Le FMI revient à la charge avec les mesures qui provoquent des émeutes de la faim

24 octobre 2013 par Jérôme Duval , Fátima Martín


Quelques jours avant l’assemblée générale annuelle du FMI et de la Banque mondiale, qui s’est tenue du 11 au 13 octobre 2013 à Washington, le FMI est revenu à la charge. Concrètement, en Espagne, après avoir proposé une baisse de salaires qui a provoqué une réaction inhabituelle [1] , il réclame désormais de réduire la liste des produits et services considérés basiques ou de première nécessité qui bénéficient des taux réduits de TVA. Il s’agit bien du même remède qui provoqua les fameuses émeutes de la faim, aussi appelées « émeutes FMI », au Sud de la planète, quand le prix du pain ou de l’essence montait d’un coup en une nuit jusqu’à des prix inabordables pour la majorité de la population. On peut citer entre autres exemples, le soulèvement connu comme « Caracazo » au Venezuela en 1989, lors de la mise en œuvre d’une mesure du plan du FMI qui a provoqué l’augmentation subite du combustible ; ou celui du Pérou en 1991, quand le prix du pain a été multiplié par 12 alors que les salaires amorçaient leur chute ; du Zimbabwe en 2000 ; Argentine, Paraguay et Uruguay en 2001… La liste est aussi longue, que l’est l’histoire du néocolonialisme économique de l’institution de Washington.



En somme, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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suit la voie de l’austérité qu’il applique au Sud, où ses politiques échouent depuis des décennies. Au-delà de quelques nouvelles propositions sur les prélèvements, il n’y a rien de nouveau dans l’idéologie de l’institution. Déjà en 1999, dans un rapport sur les Effets des politiques d’ajustement structurel sur la jouissance effective des droits de l’homme, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies portait sur les plans d’austérité au Sud ce constat que nous pouvons appliquer à l’actuelle crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
au Nord :
Malheureusement, aussi bien le FMI que la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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considèrent la gestion de la crise d’endettement comme une activité distincte de la tâche fondamentale qui est le développement humain. Une forte croissance du produit national brut PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
(PNB) ou la réduction de l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. ne débouche sur le développement qu’à condition de s’accompagner de changements dans la répartition du revenu, de manière à permettre à une plus large proportion de la population de jouir effectivement de ses droits économiques, sociaux et culturels
. [2]

L’austérité, un projet politique à échelle internationale

Ces politiques d’austérité du FMI, en plus de violer la souveraineté des peuples, anéantissent les droits les plus élémentaires des personnes. La proposition d’introduire un impôt exceptionnel avec un taux de 10% sur le capital de toutes les épargnes quel qu’en soit leurs montants, cela pour réduire la dette publique des pays européens au niveau d’avant la crise en 2007, ne doit pas nous induire en erreur. Bien sur, cela nous rappelle ce qui est arrivé à Chypre, même si dans ce cas il s’agissait d’un taux de 47,5% sur tous les comptes disposant de plus de 100 000 euros. Ceci dit, on a plutôt l’impression d’être face à une attitude désespérée afin d’attirer l’attention pour dissimuler d’autres mesures à venir. De la même manière, quand le FMI affirme qu’il reste de la marge pour augmenter les taux d’imposition des tranches supérieures de revenus, il semble que, devant le chaos que génèrent ses propres mesures, il doive faire semblant d’innover pour que sa politique soit soutenable… et suive le même chemin capitaliste. D’ailleurs, comme disait le rapport de l’ONU en 1999 déjà cité, il faut comprendre les politiques d’austérité bien plus comme un projet politique à échelle internationale :
L’ajustement structurel va au-delà de la simple imposition d’un ensemble de mesures macroéconomiques au niveau interne. Il est l’expression d’un projet politique, d’une stratégie délibérée de transformation sociale à l’échelle mondiale, dont l’objectif principal est de faire de la planète un champ d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
où les sociétés transnationales pourront opérer en toute sécurité. Bref, les programmes d’ajustement structurel (PAS) jouent un rôle de « courroie de transmission » pour faciliter le processus de mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
qui passe par la libéralisation, la déréglementation et la réduction du rôle de l’État dans le développement national.
 [3]

Le 9 octobre 2013, après la présentation du rapport Taxing Times du FMI, Michael Keen, directeur adjoint du département des finances publiques du FMI, déclara que l’Espagne « n’a pas eu suffisamment recours à la TVA » pour augmenter ses recettes. Il n’aura vraisemblablement pas suffit d’appliquer une hausse de TVA de 13 points, passant de 8 à 21% pour les secteurs de la Culture, des livres ou du matériel scolaire. Les Espagnols apprécieront l’attention particulière du FMI à ce propos. Après deux hausses brutales de l’impôt régressif le plus injuste, d’abord sous le gouvernement du parti dit socialiste (PSOE) et de la droite (PP) ensuite, les recommandations du FMI sont scandaleuses. Ils prétendent soigner la maladie en tuant le patient.

Dans son rapport fiscal d’octobre 2013, Le FMI, affiche une soudaine préoccupation pour réduire la dette publique aux niveaux d’avant la crise en 2007, sans pour autant reconnaitre que dans certains cas, et en Espagne en particulier, la dette publique s’est envolée précisément en conséquence du sauvetage bancaire. En guise de solution, le FMI revient à faire des propositions profondément injustes et erronées, tel l’impôt exceptionnel déjà mentionné de 10% sur l’économie des foyers. [4] Dans son argumentaire, le FMI met en garde contre « les risques des alternatives » à cette proposition, tel que « la répudiation de la dette publique ». Un « risque » qui constituerait plutôt pour nous un premier pas vers une sortie de crise.

Depuis la Plateforme espagnole d’Audit Citoyen de la Dette, nous ne devons pas, nous ne payons pas (Plataforma Auditoría Ciudadana de la Deuda, No debemos , no Pagamos), nous développons des activités afin que les citoyennes et citoyens puissent envisager des alternatives, définir des critères pour qualifier une dette illégitime et en refuser le paiement.

Traduction Jérôme Duval et Virginie de Romanet


Notes

[2Effets des politiques d’ajustement structurel sur la jouissance effective des droits de l’homme, point 6. http://www.cetim.ch/fr/documents/pas-1999-50-fra.pdf

[3Nations Unies, Ibid, point 31.

[4A One-Off Capital Levy ?, in Taxing Times, Fiscal Monitor, FMI, octobre 2013, page 49. http://www.imf.org/external/pubs/ft/fm/2013/02/pdf/fm1302.pdf

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

-http://auditoriaciudadana.net/2013/10/18/el-fmi-vuelve-a-cargar-con-recetas-que-provocan-motines-de-hambre/

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Fátima Martín

est journaliste, membre du CADTM en Espagne. Elle est l’auteure, avec Jérôme Duval, du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016. Elle développe le journal en ligne FemeninoRural.com.

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