Haïti : Des siècles de colonisation et de domination

23 août 2010 par Sophie Perchellet




 I.Haïti colonisé

A.Haïti exploité

Christophe Colomb touche pour la première fois le sol d’Haïti en décembre 1492. Cette île dotée d’une végétation luxuriante a un petit air de paradis pour l’explorateur et son équipage. Loin d’être déserte, Hispaniola – c’est ainsi qu’il la baptise - est peuplée de 1,3 million d’indigènes : les Arawaks et les Taïnos. Au service d’Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, monarques catholiques de la puissance dominante, l’Espagne, Colomb va « apporter la lumière de la civilisation à ces indigènes arriérés »... Et chercher de l’or ! Il installe la colonie dans le sud-est du pays. Commence alors le plus grand génocide du siècle. Christianisation de la population, travail forcé et éprouvant dans les mines, meurtres, viols et maladies sont les moyens par lesquels la domination européenne et catholique s’impose. Quinze années seulement après sa découverte, l’île d’Hispaniola ne compte plus que 60 000 indigènes.

Pour exploiter ce « nouveau monde », il est décidé d’y envoyer de robustes nègres, faits prisonniers en Afrique, qui feront le travail dans la colonie au service des maîtres espagnols. Dès 1518, Charles Quint autorise l’envoi de 15 000 esclaves noirs à Saint-Domingue. La traite négrière transatlantique commence.

En 1629, quelques Français s’installent sur l’île de la Tortue (voir carte). Des Anglais et des Espagnols, des criminels en fuite ou des Européens à la recherche d’une fortune rapide, tous se font la guerre pendant près de 30 ans sur cette île, au nord d’Haïti. En 1659, les boucaniers français l’emportent. Ils cultivent la terre (sucre, cacao, indigo, coton), mais manquant de capitaux, ils font une razzia sur l’île voisine de la Jamaïque et ramènent avec eux de l’argent et 2 000 Nègres. En 1695, le Traité de Ryswick conclu entre la France et l’Espagne garantit à la France la possession de la partie occidentale de l’île, Saint-Domingue. Des engagés ou des Nègres faisaient le travail, notamment la culture du café, à partir de 1734. Mais les engagés ne supportent pas le climat aussi bien que les esclaves noirs et, petit à petit, ce sont ces derniers qui sont drainés par millions vers Saint-Domingue.

Le Code Noir de Louis XIV, édité en 1685, contient les « droits et devoirs » des esclaves et du maître. Les planteurs et colons français ont donc en théorie des devoirs envers les esclaves. En réalité, ils leur font subir les pires atrocités, les considérant comme de simples objets. Dans la pensée des planteurs de Saint-Domingue, «  les nègres sont injustes, cruels, barbares à demi humains, traîtres, hypocrites, voleurs, ivrognes, vaniteux, paresseux, sales, sans vergogne, jaloux jusqu’à la furie, et lâches » [1]. Pour l’élite de l’administration coloniale, «  le salut des blancs exige que les nègres restent dans la plus profonde ignorance… il faut traiter les nègres comme on traite les bêtes » [2].

Dès le départ, des résistances se font jour. Le marronnage est la principale d’entre elles. S’enfuyant des plantations et des ateliers de production agricole, les esclaves alors devenus « marrons » trouvent refuge loin des colons, dans les montagnes ou dans les forêts du centre de l’île. Dans ces lieux de rassemblements contestataires se développe alors une culture aux antipodes de ce qu’ils vivaient en tant qu’esclaves. Au fil du temps, les camps des Marrons augmentent rapidement et une véritable organisation socio-économique radicalement différente est mise en place progressivement. L’agriculture occupe toujours la place principale mais, cette fois, c’est une agriculture tournée vers les besoins alimentaires de la communauté. Les monocultures sont remplacées par des « places à vivres », privilégiant la culture vivrière (manioc, patate, igname…). En 1720, mille esclaves se réfugient dans la montagne. En 1751, ils sont au moins trois mille. Semant la terreur chez les colons, ces Marrons font des raids la nuit pour détruire et piller les plantations. Le plus grand de ces chefs, François Makandal, est un nègre de Guinée, esclave du district de Limbé, région qui sera un foyer de la révolte à venir. Son objectif est de réunir tous les Noirs et de chasser les Blancs de la colonie. Son génie s’illustre par sa capacité à organiser les Noirs et ses techniques de guérilla. Il prend par exemple des dispositions pour que, un certain jour, l’eau de chaque maison de la capitale soit empoisonnée. En même temps, une attaque contre les colons alors affaiblis est lancée. Trahi par un proche, puis capturé et brûlé vif, Makandal a tout de même réussi à semer les graines de la révolte pour la liberté et l’indépendance. La récolte viendra plusieurs décennies plus tard.

L’esclavage est profondément ancré dans l’économie du 18e siècle. Trois classes s’enrichissent largement : les propriétaires des plantations de Saint-Domingue, la bourgeoisie française et la bourgeoisie anglaise. En 1754, l’île compte 599 plantations de sucre et 3379 d’indigo. Entre 1756 et 1763 (guerre de 7 ans), la France et l’Angleterre se disputent l’Amérique du Nord et les îles des Caraïbes. Après la guerre, la colonie est remise sur les rails des échanges. Elle exporte 72 millions de livres de sucre brut, 51 millions de sucre raffiné, 1 million d’indigo et 2 millions de coton.

La fin du 18e siècle est marquée par deux événements qui vont déclencher un bouleversement dans la « perle des Caraïbes ». Aux Etats-Unis, les colons blancs du Massachusetts se révoltent contre l’Angleterre en 1775, ce qui aboutira à la Déclaration d’Indépendance du 4 janvier 1776. Le 6 février 1778, la France et les Etats-Unis signent un traité d’alliance. Le 12 avril 1779, la France et l’Espagne signent le traité d’Aranjuez contre l’Angleterre. La guerre d’indépendance des Etats-Unis dure jusqu’en 1783. De l’autre coté de l’océan, la Révolution Française est en route dès 1789.

Les Caraïbes représentent un tremplin vers l’Amérique, du Nord comme du Sud. L’enjeu est de taille. Comme souvent dans l’histoire d’Haïti, les influences extérieures sont primordiales pour comprendre comment la révolution s’est déclenchée. En l’occurrence, c’est vers la Révolution Française qu’il faut se tourner.

B. De la révolte des esclaves à l’abolition de l’esclavage (1791-1793).

Sur leurs plantations, les colons font la loi. Mais ils obéissent au système mis en place : le système protecteur. Les colonies sont fondées pour et par la métropole. Et alors que la bourgeoisie française entame son ascension vers le pouvoir sous la bannière des Droits de l’Homme, celle de Saint-Domingue (les propriétaires blancs) entend bien en profiter pour accroître sa richesse. Liée à la bourgeoisie maritime française, qui a accumulé sa fortune grâce à la traite négrière vers les colonies, la bourgeoisie de Saint-Domingue déteste les Mulâtres [3], mais doit composer avec eux. Forte d’environ 30 000 hommes, la population composée des Mulâtres et des anciens libres est presque aussi nombreuse que les Blancs. Bien que libres, ils ne disposent pas des mêmes droits que les Blancs. Une très forte discrimination est mise en place de sorte que les classes sociales soient basées sur des critères raciaux.

Les colons blancs sont les premiers à se soulever contre la métropole, aussitôt connu le déclenchement de la Révolution en France. Le 27 juin 1790, les colons font voter une Constitution par l’Assemblée coloniale de Saint Marc qui place celle-ci sur un pied d’égalité par rapport à l’Assemblée nationale française. Cela reste une décision unilatérale des colons qui comptent bien imposer leurs intérêts économiques et esquiver ainsi toute velléité de modifier le système basé sur l’esclavage. Cela débouche sur une période instable de luttes internes entre Blancs, Affranchis et Mulâtres couplées avec des intérêts européens en collision (français, anglais et espagnols).

En face, dès juillet 1791, la population soumise se prépare à entrer en jeu. Dans le Nord, et notamment au Cap, les esclaves sont prêts. Boukman, un Nègre qui était Papaloi (grand prêtre), devient le chef de 12 000 d’entre eux. Il espère exterminer tous les Blancs et reprendre la colonie. Bien que n’ayant pas abouti, son plan marque le début du soulèvement des esclaves. Au début d’août 1791, les esclaves de Limbé se soulèvent à leur tour contre leurs propriétaires.

Le 22 août 1791, les esclaves de la plaine du nord se soulèvent en masse à leur tour. Les esclaves de la plantation Gallifet lancent l’attaque dans la nuit. Les maîtres sont massacrés et les propriétés incendiées. En quelques jours, la moitié des plaines du Nord sont ravagées. Les esclaves, forcés jusque là de travailler sur ces plantations, pensent que tout doit brûler. Leurs maîtres, qui les exploitaient sans limite et les humiliaient sans relâche, doivent être massacrés. Environ 220 000 habitations furent détruites. La grande révolte des esclaves commence.

En France, la révolution se radicalise et la situation tourne alors à l’avantage des Mulâtres. Le 24 mars 1792, l’Assemblée législative accorde par décret les pleins droits politiques aux hommes de couleur. Le Roi transforme ce décret en loi le 4 avril 1792. Cette disposition ne concerne que les Mulâtres et non les Noirs. L’esclavage n’est pas aboli.

