Antinazisme et protection sociale

4 février 2013 par Pascal Franchet


La juxtaposition des 2 termes peut sembler surprenante et pourtant, il y a bien un lien direct entre la lutte contre le nazisme et la défense de la protection sociale. En effet, la sécurité sociale n’est pas une question comptable ou technique mais est d’abord et avant tout une question politique de répartition des richesses aux conséquences sociales considérables.



Il suffit de regarder du coté de la Grèce pour en apprécier l’importance.
Le délitement sciemment provoqué de la société grecque induit la mise à mort de la protection sociale et des droits démocratiques. Plus d’un tiers de la population n’a aujourd’hui plus du tout de sécurité sociale et cette proportion va augmenter avec le dernier « paquet » de mesures imposées par le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et la Commission Européenne, au nom de la priorité (devenue constitutionnelle depuis février 2012), donnée aux créanciers de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique.
Le chiffre des 2/3 est souvent avancé.
Faute de pouvoir avoir accès aux traitements ou à des opérations chirurgicales devenues trop onéreuses, des dizaines de milliers de personnes y renoncent. Les budgets des hôpitaux sont amputés de 40% et sont souvent dépourvus du matériel élémentaire (gants, compresses, etc.) . On dénombre aujourd’hui une vingtaine de décès directement imputables à cette ségrégation par l’argent.

Les femmes qui souhaitent accoucher à l’hôpital doivent payer un droit d’entrée et beaucoup sont contraintes d’accoucher chez elles, avec les risques de complications, d’infections ou/et de mortalités infantiles que cela implique. 60% des accouchements se pratiquent sous césarienne et là le coût est dissuasif, même pour celles qui conservent encore des bribes de protection sociale. Ceci sans parler des dessous de table restés monnaie courante… Les représentants de l’association Médecins sans frontière » le rapportent : le dilemme posé pour les patients qu’ils reçoivent est souvent de choisir entre médicaments et nourriture…
Ce recul fantastique de l’accès aux soins et à la santé, couplé avec la démolition du Code du Travail et des conventions collectives, provoque une rupture sociale, brèche dans laquelle s’engouffre le mouvement nazi « aube dorée » face à l’incurie de l’union sacrée PASOK-Nouvelle Démocratie, incurie bien utile au capital pour disloquer encore davantage la société grecque.

Les discours et campagne de cette organisation militaro-politique (la 3e du pays pour les intentions de vote selon les sondages derrière la Nouvelle Démocratie et Syriza) sont reçus positivement par de plus en plus de grecs désemparés par la misère et l’incapacité de l’État à subvenir à leurs besoins fondamentaux. Les actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
comme la collecte de sang « des grecs pour les grecs , pas pour les étrangers ! », les thèmes xénophobes d’exclusion des enfants d’immigrés des écoles, rencontrent un écho grandissant face à un système scolaire en totale déliquescence.
La position d’allégeance au FMI prises par le dirigeant de Syriza, Alexis Tsipras, fin janvier 2013 à Washington risque fort d’accroître le désarroi de la partie de la population qui lui a fait jusque là confiance pour opérer le changement radical nécessaire dans ce pays.

Décidément, la comparaison avec la chute de la République de Weimar devient de plus en plus pertinente. La république grecque est en effet dans une situation comparable à celle de la république de Weimar à la fin des années 1920 [1]. Son échec, la trahison de ses dirigeants et la crise financière de 1929 ont favorisé la montée du nazisme en Allemagne.
Il est acté aujourd’hui que la finance et l’industrie étatsunienne a soutenu, encouragé et financé le NSDAP (le parti d’Adolf Hitler) . Aujourd’hui, c’est Goldman Sachs qui est au ban des accusés de la faillite provoquée de la société grecque.
Comparer ainsi 2 moments de l’histoire politique et sociale est certes toujours hasardeux. Le contexte global a changé avec la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
de l’économie, la fin du 2e monde et la fin du colonialisme. De même, la crise économique de 2008 présente davantage de similitude avec celle de 1873 qu’avec celle de 1929 et du début des années 1930.
Ces différences réelles ne changent pas les données du problème auquel nous sommes confrontés. Chacun reconnait que la Grèce sert de laboratoire expérimental aux réponses que le capital, via la Troïka, veut imposer à l’ensemble des pays européens. Ce « modèle » a vocation a être exporté.

On doit bien mesurer que les mêmes ingrédients se réunissent aujourd’hui et concourent à la généralisation de la barbarie : récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. économique, chômage de masse, destruction des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). sociales…
Plus éloigné encore des caractéristiques économiques et politiques des pays du cœur de l’Union Européenne, le Chili. A partir de 1973, ce pays a servi de test grandeur nature pour le néolibéralisme qui s’est généralisé dans tous les pays du Nord à peine 10 plus tard. Privatisation de tout le secteur public de la santé et des régimes de protection sociale sont allés de pair avec la suppression des droits démocratiques de la population.
Chili, Grèce : 2 stratégies du choc, pour reprendre l’expression de Naomi Klein, pour 2 expérimentations généralisables. La 1re a réussi, la 2e est en marche...

Dans les pays du Sud , les plans d’ajustement structurels du FMI du début des années 1980 contiennent systématiquement une baisse drastique des transferts sociaux.
Comparaison n’est pas raison, dit le dicton, mais fermer les yeux devant l’évidence devient criminel au regard des enjeux de civilisation.
Développer et rendre concrète la solidarité internationale dès aujourd’hui, expliquer et combattre le danger européen que constitue la montée du nazisme en Grèce, doivent devenir des priorités pour l’ensemble du mouvement social européen.

Un élément de la riposte se situe dans la nécessaire et vitale construction d’un mouvement antifasciste européen de masse. [2]
Marx disait que la bourgeoisie préférait une fin effroyable à un effroi sans fin. On en approche !

Illustration : CC / txmx2


Notes

[1Yorgos Mitralias : Soixante sept ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le procès de Nuremberg, nous voici donc en pleine République de Weimar à la grecque http://www.cadtm.org/Soixante-sept-ans-apres-la-fin-de

[2Cf . le manifeste antifasciste européen (à paraitre sur les sites, déjà signés par de nombreuses organisations et associations, notamment en Espagne)

Pascal Franchet

Président du CADTM France