Le réseau CADTM AYNA et l’Audit Citoyen de la Dette ont tenu le Séminaire international “Alternatives pour faire face à la crise”

10 octobre 2011 par Daniel Munevar




Du 4 au 7 octobre 2011 s’est tenu à Brasilia, le III Séminaire international latinoaméricain sur les alternatives pour faire face à la crise. Co-organisée par le réseau régional CADTM AYNA (Abya Yala Nuestra América) et l’organisation brésilienne Auditoria Cidadã da Dívida (Audit Citoyen de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
), l’activité a reçu le soutien de plus de 20 organisations, dont des représentant-e-s d’autres réseaux régionaux, de mouvements sociaux et de centrales syndicales.

Des représentants de 6 pays du réseau CADTM AYNA étaient présents : José I. Acuña (Venezuela), William Gaviria et Daniel Munevar (Colombie), Jorge Marchini et Guillermo Berganza (Argentine), Ramiro Chimuris (Uruguay), ainsi que Eric Toussaint et Cécile Lamarque (CADTM Belgique), au côté des organisateurs Maria Lucia Fatorelli et Rodrigo Avila (Brésil). Le séminaire a également vu la participation de Julie Duchatel (CETIM - Suisse), Kjetil Abildsnes (Church Aid - Norvège), Romulo Torres (Latindadd - Pérou), Pedro Paez (Commission Technique Présidentielle pour une nouvelle architecture financière régionale - Equateur), Miriam Ayala (collaboratrice de la Commission d’Audit - Equateur) et Sofia Sakorafa (Députée - Grèce).

Au cours de ces quatre journées, les débats se sont centrés autour de trois axes : la crise financière internationale et ses répercussions en Amérique latine ; la nouvelle architecture financière régionale et l’intégration régionale ; l’audit de la dette. Le premier jour s’est tenu un débat entre les participant-e-s internationaux et plus de 30 représentant-e-s d’institutions et de mouvements sociaux brésiliens. L’échange d’expériences et la mise en évidence de la nécessité d’accélérer la lutte contre le « système dette » au niveau continental, à travers la réalisation d’audits, ont permis d’avancer vers la réalisation d’un nouveau manuel d’audit qui permettra en 2012 de renforcer le travail contre la dette.

A cette fin, les contributions de Miriam Ayala et Cecile Lamaque sur les processus d’audit de la dette ont été importants. Tandis que Miriam Ayala a expliqué en détail l’expérience d’audit en Equateur et la méthodologie utilisée par la Commission d’audit, Cécile Lamarque a analysé les aspects juridiques au niveau international qui fondent la réalisation d’audits et la répudiation des dettes illégitimes et odieuses dans le cadre de ce type de processus de contrôle citoyen des finances publiques. Des groupes de discussion sur les principaux axes de travail, afin d’améliorer la coordination entre les mouvements de différents pays en matière d’intégration régionale et d’audit de la dette, ont abouti à des propositions telles que l’organisation d’audits des institutions multilatérales de crédit qui opèrent dans la région. A l’issue de ces discussions, la Charte de Brasilia a été rédigée, qui résume les positions adoptées par l’ensemble des participant -e-s.

Lors de la 2e journée de travail, le 5 octobre, le III Séminaire International sur les Alternatives pour faire face à la crise s’est tenu au siège du Collège Fédéral des Avocats (Colegio Federal de Abogados), avec la participation de plus de 200 personnes, parmi lesquelles une ministre, les ambassadeurs d’Equateur et de Grèce au Brésil, de hauts-fonctionnaires du gouvernement et des députés fédéraux. Au cours du panel en matinée, Eric Toussaint a pointé l’aggravation de la crise financière en Europe et les risques d’une nouvelle crise internationale généralisée. Il a par ailleurs mis en évidence l’importance des initiatives citoyennes d’audit de la dette qui ont lieu en Grèce, en Espagne, en Irlande et dans d’autres pays européens. Daniel Munevar a quant à lui attiré l’attention sur les risques de la dépendance excessive à l’égard des exportations de matières premières pour la région et de la croissance rapide du crédit au secteur privé domestique en Amérique latine.