Mi-juillet, une expédition composée de 6 000 hommes, 4 000 gardes nationaux (révolutionnaires civils) et 2 000 soldats de ligne (soldats du Roi) part rétablir l’ordre à Saint-Domingue, afin d’en finir avec la querelle des propriétaires d’esclaves et de mater la révolte noire. Trois commissaires, dont Sonthonax, sont nommés. Ils débarquent le 18 septembre sans être au courant des évènements du 10 août 1792. A cette date, un tournant s’est produit en France. Les Parisiens envahissent les Tuileries, l’Assemblée législative est dissoute et un nouveau Parlement est convoqué : la Convention nationale. Louis XIV est exécuté le 21 janvier 1793.

Au Cap, la situation se complique suite à la nouvelle de l’exécution du Roi de France. Le gouverneur royaliste Galbaud s’associe avec les propriétaires blancs pour renverser le commissaire Sonthonax, jugé trop proche des Mulâtres. En plus des propriétaires blancs, les marins prennent son parti. Sonthonax choisit d’armer les esclaves et les prisonniers pour reprendre le Cap et c’est ainsi que 10 000 Noirs armés déferlent sur la ville. Le 21 juin 1793, la ville du Cap est incendiée. Environ 10 000 propriétaires blancs quittent Saint-Domingue : l’heure de leur défaite a sonné.

Le 29 août 1793, Sonthonax abolit unilatéralement l’esclavage à Saint-Domingue. La Convention nationale avalisera et diffusera la décision d’abolir l’esclavage le 3 février 1794. Toussaint Louverture passe alors du côté du camp français.

 Les principaux acteurs de la révolution Haïtienne

L’Angleterre en guerre à Saint-Domingue : 1794-1798  

 Généraux noirs

Toussaint Louverture (1746-1803) est le chef des généraux Noirs. Dès novembre 1791, il rejoint les esclaves insurgés. D’abord combattant aux côtés de l’Espagne, il rejoint la France une fois l’esclavage aboli. En 1800, il commence son ascension en chassant André Rigaud, son principal adversaire. Il est arrêté et emprisonné en France, au Fort de Joux sur ordre de Napoléon en 1802.
Jean-Jacques Dessalines (1758-1806) est un ancien esclave. Il participe à la révolte des esclaves dès 1791. Il devient lieutenant de Louverture puis Général sous ses ordres.
Il combat activement à la fois les Anglais et les Mulâtres. En 1800, il contrôle le Sud et l’Ouest. En 1804, il proclame l’indépendance d’Haïti. Dessalines est proclamé empereur 9 mois après. Il est assassiné en 1806.
Henri Christophe (1767-1820) est né à Grenade. Il arrive à Saint-Domingue en tant qu’esclave. En 1779, il est volontaire pour aller soutenir la guerre d’indépendance américaine. Il se distingue pendant la révolte des esclaves et devient Officier en 1793. Pendant quatre ans, il se bat aux cotés de Louverture dans le Nord. Il est nommé Général en 1802. En 1806, il forme un gouvernement dans le Nord. Il se proclame président en 1807 et Roi en 1811.

 Généraux mulâtres

André Rigaud (1761 - 1811) est le chef des Mulâtres. En 1779, il est volontaire pour aller soutenir la guerre d’indépendance américaine. Il va diriger le Sud du pays dès 1791. Adversaire des Anglais et de Louverture, il est contraint de fuir en 1800. Il revient sur l’île avec l’expédition de Saint Domingue en 1802. Suite à son échec, il est emprisonné par Napoléon au Fort de Joux, aux côtés de Louverture.
Alexandre Pétion (1770-1818) est un général qui va soutenir Rigaud pendant la Révolution Haïtienne.
Pendant la guerre civile, il prend la tête de la défense de Jacmel, bastion de la résistance mulâtre. Comme Rigaud et Boyer, il est contraint à l’exil entre 1800 et 1802.
Il est président de la partie Sud d’Haïti entre 1806 et 1818.
Jean-Pierre Boyer (1776-1850) est chef de bataillon pendant la Révolution Haïtienne. Il combat sous les ordres de Rigaud. A la proclamation de l’indépendance, il va soutenir Pétion. De secrétaire, il passe Général. Il lui succède à la présidence d’Haïti et gouverne jusqu’en 1843.

L’Angleterre vient compliquer la situation en essayant de s’emparer de Saint-Domingue. Entre 1793 et 1802, la France et le Royaume-Uni sont en guerre. L’Espagne rejoint les ennemis des Français. Pourtant, beaucoup d’esclaves de Saint Domingue, et notamment ceux dirigés par Toussaint Louverture partent grossir le camp des combattants espagnols, ennemis de la France

Une expédition anglaise quitte la Jamaïque le 9 septembre 1794 et débarque à Jérémie le 19. Plus de 9 000 hommes la composent. Pour les Anglais, il n’est pas question d’abolir l’esclavage. Le soutien de la part des propriétaires de Saint-Domingue est total. De nombreux Mulâtres de la province occidentale rejoignent le camp anglais, mais pas le général Rigaud, qui tient une bonne partie du Sud. Dans les Antilles, les Anglais remportent plusieurs victoires et, en deux mois, ils s’emparent de la Martinique, de la Guadeloupe et de Sainte-Lucie.

En France, la Convention prend une décision importante le 4 février 1794 : l’abolition de l’esclavage devient réalité. La nouvelle arrive à Saint-Domingue en juin et, dès lors, la France devient source de liberté et d’égalité. C’est à ce moment que Toussaint Louverture se rallie à la France et commence son ascension.

Le général Toussaint Louverture est alors déclaré gouverneur de Saint-Domingue en 1796. Chez les Mulâtres, l’idée est plutôt de créer un Etat Mulâtre. Ils ne reconnaissent pas l’autorité de Laveaux. Ils tentent de faire nommer Villate, un général mulâtre, gouverneur au Cap. L’insurrection est vite arrêtée. Le 11 mai 1796, inquiet des récentes initiatives des Mulâtres, le gouvernement français envoie une nouvelle commission. C’est le retour de Sonthonax.

Le 30 avril 1798, une convention est signée aux termes de laquelle les Anglais évacuent complètement la Province de l’Ouest. Les exploits de Rigaud contre les Anglais sont semblables à ceux de Toussaint Louverture. Une terrible lutte d’intérêts de classes entre Noirs et Mulâtres entraîne une guerre civile jusqu’en 1800.

La guerre civile Mulâtre/Noir (1799-1800) et l’ascension de Toussaint Louverture  

Toussaint Louverture fait la guerre à André Rigaud, Alexandre Pétion et Jean-Pierre Boyer à l’occasion d’un litige à propos de la frontière Ouest / Sud à Miragoâne pour conquérir le Sud de l’île. En juin 1799, Dessalines entre avec ses troupes à Port Républicain pour le compte de Louverture. En octobre, le commissaire français Roume confirme le général Dessalines commandant en chef de l’armée de l’ouest. Avec des troupes très supérieures en nombre Toussaint Louverture gagne la guerre, il repousse Rigaud et négocie son départ vers la métropole. A la fin de l’année 1800, André Rigaud, Alexandre Pétion et Jean-Pierre Boyer partent pour la France. Ils reviendront à bord de l’expédition de Saint-Domingue, le 29 janvier 1802.

Pendant ce temps, en métropole, Napoléon Bonaparte devient Premier Consul. Il confirme Toussaint Louverture dans son poste de « chef de l’île ». En décembre 1800, ce dernier veut annexer la partie espagnole et, le 21 janvier 1801, le gouverneur de Santo Domingo lui abandonne la colonie. Le 12 octobre 1800, Louverture publie un Règlement de culture, qui est une réintroduction du travail forcé des noirs sur les plantations. Les paysans sont forcés de travailler sur les cultures. Ils reçoivent un quart des recettes, tout comme le propriétaire, tandis que l’Etat en récupère la moitié. La production s’effondre : en un an et demi, les quantités produites chutent d’un tiers [4].

Le 9 mai 1801 L’assemblée centrale de St Domingue adopte la Constitution de la colonie de Saint-Domingue. Louverture est gouverneur à vie et peut nommer son successeur. Le 12 juillet, Toussaint Louverture signe la constitution autonome. En octobre 1801, les Noirs des campagnes se révoltent contre Louverture et son travail forcé.

Guerre d’Indépendance : 1802 – 1803

En France, la bourgeoisie maritime aidée par Bonaparte se prépare à rétablir l’esclavage.

Le 14 décembre 1801, Bonaparte envoie une flotte composée de 20 000 hommes en direction de Saint-Domingue. Son beau-frère, le général Leclerc, prend la direction de l’expédition avec à son bord, André Rigaud, Alexandre Pétion et Jean Pierre Boyer. Bonaparte a donné des instructions claires et un plan d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
qui se découpe en 3 phases. En premier lieu, il doit tout promettre à Toussaint Louverture. Ensuite, il doit lui faire prêter serment au Cap puis le déporter. Le désarmement total de la population est la dernière phase. Saint-Domingue serait alors prête à recevoir ses « lois spéciales  », autrement dit le retour de l’esclavage. Le 2 février 1802, Leclerc débarque au Cap avec 5 000 hommes.

Le 2 février 1802, Leclerc débarque au Cap avec 5 000 hommes. Le 4 février, le général noir Christophe fait évacuer la ville pour aller se réfugier dans les montagnes. La bataille fait rage toute la nuit. Les dégâts sur la ville sont nombreux. Sur 2 000 immeubles, seuls 59 sont toujours debout à l’issue.

