22 janvier par CADTM Belgique , Sibo Rugwiza Kanobana , Nadia Nsayi

Photo : https://www.flickr.com/photos/groupe-obscurescence/, CC, Flickr, https://www.flickr.com/photos/groupe-obscurescence/48641025973/
Début janvier, Nadia Nsayi, politologue et programmatrice au Musée de l’Afrique centrale, publiait une tribune remettant en cause le processus de décolonisation du musée et envisageait de présenter sa démission. Différentes voix s’élèvent pour se joindre à cet appel. Le CADTM apporte son soutien aux réflexions et pressions exercées pour décoloniser le musée de l’Afrique centrale. Les récents efforts consentis pour rénover le musée ne sont pas suffisants. Nous avons besoin d’outils nous permettant de comprendre et déconstruire les pensées néocoloniales et impérialistes toujours présentes dans notre société.
Ci-dessous, la tribune de Nadia Nsayi relayée par les journaux Lesoir et DeMorgen, disponibles via les liens suivants :
• https://www.lesoir.be/646769/article/2025-01-07/heritage-de-la-colonisation-au-musee-de-lafrique-les-contradictions-subsistent
• https://www.demorgen.be/meningen/waarom-ik-overweeg-om-het-africamuseum-te-verlaten~b6617fccc/
Celle-ci est suivie du billet de Sibo Kanobana, professeur de sociolinguistique et d’études postcoloniales à l’Université de Gand, publié dans DeStandaard le 10 janvier, disponible via le lien suivant :
• https://www.standaard.be/cnt/dmf20250109_96222230
Nadia Nsayi
« Quand le #AfricaMuseum a rouvert il y a six ans, les critiques des activistes n’étaient pas légères. C’est pourquoi, en 2021, j’ai postulé au service des Travaux Publics pour écrire une autre histoire : un musée plus diversifié, inclusif et équitable.
Certains ont considéré que la nomination de l’actuel directeur en 2023 était une opportunité manquée. Cet homme blanc plus âgé peut-il provoquer un réel changement ? Je l’ai soutenu parce qu’il méritait une chance. Plus d’un an plus tard, mon point de vue a changé.
Appel au débat
Ce texte est une résistance au cours des affaires actuelles. Je l’écris par engagement et comme un appel à un débat unanime sur le rôle social du musée à un moment où les négociateurs gouvernementaux se penchent sur l’avenir des institutions scientifiques fédérales telles que l’AfricaMuseum.
Depuis ma nomination, les militantes ne se sont plus fait entendre. Certaines personnes pensent que le musée prend la bonne voie grâce aux événements que j’organise. D’autres se taisent parce qu’ils ne veulent pas compromettre ma position interne.
En tant qu’employée, je fais remonter les problèmes en interne aussi, mais ce n’est plus assez. En me taisant publiquement, je donne l’impression que rien ne se passe.
Un leadership faible
En 2025 j’envisage de quitter le musée à cause d’une mauvaise gestion. Nous ne vivons plus dans une époque où une seule personne est directeurice d’une grande institution qui est à la fois un centre de recherche et un musée. Il y doit y avoir deux directeurices, comme au musée du monde aux Pays-Bas.
De plus, l’AfricaMuseum n’a pas eu d’activité publique majeure depuis trois ans : le nombre de visiteurs est mauvais pour un musée récemment rénové, l’exposition permanente n’est pas mise à jour, les expositions temporaires n’attirent pas le grand public, la communication atteint peu de nouveaux groupes, Il y a un malaise et plus aucun sens de l’urgence.
J’envisage aussi de quitter le musée à cause de la nouvelle vision qui est vigueur depuis décembre. Le processus de décision est trop peu participatif, sans place pour une véritable réflexion et sans tenir compte des enquêtes publiques.
La première phrase de la vision sonne comme ceci : « En tant que musée et centre de recherche, l’AfricaMuseum est un forum d’étude et de dialogue sur les sociétés et l’environnement naturel en Afrique subsaharienne. « La collection du musée est en grande partie congolaise, alors pourquoi se concentrer sur un seul continent ? Et dans quelle mesure la nouvelle vision diffère-t-elle de la vision coloniale de Leopold II de construire « un musée sur l’Afrique » ?
Le musée donne l’impression de se décoloniser, mais dans la pratique je vois encore le paternalisme dans la coopération avec les partenaires (belges-) africains.
Toxique
J’envisage de quitter le musée parce qu’il n’y a pas de siège structurel pour les expertes de la communauté africaine. Une récente embauche renforce mes soupçons selon lesquels l’institution n’est pas prête à donner aux Noires des postes de pouvoir.
Enfin je vois trop de concentration de pouvoir chez le directeur, un comportement toxique et un manque de culture débat et évaluation.
Je ne crois pas à la valeur ajoutée sociale d’un musée sur l’Afrique, je crois à un musée sur le colonialisme belge en Afrique (Congo, Rwanda, Burundi). Tervuren peut devenir un lieu unique où les visiteurs individuels et les groupes (scolaires) viennent apprendre en masse sur le passé colonial et son impact contemporain sur la formation d’image, la migration, le racisme, le climat, la biodiversité, le commerce, etc.
Toutefois, cela nécessite une vision et une politique différentes. Je prône plus d’innovation, plus de respect pour l’expertise et l’expérience de la communauté africaine et j’appelle les dirigeantes à remettre en question leurs positions.
Ce texte n’est pas une attaque contre une personne, le directeur n’est pas responsable de tous les problèmes. Il assume la responsabilité finale comme un président du parti si le parti fonctionne mal. Les employées n’osent souvent pas parler à leurs patrons.
