15 mars 2017 par Kairos , Renaud Vivien , Alexandre Penasse
Si le FMI parle de créanciers procéduriers, les banquiers de créanciers irréductibles, nous préférons les termes des Nations unies de fonds rapace, ou celui du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes), de fonds vautour. Car ils expriment parfaitement ce qu’ils sont : des entreprises financières qui se nourrissent d’États en déliquescence, tuant progressivement leur population, sauf ceux qui en profitent. Mais comment agit un fonds vautour, qui est derrière et, plus largement, à qui profite le système dette ?
Rencontre avec Renaud Vivien, co-secrétaire général du CADTM Belgique.
Cette interview est extraite du journal Kairos, numéro 28, composé d’un dossier spécial intitulé « Du nord au sud, les peuples enchaînés par la dette » qui a été coordonné par le CADTM.
Retrouvez ci-dessous la retranscription ainsi que l’interview au format audio.
KAIROS : « fonds vautour
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
» est un terme courant dans certains milieux : milieu de la finance, des ONG actives dans le domaine..., mais qui est peut-être peu connu de la population. Pourtant, les pratiques des Fonds vautours ont un impact direct sur les finances publiques, donc sur la répartition des richesses et la vie en société ? Peux-tu nous expliquer simplement ce que sont les fonds vautours (FV).
Renaud Vivien : Un FV est une entreprise financière, le plus souvent basée dans les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
, dont la stratégie, immorale, consiste à racheter des créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
sur des États en difficulté financière, très endettés, et qui sont au bord du défaut de paiement ou déjà en défaut de paiement. Du coup, la stratégie des FV est ciblée vers ces États-là, puisque leur cote sur le marché d’occasion des dettes – le marché secondaire, où les prix sont fixés –, là où les fonds vautours agissent, baisse. Le FV rachète donc la créance pour une bouchée de pain, mais il va attendre que le pays qui est en détresse financière aille mieux, entre guillemets, soit solvable, pour l’attaquer, en lui réclamant le montant de départ plus les intérêts de retard, les frais de justice et autres pénalités. Un rapport de l’ONU, sorti l’année dernière, le rapport « Ziegler » [1], a étudié toutes les activités des FV et les profits qu’ils ont engrangés en moyenne : cela allait de 300% à 2 000% de plusvalue. En Argentine, ça a été plus : le fonds vautour NML, qui fait partie d’un « super fonds vautour » possédé par la même personne, le milliardaire étasunien Paul Singer, a fait un profit multiplié par 25 ! Il a racheté des dettes à 80 millions de dollars et a obtenu de la justice étasunienne 2 milliards de dollars.
Pour faire cela, les FV utilisent les tribunaux, sans limite, c’est-à-dire qu’ils utilisent n’importe quel tribunal du moment qu’il y a un lien de rattachement avec le pays qui est attaqué. Par exemple, en Belgique, les tribunaux belges, bruxellois, ont été saisis de requêtes, d’actions de FV. La procédure en justice est donc une stratégie, mais souvent les FV font de l’intimidation directe : ils font pression sur l’État (lobbying, campagnes d’intimidation, etc...) en disant : « Si vous ne nous payez pas maintenant, on va directement en justice et là ça va faire mal ».
Quand tu évoques le fait que les fonds vautours attendent que les pays aillent mieux, tu veux dire par là qu’ils « vont mieux » en empruntant sur le marché, en engageant une politique plus libérale ?
Par exemple avec l’Argentine, NML a applaudi tout de suite la victoire de Macri [président actuel de l’Argentine], les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
aussi, mais le juge new-yorkais Griesa, qui a condamné l’Argentine, a également applaudi, en disant : « Ah, bien là on va pouvoir s’entendre », ça c’est fou ! La situation de l’Argentine s’est réglée par une négociation largement en faveur des FV. Bien qu’on ne soit pas au CADTM pour la croissance économique, celle de l’Argentine a augmenté ces dernières années sous Kirchner, justement parce qu’il y avait une politique de suspension du paiement de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui a abouti à une négociation avec 93% des créanciers de l’Argentine. Donc Macri arrive au pouvoir, permet à l’Argentine d’emprunter à nouveau sur les marchés financiers, mais à du 10%, et dans le but expresse de payer les fonds vautours, donc les 7% de créanciers qui avaient refusé la négociation de la restructuration de la dette argentine.
Autre exemple : la Zambie. Quelques semaines avant l’allègement officiel de la dette zambienne en 2006, classé comme pays pauvre très endetté par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
), le FV Donegal International, créancier de la Zambie, basé dans les îles vierges britanniques, un autre paradis fiscal, attaque le pays en justice devant la Haute Cour de Londres [2].
Donc l’allègement de la dette ne leur est pas profitable, c’est un subterfuge ?