Paul Louverture, qui est dans l’ancienne partie espagnole de l’île, Santo-Domingo, va être trompé par les Français. Ils lui font croire que Toussaint Louverture lui ordonne de céder Santo-Domingo, par une fausse lettre. Le 10 février, Maurepas, général noir qui tenait Port-de-Paix, est attaqué par 1 500 hommes commandés par Debelle. Il refuse de capituler mais doit se retirer dans les montagnes. A la mi-février, tout le littoral, excepté Saint-Marc tenu par Dessalines, est entre les mains de Leclerc. Malgré ces victoires rapides de l’armée française, la conjoncture va bientôt se retourner.

Toussaint déporté, mais la France doit fuir

Peu à peu, les différents commandements de Saint-Domingue se rendent, dont celui de Maurepas et de Christophe. Toussaint Louverture se rend à trois conditions : liberté incontestée de toute la population de Saint-Domingue, maintien de tous les officiers indigènes dans leur grade et leurs fonctions, lui-même conserve son Etat-major et se retire dans l’île. Après une entrevue avec Dessalines et Belair, son neveu, les deux généraux capitulent aussi. Tout au long du mois de mai 1802, le Français Leclerc demande dans ses lettres des renforts humains et financiers. Même si les généraux se sont rendus, ils n’en restent pas moins présents sur l’île et attentifs aux événements. La loi du 20 mai 1802 rétablit l’esclavage dans les colonies françaises restituées à la France par le traité de paix d’Amiens, signé avec l’Angleterre le 25 mars précédent. Saint-Domingue n’est pas officiellement concernée mais tout se passe comme si ce pays de « nègres révoltés » devait lui aussi rentrer dans le rang.

Le 7 juin 1802, Toussaint Louverture est convoqué dans le quartier général de Brunet. Le soir, quelques grenadiers rentrent sous la conduite de Ferrari, aide de camp de Leclerc, qui assure à Toussaint Louverture qu’ils ne « sont pas venus pour [lui] nuire » et qu’ils ont « seulement reçu l’ordre de [le] protéger ». Mais ils le prennent par surprise, l’enchaînent puis réservent le même sort à son aide de camp, sa femme, son fils et sa nièce. Ils forcent sa demeure, lui dérobent son argent et saccagent sa plantation. Le moment de le déporter vers la France est enfin venu. L’arrestation de Toussaint émeut profondément la population. Quels qu’aient été ses torts, il a toujours ardemment défendu la liberté. Avant d’embarquer sur le bateau, il dit : « en me renversant, vous avez seulement abattu le tronc de l’arbre de la liberté de Saint-Domingue. Ses racines repousseront car elles sont nombreuses et profondes » [5].

Tandis que la santé de Leclerc se détériore, il écrit dans une lettre adressée au ministre de la Marine datée du 25 août 1802 : « Ce n’est pas le tout d’avoir enlevé Toussaint, il y a ici 2 000 chefs à faire enlever ici  » [6]. En septembre 1802, le général Leclerc demande l’arrivée en renfort de « 10 000 hommes [7] ou il risque de perdre la colonie  ». Son souhait de quitter la colonie est de plus en plus pressant.

Face aux forces françaises, Clairvaux et Pétion unissent leurs forces au Sud, tandis que Dessalines se tient prêt au nord. Le 2 novembre 1802, juste avant sa mort, Leclerc tente une dernière fois de rallier Christophe du côté des troupes françaises, mais celui-ci rejoint les rangs de Pétion et Clairvaux. La dernière bataille de Saint-Domingue se déroule le 18 novembre 1803 à Vertières, dans le nord près du Cap. Les troupes commandées par Dessalines se soulèvent contre le général Français Rochambeau. C’est ainsi que le combat pour la liberté et le maintien de l’abolition de l’esclavage triomphe. Dix jours plus tard, le général Rochambeau est évacué.

Les Noirs et les Mulâtres ont réussi. La France est expulsée du pays. La déclaration d’indépendance est adoptée le 31 décembre 1803, lors d’une réunion entre officiers à Gonaïves. Une double révolution a eu lieu à Saint-Domingue : officiellement, c’est la fin de l’esclavage et du colonialisme. Mais des siècles d’esclavage, puis douze années de guerre et de révoltes laissent des séquelles que l’indépendance ne suffira pas à effacer. Différentes forces sociales se sont parfois alliées et parfois affrontées en fonction des enjeux. Ainsi, une fracture nette entre les deux classes sociales majoritaires reste évidente même après l’indépendance. Les anciens esclaves sont majoritairement composés de Noirs tandis que les anciens libres sont cette fois essentiellement Mulâtres. Même si ces deux classes peuvent s’allier quand il s’agit de repousser les attaques étrangères, l’entente nationale est pour le moins difficile.

C.Haïti libéré ?

A cette époque, « Haïti apparaît comme un îlot indépendant dans un bassin colonial » [8]. Sur les 90 000 hommes en état de porter les armes, 30 000 sont constamment sur le pied de guerre jusqu’à ce que la France reconnaisse l’indépendance d’Haïti. « Au premier canon d’alarme, les villes disparaissent et la nation est debout » [9]. Forte de son expérience révolutionnaire, le jeune Etat porte assistance aux différents processus révolutionnaires d’émancipation qui embrasent le continent sud-américain. Le gouvernement va notamment offrir l’asile à Simon Bolivar pour une première fois en 1816. Il va aider et équiper la résistance en échange de la promesse de Bolivar d’abolir l’esclavage, ce qui est fait au Venezuela et en Colombie en 1821.

L’esclavage est aboli, les colons sont chassés et les terres sont vacantes. C’est un bouleversement socio-économique important. La jeune nation doit alors se débrouiller par elle-même, car elle subit un embargo international pour « l’affront » dont elle a fait preuve envers la France. L’économie basée sur une agriculture de rente en faveur de l’exportation issue du modèle colonial est rejetée par les paysans. Les symboles coloniaux sont détruits (incendie des champs de canne à sucre, pillage des propriétés, destruction des plantations, des outils de travail…). C’est à cette période que les relations entre Marrons et esclaves vont mettre en lumière un modèle de développement alternatif.

Le décret du 24 juillet 1805 stipule dans son article 12 que « toute propriété qui aura appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisqué au profit de l’Etat ». C’est encore un changement radical envers l’ancienne politique de Toussaint Louverture, qui permettait presque toujours aux colons de revenir sur « leurs terres ». Avec Dessalines, ce pourrait être un premier pas vers une redistribution équitable et juste des terres. Les paysans, dorénavant libres, vont s’approprier les terres pour leur propre compte entre 1804 et 1806. Mais selon Paul Moral, « Dessalines n’a cessé d’appliquer le caporalisme agraire [10] avec une extrême rigueur  ». Les terres sont redistribuées presque exclusivement au profit de l’élite noire. Seulement un an après la proclamation de l’indépendance, une crise s’installe. Germain Picot prend les armes dans le sud et rallie autour de lui un grand nombre de paysans pour protester contre le nouvel empire. Ils s’emparent de la citadelle des Platons. La révolte va être matée et les révoltés seront contraints à la fuite ou la mort. S’il est probable que Dessalines ait nationalisé les terres dans le seul but d’affaiblir l’élite mulâtre, il est indiscutable que ces décisions ont une visée nationaliste et anti-impérialiste.

Déchiré par un conflit de classes internes (anciens esclaves, anciens libres noirs et mulâtres, anciens propriétaires blancs) alimenté des intérêts extérieurs (France, Espagne, Angleterre), la lutte pour l’indépendance a laissé des séquelles, et le pays va se déchirer à la suite de l’assassinat de Dessalines en 1806. L’île se coupe en deux sous l’autorité du Mulâtre Alexandre Pétion, à l’ouest et au sud, et du Noir Henri Christophe dans la partie nord. Deux modèles différents sont ainsi mis en place.

Au nord, un système agricole fondé sur de grandes exploitations est instauré par Christophe. Il perpétue ainsi le caporalisme agraire. Ses proches et l’élite locale deviennent propriétaires de grands domaines. Il remet à l’ordre du jour la pratique forcée de la « corvée ». De grands travaux voient ainsi le jour et sont aujourd’hui symbolisés par le Palais Sans-souci ou encore la Citadelle Laferrière. Protégé par les « Royal Dahomey », il règne par la terreur sur toute la partie nord dont il s’est autoproclamé Roi dès 1811. Pendant ses 13 ans de règne, le roi Henri 1er va réprimer brutalement plusieurs soulèvements paysans.

Pétion, quant à lui entame, une réforme agraire. Il redistribue plus de 150 000 hectares de terre entre 1807 et 1817 [11]. Haïti entame alors un processus de diversification de la production agricole en laissant tomber le sucre pour cultiver notamment du café, du riz et du manioc. A la mort de Christophe en 1820, Jean-Pierre Boyer, successeur de Pétion (mort en 1818), réunifie les deux parties d’Haïti et étend même son pouvoir à la partie espagnole, et donc à l’île toute entière, à partir de 1822. Il règnera jusqu’en 1843. 

 II. Haïti néocolonisé (19e siècle)

Dès la proclamation de l’indépendance d’Haïti, la France fait pression sur le nouvel Etat et ne reconnaît pas cet acte unilatéral. De 1806 à 1814, les relations entre Haïti et la France sont suspendues mais, à partir de 1814, plusieurs missions diplomatiques françaises se succèdent en Haïti.

