Bien que n’étant pas à l’origine de la crise financière qui secoue
l’économie mondiale, les pays en développement (PED) n’en sont pas moins
les premières victimes. La récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
les frappe en effet durement via
divers canaux de transmission, tels que la chute de leurs recettes
d’exportation, la baisse des transferts des migrants, ou encore le
tarissement des investissements étrangers. Rien d’étonnant dès lors que
les prévisions de croissance soient si mauvaises pour les PED : en
excluant la Chine et l’Inde, l’évolution de leur produit intérieur brut
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
serait ramenée à 0 en 2009, après +4,6% en 2008 [1]. Quant à l’impact
social de la crise, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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estiment que 55 à 90
millions de personnes supplémentaires devraient tomber cette année dans «
l’extrême pauvreté » [2].
Des moyens insuffisants pour contrer la crise
Les perspectives sont d’autant plus moroses pour les pays en développement
que la grande majorité d’entre eux ne disposent pas de moyens suffisants
pour financer des plans de relance ambitieux de leur économie. En
l’absence de ressources internes et externes additionnelles, ils risquent
dès lors de se remettre beaucoup plus difficilement de la récession
globale. Or, jusqu’à présent, les moyens supplémentaires mis à leur
disposition sont assez limités : sur les 1100 milliards de dollars
annoncés par le G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
de Londres le 2 avril dernier pour relancer l’économie
mondiale, seulement 50 milliards reviendraient directement aux pays à
faibles revenus [3]. En outre, cet apport additionnel – constitué pour
l’essentiel de prêts assortis de conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
– devrait être décaissé
sur une période allant de deux à trois ans. Or, rien que pour l’année
2009, le FMI évalue à 216 milliards de dollars la facture de la crise
financière pour les pays les plus pauvres [4].
Il incombe dès lors aux pays donateurs de poursuivre leurs efforts pour
atténuer les effets de la récession sur ces derniers. A ce sujet, l’aide
ne constitue pas le seul levier à leur disposition pour remplir cet
objectif. L’annulation de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays pauvres en est également un
autre. En effet, malgré la mise en œuvre des initiatives d’allègement PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
et IADM, le poids du remboursement de la dette continue à détourner une
part conséquente de leurs finances publiques. Il suffit pour s’en
convaincre de jeter un rapide coup d’œil aux statistiques fournies par la
Banque mondiale à ce sujet : selon cette dernière, le service total de la
dette des pays à faibles revenus serait passer de 21 milliards de dollars
en 1990 à 31 milliards de dollars en 2007 [5].
Vers un nouveau cycle d’endettement ?
La récession économique actuelle risque d’ailleurs d’alourdir le fardeau
du remboursement de leur dette pour deux raisons principales. Tout
d’abord, compte tenu de la détérioration des termes de l’échange, nombre
de pays pauvres risquent de disposer de moins de devises pour rembourser
leurs créanciers. Le cas de la Zambie est particulièrement illustratif à
ce sujet : la baisse du cours du cuivre a entraîné une chute de ses
revenus d’exportation, ce qui risque de rendre très rapidement
insoutenable la gestion de sa dette extérieure. D’autant que le ratio
dette/exportations de ce pays atteint déjà près de 300%, soit le double du
seuil de 150% fixé par la Banque mondiale pour définir un niveau
d’endettement viable [6].
Deuxième source d’aggravation du service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
: nombre de pays
pauvres devraient contracter dans les mois à venir de nouveaux emprunts
(notamment auprès du FMI et de la Banque mondiale) pour atténuer les
répercussions de la crise sur leur économie, ce qui représente une réelle
menace pour les pays présentant un risque élevé de surendettement.
Dans ce contexte, l’annulation de la dette extérieure des pays à faibles
revenus, mais également des pays à revenus intermédiaires présentant un
niveau d’endettement critique, remplierait un double objectif : elle leur
permettrait de débloquer des ressources supplémentaires, ce qui limiterait
du même coup leur besoin de recourir à l’emprunt extérieur pour surmonter
les effets de la crise. Cependant, une telle option n’a malheureusement
pas été retenue pas le G20 de Londres. Les Nations-Unies, par contre,
viennent de proposer une mesure allant dans le bon sens. En effet, lors
d’une rencontre de haut niveau tenue à l’ECOSOC [7] le 27 avril dernier,
Supachai Panitchpakdi – secrétaire général de la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(Conférence des
Nations-Unies sur le commerce et le développement) – a appelé à octroyer
rapidemment des allègements de dettes aux pays en développement fortement
endettés [8]. En outre, il a demandé l’établissement d’un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
temporaire sur le service de leur dette, afin d’accorder à ces derniers
une « bouée d’oxygène » dans le contexte de crise actuel. Enfin, M.
Panitchpakdi n’a pas hésité à affirmer que les moyens supplémentaires mis
à disposition du FMI par le G20 devraient être utilisés pour stimuler les
économies des pays en développement. Cela implique nécessairement, selon
lui, que le FMI ne contraigne pas les gouvernements « à réduire leurs
dépenses publiques ou à mettre en œuvre des politiques monétaires
restrictives qui engendreraient précisément l’effet opposé » [9].
Les Nations unies font de la résistance
En dépit de la tentative du G20 de cadenasser au niveau international la
réflexion sur les stratégies de sortie de crise, les Nations-Unies
démontrent donc à nouveau leur volonté de se démarquer du consensus
actuel. Il faut désormais espérer que les idées progressistes qu’elles
défendent depuis plusieurs mois à travers la CNUCED [10] et la Commission
d’experts placée sous la présidence de Joseph Stiglitz [11] finissent par
gagner un large soutien politique. Ce ne sont pas, en effet, les
demi-mesures proposées par le G20 qui permettront de sortir durablement de
l’impasse néolibérale.
[1] Le Monde, La crise frappe encore plus violemment les pays
pauvres, 8 avril 2009
[2] Idem
[4] Idem
[5] World Bank, 2008, Global development finance, p. 23
[6] Autrement dit, selon l’approche de la Banque mondiale, la dette
extérieure d’un pays est jugée « soutenable » lorsque sa valeur ne
représente pas plus d’un an et demi (150%) de recettes
d’exportations et que son remboursement (service de la dette)
n’absorbe pas plus de 15% des dites recettes sur un an. Par
comparaison, en 1953, le niveau de remboursement de la dette
allemande n’a pas été jugé supportable au-delà de 3,5% de ses
recettes annuelles d’exportations. L’Allemagne a alors bénéficié
d’une annulation de 51% de sa dette.
[7] L’ECOSOC est le Conseil économique et social des Nations-Unies
[8] 30 Apr 09 – « Temporary Debt Moratorium Needed For Some Poor
Nations – says UNCTAD Secretary-General »
[9] Idem
[10] UNCTAD, 19 mars 2009,The Global Economic Crisis : Systemic
Failures and Multilateral Remedies
[11] Ladite commission a publié le 19 mars 2009 , en anglais,
l’inventaire des 79 recommandations qu’elle fait à Miguel d’Escoto, président de l’Assemblée Générale des Nations
25 avril 2010, par Renaud Vivien , Gaspard Denis
8 février 2010, par Gaspard Denis
10 août 2009, par Renaud Vivien , Gaspard Denis
1er juillet 2009, par Renaud Vivien , Gaspard Denis