Pistes pour des alternatives

Comment sortir d’une économie d’endettement pour financer un développement durable et socialement juste ?

1er mars 2007 par Eric Toussaint




Voici quelques pistes alternatives à soumettre au débat. Ce qui est réuni ici ne constitue ni un programme exhaustif, ni un ensemble à prendre ou à laisser. Ce sont des propositions, des pistes. Au mieux, des conditions nécessaires mais pas suffisantes. Il s’agit de contribuer à l’amorce d’un débat indispensable sur des alternatives. L’angle d’attaque consiste à partir de la satisfaction des droits humains fondamentaux. La question à laquelle ce texte essaie de répondre pourrait être résumée de la manière suivante : comment sortir d’une économie d’endettement pour financer un développement humain durable  [1] et socialement juste ?

Selon la Déclaration universelle des droits de l’Homme (article 25), « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. Toute personne a droit à l’éducation, au travail et à la sécurité sociale ».
Le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la majorité des pays membres des Nations unies, stipule, quant à lui, que “Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national adéquates afin d’améliorer constamment le bien-être de la population entière et de tous les individus sur la base de leur participation active, libre et significative dans le développement et la distribution équitable des bénéfices issus de celui-ci” (Article 2).
En interprétant les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de ce pacte, le comité de l’ONU des droits économiques, sociaux et culturels déclare : “Un Etat membre dans lequel un nombre important d’individus est privé des aliments essentiels, de l’attention de santé primaire, de vêtements décents et de logement de base ou d’enseignement élémentaire, n’accomplit pas ses obligations en vertu de ce Pacte”.
L’assemblée générale des Nations Unies souligne dans le préambule de la Déclaration sur le droit au développement [2] adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 41/128 du 4 décembre 1986 :

« Préoccupée par l’existence de graves obstacles au développement, ainsi qu’à l’épanouissement complet de l’être humain et des peuples, obstacles qui sont dus notamment au déni des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, et considérant que tous les droits de l’homme et libertés fondamentales sont indivisibles et interdépendants et que, pour promouvoir le développement, il faudrait accorder une attention égale et s’intéresser d’urgence à la mise en œuvre, à la promotion et à la protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et qu’en conséquence la promotion, le respect et la jouissance de certains droits de l’homme et libertés fondamentales ne sauraient justifier le déni d’autres droits de l’homme et libertés fondamentales... »
L’Article 8 section 1 de cette importante résolution précise :
« Les Etats doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement et ils doivent assurer notamment l’égalité des chances de tous dans l’accès aux ressources de base, à l’éducation, aux services de santé, à l’alimentation, au logement, à l’emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales.  »

Pourtant, et alors que les richesses mondiales ont été multipliées par huit depuis 1960, un être humain sur deux vit aujourd’hui avec moins de deux dollars par jour, un être humain sur trois n’a pas accès à l’électricité, un sur cinq vit avec moins d’un dollar quotidien, un sur cinq n’a pas accès à l’eau potable, un sur six est analphabète alors qu’un adulte sur sept et un enfant sur trois souffrent de malnutrition.

Dans un document commun, plusieurs institutions spécialisées de l’ONU [3] estiment qu’une dépense annuelle de 80 milliards de dollars sur une période de dix ans permettrait de garantir à tout être humain l’accès à l’éducation de base, à l’eau potable, aux soins de santé de base (incluant la nutrition) et à des infrastructures sanitaires, ainsi que, pour les femmes, l’accès aux soins de gynécologie et d’obstétrique [4].

80 milliards de dollars, c’est en 2007 près de trois fois moins que ce que le Tiers Monde rembourse pour sa dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure publique ; c’est environ un sixième du budget militaire des Etats-Unis ; 8 % des dépenses militaires mondiales ; 8 % des dépenses publicitaires annuelles dans le monde ; la moitié de la fortune des 4 personnes les plus riches de la planète [5], 0,25% de la fortune cumulée du millième le plus riche de la population mondiale [6]. Misère du présent, richesse du possible...

Il est impossible d’attendre de la logique du marché qu’elle satisfasse ces besoins essentiels. Les 1200 millions de personnes qui ne disposent pas d’eau potable ou les 2000 millions de personnes qui n’ont pas accès de manière régulière aux médicaments et aux soins de santé [7] ne disposent pas d’un pouvoir d’achat suffisant pour que les marchés s’intéressent à elles. Il n’y a pas assez de profit à faire [8].

Seules des politiques publiques pourront garantir à tous et à toutes la satisfaction des besoins humains fondamentaux [9]. C’est pourquoi il est nécessaire que les pouvoirs publics disposent des moyens politiques et financiers pour honorer leurs devoirs envers leurs citoyennes et leurs citoyens.

Il convient également que ces derniers exercent pleinement leur droit d’agir comme les sujets centraux de la vie politique des Etats. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre des politiques économiques et des mécanismes juridiques efficaces dans une dynamique démocratique participative. L’exemple du budget participatif pratiqué à Porto Alegre depuis le début des années 1990 devrait être étendu à l’échelle internationale et inspirer des politiques originales de démocratie radicale au travers desquelles les citoyens et citoyennes se réapproprieraient des espaces perdus par la démocratie.

Obtenir l’application de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels (ainsi que des autres traités et conventions internationaux relatifs aux droits humains) implique ainsi l’entrée en action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
d’un puissant mouvement social et citoyen.

Pour commencer, il faut mettre fin à l’hémorragie de richesses que constitue le remboursement de la dette. Il est ensuite nécessaire de trouver différentes sources de financement pour un développement socialement juste et écologiquement soutenable. Il convient enfin de rompre avec la logique menant au cycle de l’endettement, au détournement et au pillage massif des richesses locales, à la dépendance envers les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et les prêts conditionnés des institutions de Bretton Woods.


1. - Briser le cycle infernal de la dette
Les tenants de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale nous disent que les pays en développement doivent rembourser leur dette extérieure s’ils veulent bénéficier de flux constants de financement.
En réalité, depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, les flux sont allés des pays en développement vers les pays les plus industrialisés, ils sont allés de la Périphérie vers le Centre, et non l’inverse comme le prétendent avec insistance les dirigeants des institutions financières internationales. Pour réaliser une estimation des flux réels, il s’agit de prendre en compte le remboursement de la dette extérieure ; les sorties de capitaux réalisées par les résidents des pays de la Périphérie ; le rapatriement des bénéfices par les multinationales (y compris les transferts invisibles, notamment via les procédés de “sur” ou de “sous” facturation) ; l’acquisition, par les capitalistes des pays les plus industrialisés, d’entreprises de la Périphérie, à prix bradés dans le cadre des privatisations ; l’achat à bas prix des biens primaires produits par les peuples de la Périphérie (dégradation des termes de l’échange) ; la fuite des “cerveaux” ; le pillage génétique ; le pillage des ressources naturelles et la destruction du milieu de vie... Les donateurs ne sont pas ceux que l’on croit. C’est un abus de langage que de considérer comme “donateurs” les pays de l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
membres du Comité d’aide au développement et les institutions de Bretton Woods.
Depuis deux décennies, en comparaison avec les années 1960-1970, on assiste ainsi à une amplification du transfert net Transfert net On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).

Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
massif de richesses au profit des classes possédantes des pays les plus industrialisés. Le mécanisme du remboursement de la dette s’est ajouté à d’autres préexistants (échange commercial inégal, pillage des richesses naturelles et humaines, fuite des cerveaux, rapatriements de bénéfices des transnationales vers les maisons mères, etc.) et les a puissamment renforcés. Depuis 1982, c’est l’équivalent de plusieurs dizaines de Plans Marshall que les populations des pays en développement ont transféré vers les créanciers du Nord (les élites locales prélevant au passage leur commission).

Il convient d’annuler la dette extérieure publique des pays en développement. A l’analyse, cette dette ne pèse pas lourd face à celle, historique, écologique et sociale que les pays riches du Nord ont contractée à leur égard. La dette des PED s’élevait en 2005 à environ 2800 milliards de dollars (dont environ 1500 milliards de dettes publiques), ce qui ne représente qu’un faible pourcentage de la dette mondiale qui atteint plus de 60000 milliards de dollars (l’addition des dettes publique et privée aux Etats-Unis représente à elle seule plus de 35000 milliards de dollars).
Si la dette extérieure publique des PED était entièrement annulée, sans indemnisation des créanciers, cela représenterait une perte minime de moins de 5% dans leur portefeuille. En revanche, pour les populations enfin libérées de ce fardeau, les sommes qui pourraient être utilisées à améliorer la santé, l’éducation, à créer des emplois, etc. seraient tout à fait considérables. En effet, le remboursement de la dette publique des PED représente, bon an mal an, une dépense d’environ 220 à 250 milliards de dollars, soit deux à trois fois la somme qui manque actuellement pour la satisfaction des besoins humains fondamentaux tels que définis par les Nations unies.

Certains affirment qu’une annulation de dette aboutirait à une exclusion définitive de l’accès aux capitaux internationaux. Cette affirmation ne repose pas sur une étude sérieuse de l’histoire des crises d’endettement.
De la fin du 19e siècle - avec l’annulation par les Etats-Unis d’Amérique de la dette de Cuba à l’égard de la couronne espagnole - à la fin du 20e siècle - avec l’annulation d’une partie de la dette polonaise en 1991 (c’est l’un des seuls exemples où les créanciers ont fait un effort spontané, des intérêts stratégiques étant évidemment en jeu) -, en passant par l’arrêt du remboursement de la dette extérieure mexicaine entre 1914 et 1942 et de la dette argentine entre 2001 et 2005, de nombreuses mesures de répudiation ou d’annulation de dette ont été prises sans aboutir au désastre que les créanciers prédisaient.
Par contre, on ne manque pas de cas d’exemples de pays qui se sont appauvris et affaiblis en remboursant leurs dettes.

En outre, la menace de voir se fermer le robinet du financement extérieur privé n’a pas de sens pour la majorité des pays de la Périphérie, car ils n’ont déjà plus guère accès aux capitaux privés depuis des années. Selon le PNUD PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
, “seuls 25 pays en développement ont accès aux marchés privés pour les obligations, les prêts des banques commerciales Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
et les investissements de portefeuille
” (PNUD, 1999, p. 31).

Selon les Nations unies, les 49 pays moins avancés Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
(PMA), où vivent près de 600 millions d’habitants, ne reçoivent en moyenne que 0,5% des investissements directs à l’étranger Investissements directs à l’étranger
IDE
Les investissements étrangers peuvent s’effectuer sous forme d’investissements directs ou sous forme d’investissements de portefeuille. Même s’il est parfois difficile de faire la distinction pour des raisons comptables, juridiques ou statistiques, on considère qu’un investissement étranger est un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10 % ou plus des actions ordinaires ou de droits de vote dans une entreprise.
(IDE) destinés aux pays en développement (PED).
Pour la poignée de pays de la Périphérie qui ont accès aux capitaux internationaux, 80 % des entrées d’investissements étrangers correspondent à des acquisitions d’entreprises déjà existantes qui passent sous le contrôle de transnationales des pays les plus industrialisés. Cela n’entraîne pas de création d’emplois, au contraire.
De plus, ces acquisitions impliquent une perte de contrôle national sur l’appareil productif, sans parler du caractère fortement volatil et spéculatif des autres flux de capitaux (c’est une des leçons à retenir des crises financières des années 1990).
Une restriction de ce type de flux ne serait pas préjudiciable aux économies de ces pays. Pour remplacer ces flux improductifs, voire néfastes, nous proposons des sources alternatives de financement (voir la deuxième partie du présent texte), de manière à diminuer fortement la dépendance tant à l’égard des marchés financiers que des institutions de Bretton Woods.