A. La rançon de l’indépendance

1. Des « négociations » unilatérales

Dès le départ, les émissaires français utiliseront paternalisme, racisme et esclavagisme pour entamer la « négociation », comme le fait le ministre des Colonies de l’époque, Malouet, en 1814.

Paternaliste :

« Les intentions paternelles de Sa majesté étant de rétablir l’ordre et la paix dans toutes les parties de ses Etats par les moyens les plus doux, elle a résolu de ne déployer sa puissance pour faire rentrer les insurgés de Saint-Domingue dans le devoir qu’après avoir utilisé toutes les ressources que lui inspire sa clémence. C’est plein de cette pensée que le Roi a porté ses regards sur la colonie de Saint-Domingue. En conséquence, quoi qu’il ait donné ordre de préparer ses forces majeures et de les tenir prêtes à agir si leur emploi devenait nécessaire, il a autorisé son Ministre de Marine et des Colonies à envoyer à Saint-Domingue des agents pour prendre une connaissance exacte des dispositions de ceux qui y exercent actuellement un pouvoir quelconque, de même que la situation ou s’y trouvent les choses et les individus de toutes classes … »

Raciste :

«  Si Pétion tombe d’accord de placer l’homme de couleur, jusqu’au mulâtre inclusivement, un peu au-dessous du blanc, il devient beaucoup plus facile de restreindre les privilèges de la caste au-dessous de celle-là (composée de nuances entre le mulâtre et le nègre) et ceux des nègres libres, si l’on établit ces trois castes intermédiaires entre le blanc, et le nègre esclave. Partout, il est singulièrement recommandé à Dauxion Lavaysse, Médina et Dravermann de se rapprocher le plus de l’ancien ordre de chose colonial, et de ne s’en écarter que là où il leur sera démontré impossible de faire autrement ; et toujours dans leurs conférences avec les chefs sur ces matières, ils doivent partir de ce principe que le Roi ne concède que parce qu’il veut concéder, et que loin d’admettre des prétentions exagérées, il n’accordera rien et fera sentir sa puissance dans toute son étendue, si ses faveurs sont repoussées… »

Esclavagiste :

« …Quant à la classe la plus considérable en nombre, celle des noirs attachés à la culture et aux manufactures de sucre, d’indigo, etc., il est essentiel qu’elle demeure ou qu’elle rentre dans la situation où elle était avant 1789, sauf à faire des règlements sur la discipline à observer, tels que cette discipline soit suffisante au bon ordre et à une somme de travail raisonnable, mais n’ait rien de trop sévère. Il faudra, de concert avec Pétion, aviser au moyen de faire rentrer dans les habitations et dans la subordination le plus grand nombre de noirs possible, afin de diminuer celui des noirs libres. Ceux que l’on ne voudrait pas admettre dans cette dernière classe et qui pourraient porter dans l’autre un esprit d’insurrection trop dangereux devront être transportés dans l’île de Ratau ou ailleurs…  »

Médina, l’émissaire envoyé vers Christophe, est exécuté et, jusqu’à la fin de son règne (1820), le Roi du Nord ne négociera jamais une quelconque indemnité financière ou des avantages commerciaux.

Mais Jean-Pierre Boyer cherche à tout prix à faire reconnaître l’indépendance d’Haïti par la France et, dans ce but, il accepte l’ordonnance royale de Charles X en 1825. C’est une grave erreur car cette ordonnance vient surtout légitimer le passé de la France en Haïti et perpétuer sa domination avec la nouvelle donne. Ce texte, qui n’appelle même pas Haïti par son nom, comporte trois dispositions qui visent à remplacer le colonialisme par une forme de néocolonialisme.

2. L’ordonnance royale de 1825

«  Article 2  : Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse des Dépôts et Consignations de France en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant au 1er décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs-or, destinée à dédommager les anciens colons qui réclament une indemnité. »

Pourtant, il est erroné de dire qu’Haïti a payé une « indemnité » à la France. Car cette prétendue indemnité n’est rien d’autre qu’une véritable rançon. La France déclare qu’elle souhaite indemniser les anciens colons qui ont été « dépossédés » de « leurs » terres. Un calcul basé à dessein sur une surévaluation du potentiel commercial d’Haïti [12] conduit à un prix exorbitant : 150 millions de francs-or, payables en 5 ans. Cette somme représente 21 milliards de dollars aujourd’hui, et 4 fois le budget de la France de l’époque. Pour payer, il faut s’endetter. Le jeune Etat le fait auprès de banquiers privés parisiens forcément. Trois emprunts, de 30 millions en 1825, de 15 millions en 1874 et de 50 millions en 1875 sont contractés pour obtenir les fonds nécessaires. En 1838, le montant de la rançon est réduit à 90 millions et le solde - 60 millions - est payable en 30 ans [13]. C’est d’ailleurs seulement à cette date que l’indépendance d’Haïti est formellement reconnue. Cette rançon sera payée jusqu’en 1897 (et même 1913 pour les intérêts à des banques françaises).

La réduction de 50% des droits de douanes pour les navires français

«  Article 1er : Les ports de la partie française de Saint Domingue seront ouverts au commerce de toutes les nations. Les droits perçus dans ces ports, soit sur les navires, soit sur les marchandises, tant à l’entrée qu’à la sortie, seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté les pavillons français, en faveur duquel ces droits seront réduits de moitié.  »

Afin de s’assurer de la dépendance du pays, la France impose à Haïti d’ouvrir ses ports au commerce extérieur. Mais surtout aux pavillons français qui bénéficient d’un avantage concurrentiel indéniable. Même si cette « faveur » est vite abolie, le mal est fait. Haïti est maintenant connecté au marché mondial.

L’ordonnance royale remplit plusieurs fonctions. La première est de rétablir des contacts officiels avec l’ancienne colonie. L’indépendance du pays a été considérée comme un affront, la France fait pression pour que personne ne reconnaisse Haïti. Les « échanges » entre les deux pays connaissent une période creuse entre 1804 et 1825. Mais les Anglais, les Allemands et les Etats-Uniens continuent de leurs côtés d’échanger avec Haïti. Ils profitent de cette « absence » française pour asseoir leurs positions. Les commerçants et négociants français sont donc impatients de pouvoir refaire officiellement des affaires en Haïti. Les multiples pressions qu’ils exercent sur les autorités françaises facilitent l’idée d’une reconnaissance du nouvel Etat. 

La deuxième fonction est de « rétablir l’autorité de la France sur sa colonie révoltée [14] ». Avec l’imposition de la rançon de l’indépendance, c’est chose faite. Les autorités haïtiennes qui se sont succédé tout au long du 19e siècle ont toutes eu à rembourser cette rançon. Les maigres ressources de l’Etat ont donc principalement été transférées aux créanciers français. Dès le départ, Haïti paye le prix fort, et la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
est l’instrument néo-colonial pour entretenir l’accès aux multiples ressources naturelles de ce pays. Le paiement de cette rançon est donc l’élément fondateur de l’Etat haïtien et a débouché sur la constitution d’une dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
. Couplée avec l’avantage commercial octroyé de fait au commerce français, les bases de la néocolonisation française d’Haïti sont posées. Mais d’autres Etats qui s’intéressent à Haïti ne laissent pas l’ancienne « perle des Antilles » aux seules mains de la France.

B. L’économie d’Haïti au 19e siècle

La fin de la colonisation et de l’esclavage entraîne des bouleversements majeurs dans l’organisation du nouvel Etat. L’économie du 19e siècle est dépendante des intérêts extérieurs et de la « conjoncture internationale ». Les résistances actives des paysans, qui sont les premières victimes, jalonnent ce siècle. L’ancienne puissance coloniale, qui cherchait il y a peu à rétablir « l’ordre d’avant », occupe une position spéciale tout au long de cette période. La défaite infligée par ses anciens esclaves sur l’armée de Bonaparte a du mal à passer. Elle cherche à conserver son influence et ses intérêts. Mais contrairement aux idées reçues, l’ancienne métropole, qui reste le principal client d’Haïti, est détrônée au poste de principal fournisseur, notamment par les Etats-Unis et l’Angleterre. L’Europe et notamment la France perdent peu à peu leur influence, au profit des « voisins américains  » qui se lancent dans la course à l’impérialisme sur le continent. Pour analyser cette période, il faut avant tout rendre compte de la conjonction de trois phénomènes : la connexion au marché mondial, le passage de la culture de sucre à la culture de café et une gestion « particulière » des finances publiques et de la souveraineté économique.

1. Ouverture au commerce extérieur

Commerce avec la France

Le commerce entre Haïti et la France va décroître en volume et en valeur. Mais comme à l’époque coloniale, il ne repose que sur un seul produit : le café. La rançon illégale de 1825 et le transfert des capitaux issus de la rente du café ont tous deux participé au pillage du pays aux profits d’intérêts intérieurs (élite politico-militaire et commerçants des bords de mer) et étrangers (finance et bourgeoisie française). Mais les Etats-Unis et l’Angleterre détrônent la France dans les échanges dès le milieu du 19e siècle.

Avant l’indépendance (1792)1858
Commerce 272 millions de francs [15] 13 millions de francs

En 1858, les échanges entre les ports français et Haïti ne ressemblent plus du tout à ceux du temps de la colonie : sur 1 195 navires qui entrent et sortent d’Haïti, seulement 125 sont français. En 1792, ce nombre de navires atteignait 701.

