Le CADTM se réjouit de la décision de justice ouvrant la voie à un procès contre des transnationales complices de l’Apartheid en Afrique du Sud

16 avril 2009 par CADTM




Le 8 avril, le Tribunal fédéral de New York a déclaré recevable l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.

en justice intentée par des victimes de l’Apartheid contre cinq
transnationales (IBM, Ford, General Motors, Daimler et Rheinmetall) pour
complicité avec le régime sud-africain durant les années 1970 et 1980.
Bien que le procès ne soit pas prévu avant 2011, cette décision de justice
est d’ores et déjà historique. Elle constitue une avancée majeure vers
l’application effective du droit international en reconnaissant le droit
des victimes de l’Apartheid à poursuivre en justice les complices des
violations de droits humains et à réclamer des réparations.

Le CADTM soutient pleinement ce procès contre les transnationales
complices de l’Apartheid et considère inacceptable la menace des
Etats-Unis visant à entraver le bon fonctionnement de la justice.
L’administration de Washington vient, en effet, de mettre en garde contre
le préjudice que pourrait porter le procès sur les relations entre les
deux pays. Rappelons que depuis le dépôt de la plainte en 2002, les juges
subissent d’importantes pressions de la part des deux Etats.

En novembre 2002, le Khulumani Support group, collectif représentant près
de 33 000 victimes de l’Apartheid, décide de porter plainte aux Etats-Unis
contre 21 transnationales, en vertu de l’Alien Tort Claim Act (ATCA).
Cette loi progressiste autorise tout individu, quelle que soit sa
nationalité, à poursuivre devant les tribunaux états-uniens les personnes
(physiques et morales) ayant commis de graves violations des droits
humains, à condition que ces derniers aient une présence sur le territoire
des Etats-Unis. C’est le cas de ces sociétés accusées d’avoir facilité les
actes de torture, exécutions sommaires, détentions arbitraires, ou encore
violences sexuelles commis par le régime ségrégationniste d’Afrique du
Sud. Ainsi, les trois constructeurs automobiles poursuivis (Ford, General
Motors et Daimler) sont accusés d’avoir « assisté et incité à des actes de
torture et à des accusations sommaires
 » en fournissant des véhicules
utilisés pour la répression de la population noire. L’entreprise allemande
d’armement Rheinmetall est également poursuivie pour ce motif. Enfin, IBM
est accusée d’ « assistance et d’incitation à l’apartheid » en ayant vendu
du matériel utilisé pour classer les citoyens sud-africains selon leur
couleur et surveiller les dissidents.

Contrairement aux allégations de ces sociétés privées, la justice vient
d’affirmer qu’elles peuvent être responsables juridiquement des violations
perpétrées par le gouvernement sud-africain du fait de leur soutien
matériel. En effet, personne ne pouvait au moment des faits ignorer la
nature criminelle de ce régime. L’Assemblée générale des Nations unies a
adopté dès 1962 des résolutions demandant à tous les partenaires
commerciaux et bailleurs de fonds comme la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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de stopper
toute collaboration avec cet Etat raciste. En 1973, l’Apartheid fut même
qualifié de «  crime contre l’humanité » par les Nations unies dans sa
Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. En
fournissant de la technologie, des moyens de transport à des fins
militaires et de l’armement à l’Afrique du Sud, ces entreprises ont donc
délibérément violé le droit international et ont permis à ce régime
criminel de se maintenir au pouvoir.

On peut certes regretter que la recevabilité de l’action en justice ne
concerne pas la totalité des banques et entreprises visées par la plainte
comme Barclays, UBS, Shell, Texaco, etc. Toutefois, cette décision
judiciaire constitue un précédent très important dans la lutte contre
l’impunité puisqu’elle ouvre la voie à d’autres procès contre tous les
acteurs se croyant au-dessus des lois. C’est le cas de la Banque mondiale
et du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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qui ont méprisé les appels répétés des Nations unies en
continuant de soutenir financièrement l’Apartheid. L’Afrique du Sud n’est
malheureusement pas un cas isolé puisque ces deux institutions ont prêté à
de nombreuses dictatures sur tous les continents (la junte militaire en
Argentine, les dictateurs Marcos aux Philippines, Mobutu au Zaïre,
Ceausescu en Roumanie… et la liste est encore longue [1]). La dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
générée
par ces régimes et supportée par les peuples est une dette illégale Dette illégale Les dettes illégales sont les dettes qui ont été contractées en violation des procédures légales en vigueur (par exemple en contournant les procédures parlementaires), celles qui ont été marquées par une faute grave du créancier (par exemple par recours à la corruption, à la menace ou à la coercition) ou issues de prêts assortis de conditions violant le droit national (du pays débiteur ou créancier) et/ou international, dont les principes généraux du droit. et
nulle au regard du droit international. A l’instar des transnationales
poursuivies aux Etats-Unis, les créanciers se sont rendus complices des
violations de droits humains et ne sont pas fondés à réclamer le
remboursement de ces dettes illicites.

C’est pourquoi le CADTM exige que :

- le procès contre les transnationales complices de l’apartheid se
déroule sans ingérence politique ;

- tous les acteurs privés et publics comme la Banque mondiale
répondent devant la justice des violations de droits humains qu’ils ont
causées directement ou avec leur complicité ; rappelons que la Banque
mondiale ne jouit d’aucune immunité, selon ses propres statuts [2] ;

- les Etats adoptent des lois similaires à l’ATCA leur donnant
compétence pour juger des crimes internationaux ;

- les Etats du Sud répudient la totalité des dettes léguées par
les régimes coupables de violation de droits humains avec la complicité
des créanciers.


Notes

[1Eric TOUSSAINT, Banque mondiale, le coup d’Etat permanent,
CADTM-Syllepse-Cetim, Liège-Paris-Genève, 2006

[2Section 3 de l’article VII : « La Banque ne peut être poursuivie que
devant un tribunal ayant juridiction d’un état membre où elle possède un
bureau, a désigné un agent chargé de recevoir les significations ou
notification de sommations ou a émis ou garanti des titres
 ».