En réalité les Pays en développement pris ensemble sont des prêteurs nets à l’égard des pays développés
La Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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affirme que les PED sont des prêteurs nets à l’égard des pays les plus industrialisés. Dans le rapport annuel de 2003 de la Banque mondiale intitulé Global Development Finance, on peut lire « Les pays en développement pris dans leur ensemble sont prêteurs nets par rapport aux pays développés » [10]. Dans l’édition de 2005 du Global Development Finance, la Banque écrit : « Les pays en développement sont maintenant exportateurs nets de capitaux vers le reste du monde » (World Bank, GDF 2005, p. 56). Dans le Global Development Finance 2006, elle revient sur le sujet : “Les PED exportent des capitaux vers le reste du monde, en particulier vers les Etats-Unis” [11] (World Bank, GDF 2006, p. 139).
L’encours total mondial des réserves de change atteignait en décembre 2005, selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), l’équivalent de 4170 milliards de dollars (dont 2/3 en dollars US, le 1/3 restant étant composé d’euros, de yens, de livres sterling et de francs suisses), dont seulement 1292 milliards sont en possession des pays les plus industrialisés. Encore faut-il savoir que les Etats-Unis ne possèdent que l’équivalent de 38 milliards de dollars (en différentes devises) et la zone euro seulement 167 milliards. Le Japon quant à lui en détient 829 milliards (BRI, 2006, p. 88).
Les PED n’ont jamais connu une telle situation : ils disposent d’une somme équivalente à plus du double des réserves de change des pays les plus industrialisés. Les réserves de changes des PED sont distribuées de la manière suivante : 60% en dollars, 29% en euros et le reste en yens, livres sterling et francs suisses.
La politique actuelle en matière de réserves de change est, à bien des égards, absurde car elle se conforme à l’orthodoxie des institutions financières internationales.
Au lieu d’utiliser une partie importante de leurs réserves de change pour des dépenses d’investissement et pour des dépenses courantes (dans les domaines de l’éducation et de la santé par exemple), les gouvernements des PED s’en servent pour rembourser leurs dettes ou les prêtent au Trésor des EU ou aux Trésors des pays d’Europe occidentale.
Mais cela ne s’arrête pas là, les gouvernements des PED utilisent les réserves en devises comme garantie de paiement futur et contractent de nouvelles dettes auprès des banques privées étrangères ou auprès des marchés financiers. C’est absurde du point de vue de l’intérêt général.
Autre politique absurde du point de vue de la Nation, pour prévenir un effet inflationniste lié au niveau important des réserves en devise, le Trésor public des PED s’endette auprès des banques locales afin de retirer de la circulation le surplus de monnaie.

Rien que ce constat démontre la futilité de la théorie dominante dans le domaine du développement. En effet, selon la pensée dominante, un des obstacles principaux au développement du Sud [12], c’est l’insuffisance de capitaux. Aussi, afin de se développer, les PED doivent chercher ailleurs les capitaux dont ils ne disposent pas en suffisance chez eux. Ils doivent à la fois s’endetter et attirer les capitaux étrangers.

Fondements juridiques de l’annulation de la dette
L’annulation de dette est légitime car elle se base sur plusieurs fondements juridiques, dont les notions de “dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
”, “force majeure” et “état de nécessité ”.

La « Dette odieuse »

Les dettes des Etats contractées contre les intérêts des populations locales sont juridiquement illégitimes.
Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, “ Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ” (Sack, 1927).
Ainsi, les dettes contractées à l’encontre des intérêts de la population du territoire endetté sont “odieuses” et, en cas de changement de régime, les nouvelles autorités ne sont pas tenues de les rembourser.
La doctrine de la dette odieuse trouve son origine au 19e siècle [13]. Une de ses applications remonte à l’année 1898, lorsque les Etats-Unis prirent le contrôle de Cuba après la guerre contre l’Espagne [14] et que celle-ci leur demanda d’assumer la dette cubaine à l’égard de la couronne espagnole, conformément au droit international. La Commission de négociation des Etats-Unis refusa cette dette, la qualifiant de “poids imposé au peuple cubain sans son accord”.
Selon ses arguments, “la dette fut créée par le gouvernement de l’Espagne pour ses propres intérêts et par ses propres agents. Cuba n’a pas eu voix au chapitre”. La Commission ajouta que “les créanciers ont accepté le risque de leurs investissements”. Le litige fut éteint par la conclusion d’un traité international entre les Etats-Unis et l’Espagne signé à Paris en 1898. La dette fut entièrement annulée.

Plus tard, en 1923, une Cour d’arbitrage internationale, présidée par le juge Taft, président de la Cour suprême des Etats-Unis, déclara que les prêts concédés par une banque britannique (établie au Canada) au président Tinoco du Costa Rica étaient nuls parce qu’ils n’avaient pas servi les intérêts du pays mais bien l’intérêt personnel d’un gouvernement non démocratique. Le juge Taft déclara à cette occasion que “le cas de la Banque royale ne dépend pas simplement de la forme de la transaction, mais de la bonne foi de la banque lors du prêt pour l’usage réel du gouvernement costaricain sous le régime de Tinoco. La Banque doit prouver que l’argent fut prêté au gouvernement pour des usages légitimes. Elle ne l’a pas fait.” (Juge Taft, cité dans Adams, 1991, p. 168).

Les régimes légaux qui succédèrent aux dictatures d’Amérique latine dans les années 1980 (Argentine, Uruguay, Brésil, etc.) auraient dû s’appuyer sur le droit international pour obtenir l’annulation des dettes odieuses contractées par les régimes militaires. Ils n’en ont rien fait. Le gouvernement des Etats-Unis y a veillé méticuleusement. Et pour cause : les dictatures avaient été soutenues activement (quand elles n’avaient pas été mises en place) par les Etats-Unis et les principaux créanciers n’étaient autres que les banques des Etats-Unis.
Sous d’autres cieux aussi, d’autres pays auraient parfaitement pu exiger l’annulation de dettes odieuses. Pour ne citer que quelques autres exemples flagrants : les Philippines après le renversement du dictateur Ferdinand Marcos en 1986, le Rwanda en 1994 après le génocide perpétré par le régime dictatorial [15], la République sud-africaine au sortir de l’apartheid, la République démocratique du Congo en 1997 après le renversement de Mobutu, l’Indonésie en 1998 après le départ de Suharto, etc.
Au lieu de fonder un refus de reconnaissance de dette sur le droit national et international, les nouveaux gouvernants préférèrent négocier des rééchelonnements et des allégements cosmétiques avec les créanciers. Ils entrèrent ainsi dans le cycle interminable de l’endettement extérieur dont les peuples font toujours les frais.

La doctrine de la “dette odieuse” a été évoquée régulièrement par différents mouvements citoyens favorables à l’annulation des dettes mais les régimes post dictature et, bien sûr, les créanciers ont fait la sourde oreille. Le débat a été relancé par le gouvernement des Etats-Unis en avril 2003. Dans des circonstances qui ne sont pas sans rappeler le précédent de la guerre entre l’Espagne et les Etats-Unis en 1898, les Etats-Unis ont demandé à la Russie, la France et l’Allemagne d’annuler les dettes odieuses dont l’Irak était redevable. Reprenant textuellement la définition de la dette odieuse formulée plus haut, ils ont affirmé que les dettes contractées par le dictateur Saddam Hussein étaient frappées de nullité. La situation s’est réglée au sein du Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
qui a annulé 80 % de la dette.

Pour avancer dans la perspective de l’identification de la dette odieuse, le recours à une enquête citoyenne (audit) sur la légitimité des dettes dont les créanciers exigent le remboursement, constitue un outil fondamental. Les parlements et les gouvernements des pays endettés pourraient réaliser un audit de la dette. Certains pays sont dotés de dispositions constitutionnelles qui le prévoient explicitement (Brésil - constitution de 1988). De puissantes mobilisations citoyennes ont revendiqué dans différents pays la mise en route d’une procédure d’audit. Ce fut le cas au Brésil en septembre 2000 quand la Campagne Jubilé Sud, la Conférence nationale des Evêques, le Mouvement des Sans Terre (MST), la Centrale unitaire des Travailleurs (CUT) organisèrent un référendum sur la dette. Six millions de citoyens et citoyennes y participèrent, dont plus de 95 % appuyèrent la demande d’organisation d’un audit. De nombreux mouvements sociaux brésiliens ont demandé au nouveau président Lula, dont le mandat a débuté en janvier 2003, d’organiser enfin cet audit prévu par la constitution brésilienne de 1988.

La réalisation d’audits avec pour fonction de déterminer le caractère odieux ou non de tout ou partie des dettes d’un pays constitue un enjeu de toute première importance. Ci-dessous, un tableau provisoire et non exhaustif des dettes odieuses pour une liste limitée de pays prouve que les montants concernés par la dette odieuse sont tout à fait considérables. Le tableau est provisoire car la fonction de l’audit (avec participation citoyenne) vise précisément à déterminer de manière rigoureuse l’ampleur de la dette odieuse frappée de nullité. Il n’en constitue pas moins une incitation à la réflexion, à la recherche et à l’action citoyenne.

Tableau 1.

Pays Régime dictatorial Période de
La dictature
Dette odieuse
(milliards de dollars)
Stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes.
en 2001
Indonésie Suharto 1965-1998 150 135
Irak Saddam Hussein 1979-2003 122 122
Brésil Junte militaire 1965-1985 100 226
Argentine Junte militaire 1976-1983 45 137
Corée du Sud Régime militaire 1961-1981 30 110
Nigeria Buhari/Abacha 1984-1998 30 31
Turquie Régime militaire 1980-1989 30 115
Philippines Marcos 1972-1986 27 52
Afrique du Sud Apartheid 1948-1991 22 24
Syrie Assad 1971- 21 21
Thaïlande Militaires 1966-1988 21 67
Maroc Hassan II 1961-1999 19 17
Zaïre/RDC Mobutu 1965-1997 13 11
Chili Pinochet 1973-1990 12 38
Tunisie Ben Ali 1987- 11 11
Pakistan Militaires 1978-1988 10 32
Pérou Fujimori 1990-2000 9 27
Soudan Nimeiry 1969-1985 9 15
Ethiopie Mengistu 1977-1991 8 5,7
Kenya Moi 1978-2003 5,8 5,8
Congo Sassou 1979- 4,5 4,5
Iran Shah 1941-1979 4,5 7,5
Bolivie Junte militaire 1964-1982 3 4,7
Guatemala Régime militaire 1954-1985 2,7 4,5
Mali Traoré 1968-1991 2,5 2,9
Somalie Siad Barre 1969-1991 2,3 2,5
Malawi Banda 1966-1994 2,2 2,6
Paraguay Stroessner 1954-1989 2,1 2,8
Nicaragua Famille Somoza 1935-1979 2 6,4
Cambodge Khmers Rouges 1976-1989 1,8 2,7
Togo Famille Eyadema 1967- 1,4 1,4
Liberia Doe 1980-1990 1,2 2
Myanmar (Birmanie) Régime militaire 1988- 1,2 5,7
Rwanda Habyarimana 1973-1994 1 1,3
Salvador Junte militaire 1962-1980 1 4,7
Haïti Duvalier 1957-1986 0,8 1,2
Ouganda Idi Amin Dada 1971-1979 0,6 3,7
Centrafique Bokassa 1966-1979 0,2 0,8


Ce tableau a été réalisé par Damien Millet et l’auteur sur la base d’un travail préliminaire de Joseph Hanlon (2002).

Les montants considérés comme dette odieuse (colonne 4) sont dans la plupart des cas inférieurs à la réalité car ils ne se rapportent qu’à la période dictatoriale stricto sensu. Ils ne prennent donc pas en compte les dettes contractées pour rembourser les dettes odieuses. Il s’agit, à travers l’audit, de déterminer le montant exact des dettes qui entrent dans la catégorie des dettes odieuses. Il s’agit également de compléter la liste des pays concernés.

Concernant la dette odieuse, plusieurs compléments doivent être apportés à la doctrine formulée par Alexander Sack au siècle passé. Le Center for International Sustainable Development Law (CISDL) de l’Université McGill (Canada) a proposé une définition générale qui paraît tout à fait appropriée : “ Les dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un Etat, sans son consentement et en toute connaissance de cause par les créanciers ” (Khalfan et al., “ Advancing the Odious Debt Odious Debt According to the doctrine, for a debt to be odious it must meet two conditions :
1) It must have been contracted against the interests of the Nation, or against the interests of the People, or against the interests of the State.
2) Creditors cannot prove they they were unaware of how the borrowed money would be used.

We must underline that according to the doctrine of odious debt, the nature of the borrowing regime or government does not signify, since what matters is what the debt is used for. If a democratic government gets into debt against the interests of its population, the contracted debt can be called odious if it also meets the second condition. Consequently, contrary to a misleading version of the doctrine, odious debt is not only about dictatorial regimes.

(See Éric Toussaint, The Doctrine of Odious Debt : from Alexander Sack to the CADTM).

The father of the odious debt doctrine, Alexander Nahum Sack, clearly says that odious debts can be contracted by any regular government. Sack considers that a debt that is regularly incurred by a regular government can be branded as odious if the two above-mentioned conditions are met.
He adds, “once these two points are established, the burden of proof that the funds were used for the general or special needs of the State and were not of an odious character, would be upon the creditors.”