 Tableau des échanges commerciaux entre la France et Haïti entre 1857 et 1858 (en francs) [16]

Importations vers HaïtiExportations depuis HaïtiTotal commerce
1857 13 476 000 12 386 000 25 862 000
1858 6 801 000 3 469 000 10 270 000

Entre 1857 et 1858, les échanges chutent brutalement entre la France et Haïti. De plus de 25 millions, le montant total des échanges se réduit à 10 millions en une année. Entre les années 1830 et 1880, les importations d’Haïti depuis la France sont composées de 80% à 90% de produits manufacturés. A l’inverse, 90% des exportations d’Haïti vers la France sont des produits de consommation naturelle ou des matières premières [17]. Les termes de l’échange sont donc très favorables à l’ancienne métropole qui se charge d’apporter l’essentiel de la valeur ajoutée, à l’image des échanges traditionnels entre pays les plus industrialisés et pays en développement. Le café est le principal produit qu’Haïti envoie vers la France, en destination du port du Havre.

La France est, avec les Etats-Unis, un des pays qui portent une grande responsabilité dans l’exploitation forestière à outrance d’Haïti. Le bois campêche (colorant) est en volume 25 fois moins cher que l’acajou (bois d’ébénisterie). Avec le café, ce bois constitue la base des exportations en volume. En 1862, une loi autorise l’exploitation des forêts et des mines sans préférence pour les nationaux. Edmond Devèze, négociant français installé à Port-au-Prince, obtient la concession pour 10 ans de l’île de la Tortue. Peu à peu, l’interdiction de propriété aux étrangers est en passe d’être abolie. Dès 1850, et malgré la non-reconnaissance d’Haïti par les Etats-Unis, les exportations d’Haïti vers ce pays s’élèvent à 8 233 639 francs. Les Etats-Unis s’accaparent les trois-quarts du bois produit (pitte, bois jaune).

 Commerce d’Haïti avec les autres pays

 Echange et ouverture d’Haïti au commerce extérieur 1858 [18]

Importations vers HaïtiExportations depuis Haïti
Etats-Unis 55,76 % 21,75 %
Angleterre 19,84 % 36,74%
France 13,34 % 29,42 %
= 78,94 % = 87,91

Les échanges commerciaux se font essentiellement avec trois pays : la France, les Etats-Unis et l’Angleterre. Il est devenu tributaire des Etats-Unis pour les objets de consommation. D’ailleurs, le « voisin du nord » exporte proportionnellement plus vers Haïti que vers le Mexique.

 Comparaison des exportations des Etats-Unis vers Haïti et le Mexique en 1849 [19].

HaïtiMexique
Population 500 000 habitants 8 000 000 habitants
Exportations 6 454 667 francs 7 988 500 francs

2. Et le café remplaça le sucre…

Le sucre, qui était la denrée coloniale par excellence, est de plus en plus un produit de consommation locale. Le café devient l’avantage comparatif d’Haïti. En 1859, Haïti est le 4e pays exportateur de café. D’autres produits sont échangés, et notamment différents types de bois (campêche, acajou), du coton et du cacao. Mais la santé économique du pays repose sur le café. C’est alors « la monnaie réelle » [20] du pays. En somme, la vie de la nation tend à dépendre du petit paysan caféier. Sauf que, comme le montre le tableau ci-dessus, le prix du café s’effondre au 19e siècle.

PériodePrix des 100kg en francs (au port du Havre)
1821 291,20
1822 263,70
1823 233,40
1824 160,60
1825 140,50
1826 129,50
1827 118,90
1828 87,80
1829 89,40
1830 83,70
1831 104,30
1832 129,10
1833 153,90
1834 136,10
1835 134,20
1836 136,70
1840 115,30
1841 113,20
1842 91,60
1843 75,40
1844 73,00

En 1821, les 100 kg de café se vendent 291,20 francs au port du Havre. En 1844, la même quantité ne vaut plus que 73 francs. En un peu plus de vingt ans, le prix des 100 kg est divisé par quatre. Cela aura un double impact négatif sur le développement en Haïti.

Premièrement, les ressources de l’Etat reposent en grande partie sur la vente de café. Les recettes fiscales diminuent donc quand le prix du produit baisse. C’est la tendance générale au cours du 19e siècle, malgré de courtes périodes de rebond.

Deuxièmement, les petits paysans, principaux producteurs de café, et plus généralement le monde rural, sont les premières victimes de ce modèle de développement. Plus d’une fois, leurs colères et leurs résistances s’exprimeront face à l’élite possédante et dirigeante. Les deux révoltes paysannes les plus importantes ont lieu dans les années 1840, puis de nouveau 20 ans plus tard.

La révolte des années 1840

Elle débute dans la région des Cayes, puis s’étend à presque toute l’île du sud. C’est ce que l’on appelle le mouvement des « Piquets  ». Les paysans sont armés de longues piques comme seul objet pour attaquer. Cette fureur paysanne prend naissance dans le cadre du mouvement d’opposition qui met fin au règne de Boyer. Le régime agraire issu de la Révolution ne leur est pas favorable, et leur leader, Jean-Jacques Acaau, proclame le 15 avril 1844 : « la population des campagnes, réveillée du sommeil où elle était plongée, murmura de sa misère, et résolut de travailler à la conquête de ses droits  » ; « avec la Constitution, l’agriculture sera honorée et respectée, les denrées seront accrues tant dans leur production que dans leur valeur, et la troupe de ligne, suivant les besoins, sera l’instrument nécessaire pour obtenir, par une police active, cet heureux résultat  ».

L’objectif principal est alors la conquête de la terre par ceux qui la travaillent car l’essentiel de la richesse terrienne foncière est concentrée entre les mains d’un nombre limité de propriétaires et de privilégiés. Un prix plus juste pour les denrées paysannes, et plus bas pour les marchandises importées, est exigé. C’est une lutte pour la nation entière, et un appel à tous ceux qui souhaitent améliorer leurs conditions de vie. En somme, ils sont déterminés à faire la révolution agraire. Le 27 mars 1844, Jean-Jacques Acaau s’établit avec plus de 2 000 partisans au Camp Peri, d’où ils lancent des assauts meurtriers contre les forces gouvernementales. « Les piquets ont enlevé le sommeil à la classe dominante [21]  » et au printemps 1846, la crise s’intensifie. La réforme du 16 avril 1846 exhorte le pays à en finir une bonne fois pour toutes avec ces bandes féroces qui ensanglantent le sol du sud. Une répression féroce s’ensuit et, le 1er septembre 1846, le sénateur Céligny Ardouin rend hommage aux troupes qui venaient « d’accomplir la plus noble mission en faisant prévaloir l’ordre sur l’anarchie, en rétablissant la société sur ses véritables bases dont la première est le respect des personnes et des propriétés  » [22]. Acaau meurt en avril 1846, et la version officielle le dit… « suicidé ».

Le café est le produit dont dépendent les recettes fiscales et le paiement de la rançon de l’indépendance. En 1850, un impôt de 1/5 sur le café est instauré par la loi du 10 janvier. En 1859, une réforme le remplace par un droit fixe, puis par une taxe de 10%. Rien ne s’arrange dans l’économie malgré une hausse du prix de vente du café dans le port du Havre. Les révoltes continuent, le paiement de la dette est de plus en plus difficile.

PériodeFourchette de prix des 100 kg de café, en francs (au port du Havre)
1858 116-135
1859 144-148
1860 150-160
1861 160-162

3. La gestion particulière des finances publiques

Les finances publiques vont servir de réservoir à la plupart des chefs d’Etat haïtiens dès l’indépendance. Déjà sous Soulouque, président d’Haïti en 1847 puis empereur jusqu’en 1859, les finances publiques servent à alimenter son train de vie luxueux et sa politique démagogique. Mais à partir des années 1880, le pillage des finances publiques va atteindre un nouveau palier. Le 10 septembre 1880, les Chambres haïtiennes votent le projet de création de la Banque nationale d’Haïti (BNH). La Trésorerie de l’Etat et la création monétaire lui sont confiées pour un mandat de 50 ans. La banque assure aussi des activités commerciales courantes. La Société générale de crédit industriel et commercial de Paris participe au capital initial de la BNH à hauteur de 10 millions de francs. Son siège social est à Paris et le Conseil d’administration délègue un directeur à Port-au-Prince. La banque a presque tout de français. Aucun autre établissement ne possède les mêmes privilèges que la BNH. La banque peut contracter, acquérir et posséder des immeubles sur tout le territoire d’Haïti. Elle dispose de tous les droits accordés par la loi aux citoyens d’Haïti. Son but premier est de rémunérer ses actionnaires à Paris.

Le 26 septembre 1895, le gouvernement Hyppolite fait voter une loi autorisant un emprunt de 50 millions de francs au taux maximum de 9% par an. L’arrêté du 12 mars 1896 précise les modalités de cet emprunt. Il devait servir à payer les dettes et les emprunts locaux contractés entre octobre 1889 et janvier 1896 pour un montant total de 15,3 millions de dollars [23]. Cette somme avait été souscrite sous le gouvernement Hyppolite afin de combler le déficit budgétaire issu de sa politique de grands travaux. Mais le chef d’Etat meurt d’une crise cardiaque le 24 mars et c’est son successeur, le général Tirésias Simon Sam, qui va concrétiser cet emprunt. Seulement 40 millions rentreront dans les caisses de l’Etat. Les 10 millions restants serviront à payer diverses commissions. Le placement de l’emprunt est confié à la BNH.

