De nombreuses collectivités qui ont souscrit des prêts toxiques ont entamé des actions en justice contre les banques. L’enjeu est de mettre le système bancaire face à ses responsabilités.
Les prêts toxiques [1] sont au cœur d’une bataille judiciaire qui s’est accélérée ces dernières semaines, avec de nombreuses actions en justice engagées par les collectivités publiques contre les banques. Selon Patrick Saurin, spécialiste de la question des dettes locales, il y aurait plus de 140 assignations devant le tribunal de grande instance de Nanterre et 25 devant celui de Paris.
Nombre de collectivités attaquent en justice les banques qui leur ont fait souscrire des prêts toxiques. Où en est-on ?
Patrick Saurin : Les chiffres sont ahurissants. Un document interne de Dexia, cité par Libération recense 5 000 collectivités concernées par les prêts toxiques. Le rapport d’une commission d’enquête parlementaire recensait fin 2011 un encours de 18,8 milliards d’euros de prêts présentant un risque dont 15,7 milliards un fort risque pour l’ensemble des acteurs publics locaux. Or, les élus avaient jusqu’au 18 juin pour engager une action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice contre les banques qui ont fait souscrire ces prêts. Après cette date, les collectivités peuvent déposer des recours, mais doivent apporter la preuve des raisins objectives qui l’on empêché d’engager l’action avant cette date. Cependant, rien ne leur interdit de refuser de payer les intérêts des prêts toxiques et d’entamer une procédure judiciaire. La circulaire de 2010, relative aux produits financiers
Produits financiers
Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements).
offerts aux collectivités locales, et un jugement de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2012 interdisent aux collectivités territoriales de souscrire des contrats spéculatifs. Le prêt toxique peut être considéré comme illégal.
La justice leur donne-t-elle raison ?
Il n’y a pas encore de jugements définitifs sur le fond, mais deux ont une grande importance. Le 8 février, le tribunal de grande instance de Nanterre a donné raison au conseil général de Seine-Saint-Denis et a condamné Dexia, l’ancienne banque des collectivités, pour défaut de mention du taux effectif global dans les fax de confirmation des prêts [2]. Et le 4 juillet 2012, dans une affaire qui oppose la ville de Saint-Étienne à la Royal Bank of Scotland (RBS), la cour d’appel de Paris a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris qui donne raison à la ville. Celle-ci a contesté l’engagement des finances de la collectivité dans des opérations de nature spéculative et a eu gain de cause. Ces assignations révèlent la véritable nature des prêts toxiques. Attaquer les banques en justice permet aussi d’éviter que l’Etat et les citoyens payent pour des fautes qui ne leur incombent pas.
L’ensemble du système bancaire est donc visé dans ces actions en justice. Pourquoi ?
Les prêts toxiques sont des montages financiers qui ne mettent pas en jeu que Dexia. Ils associent banque prêteuse et banque de contrepartie, cette dernière assure le risque pour la banque prêteuse. Quelles sont ces banques de contrepartie ? Goldman Sachs, Morgan Stanley, Royal Bank of Scotland, HSBC, Deutsche Bank, etc. Des établissements qui portent une lourde responsabilité dans la crise financière qui a débuté en 2007. Ce sont souvent ces banques qui calculent l’indemnité de remboursement anticipé que doit payer la collectivité quand elle veut mettre un terme à son contrat ou quand elle veut le transformer. Elles ont contribué à des montages diaboliques dont les collectivités ne peuvent pas sortir. C’est pour cette raison que certaines de ces dernières sont allées jusqu’à suspendre le paiement de leurs échéances et à engager une action en justice.
Quelle est la réponse du gouvernement face à ces récentes décisions de justice condamnant les banques ?
Dans cette affaire, le gouvernement ne veut pas que l’État règle la note, ce qui pourrait mettre en péril ses finances et il veut protéger les banques, ce qui est scandaleux. Les banques font un gros lobbying pour éviter que l’État leur fasse supporter le coût des prêts toxiques. Ainsi, un projet de création de fonds d’aide devrait être présenté à l’automne (voir encadré ci-dessous), mais pour en bénéficier, les collectivités devront renoncer à leur action en justice...
Propos recueillis par Thierry Brun
Paru dans Politis du 4-10 juillet 2013
Prêts toxiquesLa création d’un fonds de soutien pluriannuel : une entourloupe pour les collectivités
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Patrick Saurin a été chargé de clientèle auprès des collectivités publiques. Il est membre de SUD BPCE et a publié Les prêts toxiques, une affaire d’État (éditions Demopolis & CADTM).
[1] Des contrats associant financements et produits dérivés spéculatifs.
[2] Ce taux effectif global (TEG) doit être mentionné sur le contrat. Il s’agit de l’ensemble du coût que représente le prêt pour l’emprunteur, frais de dossier et assurances inclus.
[3] Michel Klopfer, « Emprunts toxiques des collectivités : le jeu perdant-perdant de l’État », Le Monde, 3 juin 2013.
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.
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