Sack defines a regular government as follows : “By a regular government is to be understood the supreme power that effectively exists within the limits of a given territory. Whether that government be monarchical (absolute or limited) or republican ; whether it functions by “the grace of God” or “the will of the people” ; whether it express “the will of the people” or not, of all the people or only of some ; whether it be legally established or not, etc., none of that is relevant to the problem we are concerned with.”

So clearly for Sack, all regular governments, whether despotic or democratic, in one guise or another, can incur odious debts.
Doctrine ”,
2002, cité dans Global Economic Justice Report, Toronto, July 2003).
Il ne faut donc pas abandonner la perspective d’ouvrir à nouveau ce dossier de la dette odieuse même s’il est considéré comme clos par les créanciers, toutes catégories confondues. Les Etats endettés n’ont pas fini de rembourser des dettes odieuses. Ils peuvent encore fonder en droit une décision de répudiation de ces dettes. Par ailleurs, les nouvelles dettes contractées dans les années 1990 et au début des années 2000 par des régimes légitimes, pour rembourser des dettes odieuses contractées par les régimes despotiques qui les ont précédés, devraient tomber elles-mêmes dans la catégorie des dettes odieuses. C’est ce qu’avancent différents experts tels que le CISDL cité plus haut, auquel il faut ajouter Joseph Hanlon (Grande-Bretagne), Hugo Ruiz Diaz (Paraguay - Belgique) et Patricio Pazmino (Equateur) [16].

La définition avancée par le CISDL implique que des créanciers privés qui ont prêté (ou prêtent) de l’argent à des régimes (légitimes ou non) ou à des entreprises bénéficiant de la garantie de l’Etat pour des projets qui n’ont pas fait l’objet d’une consultation démocratique et qui sont dommageables pour la société prennent le risque de voir ces créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). annulées (a fortiori si s’ajoute à cela la complicité active ou passive du créancier à l’égard de détournement de fonds). De nombreux projets anciens ou récents entrent dans cette catégorie (pensons au méga-barrage des Trois Gorges en Chine). Etendre la notion de dette odieuse doit forcer les créanciers à engager clairement leur responsabilité et à se plier à des règles démocratiques, sociales et environnementales sous peine d’aboutir à une situation où ils devront abandonner toute idée de récupération des fonds prêtés.

Il s’agit également d’élargir le champ d’application de la doctrine de la dette odieuse aux dettes contractées à l’égard des institutions de Bretton Woods (le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
, la Banque mondiale et les banques régionales de développement).
Pourquoi ? Le FMI et la Banque mondiale (créanciers multilatéraux) détiennent environ 450 milliards de dollars de créances sur les pays endettés [17] et une grande partie de ces dettes entre dans la catégorie des dettes odieuses.
Voici plusieurs cas de figure où la doctrine de la dette odieuse devrait être d’application dans le cadre de la définition donnée par le CISDL :
Les dettes multilatérales contractées par des régimes despotiques (toutes les dictatures mentionnées plus haut ont été soutenues par le FMI et la Banque mondiale) doivent être considérées comme odieuses. Le FMI et la Banque mondiale ne sont pas en droit d’en réclamer le paiement aux régimes démocratiques qui ont succédé aux régimes dictatoriaux (*) ;
Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et légitimes pour rembourser des dettes contractées par des régimes despotiques sont elles-mêmes odieuses. Elles ne doivent pas être remboursées. Ce cas de figure s’applique à une trentaine de pays mentionnés dans le tableau (non exhaustif) ci-dessus (*).
Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et légitimes dans le cadre de politiques d’ajustement structurel préjudiciables aux populations (la démonstration du caractère préjudiciable de celles-ci a été faite par de nombreux auteurs et organismes internationaux - notamment des organes de l’ONU, voir plus loin) sont également odieuses. Le fait que pendant vingt ans, la Banque mondiale et le FMI ont, contre vents et marées, défini et imposé des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. qui se sont avérées catastrophiques au niveau de la garantie des droits fondamentaux des êtres humains constitue un dol [18] à l’égard des emprunteurs et de leurs populations. Le contrat d’emprunt en question est frappé de nullité. Les lettres d’intention que les autorités des pays endettés sont obligées d’envoyer au FMI et à la Banque mondiale (sous leur dictée) constituent un artifice construit par ces institutions afin d’être disculpées face à d’éventuelles poursuites judiciaires. Cette procédure n’est qu’un artifice [19] : tout comme un individu NE peut PAS accepter d’être réduit en esclavage (le contrat par lequel il aurait renoncé à sa liberté n’a strictement aucune valeur légale), un gouvernement ne peut pas renoncer à l’exercice de la souveraineté de son pays. Dans la mesure où elle annihile l’exercice de la souveraineté d’un Etat, cette lettre est nulle. Les institutions de Bretton Woods ne peuvent pas utiliser la lettre d’intention pour se disculper. Elles restent pleinement responsables des torts causés aux populations via l’application des conditionnalités qu’elles imposent (l’ajustement structurel, aujourd’hui rebaptisé Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté - CSLP - pour les PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
ou Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance
FRPC
Facilité de crédit du FMI avalisée en 1999, accordée fin 2007 à 78 pays à faible revenu (dont le PIB par habitant 2003 est inférieur à 895 dollars). Elle comporte la notion de lutte contre la pauvreté, mais dans une stratégie économique globale toujours axée sur la croissance. Les autorités nationales sont alors chargées de rédiger un vaste document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), sorte de programme d’ajustement structurel avec une touche de social, en accord avec les institutions multilatérales. En cas d’éligibilité, le pays peut emprunter, dans le cadre d’un accord de trois ans, un montant variable suivant ses difficultés de balance des paiements et son passé envers le FMI, en général dans la limite de 140 % de sa quote-part au FMI. Le taux annuel est de 0,5 %, sur une durée de 10 ans, avec une période de grâce de cinq ans et demi.

En 2008, le FRPC est remplacé par la FEC (Facilité élargie de crédit). Elle est réservée aux pays à faible revenu (soit selon les données de la Banque mondiale de 2020, 29 pays ayant un PIB par habitant inférieur à 1 035 dollars). S’inscrivant dans la continuité du FRPC, la FEC accorde des prêts d’une durée de trois à cinq ans pouvant être renouvelés, dans la limite annuelle de 75 % de la quote-part, limite pouvant être dépassée selon les circonstances. L’échéance de remboursement est étalée sur une durée de 10 ans, dont une période de grâce de cinq ans et demi, avec un taux d’intérêt nul.

Source : https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/ecff.htm
- FRPC - pour les autres)
Il faudrait également prendre en considération le caractère antidémocratique des institutions de Bretton Woods elles-mêmes (majorité requise de 85% ; droit de veto accordé de fait aux Etats-Unis qui détiennent environ 17% des voix ; déséquilibre évident dans la répartition des voix).
Simultanément aux actions menées en faveur de l’annulation des créances multilatérales, il s’agit de mener un combat pour obtenir des réparations de la part des institutions de Bretton Woods à l’égard des populations victimes des dégâts humains et environnementaux causés par leurs politiques (*).
Enfin, il s’agit de poursuivre au civil et au pénal les responsables de ces institutions pour les violations des droits humains fondamentaux auxquelles elles se sont livrées (et se livrent encore) en imposant l’ajustement structurel et/ou en prêtant leur concours à des régimes despotiques (*).

Tous les points marqués de l’astérisque (*) s’appliquent également aux dettes bilatérales et aux créanciers bilatéraux.
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La “force majeure” et le “changement fondamental de circonstances”

On peut aussi soutenir en droit l’annulation de la dette et la suppression de son remboursement en invoquant l’argument de la force majeure [20] et celui du changement fondamental de circonstances. Au niveau du Droit international, la Commission de Droit international de l’ONU (CDI) définit ainsi la “force majeure” : « L’impossibilité d’agir légalement (...) est la situation dans laquelle un événement imprévu et extérieur à la volonté de celui qui l’invoque le met dans l’incapacité absolue de respecter son obligation internationale en vertu du principe selon lequel à l’impossible nul n’est tenu » [21].
La jurisprudence en matière de droit international reconnaît qu’un changement dans les conditions d’exécution d’un contrat peut l’annuler [22]. Cela signifie en substance que les contrats qui requièrent l’accomplissement d’une succession d’engagements dans le futur sont soumis à la condition que les circonstances ne changent pas (dans le droit commun, il existe différentes doctrines liées à ce principe, y compris “force majeure”, “frustration”, “impossibilité” et “impraticabilité”).

La force majeure et le changement fondamental de circonstances s’appliquent de manière évidente à la crise de la dette des années 1980. En effet, deux facteurs exogènes provoquèrent fondamentalement la crise de la dette à partir de 1982 : la hausse dramatique des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
imposée au niveau international par le gouvernement des Etats-Unis à partir de fin 1979 et la baisse des prix des exportations des pays de la Périphérie à partir de 1980.
Ces deux facteurs furent provoqués par les pays créanciers. Ce sont des cas de “force majeure” qui modifient fondamentalement la situation et qui empêchent les débiteurs de remplir leurs obligations [23].

L’état de nécessité


Pour fonder en droit le refus de payer, en plus des arguments mentionnés plus haut, on peut également avancer l’argument de l’état de nécessité. L’état de nécessité peut être invoqué lorsque la poursuite des remboursements implique pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable en affectant directement les obligations fondamentales de l’Etat à l’égard des citoyens. A ce propos, la Commission de Droit international de l’ONU (CDI) déclare :

“ On ne peut attendre d’un Etat qu’il ferme ses écoles, ses universités et ses tribunaux, qu’il supprime les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie simplement pour ainsi disposer de l’argent afin de rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux.
Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat, de la même façon que d’un individu. ” (CDI, 1980, p. 164-167, cité par Hugo Ruiz Diaz, op. cit.)

Il faut rompre avec la logique de dépendance et de soumission. Il faut soutenir les mouvements sociaux et citoyens qui, dans les pays de la Périphérie, appellent leur gouvernement à répudier la dette extérieure publique et à en stopper le remboursement.

2. - Des ressources supplémentaires pour financer le
développement

Pour qu’une annulation de dette soit utile au développement humain, il est évidemment nécessaire que les sommes destinées jusque là au paiement de la dette soient utilisées en faveur de la satisfaction des droits humains fondamentaux. Cela implique qu’une partie à déterminer démocratiquement doit être versée dans un fonds de développement contrôlé de manière directe et active par les populations locales. Le critère prioritaire doit être la participation des citoyens à la détermination des priorités, à l’élaboration et au choix des projets permettant de se conformer à ces priorités, au contrôle populaire de l’utilisation des moyens financiers et humains mis en œuvre...
Une fois ce premier pas franchi en matière d’annulation de dette, il est donc indispensable de substituer à l’économie d’endettement international actuelle un modèle de développement socialement juste et écologiquement soutenable, indépendant des fluctuations des marchés financiers et des conditionnalités des prêts du FMI et de la Banque mondiale.
Ce fonds de développement, déjà alimenté par les montants économisés grâce à l’annulation de dette [24], doit être financé par les diverses mesures suivantes :

2.1. Rétrocéder aux citoyennes et citoyens des PED ce qui leur a été dérobé

2.1.1. Des richesses considérables accumulées illicitement par des gouvernants et des capitalistes locaux ont été placées en sécurité dans les pays les plus industrialisés, ceci en toute complicité avec les institutions financières privées et avec la complaisance des gouvernements du Nord (le mouvement se poursuit aujourd’hui).
Prenons l’exemple de l’Argentine sous la junte militaire (1976-1983) : la dette de ce pays a été multipliée par six. Une partie considérable des montants empruntés a été déposée par les membres du régime et par les capitalistes argentins dans les banques des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et d’autres pays industrialisés. Des entreprises financières et industrielles des pays industrialisés, ainsi que des membres de la dictature et des capitalistes argentins, se sont enrichis de manière illégale. Le pouvoir judiciaire argentin a établi les faits lors d’un jugement prononcé en juillet 2000 [25] où la complicité du FMI et de la Réserve fédérale de New York a été démontrée. Sur la base de ce jugement qui devrait faire école, il faudrait obtenir réparation pour les populations spoliées.
Pensons à ce que représenterait, pour la population argentine, la récupération des avoirs placés par la junte militaire dans les pays les plus industrialisés ; pensons à ce qu’apporterait à la population congolaise la rétrocession d’une partie importante des avoirs de feu Mobutu (représentant dix fois le budget annuel de l’Etat congolais) ou, pour la population du Nigeria, la restitution de la fortune du dictateur Abacha, placée principalement en sécurité en Suisse et en Grande-Bretagne avec la complicité des plus grandes banques. Pensons à la fortune colossale placée au cours des années 1990 et au début des années 2000 par les oligarques russes principalement dans les deux places financières citées plus haut.