Plusieurs affaires de corruption vont entacher l’honnêteté de la BNH. Pendant toute la durée du mandat de Tirésias Sam, du 31 mars 1896 au 12 mai 1902, on assiste à « une prolifération complexe et touffue de lois et arrêtés mêlant des recours à l’emprunt, des modifications de la taxation des douanes, des tentatives de retrait du papier monnaie et des décisions de consolidation et de rééchelonnement de dettes [24] ». Et la banque ne recule devant rien pour asseoir son pouvoir. Le directeur local de la BNH, Joseph de la Myre-Mory, propose en 1899 un plan qui vise à consolider les dettes. Une réduction de la valeur nominale de la dette ainsi qu’un nouveau délai de remboursement plus long sont proposés. En échange, sous prétexte de mauvaise gestion et de contrebande, le contrôle des douanes passe sous l’autorité de la BNH. Le gouvernement ne peut accepter une telle ingérence et la proposition est refusée. Au 31 décembre 1898, l’endettement atteint 17,5 millions de dollars et 9,2 millions de gourdes [25]. En juillet 1899, il s’accroît jusqu’à 19,3 millions de dollars et 14,2 millions de gourdes.

L’endettement ne cesse de s’accroître tandis que la gestion de la dette publique va donner lieu à une immense source de pillage. L’alliance entre les généraux et les banquiers va ainsi aboutir au versement de diverses commissions à leurs profits. Pour Leslie Péan, « depuis sa création en 1880, [la BNH] s’était égarée dans des successives affaires de corruption financière avec une régularité et une fidélité qui soulèveront bien des émotions  » [26]. Dans son ouvrage Haïti : économie politique de la corruption, L’Etat marron, 1870-1915, l’économiste haïtien nous livre l’analyse de G. Fouché qui déclare que « cet établissement n’a fait qu’un seul travail en Haïti : élever le vol à la hauteur d’une institution » [27].

Outre cette banque, le marché du crédit est dans les mains des « agents de la dépendance [28] », des commerçants installés sur les bords de mer. Ils sont principalement étrangers et se sont spécialisés dans l’octroi de prêts à taux exorbitants. Mais en 1874, le gouvernement d’Haïti s’endette de plus en plus envers les banques étrangères, notamment françaises. Les usuriers et les escrocs ont alors les mains libres pour piller le pays. Haïti va constamment être la cible d’extorsions de la part des marchands des bords de mer, pour la plupart étrangers. Ils agissent en toute impunité en Haïti. Dès qu’ils se sentent inquiétés, ils demandent la protection des navires de guerre de leurs compatriotes qui circulent dans la mer des Caraïbes. A partir des années 1880, les exemples d’étrangers réclamant des indemnités de toutes sortes vont se multiplier.

Deux affaires sont particulièrement représentatives :

  • L’affaire du citoyen allemand Emile Luders

En 1897, sous le gouvernement de Tirésias Sam, le citoyen allemand Emile Luders est arrêté et condamné par un tribunal correctionnel de la capitale pour avoir agressé physiquement son gardien, un Haïtien. L’Allemagne, à travers son consul, se mêle de l’affaire et demande la libération de son compatriote. Le malaise s’installe et malgré la libération de Luders, l’Allemagne va envoyer ses bateaux de guerre se présenter dans la baie de la capitale le 6 décembre 1897. L’Allemagne inflige alors à Haïti une double humiliation : elle oblige le gouvernement à capituler en hissant le drapeau blanc et lui impose une amende de 20 000 dollars.

  • L’affaire de l’Anglais Emil Peters

Le 5 mai 1914, l’associé d’Emil Peters, Herman met le feu à une de ses usines près de Mirebalais. Peters se présente ensuite devant les autorités haïtiennes et demande un dédommagement à hauteur de 125 000 dollars. Les forces navales anglaises n’ont pas hésité à donner un ultimatum de 24 heures au gouvernement qui a vite cédé à la demande.

Conclusion

Le 19e siècle en Haïti commence avec la lutte pour l’indépendance et s’achève sur les prémices de l’occupation des Etats-Unis. Pendant cette vaste période, une constante dirige l’économie haïtienne : les intérêts extérieurs, notamment français. La fin de l’esclavage et de la colonisation française laisse place à la concurrence européenne et américaine dans la course qui consiste à piller le pays. Comme du temps de la colonisation, l’économie du pays est tournée vers l’agriculture d’exportation. Le seul changement notable est que le café remplace le sucre. L’exportation de cette denrée permet d’obtenir des devises, à travers des droits de douane, qui constituent la source principale des finances publiques. Et son prix ne cesse de chuter pendant cette période, malgré des périodes de rebond.

La classe paysanne et plus généralement la population rurale qui compose l’essentiel de la population d’Haïti vont tout au long du siècle se révolter et prendre les armes. Les mouvements des Piquets et des Cacos se battent pour qu’un nouveau rapport de propriété émerge de la société haïtienne.

La France garde une certaine prépondérance dans la course à la domination d’Haïti mais il faut reconnaître que les Etats-Unis gagnent de plus en plus de terrain. Principal fournisseur d’Haïti, le voisin du nord s’installe peu à peu dans les affaires haïtiennes jusqu’à devenir le partenaire privilégié.

Les gouvernements haïtiens vont être incapables de faire accumuler du capital à l’Etat principalement à cause de la rançon de l’indépendance infligée par la France. En plus d’être totalement illégitime, cette « dette » ouvre la voie à l’endettement et à la perte de la souveraineté économique et financière du pays. A la fin du 19e siècle, la gestion de l’émission de monnaie et la Trésorerie de l’Etat sont même délocalisés à Paris et confiés aux capitalistes français. Cette « banque nationale » va ensuite servir les intérêts de ses actionnaires parisiens et de la bourgeoisie résidant en Haïti, sans se préoccuper des intérêts de la majorité des Haïtiens. Enfin, les réclamations des étrangers commerçant en Haïti vont être courantes. Les pressions exercées sur le nouvel Etat par les intérêts extérieurs vont réduire à néant les capacités d’autodétermination de la population. Les racines de ce que l’on appelle sous-développement en Haïti sont aussi à chercher dans cette période-là. Et l’occupation américaine qui intervient dès 1915 ne va pas arranger les choses.

 III. L’occupation américaine 1914-1935

Les Etats-Unis ont déclaré leur indépendance envers la couronne britannique en 1776, soit 28 ans avant Haïti. Pourtant, l’esclavage n’y sera réellement aboli qu’en 1865. Il faut attendre presque 60 ans (1862) avant que les Etats-Unis reconnaissent enfin l’indépendance d’Haïti. Le 2 décembre 1823, sous prétexte de lutter contre les ingérences européennes, et fidèle à ce qu’on appellera plus tard la doctrine Monroe, Washington entend instaurer son hégémonie sur tout le continent américain. Petit à petit, le continent, et surtout l’Amérique centrale et les Caraïbes, est une zone « stratégique aux intérêts états-uniens ». Une série d’interventions a lieu à Porto Rico en 1824, en Argentine en 1831. Entre 1846 et 1848, ils s’en prennent au Mexique et annexent les Etats de la Californie, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona, ainsi qu’une partie de l’Utah, du Nevada et du Colorado. Puis la Colombie, le Nicaragua, Cuba et le Chili voient successivement l’armée états-unienne débarquer.

Son activité s’intensifie sur le continent à mesure que les intérêts de sa classe dominante et de ses entreprises deviennent de plus en plus gourmands. Haïti est potentiellement considéré comme une base navale. En 1868, le président Andrew Johnson évoque même l’idée d’une annexion de toute l’île pour assurer une présence états-unienne dans les Caraïbes. Sa suggestion n’est pas suivie, mais les navires de guerre états-uniens ont été actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans les eaux haïtiennes 17 fois entre 1862, date de la reconnaissance d’indépendance, et 1915, date de l’occupation du territoire haïtien.

L’instabilité qui s’installe dans le pays prépare peu à peu l’intervention états-unienne du début du 20e siècle. Entre 1908 et 1915, Haïti connaît une période de grande instabilité. Neuf présidents vont se succéder. Et les luttes entre les diverses factions militaires ont repris de plus belle. À partir de 1911, une période de crise générale s’installe en Haïti. Le mouvement des paysans Cacos refait parler de lui, particulièrement en la personne de Charlemagne Péralte. Les États-Uniens ont commencé à répandre leurs intérêts dans le pays, en construisant des voies ferrées et en expropriant les paysans sans titres de propriété. Le contrat Mac Donald [29] de 1910 porte sur la concession de lignes de chemin de fer. Les terres « non occupées » situées à 20 km de part et d’autre des lignes sont exploitées pour la plantation de bananes. La concession est valable 50 ans moyennant 1 dollar par an de redevance et par carreau [30]1 carreau = 12 939 mètres carrés exploité. Cet acte remet en cause le principe de Dessalines qui interdit le droit de propriété aux étrangers. Et il ne faut pas oublier qu’à cette époque, les voisins comme le Nicaragua, le Panama et le Honduras sont transformés par les Etats-Unis en « républiques bananières ». Néanmoins, la plantation de bananes n’eut pas lieu, l’objectif premier étant d’acquérir l’exploitation des lignes de chemin de fer. En 1906, un contrat similaire est signé pour le chemin de fer de la Plaine du Cul-de-Sac. Seule la Haïtian Sugar Compagny (HASCO) utilise cette ligne. Ou encore la Banque nationale d’Haïti qui devient la Banque nationale de la République d’Haïti (BNRH) suite à une décision de 1910. Elle garde ses privilèges régaliens mais passe sous la domination de la National City Bank de New York qui détient 40% de la nouvelle banque. Ces différents exemples illustrent le début d’un contrôle poussé de l’économie haïtienne par les Etats-Unis qui va déboucher sur une occupation politique, militaire, économique, financière et culturelle du pays. Car pour les Etats-Unis, la défense des intérêts américains à l’étranger est une doctrine fondatrice de la politique étrangère.

