28 mars 2019 par Conseil des droits de l’Homme des Nations unies
Salle du Conseil des droits de l’Homme de l’Onu à Genève (CC - Wikimedia)
Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies vient d’adopter une résolution sur les effets de la dette extérieure sur les droits humains encourageant États et Institutions financières internationales à tenir compte des nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits de l’homme.
Cette adoption est à saluer sur plusieurs points. D’abord, elle est en partie le produit d’une consultation entre l’Expert indépendant Juan Pablo Bohoslavsky avec la société civile et les mouvements sociaux. D’autre part, elle constitue un outil supplémentaire pour avancer des arguments contre l’application de politiques d’austérité/d’ajustement structurel en contrepartie du remboursement de la dette. Enfin, bien que nous déplorons cette décision, elle renvoie les États membres de l’Union européenne face à leur hypocrisie, puisque aucun d’entre eux n’a voté en faveur de cette résolution. Alors que la France préside le G7 cette année, cette nouvelle non-adhésion est tout un symbole.
Mais en dépit de ces éléments concrets, plusieurs points sont à regretter. Cette résolution n’est pas contraignante et ne constitue qu’un guide (à la manière des Accords de Paris sur le climat sur un tout autre sujet ...). Surtout, elle se concentre sur l’allègement et la viabilité de la dette, sans en questionner la légitimité. Elle appelle par ailleurs à l’annulation de toutes les dettes bilatérales via l’application de l’initiative PPTE dont les nombreuses limites ont pourtant été maintes fois reconnues. Ainsi, elle peut contribuer à renforcer le pouvoir des créanciers, tant du côté des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, ...), qu’au niveau bilatéral (Club de Paris).
Nous publions ci-dessous la résolution adoptée et les nouveaux principes directeurs, accompagnés d’un article plus détaillé écrit par la Plateforme française dette et développement.
Résolution sur les effets de la dette extérieure sur les droits de l’Homme
Nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits humains
Le Conseil des Droits de l’Homme encourage les États à mettre en œuvre les nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits humains
Source : PFDD
Le 21 mars 2019, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a adopté une résolution sur les effets de la dette extérieure sur les droits de l’homme qui encourage les gouvernements et les institutions financières internationales à tenir compte des nouveaux principes directeurs sur les études d’impact des réformes économiques sur les droits de l’homme dans les réformes économiques qu’ils mettent en place. Si elle est mise en œuvre, cette résolution pourra avoir des répercussions très positives sur la prévention et la gestion des crises de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Bien qu’adoptée avec une majorité de votes favorables, elle n’a toutefois pas remporté de votes favorables de la part des États membres de l’Union européenne, pourtant directement concernés par sa mise en œuvre.
Pourquoi des principes directeurs sur les études d’impacts des réformes économiques sur les droits humains étaient-ils nécessaires ?
Les niveaux d’endettement sans précédent atteints dans le monde [1], associés à la croissance des inégalités, ont mis en exergue le besoin urgent de prendre pleinement en compte les impacts négatifs potentiels et réels des ajustements budgétaires et des politiques d’austérité sur les droits humains et le développement. Ces politiques, mises en œuvre pour éviter les réactions négatives du marché et restaurer la viabilité des finances publiques et la stabilité macroéconomique, entraînent de graves répercussions politiques et sociales, alors qu’elles ont par ailleurs un impact discutable sur la croissance [2].
En 2017, l’OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
a déclarait que « les réformes d’austérité ou d’assainissement budgétaire à court terme sapent les efforts de développement à long terme » dans le monde entier » [3]. Le département de la recherche du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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a de son côté reconnu que les épisodes d’assainissement budgétaire avaient tendance à accentuer l’inégalité des revenus et a commencé à envisager de mener des études d’impact de ses propres conseils en matière de politique économique [4]. Les impacts négatifs des mesures d’austérité sur les populations vulnérables [5] - et en particulier sur les femmes [6] - sont depuis longtemps mis en lumière par les agences de l’ONU.
Autant de raisons pour lesquelles, lors du Forum sur le financement du développement des Nations Unies de 2018, les dirigeants d’institutions multilatérales telles que le FMI ou le PNUD
PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
, ont identifié la nouvelle vague de crises de la dette comme principale menace à la réalisation des Objectifs du Développement Durable (ODD).
Que sont les principes directeurs sur les études d’impacts des réformes économiques sur les droits de l’homme ?
Ces principes directeurs ont été élaborés par l’Expert indépendant Juan Pablo Bohoslavsky, à la demande du Conseil des Droits de l’Homme, et sont le résultat de deux années de consultations avec les États, les institutions financières internationales, la société civile, les syndicats et des experts des droits humains.