Une telle restitution implique l’aboutissement de procédures légales menées à bien dans les pays de la Périphérie et dans les pays les plus industrialisés. L’exemple d’une partie de la fortune du dictateur Marcos (658 millions de dollars) restituée par les autorités suisses aux pouvoirs publics philippins en 2003 après dix-sept ans de procédure montre que c’est parfaitement réalisable [26]. De telles enquêtes impliquent une pleine coopération internationale et la ratification de la Convention de Rome puisque, depuis mars 1991, le détournement de biens publics est considéré comme une violation des droits de l’homme.
De telles enquêtes permettraient en outre de ne pas laisser dans l’impunité les corrompus et les corrupteurs (notamment les banquiers, les transnationales et les gouvernements du Nord). C’est un moyen de faire avancer la démocratie, la transparence et la probité tout en réduisant la corruption.

2.1.2. Il s’agit également de soutenir les résolutions issues de la rencontre internationale tenue à Dakar en décembre 2000 [27] demandant réparation pour le pillage auquel les peuples de la Périphérie ont été soumis depuis cinq siècles. Cela implique également la restitution des biens culturels dérobés aux continents asiatique et africain, aux peuples amérindiens, caribéens et océaniens. Des mouvements de plus en plus nombreux, et dont l’activisme augmente, posent le problème des réparations. Sous la pression des mouvements sociaux africains et d’associations d’Amérique du Nord et du Sud, le sujet a été officiellement mis à l’ordre du jour de la conférence des Nations unies contre le racisme convoquée à Durban en août 2001. Le gouvernement des Etats-Unis s’est retiré de cette conférence et l’Union européenne a manœuvré pour limiter la portée de la résolution finale. Son délégué n’était pas prêt à aller au-delà de la reconnaissance de la Traite des Noirs comme crime contre l’humanité. Il voulait éviter toute formule qui aurait pu ouvrir la voie à la demande de réparation. Même s’il a déjà une longue histoire, le combat sur cette question ne fait que commencer. Il est essentiel pour des raisons morales et économiques de le faire triompher.
Fait également partie intégrante des réparations la dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
contractée principalement par les entreprises transnationales des pays les plus industrialisés (pensons aux dégâts causés et aux pillages réalisés par les transnationales pétrolières, par les transnationales minières, par celles de l’agrobusiness...), par les gouvernements du Nord et par la Banque mondiale [28].

2.2. Nationalisation/socialisation des biens détenus par les régimes dictatoriaux dans leur propre pays

L’annulation met les compteurs à zéro ; le non paiement de la dette et l’expropriation des avoirs des dictateurs (et de leur entourage) détenus à l’étranger, “biens mal acquis”, permettent de fournir le point de départ d’un fonds de développement. Il faut pouvoir y ajouter ce que ces régimes prédateurs ont accumulé comme richesses dans leur propre pays. Un cadastre doit en être établi. Et les biens du régime doivent être à la disposition du fonds de développement également. Ce fonds est nécessaire pour entreprendre des politiques positives destinées à la satisfaction des besoins réels des populations et à la réalisation de programmes socialement justes et écologiquement utiles.

2.3. Mettre à l’amende les capitalistes fraudeurs

Vu l’importance des dépôts à l’étranger des détenteurs de capitaux de la Périphérie qui, notamment pour éviter l’impôt, ont placé des capitaux à l’étranger, il faut réaliser un cadastre des fortunes détenues dans le pays et à l’étranger. Ceci implique que les autorités de chaque pays, sous la pression des mouvements sociaux, prennent des dispositions légales demandant la levée du secret bancaire sur le plan national et international. Qu’ensuite, elles obtiennent, y compris par l’envoi de commissions rogatoires auprès des banques privées étrangères, les renseignements nécessaires sur l’identité de ces détenteurs de capitaux et sur les sommes en question, afin de déterminer des amendes fiscales, ce qui ferait rentrer dans les caisses de l’Etat les recettes qui lui sont en fait dues.
Comme les détenteurs de capitaux à l’étranger sont propriétaires d’avoirs dans leur pays d’origine, ces avoirs peuvent être mis sous séquestre tant que l’amende n’est pas versée. Si celle-ci ne l’est pas, une partie des biens détenus dans le pays pourrait déjà être récupérée pour être transférée au domaine public.

2.4. Réforme monétaire redistributive

Une redistribution des richesses peut également être réalisée par le biais d’une réforme monétaire appropriée. Sans développer ici, on peut s’inspirer de la réforme monétaire réalisée après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement belge ou, à un autre coin de la planète et à une autre époque, par les autorités nicaraguayennes en 1985. Elle vise à opérer une ponction notamment sur les revenus de ceux et celles qui se sont enrichis sur le dos des autres. Le principe est simple : il s’agit, lors d’un changement de monnaie, de ne garantir la parité automatique entre l’ancienne et la nouvelle monnaie (un ancien franc contre un nouveau) que jusqu’à un certain plafond.
Au-dessus de ce plafond, la somme excédentaire doit être placée sur un compte bloqué et son origine, justifiée et authentifiée. En principe, ce qui excède le plafond fixé est changé à un taux moins favorable (par exemple : deux anciens francs contre un nouveau) ; en cas d’origine délictueuse avérée, la somme peut être saisie [29]. Une telle réforme monétaire permet de répartir une partie de la richesse de manière plus juste socialement. Un autre objectif de la réforme est de diminuer la masse monétaire en circulation de manière à lutter contre des tendances inflationnistes. Pour qu’elle soit efficace, il faut avoir établi un contrôle sur les mouvements de capitaux et sur les changes.

2.5. Dans un cadre international, mettre en place des taxes globales

2.5.1. Taxe de type Tobin
Initialement proposée par le prix Nobel d’économie James Tobin en 1972, développée plus tard par d’autres économistes puis adaptée par le réseau international ATTAC (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens), une telle taxation pourrait dégager des fonds importants pour le développement.
Selon des évaluations effectuées par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED) en 1995, 1 000 milliards de dollars par jour imposés à 1% auraient procuré 720 milliards de dollars par an. A titre d’hypothèse de travail, elle propose de couper la poire en deux : 360 milliards pour un fonds social et écologique dans les pays d’origine de la transaction, et 360 milliards pour un fonds de redistribution pour les pays du Sud (éducation, santé, etc.). Les deux fonds seraient gérés par des conseils d’administration mixtes représentant la société civile et les gouvernements.
La plate-forme internationale d’ATTAC parle, quant à elle, d’une taxe de 0,1% rapportant quelque 100 milliards de dollars annuels, pouvant être utilisés dans la lutte contre les inégalités, pour l’éducation, la santé publique, la sécurité alimentaire et le développement durable. Evidemment, il est impossible de déterminer avec exactitude le montant qu’une telle taxe dégagerait, puisqu’il qu’il dépend du taux de la taxe et de l’ampleur des flux financiers [30]. ATTAC, soutenue par d’autres mouvements (dont le CADTM), considère que, sans attendre une décision mondiale, l’UE (ou la zone euro au sein de celle-ci) a la taille suffisante pour appliquer une taxe de type Tobin.

Par ailleurs, il semble nécessaire, vu la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
des marchés qui s’est opérée depuis la proposition initiale de Tobin (et notamment le développement de produits dérivés Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
créant des passerelles entre tous les marchés), de taxer toutes les transactions financières (actions, obligations, devises et dérivés Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
), afin que les opérateurs ne puissent éviter cette taxe de solidarité en passant par d’autres marchés. La centralisation informatique de la liquidation des opérations, par le biais des chambres de compensation telles la SWIFT pour le marché des changes Marché des changes Marché sur lequel s’échangent et sont cotées les devises. et Clearstream et Euroclear pour les transactions mobilières internationales, facilite grandement la faisabilité d’une telle taxe, puisque toutes les transactions financières internationales sont retraçables et dénouées dans ces uniques lieux.

2.5.2. Taxes sur les IDE, sur les bénéfices des transnationales et autres taxes globales...

Le mouvement ATTAC avance également la proposition de taxer les investissements directs à l’étranger (IDE). Le taux de cette taxe, selon ATTAC France, oscillerait entre 20% et 10% en fonction d’une classification que formulerait l’Organisation internationale du travail OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
(OIT) sur la base du degré de respect des droits fondamentaux des travailleurs, selon une échelle spécifique à différentes catégories de pays. ATTAC propose également une taxe sur les bénéfices des transnationales. Selon ATTAC, la taxe de type Tobin, celles sur les IDE et sur les bénéfices des transnationales devraient être versées dans un Fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement (ce qui rejoint la proposition contenue dans ce chapitre).

En termes de taxes globales, à part la taxe sur les grosses fortunes avancées au point 2.7., sont également en discussion dans différents mouvements la proposition d’une taxe sur le kérosène utilisé par les compagnies aériennes. Le kérosène pour l’aviation est le seul combustible fossile non taxé. Sa consommation provoque des dommages à l’environnement et contribue à l’épuisement des énergies non renouvelables. Etant donné que les effets négatifs sont globaux, il est logique de penser en terme de taxe globale ce que les compagnies aériennes devraient verser dans un Fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement. Une taxe sur l’émission de CO2 (même remarque que pour la taxe sur le kérosène quant à sa finalité) est également évoquée.

2.6. Porter l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) à au moins 0,7 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et en réformer complètement l’esprit. Plutôt que d’APD, parlons de Fonds de réparations

Le montant actuel de l’APD ne neutralise pas l’effet négatif du remboursement de la dette et, contrairement à une idée reçue, une partie significative de l’APD contribue à augmenter l’endettement des PED.
D’abord, il faut tenir compte du fait qu’une partie importante de l’APD est constituée de prêts, ce qui augmente la dette des PED. Ensuite, en 2005, le montant total de l’APD - dont le contour est fort discutable car elle inclut des remises de dettes, les frais d’ « accueil » des étrangers ou les frais d’ « écolage » des étudiants des PED dans certains pays industrialisés - n’a atteint que 106 milliards de dollars, soit cinq fois moins que ce que les PED ont remboursé sous forme de service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. extérieure.
En 2005, l’APD ne représentait que 0,33% du produit intérieur brut (PIB) des pays les plus industrialisés alors qu’ils se sont engagés, à maintes reprises, dans le cadre de l’ONU, à atteindre l’objectif de 0,7%. En réalité, l’APD a baissé de plus de 30 % entre 1992 et 2002, en flagrante contradiction avec les promesses faites à Rio (1992) par les chefs d’Etat des pays industrialisés. Le rebond apparent de l’APD depuis quelques années est essentiellement dû à des artifices statistiques ou à des évènements très ciblés (remises de dette exceptionnelles envers l’Irak et le Nigeria, aide aux pays touchés par le tsunami de décembre 2005 au large de l’Indonésie, coût des investissements états-uniens en Afghanistan et en Irak, etc.), qui ne servent pas à lutter contre la pauvreté galopante dans les PED.
Avec une moyenne actuelle de 0,33 %, l’APD doit être plus que doublée pour atteindre les engagements pris. Surtout, elle doit être redéfinie car sa définition même pose problème, les pays riches n’hésitant pas à la gonfler pour réaliser des effets d’annonce médiatiques tout en l’instrumentalisant pour servir leurs intérêts géostratégiques. L’APD ainsi transformée doit être versée entièrement sous forme de dons (et non plus, comme c’est encore trop souvent le cas, sous forme de prêts).
Enfin, plutôt que de parler d’aide, il conviendrait dorénavant d’utiliser le terme réparation. Il s’agit en effet, comme indiqué au point 2.1.2., de réparer les dommages causés par des siècles de pillage et d’échange inégal. La somme de 150 milliards de dons devrait être versée pour partie dans un Fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement géré par les PED (dans le cadre de l’ONU), et pour partie dans des Fonds de développement nationaux contrôlés par les populations concernées et leurs représentants.