Déjà le 17 décembre 1914, les Marines américains débarquent du navire « Machias » avec pour mission de récolter une certaine somme dans le coffre de la BNRH. Un total de 500 000 dollars sera ainsi transféré et déposé à la National City Bank. Le 3 février 1915, le mandat de trésorier est retiré à la BNRH. Les Etats-Unis sont intervenus pour défendre les intérêts de la banque d’affaires Banques d'affaires
Banque d'affaires
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
américaine Kuhn, Loeb & Co mais aussi pour empêcher le mouvement des Cacos, à travers la personne de Rosalvo Bolbo, d’accéder à la direction formelle du pays. Les Cacos sont tout autant hostiles au régime haïtien en place qu’à l’impérialisme des Etats-Uniens. Les Marines débarquent de nouveau le 28 juillet 1915. C’est un tournant pour Haïti : la domination française fait désormais place à une domination états-unienne.

Seulement six mois après le début de l’occupation, les États-Uniens font élire un nouveau président, Philippe Sudre Dartiguenave, et font voter un traité qui donne à l’occupation une base légale. Ce traité permet aussi aux Etats-Unis de mettre la main sur la gestion des douanes et de l’administration. Dès 1917, le président tente de faire accepter une nouvelle Constitution. Sa rédaction a été fortement influencée par le futur président états-unien Franklin D. Roosevelt, à l’époque secrétaire adjoint à la Marine des Etats-Unis. Le projet est rejeté mais Dartiguenave envoie la gendarmerie dissoudre l’Assemblée. Finalement, la Constitution à l’américaine d’Haïti est approuvée par un référendum bien que l’abstention atteigne 95%. Elle autorise notamment le droit de propriété aux étrangers, principe interdit dans les diverses Constitutions depuis Dessalines.

Les Etats-Unis vont mettre en place un régime répressif pour désarmer le pays, et notamment les armées des campagnes. Les États-Uniens veulent donc substituer une gendarmerie structurée aux diverses armées de paysans. Dans la perception de l’occupant, tous les paysans étaient des bandits. Et le désarmement des campagnes va surtout consister en une campagne de répression violente envers ceux-ci. Une Ecole militaire est créée pour former les cadres de la Garde nationale, la gendarmerie. Sa mission est d’instaurer « la démocratie par la force » parmi les Haïtiens. La majorité des paysans haïtiens sont noirs et le préjugé de couleur répandu chez les Marines ne va pas aider à apaiser le climat. Le gouvernement va remettre la corvée à l’ordre du jour dès 1918 pour la construction de routes. Le mouvement Caco est toujours en lutte contre les occupants et Charlemagne Péralte, dirigeant Caco, va particulièrement s’illustrer. En octobre 1919, accompagné de son compagnon Benoît Batraville, il mène une expédition et attaque la capitale haïtienne, centre du pouvoir de l’occupation. Bien que son mouvement soit faiblement armé (machettes et fusils), il va inlassablement harceler les forces occupantes. Charlemagne Péralte proclame même un gouvernement provisoire dans le Nord d’Haïti. Il sera trahi et tué par les États-Uniens en octobre 1919, mais Benoît Batraville assure la continuité de la lutte.

En prenant le contrôle des douanes, les Etats-Unis mettent la main sur un secteur stratégique de la politique économique et financière d’Haïti. Les initiatives économiques prises à l’époque de l’occupation vont presque exclusivement servir les intérêts de Washington.

Prenons l’exemple du contrat de la Société haïtiano-américaine de développement agricole (SHADA). Leslie Péan nous éclaire à ce sujet. « D’abord les activités de la [SHADA] se concentrèrent sur la production du sisa [31]. La SHADA avait signé un contrat avec la Defense Supplies Corporation des États-Unis, une filiale de la RFC, pour produire 25 millions de livres de sisal pour la période se terminant au 15 novembre 1945. La SHADA sera financée par les investissements américains et obtiendra des concessions spéciales incluant l’accès gratuit à des terres de l’État, l’exemption d’impôts et le droit exclusif d’acheter et de vendre le caoutchouc. La SHADA fit l’acquisition de plantations d’hévéa et de sisal, de 15 000 acres de forêts en pin avec des scieries, deux usines de décorticage et de quelques kilomètres de voie ferrée. Toutefois, l’essentiel des activités de la SHADA concerne la production de la plante à caoutchouc pour laquelle elle fit l’acquisition de plus de 100 000 acres de terre. » [32] La société possède donc une vaste étendue de terre qui va servir à la culture intensive d’une denrée d’exportation. Les conséquences pour l’environnement sont terribles et durant toute l’occupation américaine, la situation écologique ne va faire qu’empirer.

Les Etats-Unis ont donc imposé une domination politique, économique, financière, culturelle et militaire au peuple haïtien. Les troupes américaines quittent le territoire haïtien le 21 août 1934. Mais après ce départ, le contrôle des finances publiques en Haïti reste aux mains d’officiels états-uniens jusqu’au 12 juillet 1947 [33]. L’armée a peut-être physiquement quitté les lieux mais son influence et son empreinte restent présentes. Le remodelage de la société haïtienne opéré par les Marines ne sera pas sans conséquence dans les évènements qui vont suivre tout au long du 20e siècle. Et en particulier en ce qui concerne la dictature des Duvalier qui sera activement soutenue par les anciens occupants.

 IV. La dictature des Duvalier

François Duvalier est élu le 22 septembre 1957 avec 69,1% des voix. Il confisque progressivement les pouvoirs judiciaire et législatif. Il instaure l’état de siège et exige du Parlement l’autorisation de gouverner par décrets. Il va utiliser le prétexte de la lutte contre le communisme pour obtenir le soutien des Etats-Unis. A l’intérieur, il consolide son pouvoir grâce à sa milice personnelle : les Tontons macoutes. Le mysticisme vaudou et la sorcellerie sont mis au service de sa politique pour écraser les fortes personnalités. « Papa Doc  » veut qu’on lui voue un culte, le culte religieux du chef. Il va constamment mener une politique de propagande anti-mulâtre qui aura comme conséquence le massacre de Jérémie [34], dans le sud du pays. Mais la question de la couleur renvoie au problème du pouvoir dans la société haïtienne.

La caractéristique fondamentale de l’Etat à cette période est d’empêcher toute contestation. Sous le régime des Duvalier, les malversations financières sont criantes. Le duvaliérisme sera l’Etat de toutes les corruptions. A cette époque, Haïti revêt un intérêt particulier pour le crime organisé. La mafia nord-américaine va dès 1957 établir de solides relations avec le président haïtien. Celui-ci va parallèlement mettre en œuvre des mesures d’extorsion contre tous les commerçants haïtiens. Ainsi, toutes les ressources du pays vont peu à peu être centralisées autour du clan au pouvoir.

La période Duvalier : l’apologie de la corruption

Le premier acte de la mafia nord-américaine envers François Duvalier va être de lui fournir de l’argent pour la création d’un aéroport international. En 1961, il décide d’établir des rapports étroits avec le mafioso David Iacovetti, représentant la famille mafieuse de Carlo Gambino de New York, pour la mise en place en Haïti d’une loterie basée sur les courses de chevaux du Kentucky Derby. Selon Leslie Péan, Duvalier perçoit personnellement une partie des 6 millions de dollars collectés à l’occasion [35]. Les Bonanno, autre famille de la mafia new-yorkaise, gagnent la concession des machines à sous et des casinos. En échange de ce service, cette famille collabore dans une opération visant à transformer des avions civils en avions militaires en les équipant de mitrailleuses. Clinton Murchison est un multimillionnaire de la ville de Dallas, au Texas. C’est un ami de la famille mafieuse new-yorkaise Genovese. Soupçonné maintes fois d’être lié à des activités louches entre la mafia et les services secrets états-uniens, il ne sera pourtant jamais mis en danger et sera un fidèle soutien de François Duvalier. Pour Leslie Péan, « les conséquences du partenariat triangulaire Duvalier-mafia-services secrets pour combattre le communisme ont été le pillage du pays et la croissance de la corruption sans frontière » [36].

Sans frontière car la mafia française n’est pas en reste. A la fin des années 1960, la pègre française occupe une très bonne place dans le marché de l’héroïne à destination des Etats-Unis. Duvalier va en profiter pour s’allier au crime organisé français. André Labay, qui avait travaillé pour les services de renseignement français des réseaux Foccart au Maghreb, au Congo Kinshasa et au Yémen est parachuté en Haïti en 1966 avec une couverture d’homme d’affaires. Pendant cinq ans, de 1966 à 1971, il sera l’agent principal du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), la CIA française, opérant en Haïti. Son entreprise Fenwick Corporation S.A. sert de couverture au trafic de drogue [37].

