28 septembre 2016 par Srećko Pulig , Maja Breznik
La Bourse de Ljubliana. DR.
Avec la crise de 2008, la dette publique slovène est brutalement passée de 22 à 80% du PIB. Pour y faire face, la seule recette des gouvernements successifs a consisté à imposer toujours plus d’austérité. La chercheuse Maja Breznik plaide pour une autre politique, basée sur la solidarité à l’échelle européenne. Entretien.
Propos recueillis par Srećko Pulig
Srećko Pulig s’est entretenu avec la sociologue slovène Maja Breznik, chercheuse à l’Institut pour la Paix, centre d’études politiques et sociales de Ljubljana. Celle-ci vient de publier deux ouvrages qui traitent de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique des États, elle est l’auteure de la préface de la traduction slovène de l’ouvrage de Damien Millet et Eric Toussaint, AAA : Audit, annulation, autre politique (Paris, Le Seuil, 2012), et directrice de l’ouvrage collectif La dette publique. Qui doit à qui (Javni dug. Tko kome duguje, Založba/*cf., Ljubljana 2015).
Srećko Pulig (S.P.) : Vous avez publié, avec Saša Furlan, un essai sur la dette slovène et sa place dans la crise mondiale. Selon les dirigeants slovènes, il ne devrait y avoir aucun allègement de la dette. Pourtant, la Slovénie est lourdement endettée...
Maja Breznik (M.B.) : Cette position était surtout celle de l’intraitable ministre des Finances Dušan Mramor pendant les pourparlers avec la Grèce. Rappelons que les pays de la zone euro détiennent 70% de la dette grecque (313 milliards d’euros). Avec l’action « solidaire » de sauvetage de l’euro, la dette a été transférée sur les contribuables et les citoyens européens. Les pays membres ont dû donner des crédits et des garanties
Garanties
Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome).
, alors que la plupart d’entre eux étaient déjà très endettés. N’oublions pas que la plus grosse partie de cet argent est allée directement dans les caisses des banques européennes, surtout allemandes et françaises, pour couvrir l’ancienne dette. La Slovénie a donné une « petite » somme — un peu moins de 1,6 milliard d’euros — mais tout est relatif, car si l’on compare cette somme au PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
slovène, il apparaît que la Slovénie a déboursé plus que tous ses voisins européens. C’est donc bien elle qui a le plus à perdre si la Grèce ne rembourse pas sa dette. Si l’on observe la question sous cet angle, on peut donc comprendre pourquoi le ministre slovène a endossé le rôle de complice de Wolfgang Schäuble sur la question de la dette grecque...
S.P. : À quel moment la dette publique est-elle devenue un problème en Slovénie ?
M.B. : Avant la crise économique de 2008, la Slovénie avait la plus petite dette publique de tous les pays européens : 22 % du PIB. Après la crise, elle est montée à 80 % du PIB. Cette dette a été en partie engendrée par la couverture du déficit qui était censé assouplir les effets de la longue récession économique (2009 à 2013). La croissance a alors chuté de plus de 10 % du PIB et le chômage a atteint des taux records. Si le gouvernement n’était pas intervenu, les conséquences de la crise auraient été bien plus lourdes. Aujourd’hui, le gouvernement utilise la moitié de ses recettes pour payer ces dettes et leurs intérêts, mais l’on continue à prendre des crédits. Au moment de l’entrée dans la zone euro, la Slovénie a du créer une nouvelle bourse
Bourse
La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois).
des valeurs ; auparavant, l’État empruntait principalement auprès des banques slovènes qui interprétaient ces prêts comme un gage de sécurité. L’État s’était créé son propre marché local mais a il dû le transférer à la Bourse de Londres en 2007. La même année, on a commencé à s’endetter à l’étranger, tout en continuant à rembourser les emprunts souscris auprès des banques locales. La vente des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’Etat a été menée par des consortiums bancaires internationaux (Abanka, Bank Austria Creditanstalt, NLB, ABN Amro, BNP Paribas, Deutsche Bank, Dresdner KW, JP Morgan et la Société Générale) avec lesquelles le ministère des Finances a dû passer des accords.