2.7. Instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes
Dans son rapport 1995, la CNUCED propose d’imposer un prélèvement unique (une seule fois) sur le patrimoine des grosses fortunes.
Un tel impôt, prélevé partout dans le monde, permettrait de mobiliser des fonds considérables. Cet impôt exceptionnel (différent d’un impôt récurrent sur le patrimoine, tel qu’il existe dans quelques pays de la planète) pourrait aussi être prélevé à l’échelle nationale sans devoir attendre une décision à l’échelle mondiale. La CNUCED ne propose pas un taux précis ni une cible précise parmi les grandes fortunes.
Il faut se lancer à l’eau. Disons qu’un tel impôt exceptionnel (une fois dans la vie) de solidarité de l’ordre de 10 % sur le patrimoine du décile le plus riche dans chaque pays pourrait générer des ressources internes tout à fait considérables.

Dans la plupart des pays, les contribuables paient des impôts à la fois nationaux ou fédéraux, auxquels s’ajoutent des impôts locaux (communaux, régionaux...). Il s’agit de soumettre les contribuables spécialement riches au même type de règles étendu à la planète. En plus d’un impôt prélevé dans un cadre national, ils devraient être soumis à un impôt mondial exceptionnel sur la fortune à prélever là où ils détiennent leur fortune et verser celui-ci dans un fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement...

La concentration de la richesse par une infime minorité a atteint un degré jamais connu jusqu’ici dans l’histoire de l’humanité, et ce dans l’ensemble des pays que compte la planète (les exceptions se comptent sur les doigts d’une main). Les fortunes accumulées atteignent des montants absurdes qui sont une insulte à la conscience des peuples. Comme indiqué dans l’introduction de ce chapitre, selon l’édition 2006 du Rapport mondial sur la richesse (World Wealth Report 2006) réalisé par le consultant en gestion de fortunes Cap Gemini Ernst and Young et la banque d’affaires Banques d'affaires
Banque d'affaires
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
Merrill Lynch, il y avait en 2005 environ 8,7 millions de millionnaires en dollars (soit environ un millième de la population mondiale) disposant ensemble de 33 300 milliards de dollars (compte non tenu de leur résidence principale).

Un impôt exceptionnel mondial de 10 % sur le patrimoine du millième le plus riche de la planète permettrait de réunir grosso modo 3 330 milliards de dollars qui iraient alimenter un fonds mondial pour la garantie des droits humains et la protection de l’environnement (déjà alimenté de manière permanente par une taxe de type Tobin et d’autres taxes globales). Une partie serait dépensée sous forme de dons, une autre serait prêtée à bas taux d’intérêt ou à intérêt nul (ce qui permettrait de reconstituer de manière permanente le fonds).
De nombreuses questions subsistent. Quel taux imposer ? Un taux unique de combien ? Un taux progressif ? Quelle part des ressources du Fonds serait répartie sous forme de dons ? Quelle part serait prêtée ? A quel taux ? Selon quelles modalités ? Quelle part des fonds irait à des projets mondiaux ? A des projets continentaux ? Un fonds pour la reforestation ? Un fonds pour la dénucléarisation complète ? Quelles priorités et quels projets ? Déterminés par qui ? L’Assemblée générale de l’ONU précédée de référendums nationaux ? Continentaux ? Quelle part irait à des projets locaux ?
Plus généralement, il convient d’aller vers un système fiscal réellement redistributif donnant aux pouvoirs publics le moyen de se conformer à leurs obligations à l’égard de leurs citoyen(ne)s en matière de droits économiques, sociaux et culturels.

3. - Une nouvelle logique de développement

A la logique actuelle de développement qui voit les pays du Sud adopter sous la contrainte des créanciers des programmes d’ajustement de type néolibéral, il faut substituer une logique de développement endogène et intégrée. Cette mutation passe par la mise en pratique des mesures suivantes :

3.1. Mettre fin aux plans d’ajustement structurel
Les plans d’ajustement structurel (PAS), en prônant la libéralisation totale des économies du Sud, ont pour conséquence d’affaiblir les Etats en les rendant plus dépendants de fluctuations extérieures (évolution des marchés mondiaux, attaques spéculatives, etc.) et de les soumettre à des conditionnalités imposées par le tandem Banque mondiale/FMI et, derrière lui, par les gouvernements des pays créanciers regroupés dans le Club de Paris.
Les PAS, sans résoudre le problème de l’endettement (la dette des PED a quadruplé depuis la mise en œuvre des PAS, alors qu’elle a été remboursée huit fois durant la même période), livrent les économies de la Périphérie aux appétits des grandes entreprises transnationales et impliquent des licenciements massifs et des coupes drastiques dans les budgets sociaux. Ils empêchent un réel développement humain.

La Commission des droits de l’homme de l’ONU [31] a adopté de multiples résolutions sur la problématique de la dette et de l’ajustement structurel. Dans une résolution adoptée en 1999, la Commission affirme que “l’exercice des droits fondamentaux de la population des pays endettés à l’alimentation, au logement, à l’habillement, au travail, à l’éducation, aux services de santé et à un environnement sain, ne peut être subordonné à l’application de politiques d’ajustement structurel et à des réformes économiques générées par la dette” (1999, Art. 5).
Pour sa part, le secrétaire général de l’ONU écrit que “le rapporteur spécial de l’ONU sur l’ajustement structurel met en évidence que les programmes d’ajustement structurel, recommandés par les institutions financières internationales, influencent de manière clairement négative (tant directement qu’indirectement) la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et sont incompatibles avec la réalisation de ces droits” (ONU, Secrétaire général, 1995, p.66, cité par Chris Jochnick, 2000, p. 136).
En outre, selon l’ONU, certaines conditions fixées par les créanciers et les bailleurs de fonds constituent une violation de la libre détermination des peuples : “Tout pays a le droit souverain de disposer librement de ses ressources naturelles pour son développement économique et le bien-être de sa population ; toute mesure ou pression extérieure, politique ou économique, qui s’exerce contre l’exercice de ce droit, est une violation patente des principes de la libre détermination des peuples et de la non intervention énoncés dans la Charte des Nations unies. (...) Ces mesures comprennent la pression économique destinée à influencer la politique d’un autre pays ou à contrôler des secteurs essentiels de son économie nationale. L’assistance économique et technique, les prêts et l’augmentation des investissements étrangers doivent être réalisées sans mettre des conditions qui vont à l’encontre des intérêts du pays qui les reçoit ” (Secrétaire général, 1995 : 165, 171, 173).
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les effets des PAS et de la dette extérieure sur la jouissance effective de tous les droits de l’homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels (sic !), Fantu Cheru, déclare : “ L’aggravation de la malnutrition, le recul des taux de scolarisation et la montée du chômage ont été imputés aux politiques d’ajustement structurel. Or, ces mêmes institutions (les Institutions financières internationales, NDR) continuent à prescrire la même thérapie et à en faire une condition pour bénéficier d’un allégement de la dette, niant l’évidence - à savoir que les programmes d’ajustement structurel ont sans conteste accentué la pauvreté ” (in ONU, Commission des droits de l’homme, E/CN.4/2001/56, 18 janvier 2001, p. 14).
Le bilan humain des politiques d’ajustement structurel est incontestablement négatif. Elles doivent donc être abolies et remplacées par des politiques visant la satisfaction des besoins humains fondamentaux en donnant la priorité au marché intérieur, à la sécurité alimentaire et en recherchant les complémentarités régionales ou continentales.

3.2. Assurer le retour dans le domaine public des secteurs stratégiques qui ont été privatisés
Les réserves et la distribution d’eau, la production et la distribution électrique, les télécommunications, la poste, les chemins de fers, les entreprises d’extraction et de transformation de biens primaires, le système de crédit, certains secteurs de l’éducation et de la santé... ont été systématiquement privatisés dans les pays du Sud ou sont en voie de l’être. Il convient d’assurer le retour de ces entreprises dans le domaine public.

3.3. Adopter des modèles de développement partiellement autocentrés
De tels modèles impliquent la construction de fondations économiques intérieures suffisamment solides pour pouvoir ensuite s’ouvrir aux échanges internationaux.
Ce qui suppose la création de zones politiquement et économiquement intégrées, l’émergence de modèles de développement endogènes, un renforcement des marchés intérieurs, la mobilisation d’une épargne locale pour les financements locaux, le développement de l’éducation et de la santé, la mise en place d’un impôt progressif et de mécanismes de redistribution des richesses, une diversification des exportations, une réforme agraire garantissant un accès universel à la terre aux paysans, une réforme urbaine garantissant un accès universel au logement, etc.

A l’architecture mondiale actuelle, dont la logique impose à la Périphérie d’apporter les matières premières et la main d’œuvre bon marché à un Centre détenant capitaux et technologies, il faut substituer des regroupements économiques régionaux. Seul un tel développement partiellement autocentré permettrait l’émergence de relations de complémentarité Sud-Sud, condition sine qua non au développement économique de la Périphérie et, par extension, du monde.
Ces zones intégrées pourraient se doter d’institutions régionales ayant un pouvoir de régulation économique et sociale.

3.4. Agir sur le commerce
L’existence d’un échange inégal entre les pays les plus industrialisés et les pays de la Périphérie constitue une des causes fondamentales de l’endettement de ces derniers. En effet, l’échange inégal crée un déficit structurel de la balance des paiements Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
 : les importations croissent plus vite que les exportations, d’où l’endettement.
Il faut mettre fin à la tendance historique de la dégradation des termes de l’échange. Pour cela, il s’agit de mettre en place des mécanismes garantissant une meilleure rémunération du panier de produits exportés sur le marché mondial par les pays en développement (stabiliser le prix des matières premières, garantir les revenus d’exportation, constituer des stocks régulateurs - ce qui implique l’abandon des stocks zéro -, etc.).
Pour aller vers de tels mécanismes concertés, il convient de soutenir les efforts des pays en développement pour constituer des cartels de pays producteurs. L’organisation des pays exportateurs de pétrole OPEP
Organisation des pays exportateurs de pétrole
En anglais, OPEC : Organization of the Petroleum Exporting Countries

En 2020, l’OPEP regroupe 13 pays producteurs de pétrole : Algérie, Angola, Arabie saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée équatoriale, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria, Venezuela. Ces 13 pays représentent 40 % de la production de pétrole dans le monde et possèdent plus de 79 % des réserves connues. Créée en septembre 1960 et basée à Vienne (Autriche), l’OPEP est chargée de coordonner et d’unifier les politiques pétrolières de ses membres, dans le but de leur garantir des revenus stables. À cette fin, la production obéit en principe à un système de quota. Chaque pays, représenté par son ministre de l’Énergie et du Pétrole, se charge à tour de rôle de la gestion de l’organisation.

Afin de limiter leur production, l’OPEP est à l’initiative de la création de l’OPEP+, réunissant 10 autres pays producteurs dont 7 PED : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud.

Site : www.opec.org
(OPEP) est trop souvent décriée alors qu’elle joue à plusieurs égards un rôle positif [32]. La réalisation de tels cartels pourrait permettre à la fois une réduction des volumes exportés (ce qui, d’une part, limiterait l’épuisement des ressources naturelles et, d’autre part, permettrait l’augmentation des surfaces utilisées pour les cultures vivrières Vivrières Vivrières (cultures)

Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
) et une augmentation des recettes d’exportation à réinvestir dans le développement par les pays bénéficiaires. Pourquoi pas un cartel des producteurs de cuivre (le Chili à lui seul représentait, il n’y a guère, 30% des exportations mondiales) ? Un cartel du café ? Un cartel du thé ? Etc.
Par ailleurs, les pays de la Périphérie doivent pouvoir recourir à des mesures de protection de leurs productions locales.

En ce qui concerne l’agriculture, comme le revendique le syndicat paysan Via Campesina, il convient de reconnaître le droit de chaque pays (ou groupe de pays) à la souveraineté alimentaire, et notamment à l’autosuffisance pour les produits de base. La protection à l’importation en est le corollaire, en totale opposition avec le quota minimum d’importations agricoles de 5% actuellement imposé par les règles de l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
à tous ses pays membres.
Comme le dit Via Campesina : “ Pour garantir l’indépendance et la souveraineté alimentaire de tous les peuples du monde, il est crucial que les aliments soient produits dans le cadre de systèmes de production diversifiés, de base paysanne. La souveraineté alimentaire, c’est le droit de chaque peuple de définir ses propres politiques agricoles et, en matière d’alimentation, de protéger et réglementer la production agricole nationale et le marché interne afin d’atteindre des objectifs soutenables, de décider dans quelle mesure ils recherchent l’autosuffisance sans se débarrasser de leurs excédents dans des pays tiers en pratiquant le dumping. (...) On ne doit pas donner la primauté au commerce international par rapport aux critères sociaux, environnementaux, culturels ou de développement ” (Via Campesina, in Rafael Diaz- Salazar 2002, p.87 et 90). Par ailleurs, Via Campesina se prononce pour « l’abolition de tout appui et subside directs ou indirects aux exportations », pour « l’interdiction de la production et de la commercialisation de semences et d’aliments génétiquement modifiés » et pour « l’interdiction du brevetage du vivant ainsi que l’appropriation privée du savoir relatif à l’agriculture et à l’alimentation » (op. cit.)