Seul le pillage des finances publiques compte, et le secteur agricole dont dépend le quotidien des Haïtiens se dégrade fortement. Dans le milieu rural, la milice de répression du pouvoir fait des ravages. La population la craint fortement et sait qu’un Tonton macoute parvient à obtenir tout ce qu’il veut. Les macoutes décident de la production, des prix et de la valeur dans leur secteur.

En 1970, François Duvalier est malade et il fait changer la Constitution pour que son fils Jean-Claude, alors âgé de 19 ans, lui succède. « Papa Doc » laisse la place à « Baby Doc » le 21 avril 1971. Celui-ci va continuer dans la lignée de son père à tel point qu’il figure en 6e position dans la liste des 10 plus grands dirigeants corrompus de la planète publiée par Transparency International en 2004.

Le 1er juillet 1969, « Papa Doc » reçoit Nelson Rockefeller, en tournée dans l’Amérique latine pour l’administration Nixon. Peu de temps après, «  Baby Doc » met en application des politiques en faveur des industries d’exportation pour les marchés extérieurs. Ce modèle économique organise la dépendance d’Haïti envers les marchés extérieurs. Et tandis que se développent les usines d’assemblage, spécialisées pour la plupart dans la confection vestimentaire, l’importation des vêtements de seconde main fournit plus de 50% des vêtements portés par les Haïtiens [38]. Même si des investissements arrivent dans le pays, ils en repartent aussitôt à travers le mécanisme de rapatriement des bénéfices.

Les industries d’assemblages pour l’exportation se multiplient entre les années 1970 et 1985. Cependant, l’industrie d’assemblage n’a pu créer que 40 000 à 50 000 emplois pendant la période citée, soit au plus 3 000 par an. C’est peu lorsque l’on considère que le taux de chômage et de sous-emploi concerne plus de 60% de la population. D’autant plus que ces entreprises fabriquent principalement les produits manufacturés avec des matières premières importées. Une étude de Fritz Deshommes [39], s’appuyant sur les données de la Banque de la République d’Haïti, nous informe que la valeur brute des exportations d’articles manufacturés à base de matières premières importées des Etats-Unis atteint en moyenne 1 311 millions de gourdes. A l’inverse, la valeur brute des exportations vers les Etats-Unis d’articles manufacturés à base d’intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. locaux est estimée en moyenne à seulement 150 millions de gourdes.

Après avoir vidé le coffre du pays pendant presque 30 ans, la famille Duvalier est contrainte de s’exiler, suite à un mouvement populaire de grande ampleur. Dans un premier temps, l’exil en France de Jean-Claude Duvalier est annoncé à titre provisoire, pour raisons humanitaires. En 1992, le Conseil d’Etat rejette même sa demande d’asile. « Baby Doc » est devenu un « sans papier sous haute protection [40] » en France. Officiellement, les autorités le recherchent, mais on sait qu’il a séjourné pendant près de 10 ans dans une villa sur la Côte d’Azur, sans être nullement inquiété.

Les Duvalier font partie du club des dictateurs activement soutenus par les Etats-Unis et les institutions financières internationales pendant la Guerre froide [41]. Jusqu’en 1986, ils vont organiser le pillage des ressources du pays, avec l’aide de la mafia et la complicité active des gouvernements occidentaux et des IFI. La violente dictature Duvalier, largement soutenue par les grandes puissances, a sévi pendant près de 30 ans. Entre 1957 et 1986, la dette extérieure a été multipliée par 17,5. Au moment de la fuite de Duvalier, cela représente 750 millions de dollars. Une enquête récente [42] a démontré que la fortune personnelle de la famille Duvalier (bien à l’abri sur les comptes des banques occidentales) représentait environ 900 millions de dollars, soit une somme plus élevée que la dette totale du pays au moment de la fuite du clan Duvalier. Transparency International évalue entre 300 à 800 millions de dollars les fonds détournés par Jean-Claude Duvalier. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, lui, évalue plutôt la fourchette entre 500 millions de dollars et 2 milliards dollars. Des fortes sommes comparées au PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
d’Haïti, classé parmi les pays les moins avancés.

Hormis les nombreux comptes bancaires en Suisse, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou en France, les Duvalier possédaient de belles propriétés. En France, le château de Théméricourt (Val d’Oise), un appartement au 56 avenue Foch à Paris, deux appartements à Neuilly, un 240 m2 dans le XVIe à Paris (appartenant à la veuve de Papa Doc) [43]. À New York, un appartement situé dans la Trump Tower, sur la 5e Avenue à Manhattan. Ils possédaient aussi un luxueux yacht, le Niki, à Miami [44].
Cet endettement, loin de servir à la population qui s’est appauvrie, était donc destiné à enrichir le régime en place : il constitue donc une dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
 [45]. Le droit international reconnaît la nécessité de prendre en compte la nature du régime qui a contracté les dettes et l’utilisation qui a été faite des sommes versées. Les créanciers tout comme les IFI sont de fait responsables tout autant que le régime contractant. D’autant plus lorsqu’ils ne peuvent nier qu’ils traitent avec un régime illégitime. En l’occurrence, le cas de Duvalier en Haïti est un cas d’école qui illustre parfaitement la doctrine de la dette odieuse.


Notes

[1Propos d’un colon de Saint Domingue repris par CLR James dans Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue, 1938, Editions Caribéennes, p. 15.

[2Propos du Gouverneur de la Martinique. Ibid.

[3Le terme « Mulâtre » désigne l’individu né d’un père noir et d’une mère blanche, ou d’une mère noire et d’un père blanc, ou de deux parents mulâtres.

[4Les Jacobins noirs et la Révolution de Saint-Domingue, p. 219.

[5Ibid., p. 296.

[6Ibid., p. 306.

[7Ibid., p. 310.

[8Joachim Benoit, Les racines du sous-développement en Haïti, p.59.

[9Constitution d’Haïti.

[10Le caporalisme agraire est une mesure qui a été introduite par Toussaint Louverture et qui vise à la conversion forcée des soldats en cultivateurs dans les ateliers établis sur les grandes plantations.

[11Marc Dufumier, Agricultures et paysanneries des Tiers mondes, Karthala, 2004.

[12Cette indemnité équivaut à 10 années de recettes fiscales pour l’Etat Haïtien, avant avantages commerciaux. Mais ce montant est calculé sur les montants des exportations durant les années de la colonie. Ce calcul est aussi faussé par la croyance que Christophe avait un trésor à la citadelle Lafferière. Source : Joachim Benoit, Les racines du sous-développement en Haïti.

[13Les racines du sous développement en Haïti, p.163

[14François Blancpain, Un siècle de relations financières entre Haïti et la France : 1825-1922.

[15Cette somme peut être plus importante car calculée d’après l’unité monétaire en vigueur, soit la livre tournois.

[16Dictionnaire universel théorique et pratique du commerce et de la navigation, volume 2, 1861.

[17Les racines du sous-développement en Haïti, p.196.

[18Dictionnaire universel théorique et pratique du commerce et de la navigation, volume 2, 1861.

[19Ibid

[20Propos du Consul général Levasseur tenus en 1846. Repris dans Les racines du sous-développement en Haïti, p.201.

[21Les racines du sous-développement en Haïti, p.233.

[22Ibid., p 234.

[23François Blancpain, Un siècle de relations financières entre Haïti et la France : 1825-1922, p.112.

[24Ibid., p.116. 

[25Ibid., p.120.

[26Leslie Péan, Haïti : économie politique de la corruption : L’Etat marron, 1870-1915, p.274.

[27Ibid.

[28Michel-Rolph Trouillot, Les racines historiques de l’Etat Duvaliéren, Editions Deschamps, 1986, p. 72

[29François Blancpain, Haïti et les Etats-Unis : 1915-1934 : histoire d’une occupation, p.20

[3030

[31Le sisal est une plante. Cette fibre est très résistante et peut servir à la fabrication de cordage, de tissus et de tapis.

[32Leslie Péan, Haïti. Économie politique de la corruption Tome III. Le Saccage (1915-1956), p.255.

[33Cette date correspond à celle où le Président Dumarsais Estimé avait accepté le remboursement anticipé du solde de l’emprunt de 1922. Source : http://www.lenouvelliste.com/articles.print/1/74442

[34Le massacre de Jérémie correspond à l’assassinat de plusieurs centaines de personnes qui ont commis le seul crime d’être mulâtre. Ce massacre a duré pendant trois mois en 1964.

[35Leslie Péan, Haïti : économie politique de la corruption : L’ensauvagement macoute et ses conséquences. Volume IV p. 240.

[36Ibid., p.244.

[37bid., p. 219.

[38Ibid., p. 467.

[39Fritz Deshommes, Néo-libéralisme : crise économique et alternative de développement, 2e édition, p.116

[40Elisabeth Fleury, 11 mai 1999, « Bébé Doc : Un sans papier sous haute protection », L’Humanité.

[41Eric Toussaint, Banque Mondiale, le coup d’Etat permanent.

[42CCFD, Biens mal acquis, à qui profite le crime, juin 2009

[43CCFD, Biens mal acquis, à qui profite le crime, juin 2009, page 53

[44Leslie Péan, Haïti : économie politique de la corruption : L’ensauvagement macoute et ses conséquences. Volume IV.

[45Voir Damien Millet et Eric Toussaint, 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM-Syllepse, 2008. Voir pages 287 à 292

Sophie Perchellet

CADTM France (Paris)

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