30 septembre 2016 par Plateforme Dette & Développement
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Les députés viennent d’adopter, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, un article visant à empêcher la saisie de biens appartenant à des Etats étrangers par des fonds vautours en France. Si elle aboutit, cette disposition permettra de contribuer à la lutte contre ces fonds qui profitent de l’absence de cadre juridique adapté pour acquérir au rabais des dettes de pays en difficulté financière et réaliser des profits exorbitants au détriment des populations de ces pays. Elle n’empêchera toutefois pas les saisies sur la base de titres de dette acquis avant l’entrée en vigueur de la loi, ou de créances sur des Etats en difficulté au Nord qui peuvent également être victimes de fonds vautours. Deux limites qui risquent de nuire à la portée de cette disposition.
Si elle entre en vigueur, cette disposition permettra de limiter les saisies en France, à celles auxquelles ces fonds auraient pu prétendre s’ils avaient participé aux opérations de restructuration de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
décidées par la majorité des autres créanciers. Une manière de priver les fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
de la possibilité de réaliser des profits disproportionnés et de les empêcher de compromettre l’amélioration de la situation d’États fragiles.
Cette disposition fera de la France le troisième pays à se doter d’une législation visant à entraver l’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
des fonds vautours, après la Belgique et le Royaume-Uni. Une initiative très bienvenue, compte tenu de l’augmentation du nombre d’actions engagées par les fonds vautours [1] et des difficultés que ne manqueront pas d’engendrer ces fonds dans la résolution des nouvelles crises de la dette qui vont éclater dans les années à venir [2].
Malheureusement, elle ne s’appliquera qu’aux titres de dette de pays à bas revenus ou à revenus intermédiaires et qu’aux créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). acquises après l’entrée en vigueur de la loi. Deux restrictions qui limiteront sa portée, puisque des pays comme la Grèce, qui a été la cible des fonds vautours, ne seront donc pas couverts, et que toutes les créances acquises par ces fonds avant l’entrée en vigueur de cette loi pourront faire l’objet de saisies indues en France.
La Plateforme Dette & Développement appelle la France à suivre les recommandations récemment formulées par le Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur les activités des fonds vautours [3] et à poursuivre son action :
en s’assurant qu’aucun comportement vautour ne soit toléré sur son territoire ;
en appelant les autres pays à adopter des législations contre les fonds vautours en s’inspirant du dispositif français et de la loi belge du 12 juillet 2015 [4] et ;
en soutenant, au niveau international, un cadre juridique permettant un traitement équitable de la dette, prenant en compte les droits fondamentaux des populations et les notions de dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
et de dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
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Source : Plateforme Dette et Développement
[1] Depuis les années 1990, la proportion des différends donnant lieu à une procédure judiciaire est passée de 10% à quasiment 50% (cf. Rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme sur les activités des fonds vautours et leurs incidences sur les droits de l’homme, Assemblée générale des Nations unies, A/HRC/33/54).
[2] Jubilee UK, « The new debt trap », 2015, London, analyse de 40 page disponible en ligne à l’adresse :
http://jubileedebt.org.uk/wp-content/uploads/2015/07/The-new-debt-trap_07.15.pdf
[3] Rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme sur les activités des fonds vautours et leurs incidences sur les droits de l’homme, Assemblée générale des Nations unies, A/HRC/33/54.
[4] Cette loi permet, sous certaines conditions, à un juge belge de limiter le droit au remboursement du « fond vautour » à la valeur que celui-ci a payé pour racheter les titres en question (www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/1057/54K1057005.pdf )
regroupe 29 organisations et syndicats français, dont le CADTM France, agissant en faveur d’une solution large, juste et durable au problème de la dette des pays en développement.
http://dette-developpement.org
8 juin 2016, par Plateforme Dette & Développement
7 juin 2016, par Plateforme Dette & Développement
Brochure téléchargeable
Dette odieuse : à qui a profité la dette du Sud ?8 juin 2007, par Plateforme Dette & Développement
Kinshasa, 8-9 mai 2007
Plateforme dette et développement6 mai 2007, par Plateforme Dette & Développement
29 mars 2004, par Plateforme Dette & Développement