Les règles du commerce mondial doivent être subordonnées à des critères environnementaux, sociaux et culturels stricts. La santé, l’éducation, l’eau, la culture doivent être évacuées du champ du commerce international. Les services publics d’intérêt général sont la garantie des droits fondamentaux et doivent donc être exclus de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS).
Il convient par ailleurs d’abolir les Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC) qui permettent une appropriation par le Nord des richesses naturelles du Sud et qui empêchent les pays du Sud de produire librement des biens (médicaments, par exemple) visant la satisfaction des besoins de leurs populations.

3.5. Garantir aux personnes le droit de circulation et d’établissement
Outre que la liberté de circulation et d’établissement constitue un droit humain élémentaire, il faut tenir compte du fait que les envois des migrants vers leur famille d’origine vivant dans les PED représentent une ressource tout à fait considérable pour des dizaines de millions de familles. Rien qu’en 2005, les envois des migrants ont représenté la somme de 180 milliards de dollars, soit trois fois plus que la partie « don » de l’ensemble de l’aide publique au développement. Evidemment, sur la base d’une véritable amélioration des conditions de vie qui sera la conséquence de l’application des mesures préconisées plus haut, les pressions migratoires diminueront fortement. C’est par cet angle-là qu’il faut régler le problème, pas par celui de la fermeture des frontières aux êtres humains.

4.- Nouvelle discipline financière et démocratie

Les crises financières à répétition des années 1990 ont prouvé qu’aucun développement durable ne pouvait être atteint sans un contrôle strict des mouvements de capitaux et de l’évasion fiscale. Plusieurs mesures sont donc nécessaires afin de soumettre les marchés financiers à la satisfaction des besoins humains fondamentaux.

4.1. Réglementer à nouveau les marchés financiers car leur déréglementation actuelle a entraîné un développement totalement démesuré de la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière.
Pour ce faire, il faut commencer par assurer une « traçabilité » de toutes les opérations financières (déterminer clairement qui fait quoi et dans quel but).

4.2. Contrôler les mouvements de capitaux afin que l’afflux de capitaux internationaux ne débouche plus inlassablement sur des reflux dévastateurs.
L’article VI des statuts du FMI prévoit de manière explicite le bien-fondé de mesures de contrôle des capitaux exercées par les autorités d’un pays. Cet article permet à un pays membre du FMI “ d’exercer un contrôle sur les mouvements internationaux de capitaux afin de les réguler [33].
Une mesure appropriée pourrait être l’établissement d’un dépôt temporaire et obligatoire, imposant à toute entrée de capital un dépôt conjoint d’un an d’une valeur de 30 % de la somme investie. Après un an, ce dépôt serait restitué à l’investisseur (encouragé à n’investir qu’à long terme). Le dépôt serait non rémunéré.
De nombreuses autres mesures de contrôle existent, notamment l’imposition de détenir les actions et obligations pendant au moins un an avant de les revendre, la limitation de la convertibilité Convertibilité Désigne la possibilité légale de passer d’une monnaie à une autre ou d’une monnaie à l’étalon dans laquelle elle est officiellement définie. Dans le système actuel de taux de change libéralisés (c’est l’offre et la demande de devises qui détermine leurs cours respectifs - taux de change flottants), les monnaies flottent autour du dollar (étalon-dollar). de la monnaie aux transactions commerciales (excluant donc les activités financières), l’imposition d’une forte taxe en cas de fluctuation excessive (comme le propose l’économiste Bernd Spahn), etc.

4.3. Supprimer les paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
qui ont pour effet de gonfler la bulle financière et de fragiliser les économies licites (entre 500 et 1 500 milliards de dollars sont blanchis annuellement). Dans ce but, les Etats doivent identifier par le biais des clearing houses les transactions provenant des paradis fiscaux et les taxer fortement, afin d’annihiler l’avantage tiré de cette politique fiscale déloyale. Parallèlement, il est nécessaire de lever le secret bancaire pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics et la corruption.

4.4. Adopter des règles assurant la protection des pays qui recourent à l’endettement extérieur : l’endettement extérieur peut se justifier si les pays concernés le décident démocratiquement. Mais il faut organiser l’utilisation de l’endettement selon des principes radicalement différents de ceux qui ont prévalu jusqu’ici.
Deux principes nouveaux doivent être respectés. Primo, celui d’une conditionnalité “à l’envers” : la charge de remboursement et d’intérêt de ces prêts consentis à des taux d’intérêt bas et inférieurs aux conditions du marché ne sera assurée que s’il est prouvé que cet endettement a effectivement permis une création de richesse suffisante dans les pays concernés.
Secundo, une protection forte et efficace des pays débiteurs devra être organisée en faveur des pays en développement à l’échelle internationale, de telle sorte que ces pays puissent se défendre contre toute forme d’abus et de spoliation par les banques, les investisseurs privés internationaux et les institutions financières internationales.
Par ailleurs, il est également nécessaire de contraindre les entreprises privées qui contractent des emprunts à en assumer le risque. Toute entreprise qui emprunte à l’extérieur sera obligée de contracter une assurance auprès d’une grande société internationale d’assurance. Il s’agit d’éviter qu’en cas d’insolvabilité de l’entreprise, ce soit l’Etat - et donc les contribuables - qui doive payer en lieu et place de l’entreprise privée comme cela se passe régulièrement (voir la reprise des dettes privées par les pouvoirs publics des pays endettés au cours des crises des années 1990 dans l’Est asiatique et en Amérique latine).
Enfin, dans chaque contrat d’emprunt, il convient de désigner les tribunaux des pays emprunteurs comme ceux qui sont à même de trancher en cas de litige entre créancier et débiteur. Il s’agit de rompre avec la situation actuelle où ce sont systématiquement les tribunaux des pays créanciers qui sont compétents en cas de litige. Une analyse des sentences rendues en cas de conflit montre clairement que les tribunaux des pays créanciers sont enclins à donner raison au prêteur. Afin de mieux protéger les débiteurs et de rendre plus responsables les prêteurs, il est hautement recommandable de s’en remettre aux tribunaux du pays de l’emprunteur.

4.5. Contrôle démocratique de la politique d’endettement
La décision des Etats de contracter des emprunts et les termes dans lesquels ceux-ci sont souscrits doivent être soumis à l’approbation populaire (débat et vote au parlement, contrôle citoyen).

5. - Mesures complémentaires indispensables

L’annulation de la dette publique extérieure de la Périphérie, l’abandon des politiques d’ajustement structurel et les autres mesures proposées plus haut constituent des conditions nécessaires mais elles sont en soi insuffisantes pour garantir un authentique développement humain des peuples. Des mesures complémentaires sont indispensables, à commencer par l’égalité homme/femme et le droit des peuples indigènes à l’auto-détermination.

A l’échelle planétaire, il convient également de garantir le droit universel à un emploi digne par une réduction radicale du temps de travail s’opposant à la logique actuelle qui voit des chômeurs coexister avec des salariés surchargés et rongés par le stress [34] ; le droit universel à un revenu de citoyenneté ; ; la défense des systèmes de pension par répartition Retraite par capitalisation
par répartition
Le système de retraite par répartition est basé sur la solidarité inter-générationnelle garantie par l’État : les salariés cotisent pour financer la retraite des pensionnés.
Le système de retraite par capitalisation est basé sur l’épargne individuelle : les salariés cotisent dans un fonds de pension qui investit sur les marchés internationaux et est chargé de leur verser leur retraite à la fin de leur carrière.
par opposition au système de pension par capitalisation (l’instauration du système de pension par répartition là où il n’existe pas) ; la gratuité de l’éducation (niveau universitaire compris) et de la santé ; de vastes programmes de travaux publics socialement utiles et préservant l’environnement (exemples : construction de logements et aménagement urbain, rénovation de l’habitat existant, infrastructure de transports collectifs par chemin de fer...) ; gratuité des transport publics ; campagnes d’alphabétisation, de vaccination, de soins de santé primaire comme on en a connues avec des résultats extraordinaires au Nicaragua, entre 1980 et 1983, à Cuba, dans la première phase de la révolution, etc.

Dépenses d’armement : Un accent particulier doit être mis sur la réduction drastique des dépenses d’armement qui représentent environ mille milliards de dollars par an. L’écrasante majorité de la production d’armement est réalisée dans les pays du G8 G8 Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002. . Ces pays, via l’octroi de crédits à l’exportation, poussent les pays de la Périphérie à acheter des armes, malgré le discours hypocrite qui prétend l’inverse. Les pays les plus industrialisés, à commencer par les Etats-Unis (environ 500 milliards de dollars), dépensent des sommes folles pour produire et utiliser des outils de destruction et de mort. Réduire de manière drastique les dépenses d’armement et s’engager sur la voie du désarmement intégral permettrait de recueillir d’énormes dividendes de la paix à répartir au bénéfice de tous.

Entreprises transnationales : Il convient d’assurer leur justiciabilité tant devant des juridictions nationales (y compris des pays où sont actives des filiales de transnationales) qu’internationales. Pensons aux familles de plus de 10.000 habitants de Bhopal dont la mort atroce a été provoquée par la transnationale Union Carbide en Inde en décembre 1984... Les dirigeants d’Union Carbide sont restés impunis. A ce niveau, le procès intenté en 2002 devant un tribunal de New York par les victimes de l’apartheid contre vingt et une transnationales est exemplaire. Ces transnationales sont poursuivies pour complicité avec un régime responsable de crimes contre l’humanité. Il faut que les pouvoirs publics usent de leur pouvoir pour contraindre les transnationales à respecter les traités et les conventions internationaux et nationaux en matière de droits humains et de protection de l’environnement.

La question de la démocratie politique est évidemment centrale. Sans l’intervention active des citoyen(ne)s à tous les échelons de la décision politique, l’ensemble des propositions présentées ici n’a pas véritablement de sens.

Biens communs de l’humanité  : La réflexion sur les biens communs de l’humanité est au cœur des débats altermondialistes. Le nom qu’on leur donne varie (biens publics, patrimoine de l’humanité...) et le « champ » qu’ils couvrent à tendance à s’élargir. En effet, « Ce sont les droits et besoins fondamentaux de la personne humaine et les nécessités écologiques qui permettent de dire ce qui devrait être ou ne pas être, à l’échelle mondiale un bien public  » (Lille et Verschave, 2003). Etablir une liste, une classification des biens communs nécessite donc une vaste consultation démocratique où se reflètent des histoires, des cultures différentes.

La notion de « bien commun » recoupe la notion de « droit » à bien des égards. La protection des biens communs veut en effet garantir le droit et l’accès de tous à l’eau, à l’air pur, à l’énergie, à la nourriture, au transport, à l’éducation de base mais aussi à la connaissance au sens large, le droit au développement, mais aussi le droit à l’égalité, à la liberté, au plaisir, bref, le droit à la vie. Tous ces droits ont été magnifiquement énoncés dans les chartes et pactes des Nations unies.
Par rapport à ces antécédents historiques, il faut bien convenir que les objectifs du Millenium sont minimalistes. Le mouvement altermondialiste, en se battant pour les biens communs, représente donc un aiguillon qui oblige à revenir aux textes fondateurs et à les actualiser. L’accès aux biens communs pour tous, présents et à venir, et la préservation de ceux-ci, en ce qui concerne les domaines de l’eau, de l’air, de l’énergie, par exemple, impliquent l’élaboration d’un véritable droit écologique mondial pour ainsi dire inexistant. Le droit au développement impliquerait aussi l’édification d’un droit économique où le caractère criminel d’un endettement usurier, par exemple, pourrait être argumenté et plaidé.
Ceci amène à mettre l’accent, toujours dans le domaine du « droit », sur la nécessité de prôner la justice comme bien commun (justice pénale, justice économique et sociale) car elle recoupe en fait tous les autres biens communs mondiaux. La justice est à la fois la condition et une composante des biens les plus fondamentaux : égalité, liberté, solidarité.

6. - Quel avenir pour le FMI, la Banque mondiale et l’OMC ?

Le FMI, la Banque mondiale et l’OMC sont-ils réformables ? Il est légitime d’en douter.

