Mort aux politiques de « coopéraption » de la France
23 juillet 2010 par Pauline Imbach , Sophie Perchellet
A l’occasion de la cérémonie du 14 juillet 2010 et pour célébrer le cinquantenaire des indépendances africaines, les autorités françaises ont convié plusieurs chefs d’Etat africains à une grande « réunion de famille » : 12 dirigeants des 14 anciennes colonies françaises étaient présents [1] . Le CADTM se joint à d’autres organisations [2] pour dénoncer le leurre des indépendances et exiger que la France reconnaisse enfin ses responsabilités historiques et actuelles dans l’appauvrissement des populations africaines.
Les contingents des « frères d’armes » ont ouvert le défilé et la cavalerie française a pris la suite des opérations. Durant cette macabre mascarade, le public a ovationné les chefs d’Etat et leurs contingents militaires pourtant responsables de violences et de répressions vis-à-vis des populations.
Tout comme la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004, le cinquantenaire de l’indépendance des pays africains laisse un goût amer. Dans les années 60, après des décennies de luttes, les indépendances voient le jour, mais ce n’est que la partie visible de la colonisation qui disparaît.
Elle perdure bel et bien à travers différents mécanismes permettant toujours plus de pillage et d’exploitation.
« Y a bon président ! »
Depuis les indépendances, des hommes « de confiance » sont installés au pouvoir et protégés par la métropole néocoloniale et son réseau d’influence, alors que les leaders africains qui prônaient la mise en place de politiques progressistes basées sur la souveraineté des peuples ont été assassinés [3] . Ainsi, des potentats soutenus par les chefs d’Etat français successifs, dirigent leurs pays d’une main de fer depuis plusieurs décennies (Sassou NGuesso au Congo, le clan Bongo au Gabon, Idriss Deby au Tchad, Étienne Gnassingbé Eyadema puis son fils Faure Gnassingbé au Togo, Paul Biya au Cameroun). En bonne tradition françafricaine, cette politique se perpétue comme le montre le récent coup d’Etat d’Abdel Aziz en Mauritanie [4]. La France n’en finit donc pas d’étaler sa complicité avec des dictateurs qui ruinent délibérément différents pays d’Afrique. Ces derniers n’hésitent d’ailleurs pas à investir leur fortune colossale en France sans être inquiétés par la justice française [5] . L’ONG Transparency International estimait en 2006 le montant des détournements de fonds en Afrique à 140 millions de dollars.
Main basse sur les ressources !
La colonisation a été un jack-pot économique basé sur le pillage des ressources naturelles. La France n’a jamais eu l’intention de renoncer à son pré carré et à l’exploitation des ressources de ses anciennes colonies. Avec la complicité des Institutions financières internationales (IFI), du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
et des multinationales (Total, Areva, Bouygues …), elle a mis en place une série de mécanismes permettant une « coopéraption » sans merci pour les peuples africains.
La dette est un mécanisme pervers de transfert des richesses. De 1960 à 1980 la dette extérieure des pays africains a augmenté de manière exponentielle. Proche de zéro en 1960, elle atteignait 10 milliards de dollars en 1970 et 89 milliards de dollars en 1980. Le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
(somme du capital et des intérêts remboursés) est alors passé d’1 milliards de dollars en 1970 à 11 milliards en 1980 [6] . En 2008, le stock de la dette
Stock de la dette
Montant total des dettes.
extérieure de l’Afrique Subsaharienne atteignait 190 milliards de dollars. Ainsi, au titre du service de la dette, plus de 18 milliards de dollars ont été transférés aux créanciers pour la seule année 2008 [7] Une grande partie de cette dette, déjà mainte fois remboursée [8], est selon le droit international une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
(c’est-à-dire contractée par un régime non démocratique, en toute connaissance de cause des créanciers et sans bénéfice pour la population). Cette dette doit donc être déclarée nulle selon le droit international !
Au nom de l’amitié franco-africaine ...
Les politiques paternalistes, menées au nom du sacro-saint « lien d’amitié » entre la France et l’Afrique, masquent à peine la volonté de domination française. Les gouvernements français successifs, courroies de transmission des intérêts des multinationales, utilisent l’aide publique au développement (APD
APD
On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible.
) pour légitimer leur domination politique et économique sur le continent. Les montants promis (0,7% du RNB) ne sont jamais atteints, et pourtant gonflés par des dépenses qui ne représentent aucun flux financier vers le pays récipiendaire (allégement de dette, frais de scolarité des étudiants étrangers, frais de répression des réfugiés et des migrants…). De plus, l’aide publique est bien souvent conditionnée à l’achat de biens et services auprès d’entreprises françaises, malgré l’interdiction de cette pratique par l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
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Indépendances ... Tcha tcha tcha
La France a donc célébré le néocolonialisme en faisant défiler, comble du cynisme, les criminels de guerre comme les milices Cobra qui ont sauvé le régime du dictateur Sassou Nguesso en 1997 au Congo-Brazzaville ou encore les troupes tchadiennes, composées de milliers d’enfants-soldats.
En ce 14 juillet, jour qui symbolise la révolution française et la chute de l’« Ancien Régime », la France légitime les élites et les bourreaux ...
A l’heure où la dette menace les pays dits « développés », il est grand temps de renforcer les liens de solidarité entre les peuples et de s’inspirer des luttes libératrices de chacun. Corruption et corrupteurs, pillage et surexploitation des ressources, dette et plans d’austérité ne sont pas une malédiction africaine mais bien le poumon du système capitaliste, furieusement entretenus par les nantis de ce monde.
[1] Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo. Les présidents de Côte d’Ivoire et de Madagascar ne sont pas présents.
[3] Patrice Lumumba en 1961, Sylvanus Olympio en 1963, Thomas Sankara en 1987…
[6] L’Afrique sans dette. CADTM. Damien Millet.
[7] D’après le GDF 2009 de la Banque Mondiale !
[8] Les « pays en voie de développement » ont remboursé l’équivalent de 106 fois ce qu’ils devaient en 1970, mais entre temps leur dette a été multipliée par 52.
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