Pas du tout. Alors que le gouvernement zambien avait décidé que les bénéfices de l’allègement de la dette seraient alloués aux dépenses de santé, ces fonds lui ont été soutirés une fois que le jugement est survenu. Autre exemple, le Congo-Brazaville, avec des chiffres hallucinants : le FV Kensington International, qui fait partie d’Elliott, rachète une dette pour 1,8 millions de dollars et obtient un jugement pour 118 millions de dollars, et sur base de ce jugement a pu soutirer directement une partie de la somme du trésor belge, affectée dans ce cas à la coopération au développement.
Le business des fonds vautours est très ciblé, c’est de la spéculation sur la dette
Est-ce que les fonds vautours sont particuliers, ou une simple extension de certaines pratiques de spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière ?
Leur business est très ciblé, c’est de la spéculation sur la dette. Ça fait 20 ans qu’ils existent. Ils ont fait leurs armes sur les entreprises : ils rachetaient leurs dettes pour en prendre le contrôle et la liquider, avec les plans de licenciement. C’est ce qu’il se passe en ce moment en France avec Vivarte, premier groupe d’habillement français : ce sont les fonds vautours qui sont entrés dans l’actionnariat. Cette technique a été étendue à l’État, avec comme première attaque le Panama, par le FV de Paul Singer, en 1996.
Ils comptent sur le non-paiement aussi ?
Oui, ils se nourrissent de cela. Si les pays ne sont pas au bord du gouffre, on ne sait pas acheter des titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
si bas. Une spécificité c’est aussi qu’ils se mettent dans une position à risque de manière consciente : ils savent qu’ils font un placement risqué, sachant aussi que d’autres créanciers collaboreront et feront des allègements de dette qui, rappelons-le, sont conditionnés ; l’Argentine l’a payé cher, ce n’était pas une victoire. Le FV se met dans une position à risque mais refuse toutefois d’assumer ce risque, c’est-à-dire il refuse de respecter les règles du marché puisqu’ il fait appel aux tribunaux étatiques pour demander le remboursement.
Mais les FV sont à part et en même temps identiques : le fonds vautour FG Hemisphère par exemple, a été créé par deux anciens consultants de Lehman Brothers. Et avec la loi belge, on se rend compte qu’ils ont le lobby
Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
des banques derrière.
On ne sait pas qui sont les actionnaires des FV ?
Non, on n’arrive pas à avoir cette information. Mais il y a de fortes chances qu’il y ait des banques d’ici qui ont des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
dans ces fonds vautours, car ce sont des rendements de fou.
Suite à l’affaire du Congo et à la saisie par le FV de l’argent de la coopération au développement, que fait la Belgique ?
Le début, ça a été la Zambie en 2005, de la droite à la gauche, tout le monde était d’accord pour dire que c’était dégueulasse. Le processus législatif a été très rapide et a abouti à une loi très courte, deux articles dont l’essentiel qui énonce que les fonds de la coopération au développement sont incessibles et insaisissables ; personne ne pourra à l’avenir, y compris les FV, saisir l’argent de la coopération au développement. Mais il n’y a pas que les pays du Sud qui sont victimes. La Grèce en 2012, déjà matraquée par ses créanciers (la Troïka), se retrouve face à un vieux FV, Dart Management, qui rachète une partie de sa dette sur le marché secondaire et exige du pays le paiement à 100%, près de 500 millions d’euros.
Que se passe-t-il donc suite à l’adoption de la loi belge, il y a des réactions ?
L’Institut International de la Finance (IIF) et Febelfin réagissent et disent que cela fera fuir les investisseurs. Ils ont même envoyé des courriers aux parlementaires pour les dissuader de voter la loi en l’état. La banque nationale de Belgique, fait la même chose : « Cette loi-là n’est pas bonne, il faut une initiative internationale... ». On voit donc tout de suite une levée de boucliers.
Un vautour est un rapace qui se nourrit de charogne et de détritus. Les fonds du même nom se nourrissent d’États en déliquescence. La loi n’est-elle pas révélatrice des derniers spasmes d’un État qui a délaissé le pouvoir aux mains de la finance et qui en dernier recours tente de se protéger de ce qu’il a créé, ou en tous cas laissé faire ?
Oui, mais c’est justement un moyen de reprendre la main est de légiférer. Mais effectivement, c’est révélateur que l’économie n’est pas du tout régulée, et encore moins la finance internationale.
Beaucoup de gens ne s’en rendent peut-être pas compte ? Quand tu parles de la Banque Nationale Belge, des banques privées comme BNP, les fonds d’investissement
Fonds d’investissement
Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise.
, les paradis fiscaux..., c’est une véritable mafia ?