Certains points de débat peuvent être rapidement dépassés : faut-il oui ou non des institutions mondiales publiques dans ces domaines particuliers que sont le commerce, la monnaie, le crédit ? La réponse est affirmative car on n’avancera pas dans la résolution de problèmes internationaux, mondiaux sans institutions permanentes reconnues internationalement et légitimées démocratiquement.

Il faudrait que la communauté internationale se dote d’institutions mondiales fondamentalement démocratiques. Or le FMI et la Banque mondiale ne le sont pas. En effet, leur constitution censitaire, leur inféodation à un nombre très limité de pays (dont un seul - les Etats-Unis - dispose d’un droit de veto, permettant de bloquer toute décision même dans l’hypothèse où celle-ci serait avancée par les 183 autres membres) et la répartition du pouvoir en leur sein sont incompatibles avec la démocratie. Devraient leur être substituées d’autres institutions multilatérales (qui pourraient porter le même nom, peu importe) basées sur le principe démocratique contenu dans la charte de l’ONU (un Etat, une voix). Il faudrait donc que l’humanité se dote d’institutions internationales dans lesquelles les peuples puissent se reconnaître véritablement. Des institutions au sein desquelles les mandataires nationaux pourraient débattre de manière publique (avec retransmissions télévisées et radio) des questions centrales pour l’humanité. Des institutions où ce ne serait pas le poids du PNB PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
ou la force militaire de quelques pays - voire d’un pays - qui seraient déterminant dans la prise de décision.

Un deuxième point de débat pourrait faire consensus : faut-il uniquement des institutions de portée mondiale ou convient-il de déléguer une série de compétences à des organismes régionaux de manière à éviter un trop grand centralisme qui éloigne les institutions des réalités vécues par les peuples ? On pourrait s’accorder sur l’idée qu’au sein d’organisations mondiales, des structures régionales doivent disposer d’une large autonomie.
Pour donner un exemple : lors de la crise asiatique de 1997-98, le gouvernement des Etats-Unis et la direction du FMI se sont opposés à la création d’un fonds monétaire asiatique alors que l’existence d’un tel fonds aurait permis de réagir à des attaques spéculatives de manière concertée et bien plus efficace que ne peut le faire une organisation mondiale. On peut parfaitement concevoir un FMI coexistant avec des fonds monétaires régionaux.
Autre exemple : un fonds monétaire latino-américain et caribéen pourrait aboutir à la naissance d’une monnaie commune entre les nations de l’Amérique latine et de la Caraïbe. On peut difficilement attendre d’une organisation mondiale qu’elle favorise la création d’une monnaie régionale. Bien sûr, s’il était possible d’arriver à l’adoption d’une monnaie mondiale, cela constituerait un véritable progrès mais on doit comprendre que pour y arriver, il faudra franchir certaines étapes, notamment le regroupement des pays de la Périphérie pour se doter d’une monnaie commune afin de se passer autant que possible du dollar, de l’euro ou du yen pour se connecter entre eux et ainsi ne plus dépendre des fluctuations de ces trois devises.

Ce qui fait débat tourne autour de la question suivante : peut-on se concentrer sur la réforme des institutions (en particulier le trio susmentionné) ou convient-il d’agir pour leur substituer de nouvelles ?

Réforme ou remplacement du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC : la question fait l’objet d’un débat dans différents mouvements sociaux et différents réseaux adhérant au mouvement pour une autre mondialisation. En général, il y a un accord à la fois sur la nécessité d’institutions mondiales relatives aux échanges, au crédit et au commerce [35] ainsi que sur le rejet des politiques actuellement défendues par le FMI, la Bm et l’OMC. Le point de vue de Gus Massiah, président du CRID (Centre de recherche et d’information sur le développement) semble à ce propos pertinent. Voici ses paroles de conclusion au séminaire organisé sur l’avenir des Institutions financières internationales à l’Assemblée nationale à Paris les 22 et 23 juin 2001 : “ Sur le plan des mots d’ordre, il y a aujourd’hui une discussion entre ceux qui considèrent que nous sommes dans une période où il faut en demander la disparition, la mise entre parenthèses pour construire d’autres institutions, et ceux qui pensent que la crise actuelle en leur sein offre des opportunités de les faire évoluer en leur imposant des réformes de structures. Ce n’est pas une question dogmatique ou théologique. Il s’agit là d’une analyse de la situation et des opportunités politiques. La discussion reste ouverte, chacun des mouvements doit apprécier comment progresser par rapport aux objectifs communs ” (Gus Massiah, juin 2001).

Tout en renforçant l’unité entre partisans de la réforme radicale des institutions et partisans de leur remplacement, poursuivons la discussion. Pour avancer, il paraît utile de définir quelles pourraient être les institutions qui remplaceraient celles qui existent actuellement.
Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture internationale (missions, fonctionnement...). Reprenons le cas des institutions mondiales spécialisées que sont l’OMC, le FMI et la Banque mondiale.

La nouvelle OMC ou l’organisation qui la remplacerait devrait viser dans le domaine du commerce à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l’Organisation internationale du travail - OIT) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC qui consistent à imposer le libre-échange, la marchandisation de toutes les activités humaines et de toutes les ressources naturelles, à généraliser de nouvelles règles systématiquement et uniquement favorables aux intérêts des firmes transnationales (et, d’ailleurs, définies par elles en général).
Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.

La Banque mondiale, ou ce qui en fait office, retrouverait une légitimité si, largement régionalisée, elle avait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés que sous garantie expresse qu’ils soient utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux.
Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi. Cette banque aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.

Le FMI, quant à lui, devrait (dans sa nouvelle forme qui rejoindrait sous certains aspects son mandat originel) garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer avec les autorités nationales et les fonds monétaires régionaux à la collecte de différentes taxes (taxes de type Tobin, de type Spahn, taxes sur les investissements directs à l’étranger...).

Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d’une division des pouvoirs. La clef de voûte devrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision - ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.
On pourrait également, comme le propose notamment Gilbert Achcar (2002), réformer l’ONU en la dotant d’un système bicaméral sur le modèle de la constitution des Etats-Unis ou de celle de l’URSS de 1923 : une chambre des Etats, sur le modèle de l’Assemblée générale actuelle, et une chambre des populations, élue au suffrage direct avec représentation proportionnelle des populations.
Comme organe permanent, à côté du Conseil de Sécurité qui ne pourrait agir que sur mandat de l’Assemblée générale, pourrait être créé un Conseil économique et social (en fait, l’ECOSOC actuel mais avec de véritables moyens d’action issus d’un mandat clair donné par l’Assemblée générale). Pour faire une comparaison utile, il faut éviter de donner au Conseil de Sécurité et au Conseil économique et social des pouvoirs comparables à ceux (exorbitants et non démocratiques) de la Commission européenne. Le Conseil de Sécurité et le Conseil économique et social devraient être subordonnés à l’Assemblée générale de l’ONU.
L’ONU devrait devenir le promoteur d’un nouvel ordre économique et social mondial sur la base de la Déclaration universelle des droits humains et des autres pactes et traités internationaux relatifs aux droits humains (individuels et collectifs) et environnementaux. Nous croyons à la nécessité et à la possibilité de la réforme de l’ONU pour trois raisons fondamentales : sa charte est globalement progressiste et démocratique ; le principe de sa composition est démocratique (un Etat = une Voix) - même s’il devrait être complété comme suggéré plus haut par un système de représentation proportionnelle et directe - ; au cours d’une partie de son passé (années 1960 et 1970), l’Assemblée générale a adopté des résolutions et des déclarations nettement progressistes (qui en principe restent d’application) et a mis en place certaines institutions utiles (l’OIT, la CNUCED, l’OMS...).

Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la jeune Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale des vingt dernières années, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales non démocratiques comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends, partie intégrante de l’OMC, et le CIRDI CIRDI Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.

Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.

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(Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement) dont le rôle a démesurément augmenté depuis la multiplication des Accords bilatéraux sur l’investissement (ABI). La charte de l’ONU est (régulièrement) violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Des nouveaux espaces de non droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les Etats-Unis). Les Etats-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit. Cela implique un travail d’élaboration et d’adoption du droit international dans des matières où il y a absence ou insuffisance de définition.

Au début de ce texte, les limites de l’élaboration étaient soulignées. La question à laquelle nous avons essayé de répondre pourrait être résumée de la manière suivante : comment sortir d’une économie d’endettement pour financer un développement socialement juste et écologiquement soutenable ? Pour répondre, nous avons balayé assez large mais sans avoir la prétention de préciser un système clé en main.

Des mesures complémentaires sont au centre des réflexions de différents réseaux ou mouvements internationaux tels ATTAC, le CADTM, Via Campesina, Focus on the Global South, le Forum Mondial des Alternatives, la Marche Mondiale des Femmes, Jubilé Sud... ou adoptés lors de grandes rencontres internationales, notamment lors des différentes éditions du Forum social, qu’elles soient locales, nationales, continentales ou mondiales. Le débat est riche de contributions qui doivent maintenant permettre de déboucher sur des plans d’action concrets.


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Eric Toussaint,
docteur en Sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII,
président du CADTM - Belgique

Ce texte est une version entièrement revue et actualisée du chapitre 28 de la thèse de doctorat d’Eric Toussaint. 2004. Enjeux politiques de l’action de la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde, thèse de doctorat en Sciences politiques, Université de Liège et Université de Paris 8, année académique 2003-2004.

Notes

[1Le développement durable défini comme celui “qui permet de couvrir les besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins”, cité par Passet, 2000, p.14. Le concept de développement durable est l’objet de critiques car il est généralement associé à l’idée de la poursuite de la croissance. Le propos du présent texte n’est pas d’entrer dans le débat sur le développement durable. Pour ce débat, on se reportera à ATTAC. 2004. Harribey, Jean-Marie, sous la coordination de, Le développement a-t-il un avenir ? Pour une société solidaire et économe, Mille et une nuits, Fayard, Paris.

[2Texte intégral reproduit dans Eric Toussaint, Banque mondiale, le Coup d’Etat permanent. L’agenda caché du consensus de Washington, CADTM-Syllepse-Cetim, Liège-Paris-Genève, 2006, p. 267-271.

[3Banque mondiale, OMS, PNUD, UNESCO, UNFPA, UNICEF, Implementing the 20/20 Initiative. Achieving universal access to basic social services, 1998, www.unicef.org/2020/2020.pdf

[4Les organismes mentionnés plus haut estiment à 80 milliards de dollars par an (dollar de 1995) la somme supplémentaire à consacrer annuellement aux dépenses relatives aux services sociaux de base concernés sachant qu’environ 136 milliards de dollars y sont actuellement consacrés. Le montant total annuel à garantir oscille environ entre 206 milliards et 216 milliards de dollars. Pour le détail du calcul : voir le document cité plus haut, p. 20.

[5Selon le magazine Forbes 2001, Bill Gates, Larry Ellison, Paul Allen et Warren Buffett étaient en 2000 à la tête d’une fortune s’élevant à 160,6 milliards de dollars.

[6Selon l’édition 2006 du Rapport mondial sur la richesse (World Wealth Report 2006) réalisé par le consultant en gestion de fortunes Cap Gemini Ernst and Young et la banque d’affaires Merrill Lynch, il y avait en 2005 environ 8,7 millions de millionnaires en dollars (soit un peu plus d’un millième de la population mondiale) disposant ensemble de 33.300 milliards de dollars (compte non tenu de leur résidence principale).

[7Voir Médecins sans Frontières (2002), “ Accès aux médicaments et santé publique universelle ” sur le site internet du Forum social mondial.

[8Selon MSF cité plus haut : “ Sur les 1 223 nouveaux médicaments qui ont été commercialisés entre 1975 et 1997, seuls 13 étaient destinés à traiter des maladies tropicales infectieuses et la moitié de ceux-ci étaient des dérivés de la recherche vétérinaire. Seul 0,2% du budget global de la recherche pharmaceutique, qui oscille entre 50 et 60 milliards de dollars, est consacré aux maladies respiratoires aiguës, tuberculose et maladies diarrhéiques, responsables de 18% des décès dans le monde ”. Dans le même document, MSF explique que la firme pharmaceutique Aventis a abandonné en 1994 la production du seul médicament efficace et disponible pour traiter la maladie du sommeil. Selon la firme pharmaceutique, la rentabilité était insuffisante.