S.P. : Les entités responsables de l’augmentation de la dette publique sont les banques et les entreprises, mais aussi la population et l’État. Quel a été le rôle de chacun ?
M.B. : Pour pouvoir répondre à cette question, je dois revenir à la période 2004-2008, quand la Slovénie intégrait les institutions européennes. Quand elle est entrée dans l’Union Européenne (UE), sa dette publique était une des plus petite en Europe, la collecte des impôts y était mieux régulée qu’en Allemagne et elle avait plus de créances que de dettes auprès des prestataires étrangers. Dix ans plus tard, tout s’est écroulé. Pendant cette période, la Slovénie jouissait d’une croissance considérable et disposait de beaucoup de liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
. Face à la crise, les banques slovènes ont dû s’endetter à l’étranger (cinq milliards d’euros en cinq ans), pour prêter à leur tour cet argent aux entreprises locales. Au moment de l’entrée dans l’UE et dans la zone euro, la Slovénie a dû abandonner certains des mécanismes de sécurité et les banques ont dû réduire considérablement leurs réserves de capital. Cela a encouragé « la surchauffe » de l’économie. Je tiens à rappeler que les rapporteurs de la Banque de Slovénie ont mis en garde à plusieurs reprises conte les risques que représentait cet endettement, mais les régulateurs slovènes et européens n’ont rien fait pour l’arrêter. Les entreprises locales se sont donc endettées auprès des banques slovènes, elles-mêmes endettées auprès des banques étrangères. Aujourd’hui, le gouvernement et les institutions européennes nous expliquent que ce sont les tycoons qui sont responsables de l’augmentation de la dette... Or, ce sont ces régulateurs qui ont non seulement autorisé, mais encouragé le rachat d’entreprises par emprunt. De plus, il a été démontré que les grandes entreprises slovènes ont utilisé une grande partie de leurs emprunts pour des activités d’investissement, ce qui signifie que le poids du rachat des entreprises par emprunt n’a eu qu’une faible influence sur l’augmentation de la dette. Les familles slovènes s’étaient aussi endettées avant la crise, surtout dans le cadre de l’accès à la propriété privée, mais elles sont encore aujourd’hui parmi les moins endettées d’Europe.
S.P. : Quels ont été les effets sociaux de la récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
économique et de l’austérité ?
M.B. : Si l’on compare le taux de pauvreté, de chômage, d’inégalité en Slovénie, avec celui d’autres pays membres de l’UE, nous restons encore assez « bons élèves ». Néanmoins, ces indicateurs s’aggravent très vite. Le nouveau système social « simple et efficace » imposé en 2012 a eu pour conséquence de faire perdre des acquis sociaux à plus de 185 000 personnes en Slovénie. Les mesures temporaires de gestion de la crise sont devenues permanentes et l’austérité dans le secteur public est devenue un état de fait. Parallèlement, le gouvernement prévoit encore de nouvelles réductions d’impôts pour les plus riches ...
S.P. : Quel scénario futur envisagez-vous pour la dette publique et sa résolution ?
M.B. : Il ne faut pas s’attendre à ce que les institutions européennes avouent leurs erreurs et changent de politique. Comme nous l’avons vu pour la Grèce, face à cette machine, un Etat seul n’est pas en position de négocier. Dans la résolution de la crise de la dette des années 1980, de celle des pays du Sud et de celle de la périphérie européenne, les créanciers ont toujours négocié avec chaque pays indépendamment. Ils ont essayé d’empêcher la création d’un bloc d’États qui pourrait être en mesure de résister à leurs diktats. Si les pays membres pouvaient donner forme à un projet de résolution de la crise de la dette et si ils décidaient de le défendre dans le cadre des instituions européennes et internationales, cela changerait le rapport de force. Ce plan devrait inclure bien entendu le contrôle de la dette publique, l’allégement de la dette et la création de politiques sociales qui devraient être une priorité pour les États.
Merci à Courriers des balkans
Source : http://www.courrierdesbalkans.fr/articles/la-dette-en-slovenie-seul-un-etat-fort-peut-tenir-tete-aux-creanciers.html
Date de parution de l’article original : 2/04/2016
8 janvier 2021, par Catherine Samary , Srećko Pulig