Oui, bien sûr, et les fonds vautours font le « sale boulot », tout en étant très soucieux de leur image, comme quand les avocats du FV Elliott ont demandé un droit de réponse après ma carte blanche dans Le Soir. Il consacre également énormément d’argent à placer des encarts dans les journaux, pour discréditer l’État en question.
La Belgique est aujourd’hui attaquée par Paul Singer, qui représente le 1% : milliardaire états-unien, lobbyiste aux États-Unis du parti républicain, [...], il veut faire la loi en Belgique, tu imagines !
Donc ils ont certains médias avec eux ?
Elliott a peut-être des actions dans les grands médias. Paul Singer [propriétaire du fonds Elliott], est le principal donateur du parti républicain aux États-Unis, ce qui explique aussi qu’il n’y ait aucune loi qui sorte par rapport aux fonds vautours dans ce pays.
Avec l’attaque contre les fonds vautours, une certaine unanimité parlementaire pour la loi de 2015, ne risque-t-on pas de tomber dans le phénomène de l’arbre qui cache la forêt ? C’est-à-dire que ces dettes elles-mêmes sont souvent odieuses, n’ont aucune raison d’être et sont remboursées par les classes moyenne et populaire, qu’elles font naître des politiques d’austérité et la recherche d’impôts ailleurs, comme la TVA ou l’impôt sur les revenus.
Ce risque existe, mais pour nous au CADTM, les FV sont une porte d’entrée pour se plonger dans les méandres de la finance, du système de la dette, pour ensuite s’apercevoir que les FV sont de vrais parasites, mais que de l’autre côté on a le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
qui réunit les grands États créanciers, le FMI, la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, également créanciers et qui causent énormément de dégâts à la population. Le but pour nous est d’en finir avec la domination de la dette.
Il faut rappeler à ce niveau que les États empruntent à des taux exorbitants aux banques privées, notamment à la Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
européenne, qui elle, prête à ces banques privées à des taux...
...Rien du tout ! C’est du 0%.
Qu’y a-t-il moyen de faire à ce niveau-là ? C’est important de dire qu’un État peut s’endetter pour le bien-être de la population.
La dette publique, c’est quelque chose de bien particulier : cela doit servir à l’intérêt public. Or, c’est rarement dit, car on envisage l’État comme une entreprise ou un particulier. L’État a des obligations vis-à-vis des créanciers lorsque la dette est légitime, mais il a des obligations à l’égard de sa population pour laquelle il doit assurer la continuité des services publics. Et ces dernières sont supérieures aux obligations financières, aux obligations de remboursement de la dette, il faut le rappeler.
Pour revenir sur la Banque centrale européenne, c’est un scandale, car elle vient vraiment en soutien au secteur privé, elle ne prête pas aux États, elle prête aux banques privées qui empruntent à du 0% et qui vont ensuite prêter aux États à des taux qui peuvent aller jusqu’à 7%. Il faut aussi souligner que la BCE, qui participe à la thérapie de choc en Grèce, a racheté à plusieurs banques privées des titres grecs pour une valeur de 40 milliards d’euros et, maintenant, exige de la Grèce le remboursement intégral de la valeur nominale, soit 55 milliards d’euros plus les intérêts !
Rappelons qui est à la tête de la BCE...
Draghi...
Qui vient de Goldman Sachs.
Oui, la BCE est clairement liée aux intérêts privés, ça ne fait pas de doute.
L’ancien président de la Commission, Barroso, la quitte et va chez Goldman Sachs ; Juncker, l’actuel, est l’architecte principal de l’ultra-libéralisation du Luxembourg et des paradis fiscaux... Comment on fait ?
Ce n’est pas avec eux qu’on va changer les traités, c’est inimaginable. Donc, ce que nous disons c’est qu’il faut désobéir aux traités européens.
En septembre 2015, la Belgique n’a pas voté en faveur de la résolution de l’ONU visant à mettre en place un cadre juridique international pour les restructurations de dettes publiques, qui aurait pourtant permis d’entraver l’action des fonds vautours ? C’est quand même paradoxal cette loi nationale de 2015 et ce refus à l’ONU.
Là tu touches un truc... en mars 2016, il y a une résolution qui porte sur la dette des pays du Sud : la Belgique vote contre. Quant à la résolution de l’ONU ils se sont abstenus. La Belgique, au niveau européen et international, ne fait rien de progressiste sur la dette et les FV, alors qu’on a une loi pionnière au niveau mondial. Ils ne le font pas car le gouvernement belge ne veut pas.
Est-ce que la Belgique a mis en place les résolutions parlementaires qui demandent la mise en place d’un audit de ses créances pour identifier et annuler toutes celles qui sont odieuses ?
Oui, mais le gouvernement s’assied consciemment sur les textes du Parlement, notamment la résolution du Parlement du 29 mars 2007. C’est voté !, mais ce n’est jamais mis en place. On interpelle le gouvernement, ils répondent « Oui, oui, c’est en cours ».