[9Bien sûr, il ne s’agit pas de considérer que seule la garantie des besoins fondamentaux serait à charge des pouvoirs publics, le reste revenant à l’initiative privée. Par exemple, les pouvoirs publics doivent être responsables d’assurer non seulement l’accès à l’enseignement primaire mais aussi l’accès universel et gratuit aux enseignements secondaire et universitaire.

[10« Developping countries, in aggregate, were net lenders to developed countries », World Bank. Global Development Finance 2003, p.13.

[11“developing countries export capital to the rest of the world, particularly the United States”

[12Pour une critique, voir Eric Toussaint, “Les idées de la Banque mondiale en matière de développement”, chapitre 10 du livre Banque mondiale, le Coup d’Etat permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, Liège-Paris-Genève, 2006.

[13Pour une présentation synthétique, voir Hugo Ruiz Diaz, “ La dette odieuse ou la nullité de la dette”, contribution au deuxième séminaire sur le Droit international et la Dette organisé par le CADTM à Amsterdam en décembre 2002.

[14Cuba 1895-1898 : En 1895, une guerre d’indépendance est déclenchée par le poète José Marti, jacobin aux idées proches du socialisme. Le pays entier est en guerre. José Marti organise l’Armée de Libération (plus de 50.000 combattants) et institue la République en Armes. Plus de 150.000 personnes viennent vivre dans les territoires rebelles. L’Espagne livre la guerre totale en 1896-97, avec des camps de concentration ; quelque 400.000 personnes y sont mortes. Mais l’Espagne échoue malgré l’utilisation de 250.000 soldats et elle se voit obligée de concéder l’autonomie en janvier 1898. Les révolutionnaires n’acceptent pas et continuent la guerre. Les Etats Unis déclarent la guerre à l’Espagne. Après une brève campagne au cours de laquelle elle a bénéficié du soutien des révolutionnaires cubains, l’armée des Etats-Unis occupe victorieusement l’île. Sans reconnaître la république cubaine, les Etats-Unis signent un pacte avec l’Espagne où celle-ci renonce à Cuba (Traité de Paris, le 10 décembre 1898). 1898-1902 : l’occupation nord américaine dure quasiment quatre ans et oblige les membres de l’Assemblée constituante de 1901 à adopter l’amendement Platt (1902). Cuba doit concéder aux Etats Unis un droit d’intervention dans l’île pour « préserver l’indépendance cubaine » et maintenir un gouvernement adéquat afin de « protéger la vie, la propriété et les libertés individuelles ». Washington reçoit de plus la base de Guantanamo, pour une période illimitée. Le 20 mai 1902, la République cubaine est fondée. Dès sa naissance et jusqu’à la victoire révolutionnaire du 1er janvier 1959, elle est soumise à la politique extérieure des Etats-Unis (source : Yannick Bovy et Eric Toussaint, 2001, Cuba : Le pas suspendu de la révolution, Cuesmes - Belgique, 2001, p. 36-37).

[15Dans le cas du Rwanda, le Comité du développement international du Parlement britannique a explicitement évoqué la notion de dette odieuse pour plaider son annulation : “ Une grande partie de la dette extérieure du Rwanda fut contractée par un régime génocidaire... Certains avancent l’argument que ces prêts furent utilisés pour acheter des armes et que l’administration actuelle, et en dernière instance la population du Rwanda, ne devrait pas payer ces dettes “odieuses”. Nous recommandons au gouvernement qu’il pousse tous les créanciers bilatéraux, et en particulier la France, à annuler la dette contractée par le régime antérieur ” (in Report of the British International Development Committee, mai 1998, cité par Chris Jochnich, 2000).

[16Voir la contribution de ce dernier au Deuxième séminaire sur le Droit et la Dette organisé par le CADTM en décembre 2002 à Amsterdam www.cadtm.org/pages/espanol/especuadorfreire.htm

[17En général, plus un pays du Sud est pauvre, plus la part de sa dette due à la Banque mondiale et au FMI est élevée. Dans le cas de nombreux pays d’Afrique sans ressources naturelles stratégiques, plus de 70% des dettes sont dus aux institutions de Bretton Woods.

[18Dol : tromperie commise en vue de décider une personne à conclure un acte juridique ou de l’amener à contracter à des conditions qui lui sont défavorables (définition donnée par le Larousse 2003).

[19Dans “ La Grande désillusion ”, Joseph Stiglitz décrit une situation qui remonte à l’époque où il était vice-président de la Banque mondiale : “ Une image peut valoir mille mots, et une photo saisie au vol en 1998 et montrée dans le monde entier s’est gravée dans l’esprit de millions de personnes, en particulier dans les ex-colonies. On y voit le directeur général du FMI (...), Michel Camdessus, un ex-bureaucrate du Trésor français, de petite taille et bien vêtu, (...), debout, regard sévère et bras croisés, dominant le président indonésien assis et humilié (il s’agissait du dictateur Suharto, chassé du pouvoir quelques mois plus tard par un soulèvement populaire, NDR). Celui-ci, impuissant, se voit contraint d’abandonner la souveraineté économique de son pays au FMI en échange de l’aide dont il a besoin. Paradoxalement, une bonne partie de cet argent n’a pas servi, en fin de compte, à aider l’Indonésie mais à tirer d’affaire les “ puissances coloniales ” - les créanciers du secteur privé... Officiellement, la “ cérémonie ” était la signature d’une lettre d’accord - ses termes sont dictés par le FMI mais, par artifice, on fait comme si la “ lettre d’intention ” venait du gouvernement concerné ! ”, in Stiglitz, 2002, p. 71)

[20Pour une analyse de l’argument de la force majeure en matière d’annulation de dette, voir l’étude d’Hugo Ruiz Diaz : “ La dette extérieure : mécanismes juridiques de non paiement, moratoire ou suspension de paiement ”, contribution au Premier séminaire international du CADTM sur le Droit international et la Dette, Bruxelles, décembre 2001.

[21CDI, Projet d’article 31, A/CN, 4/315, ACDI 1978, II, vol. 1, p. 58

[22Dans sa formulation originale : Contractus qui habent tractum successivum et dependetiam de futurum, rebus sic stantibus intelligentur.

[23Charles Fenwick, International Law (3e éd. 1948) : de façon similaire, un des textes définitifs sur la common law explique qu’ “une condition tacite, liée à tous les contrats, est que ceux-ci cessent d’être obligatoires dès qu’il se produit des changements substantiels dans l’état des faits et des conditions sur lesquels ils ont été basés”, in Black’s Law Dictionary 1267 (6e éd. 1990). Voir également, en jurisprudence internationale, la sentence arbitrale rendue le 11 novembre 1912 dans l’affaire d’emprunt d’Etat Turquie/Russie dans laquelle il est dit : “ ...l’exception de la force majeure ...est opposable en droit international ” (Sentence arbitrale, Recueil des Arbitrages internationaux, T. II, 1928, p. 545 et ss.). Par ailleurs, le Code civil d’Argentine stipule que l’obligation d’un débiteur s’éteint “quand la prestation qui forme la matière de celle-ci devient physiquement ou légalement impossible, sans faute du débiteur” (Arts 724 et 888).

[24En 2002, les pays de la Périphérie ont remboursé grosso modo 343 milliards de dollars (240 milliards de dollars en remboursement du principal et 103 milliards en intérêts) alors qu’ils recevaient de nouveaux prêts pour un montant d’environ 248 milliards. S’ils avaient refusé de rembourser le service de la dette et s’ils n’avaient reçu aucun prêt supplémentaire, ils auraient économisé : 343 - 248 = 95 milliards de dollars (source : World Bank, GDF 2003), soit plus que les 80 milliards dont ils ont besoin pour progresser vers la satisfaction des besoins fondamentaux.

[25Le texte complet en espagnol de la sentence est disponible sur le site internet du CADTM : www.cadtm.org/pages/espanol/olmos.pdf.

[26Selon le Financial Times, la somme récupérée par les autorités philippines s’élève à 658 millions de dollars alors que la fortune accumulée par le dictateur Ferdinand Marcos est estimée à au moins 5, voire 10 milliards de dollars. La complexité de la procédure tient notamment au fait que la Cour suprême de justice de la Suisse avait exigé qu’un tribunal philippin statue sur la somme transférée par la Suisse sur un compte bancaire philippin. L’entourage de feu Marcos voulait récupérer l’argent. En juillet 2003, la Cour suprême de justice philippine a enfin décidé, par 12 voix contre 0 et une abstention, que l’argent en question avait été acquis de manière illégale par Marcos et devait donc être mis à disposition des autorités philippines (Financial Times, 16/07/2003).

[27“Des résistances aux alternatives”, texte intégral disponible sur le site internet du CADTM : www.cadtm.org/francais/manifestedakar.htm

[28Voir à ce niveau l’élaboration de l’Alliance des Peuples du Sud créanciers de la dette écologique www.ecuanex.apc.org/accion/, les travaux de Joan Martinez - université de Barcelone - et d’Aurora Donosio - Accion Ecologica, Equateur.

[29Une telle proposition ne manquera pas de susciter chez les néolibéraux la réprobation au nom de l’équité et de la liberté mais surtout du sacro-saint respect de la propriété privée. Ceux-ci ne sont pas gênés de justifier par contre une dévaluation « tam tam » comme celle du franc CFA en janvier 1994 et bien d’autres dévaluations grâce auxquelles les riches deviennent encore plus riches. Il suffit que les riches détiennent une partie de leurs avoirs en devises fortes pour que cette partie de leur patrimoine augmente de manière inversement proportionnelle à la dévaluation. Les capitalistes de la zone CFA, sachant qu’une dévaluation était en préparation, ont acheté des devises fortes avec “ leurs ” CFA. Après que le CFA ait été dévalué de 50% en janvier 1994, il leur a suffit d’en racheter avec leurs devises fortes pour voir doubler leur mise de départ. Cela s’est passé à grande échelle et on n’a vu aucun dirigeant de la Banque mondiale et du FMI s’en plaindre.

[30L’économiste français Bruno Jetin a publié en 2002 un livre très utile - et d’une grande lisibilité - sur la faisabilité et sur la finalité de la taxe Tobin. Concernant le rendement d’une taxe type Tobin (TTC), “ il est raisonnable de retenir 100 milliards de dollars comme la recette minimale que pourrait procurer la TTC, sans écarter la possibilité que la recette soit environ deux à trois fois plus élevée ”. Pour ce qui est de l’utilisation des recettes procurée par la taxe type Tobin, B. Jetin déclare : “ Notre point de vue est que l’intégralité des recettes de la TTC doit être destinée d’une part à des programmes internationaux d’intérêt commun dans des domaines tels que la santé et l’écologie, et d’autre part, à des programmes nationaux de développement dans les pays du Sud ”. (Bruno Jetin, La taxe Tobin et la Solidarité entre les Nations, Edition Descartes et Cie, Paris, 2002).

[31Se référant aux investigations de rapporteurs spéciaux, de groupes de travail d’experts et du secrétaire général de l’ONU.

[32Par exemple, le Venezuela, membre de l’OPEP, a signé des accords avec une dizaine de pays de la Caraïbe et de l’Amérique latine en vertu desquels il leur vend le pétrole a un prix "d’ami ”, nettement plus bas que celui qu’il pratique avec les Etats-Unis dont il est un des principaux fournisseurs.

[33“ Exercise such controls as are necessary to regulate international capital movements ”.

[34“ Il faut explicitement viser l’abolition du chômage, qui est l’instrument principal d’une formidable discrimination sociale. Tous les débats sur le dépassement du travail salarié, les merveilles de la pleine activité et du temps libéré ne doivent pas faire obstacle, car ils ne pourront être correctement posés tant que tout le monde ne sera pas là pour en discuter. C’est pourquoi la réduction généralisée du temps de travail est l’axe d’une sortie égalitaire de la crise sociale ” (Husson, 1996, p. 220). Un tel projet implique le contrôle ouvrier pour garantir la pleine application de ces mesures, le rythme et l’organisation du travail (interdiction générale des heures supplémentaires, abolition du travail de nuit là où il n’est pas socialement nécessaire, pas d’accélération des cadences...).

[35“ Nous considérons donc qu’il faut des institutions financières internationales pour agir dans la durée, mais nous ne saurions faire confiance aux orientations et au fonctionnement des institutions actuelles. Ce que nous attendons de ces institutions, c’est très spécifiquement la stabilité du système monétaire, la prévention des crises financières ET un système financier qui favorise un développement respectueux des droits humains que nous appellerons, pour simplifier, le développement durable. De plus, nous attendons de ces institutions qu’elles fonctionnent démocratiquement” (Gus Massiah, juin 2001).

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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