et les fonds vautours.

Comment agissent ces fonds ? Ils ciblent des Etats en difficulté financière pour racheter à bas prix des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). de ces Etats sur les marchés secondaires. Ces fonds refusent systématiquement de participer aux restructurations de dettes. Lorsque la situation financière des pays concernés s’améliore, ils poursuivent les Etats en justice afin d’obtenir le remboursement total de la dette (non à la valeur d’achat mais à la valeur initiale (faciale) des titres) majorée des intérêts, des pénalités de retard et parfois même des frais de justice. Et à partir de certains pays (aux règles de justice complaisantes – régis par exemple par le droit des USA et du Royaume-Uni particulièrement protecteurs pour les créanciers privés) ils cherchent à faire appliquer les jugements et faisant saisir (ou en menaçant de faire saisir) des actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
locaux des pays endettés. Une caractéristique à souligner, l’enregistrement de ces fonds dans des paradis fiscaux…

Acheter à vil prix et réclamer le paiement au prix facial, une opération très lucrative, un racket juteux digne de voleurs de grands chemins, des taux de « rentabilité » de plusieurs centaines – voire quelques fois de milliers – de %. Le tout effectué hors des regards publics, dans le plus grand secret…

Ce numéro de « Les autres voix de la planète » aborde les multiples facettes de cette finance, partie intégrante du système financier mondial. Principaux pays attaqués, fonctionnement des marchés, particularités du droit anglo-saxon, très riches spéculateurs…

Si l’action de ces fonds est largement condamnée – mais pas le système qui les engendre, ni les lois qui les protègent – non seulement aucune mesure n’est adoptée mais nos Etat – dans le silence assourdissant des parlementaires et des gouvernements qui ne daignent pas rendre compte de leurs actions aux simples citoyen-ne-s que nous sommes – votent régulièrement contre (d’autres s’abstiennent) lorsque des mesures sont internationalement proposées, « Les fonds vautours sont évidemment opposés à l’instauration d’un tel cadre multilatéral mais ils ne sont pas les seuls puisque six États parmi les plus puissants de la planète ont voté contre la résolution (États-Unis, Canada, Allemagne, Japon, Israël, Royaume-Uni) tandis que les autres pays de l’UE se sont abstenus »

Je ne souligne que quelques éléments et analyses. Les fonds racketteurs « se sont consciemment et stratégiquement mis dans la situation de créanciers à risques » ; l’identité de leurs actionnaires est masquée grâce à leur localisation dans des paradis fiscaux ; les tribunaux dénient aux Etats le droit de se protéger souverainement ; l’arbitrage international constitue aussi une véritable industrie lucrative…

Grèce, « La Grèce est un cas d’école dans ce domaine. Les Institutions (Commission européenne, FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et Mécanisme européen de stabilité – MES) ne se contentent pas d’imposer des privatisations en contrepartie des prêts octroyés, elles ont créé un outil pour prendre le contrôle des biens publics grecs et les privatiser selon leurs conditions »
. Qui sont ici les vautours ?

Contre les vautours, les requins, les loups, l’audit public de la dette et le refus du secret (dont des clauses de confidentialité), le droit légitime, la désobéissance, les licornes…

Des études de cas : Zambie, Argentine, Puerto Rico, Grèce, Oaktree et Vivarte (France), Irlande, Lone Star au Portugal, Espagne…

Des propositions, la Fasj et le soutien juridique, une loi en Belgique, « Cette loi de 2008 dispose « Les sommes et les biens destinés à la coopération internationale belge ainsi que les sommes et les biens destinés à l’aide publique belge au développement – autres que ceux relevant de la coopération internationale belge – sont insaisissables et incessibles ». », une loi en Grande-Bretagne, « cette loi plafonne les remboursements aux sommes que les fonds vautours auraient obtenues s’ils avaient pris part aux allègements de dette au titre de l’Initiative PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
 »
, la loi belge du 12 juillet 2015 qui « empêche les spéculateurs dont font partie les fonds vautours de recevoir plus que ce qu’ils ont payé pour racheter les créances litigieuses », la notion d’« illégitimité », une campagne internationale contre les fonds vautours…

Je souligne particulièrement les chapitres « Pourquoi des actes unilatéraux sur la dette sont nécessaires ? » et « Repolitiser la question de la dette », ainsi que la déclaration du CADTM et du CETIM à l’ONU.

Sommaire
- Introduction - Jean Ziegler : Les riches contre les peuples

Chapitre 1 : Les fonds vautours et leur monde
- Une espèce méconnue de la jungle financière
- D’où viennent-ils ?
- Quelle est leur place dans le système financier international ?
- La complicité des États et des organisations internationales
- Grèce, le bal des vautours
- Les vautours, les requins, les loups et les licornes

Chapitre 2 : Le festin des fonds vautours – études de cas
- La Zambie contre le fonds Donegal
- L’Argentine dans un nid de vautours :
- L’Argentine : le gros lot pour les vautours
- Macri caresse les vautours dans le sens des plumes
- Les leçons de la Grèce
- Les fonds vautours dépècent l’Irlande
- En Espagne les fonds vautours dévorent l’habitat, le pain et l’électricité

Chapitre 3 : Quels remèdes contre les fonds vautours et leurs complices ?
- La Facilité africaine de soutien juridique, reflet des inégalités Sud/Nord
- Limites et effets pervers des Clauses d’action collective
- Les deux premières lois contre les fonds vautours : la Belgique et le Royaume-Uni
- La loi belge du 12 juillet 2015 : un pas de géant dans la lutte contre les fonds vautours
- La France réagit aussi
- Quand les fonds vautours veulent faire la loi : NML Capital Vs. l’État belge et le CADTM
- Quelques pistes pour déplumer les vautours

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AVP n°73 – Les autres voix de la planète, http://www.cadtm.org/Fonds-vautours-les-ailes-de-la : Fonds vautours - Les ailes de la dévastation
4e trimestre 2017

La revue du CADTM, Liège 2017, 98 pages, 5 euros