Les activités du séminaire se sont poursuivies l’après-midi avec un panel sur l’intégration financière régionale. Pedro Paez a souligné la nécessite d’accélérer l’intégration régionale dans un contexte caractérisé par l’approfondissement d’une crise à caractère systémique. Il a également dénoncé le processus d’appropriation du discours sur la nouvelle architecture financière régionale par des institutions et des gouvernements qui veulent maintenir intacte l’actuelle architecture financière et qui s’opposent à un quelconque changement des structures de domination. William Gaviria a pour sa part ouvert le débat sur les obstacles auxquels doit faire face l’intégration régionale. Il a notamment souligné le manque d’un soutien fort au processus de la part de pays tels que le Brésil et le Venezuela. Il a conclu son intervention en mettant en évidence le fait que seules la participation et la pression populaires sur les gouvernements permettront de dépasser les obstacles qui empêchent de mener à bien l’intégration régionale.

Enfin, un débat s’est tenu sur l’importance de l’audit dans une perspective internationale, au cours duquel la députée grecque Sofia Sakarofa a expliqué la situation délicate que traverse la Grèce, produit de l’application successive de plans d’ajustement imposés par le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Commission européenne. Selon la députée, l’injustice de la situation est flagrante du fait que près des deux tiers de la dette grecque sont associés à des ressources qui ne sont jamais parvenues au pays. D’où l’importance de l’initiative en faveur de l’audit, lancée en mai 2011, afin de faire la lumière sur ces irrégularités et de suspendre immédiatement le remboursement de la dette et ses effets négatifs sur la qualité de vie de la population. Kjetil Abildsnes a ensuite expliqué l’exemple de son pays, la Norvège, où grâce à la pression populaire le gouvernement a annulé en 2006 des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). illégales et illégitimes à l’égard de cinq pays en développement dont l’Equateur et l’Egypte, pour lesquels un audit a révélé de sévères irrégularités. Maria Lucia Fatorelli de l’Audit Citoyen de la Dette au Brésil (Auditoria Cidadã da Dívida) a clos cette session en expliquant de manière magistrale les résultats du processus d’audit de la dette mené en 2010 au Brésil. Étant données les preuves de fraudes et d’illégalités mises en évidence par l’audit, Maria Lucia a appelé à soutenir l’étape suivante du processus, qui consiste à poursuivre les responsables de cet endettement criminel. Elle a également souligné la nécessité de mettre en place des mécanismes afin d’empêcher que de tels actes, et leurs effets nocifs sur les droits des citoyen-ne-s, ne se reproduisent.

Au 3e jour d’activité, le jeudi 6 octobre, une Audience Publique sur les thèmes du séminaire s’est tenue au Parlement brésilien, avec la participation de plusieurs députés et sénateurs membres des Commissions du Parlement, dont le député Ivan Valente. L’audience, au cours de laquelle sont intervenus Eric Toussaint, Sofia Sakorafa, Pedro Paez et Maria Lucia Fatorelli, s’est tenue dans une salle comble (plus de 100 personnes). Les interventions de la députée grecque Sofia Sakorafa et de Maria Lucia Fatorelli ont été particulièrement poignantes, en montrant l’effet dévastateur de la dette sur des droits humains des populations grecques et brésiliennes. Le processus d’endettement lié à l’organisation des Jeux Olympiques d’Athènes en 2004, dont les coûts et la dette ont été supportés par les pouvoirs publics pour le plus grand profit des multinationales, a tout particulièrement été souligné. C’est en effet très significatif pour le Brésil, en tant que pays hôte de la Coupe du Monde de Football de 2014 et des jeux Olympiques en 2016.

D’autres évènements et réunions se sont tenus parallèlement aux activités du Séminaire. Les participant-e-s du Réseau CADTM AYNA se sont notamment réunis avec des représentants du Ministère de la Planification et du Bureau du Procureur Général, afin de demander un soutien officiel à l’important travail mené par la Auditoria Cidadã da Dívida. Enfin, le 7 octobre, une formation sur la dette et l’audit s’est tenue à l’Université Fédérale de Brasilia : près de 40 personnes y ont discuté des caractéristiques de la dette du Brésil.

D’une manière générale, au cours de ces 4 jours d’activités intenses, les discussions ont mis en évidence que dans un contexte international caractérisé par l’aggravation de la crise financière internationale et par une nouvelle vague de sauvetages financiers par les pouvoirs publics, il est d’autant plus nécessaire d’avancer vers la réalisation d’audits de la dette, à travers l’Amérique latine et le reste du monde. Seules, l’organisation et la lutte continue des mouvements sociaux, permettront d’atteindre cet objectif.


Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.

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