En France, le remboursement des intérêts de la dette représente 10% du budget de l’État. En Belgique, c’est combien ?
C’est le premier poste budgétaire. C’est 40 milliards d’euros tous les ans qui sont payés aux créanciers (dont 13 milliards pour les seuls intérêts) alors que dans le même temps les dépenses du fédéral dans la sécurité sociale s’élèvent 10 milliards, soit 4 fois moins que le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. .
Il faut aussi dire aux gens les effets énormes du remboursement de la dette sur la structure sociale, et que ce sont surtout la classe moyenne et les plus pauvres qui la payent, les riches trouvant toujours les moyens de s’en détourner. Les gens ne se rendent pas toujours bien compte de cela ?
Oui, et c’est pour cela qu’on essaye d’en parler à travers l’audit citoyen, comme l’a fait l’Équateur avec la participation des mouvements sociaux. Au niveau gouvernemental, parlementaire, institutionnel, il n’y a rien qui bouge. Pour revenir à la dette belge, il y a clairement un problème : c’est la dette qui gouverne nos politiques. C’est au nom de la dette, au nom des déficits qu’on va dire : « Franchement, on n’a pas le choix, on doit être plus compétitif, on doit réduire nos budgets sociaux pour les rendre plus efficaces, il faut des partenariats public-privé parce que ça coûte trop cher, il faut geler les salaires... ». Bref, toute la politique d’austérité se fait au nom du remboursement de la dette qu’il faut questionner, se dire : « Est-ce que cette dette est vraiment légitime ? ». Á partir de là, on questionne les sauvetages bancaires, les politiques fiscales où ce sont les classes populaires et les classes moyennes qui paient le prix de la dette, puisque les riches en Belgique en profitent, et ce de deux façons : en terme de politique fiscale, ils paient très peu d’impôts, ensuite ce sont ces gens-là qui détiennent la dette belge, à travers leur actionnariat dans les grandes banques, et vont dire : « Vous vivez au dessus de vos moyens, il faut arrêter ce rythme de vie. » Le remboursement de la dette belge représente 20% du budget du pays, sans aucun débat, sur le taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
notamment. On vient pourtant de calculer que si l’État belge n’avait pas d’intérêt à payer, juste le capital à rembourser – alors qu’on a vu que les intérêts, ça enrichit les banques qui profitent des taux à 0% de la BCE -, l’État belge serait en surplus budgétaire ; on peut donc déjà questionner les paiements des intérêts. Il n’y a pas de débat là-dessus, et c’est la première dépense de l’État !
Évidemment, s’il n’y a pas de débat, c’est parce qu’on sait à qui appartiennent les médias. Donc, ils te laissent faire une carte blanche, c’est amusant, c’est bien, mais s’ils en parlaient souvent, s’ils en faisaient des dossiers, s’ils faisaient des émissions, l’opinion publique entre guillemets, serait très vite au courant, et il y aurait une mobilisation populaire beaucoup plus forte.
Voilà, comme tu dis, on a quelques tribunes mais ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. La Belgique est aujourd’hui attaquée par Paul Singer, qui représente le 1% : milliardaire états-unien, lobbyiste aux États-Unis du parti républicain, tout son business est proprement scandaleux et aujourd’hui, il veut faire la loi en Belgique, tu imagines ! : « Cette loi-là, elle n’est pas bonne, vous me l’annulez ! ». Et il n’y a eu aucun débat télévisé en Belgique, rien du tout !
Interview de Renaud Vivien, co-secrétaire général du CADTM Belgique, 26 janvier 2017.
Propos recueillis par Alexandre Penasse.
Pour permettre aux États de faire face aux fonds vautours, n’hésitez pas à signer notre Pétition pour défendre et internationaliser la loi belge sur les fonds vautours
[1] Appelé ainsi car le vice-président de la commission est Jean Ziegler, ancien rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation.
[2] Qui donne son accord, même si des actes de corruption ont été notés. Mais cela n’influe pas sur le jugement… La Zambie est débitrice et doit payer au fonds vautour 17 fois la créance d’origine.
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
2 mars, par Renaud Vivien
13 février, par Eric Toussaint , Renaud Vivien , Victor Nzuzi , Luc Mukendi , Yvonne Ngoyi , Najla Mulhondi , Anaïs Carton , Cynthia Mukosa , Nordine Saïdi , Mouhad Reghif , Georgine Dibua , Graziella Vella , Monique Mbeka , Guillermo Kozlowski , CMCLD , ACM , Pauline Fonsny , Céline Beigbeder , Nicolas Luçon , Julie Nathan
21 juin 2022, par Camille Chalmers , Renaud Vivien , Jérôme Duval
17 mai 2022, par Renaud Vivien
7 mars 2022, par Renaud Vivien
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