Ils mettent en exergue les implications des normes internationales existantes relatives aux droits humains sur les réformes économiques. S’appuyant sur les orientations et outils existants, ils montrent comment les réformes envisagées par les décideurs peuvent être évaluées par rapport à ces normes, via des études d’impact sur les droits de l’homme, et prônent un recours systématique à de telles études pour orienter l’élaboration des politiques visant notamment à rétablir la viabilité de la dette et la stabilité macroéconomique, à la fois en termes de prévention et de réponse aux situations de crise.
Ces principes n’établissent pas de nouvelles normes de droits humains, mais des orientations pour aider les États et autres parties prenantes à concevoir, mettre en œuvre et suivre les réformes afin de garantir la protection des droits humains.
Des principes pour mieux prévenir et mieux gérer les crises de la dette
Les nouveaux principes directeurs constituent un outil pratique pour aider les gouvernements et les institutions financières internationales à identifier des alternatives crédibles aux mesures d’assainissement budgétaire qui portent atteinte aux droits humains, à la fois pour prévenir et pour répondre aux situations de crise.
L’intégration d’études d’impact sur les droits humains dans le cycle de gestion de la dette et d’élaboration des politiques économiques, doit permettre d’éviter des décisions ayant des conséquences préjudiciables pour les droits humains.
Hors période de crise, les conclusions des études d’impact peuvent servir à l’élaboration de politiques visant à protéger et à étendre de manière proactive les droits humains ; à éclairer les stratégies de gestion de la dette afin d’empêcher l’accumulation d’un fardeau insoutenable susceptible de compromettre les obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
légales des États débiteurs en matière de droits humains et les objectifs de développement.
En temps de crise, l’intégration de cette approche dans la gestion de la dette et la planification de la politique budgétaire aide à identifier les mesures politiques les moins restrictives pour la jouissance des droits, et fournit une base pour soutenir les gouvernements débiteurs dans leurs négociations avec les institutions financières internationales et les créanciers, renforçant ainsi les arguments en faveur de la sauvegarde de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire.
Outre qu’elle encourage les États et institutions internationales à avoir recours aux principes directeurs dans leur politique de gestion de la dette, la résolution adoptée par le Conseil des Droits de l’Homme appelle également les pays industrialisés à appliquer le programme renforcé d’allègement de la dette et à annuler toutes les dettes publiques bilatérales des pays visés par ces programmes, et à « ne pas reproduire les politiques d’ajustement structurel antérieures qui n’ont pas fonctionné ».
Un engagement nécessaire des États
Bien qu’adoptée à la majorité des voix [7], cette résolution n’a pas été votée par les États membres de l’Union européenne, auxquels la PFDD avait adressé, avec 37 autres organisations européennes de la société civile, une lettre commune.
La mise en œuvre des principes directeurs va nécessiter un engagement politique des États à travers le monde, et les États européens, qui se sont engagés à adopter une approche du développement basée sur les droits humains, sont directement concernés par cet engagement.
Face à la multiplication des signaux démontrant que les mesures d’austérité contribuent à l’augmentation des inégalités et à l’instabilité politique, les Etats ont la responsabilité de mettre en œuvre ces principes qui contribueront au respect des droits humains et favoriseront l’élaboration de politiques économiques au service du développement, et de signifier que les allègements de dette ne doivent pas rimer avec une réduction de la dignité humaine.
[1] Voir par exemple : UNCTAD, Financing for development : Debt and debt sustainability and interrelated systemic issues, TD/B/EFD/2/2, (5 October 2018)
[2] Voir par exemple, A. Fatás, L. Summers, The permanent effects of fiscal consolidation, Journal of International Economics Volume 112, May 2018, Pages 238-250
[3] Voir : OIT, World Social Protection Report 2017–19 : Universal social protection to achieve the Sustainable Development Goals, (ILO : Geneva, 2017), pg. xxxiv
[5] I. Ortiz, J. Chai & M. Cummins, Austerity measures threaten children and poor households, Social and Economic policy working paper (UNICEF, 2011)
[6] V. Nationen, ed., Transforming Economies, Realizing Rights, Progress of the World’s Women 2015–2016, (New York : UN Women, 2015)
[7] La résolution a été adoptée à 27 voix pour (Angola, Bahreïn, Bangladesh, Burkina Faso, Cameroun, Chili, Chine, Cuba, RDC, Egypte, Erythrée, Fidji, Inde, Irak, Népal, Nigéria, Pakistan, Philippines, Qatar, Rwanda, Arabie Saoudite, Sénégal, Somalie, Afrique du Sud, Togo, Tunisie, Uruguay) , 14 voix contre (Australie, Autriche, Brésil, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Danemark, Hongrie, Italie, Japon, Slovaquie, Espagne, Ukraine et Royaume-Uni) et 6 abstentions (Afghanistan, Argentine, Bahamas, Islande, Mexique et Pérou).