En ce début d’année, en tant qu’employée et faiseuse d’opinion, je trouve le courage de le faire . Vu les problèmes internes, je pense me séparer du musée, même si j’avoue que j’en doute.
Au cours des trois dernières années, en tant que travailleuse publique, j’ai organisé de nombreux événements qui font du musée un lieu plus diversifié, inclusif et équitable. Pourquoi devrais-je partir alors ? »
Sibo Kanobana
« L’AfricaMuseum est de nouveau sous les feux de la rampe. Les critiques de Nadia Nsayi et les éloges qu’elle reçoit témoignent d’une profonde crise d’identité (DS 7 janvier). Ce débat dépasse les murs du musée. Il touche au cœur de la manière dont la Belgique gère son passé colonial et dont les institutions culturelles redéfinissent leur rôle dans une société en mutation. Le musée doit-il rester une institution encyclopédique qui expose et étudie l’Afrique comme un objet ? Ou devenir un centre de réflexion critique sur l’héritage colonial ?
L’AfricaMuseum est notre patrimoine, et le patrimoine est bien plus qu’une collection d’objets et d’histoires du passé, bien plus qu’une entreprise savante qui se remet à peine en question. Le musée est un outil qui nous permet de définir qui nous sommes, d’où nous venons et où nous voulons aller. Mais qui détermine cela ? Qui détermine pour nous ce qui a de la valeur, quelles histoires sont ou ne sont pas racontées et de quelle manière ? Ce faisant, il est important de comprendre la connaissance scientifique comme des histoires à la recherche de la vérité. Il ne s’agit pas d’une vérité figée, mais d’une vérité qui doit être répétée et affinée en fonction de la question sous-jacente : que voulons-nous vraiment en tant qu’humanité ?
Le patrimoine culturel et scientifique est essentiellement un processus dynamique de narration et de renégociation. Il ne s’agit pas d’un héritage statique, mais d’une conversation permanente dans laquelle nous intégrons de nouvelles perspectives et remettons en question les anciennes hiérarchies.
Cela n’a rien de nouveau. L’AfricaMuseum peut s’inspirer d’autres musées. Par exemple, le Pitts River Museum, le musée archéologique et anthropologique de l’université d’Oxford, a fait œuvre de pionnier ces dernières années en transformant un site d’exposition colonial en un lieu de rencontre, en sortant les collections de leurs vitrines et en fournissant un point de départ pour le dialogue et l’échange internationaux.
Plus près de nous, le musée de l’université de Gand (GUM) est une source d’inspiration en plaçant le doute et la réflexion éthique au cœur de l’entreprise scientifique et en montrant que la science ne produit pas seulement des connaissances, mais qu’elle impose aussi des limites et soulève des questions éthiques et sociales profondément ancrées dans les intérêts politiques et économiques. Bien que ces exemples soient loin de constituer des réponses parfaites, ils témoignent d’une volonté de prendre des risques et de remettre radicalement en question la fonction scientifique et sociale du musée.
Histoires partagées
C’est un début. Ces exemples nous aident donc à déconstruire le rôle de la science dans le projet colonial (et capitaliste) et à développer de nouveaux récits inclusifs et transnationaux qui nous rassemblent en tant qu’humanité. Au Canada, les musées communautaires jouent un rôle de pionnier. Ces musées, dirigés par des communautés locales, s’éloignent des modèles eurocentriques en plaçant les histoires partagées au centre. Ils montrent que les communautés peuvent non seulement faire l’objet d’expositions mais, plus important encore, participer activement à l’élaboration du patrimoine. Un tel modèle pourrait transformer l’AfricaMuseum en une plateforme de collaboration avec la diaspora africaine et les communautés locales en Belgique, au Congo, au Rwanda et au Burundi.
Cela permettrait de relier et de placer dans un contexte plus large des thèmes tels que le racisme et la migration, ainsi que la biodiversité et le changement climatique. Dans un monde idéal, l’AfricaMuseum deviendrait un musée du colonialisme, réfléchissant de manière critique à la façon dont les êtres humains et la nature sont réduits à des marchandises stériles par l’avidité économique brutale pour le profit : expropriés, exploités, exclus et, si nécessaire, exterminés avec toute l’horreur des génocides, de la pollution et des catastrophes climatiques qui en résultent. Le musée doit donc aller au-delà des gestes symboliques. La baisse du nombre de visiteurs et le mécontentement croissant des employés sont des signes clairs.
La question est de savoir s’il existe une volonté politique de transformer le musée. Alors que la Belgique se débat avec sa structure fédérale et ses contraintes budgétaires, l’avenir du musée est un test pour notre société : pouvons-nous regarder notre histoire en face et en tirer les leçons qui nous permettront d’envisager un avenir juste pour tous ? La décolonisation n’est pas une métaphore, mais un combat concret qui appelle à de profonds changements fondamentaux dans notre pensée politique, économique et scientifique.
L’AfricaMuseum peut être un lieu privilégié pour engager ce combat, un combat que Nadia Nsayi mène avec courage et volonté, non seulement pour assurer l’avenir de ce musée, mais aussi pour donner l’exemple à notre société ».
Sibo Rugwiza Kanobana est professeur de sociolinguistique et d’études postcoloniales à l’université de Gand et à l’université ouverte des Pays-Bas. Il est coauteur de The bastards of our colony : hushed-up stories of Belgian metis (2010) et compilateur de la collection Black pages. Réflexions afro-belges sur la littérature (pos)coloniale flamande (2021)
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est professeur de sociolinguistique et d’études postcoloniales à l’université de Gand et à l’université ouverte des Pays-Bas. Il est coauteur de The bastards of our colony : hushed-up stories of Belgian metis (2010) et compilateur de la collection Black pages. Réflexions afro-belges sur la littérature (pos)coloniale flamande (2021)