La question de la dette marocaine permet de voir en clair le rôle de l’impérialisme dans la concrétisation de la formation des classes au Maroc post-colonial. Un pays qui reste malgré tout dépendant de l’impérialisme, et voué au sous-développement et à la dégradation de sa structure économique et sociale.
Entre 1956 et 1974, le total de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure marocaine représentait 14% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et son coût ne dépassait pas une moyenne de 3%. Les dettes bilatérales, ayant atteint 920 milliards de dollars, étaient en principe des dettes françaises qui ont été utilisées économiquement pour protéger les intérêts historiques de la France au Maroc.
Les dettes contractées auprès des Etats-Unis et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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étaient destinées principalement à la qualification de la structure économique locale. Elles ont été donc utilisées comme moyen de dépenser l’excédent des pays impérialistes au Maroc et, partant, de relier l’économie nationale directement aux marchés de ces grands pays, et au soutien de leurs sociétés multinationales basées au Maroc.
Cela a permis également de fonder les bases d’une bourgeoisie locale qui s’est renforcée par son lien et par sa dépendance du capital impérialiste. Et c’est ce qui a permis aussi à la classe au pouvoir d’élargir sa base économique et sociale, bien sûr au détriment des couches les plus démunies.
Durant la période de 1975 à 1982, on va se diriger davantage vers les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
mondiaux, mais avec des conditions un peu plus dures qu’auparavant. Ces dettes vont servir à la restructuration d’un groupe d’institutions étatiques (BNDE, OCP, CIH, Crédit Agricole...).
Il va s’avérer par la suite que cet argent n’a servi en fait qu’à la destruction de ses institutions ou établissements publics à travers le pillage des deniers publics par des responsables ayant saisi l’occasion pour s’enrichir. Dégradation qui va justifier la privatisation de ces établissements ou institutions. Et ce sont les mêmes personnes responsables de leur destruction qui vont les acheter à prix bas !
A partir de 1983, lorsque le pays connaît la crise de la dette, il sera contraint de passer, comme tous les pays endettés, sous « les fourches caudines » du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et des programmes d’ajustement structurel (PAS) avec les conséquences catastrophiques qu’on connaît :
Privatisation des entreprises publiques et libéralisation à marche forcée de pratiquement tous les secteurs de l’activité économique, et donc un désengagement continu et rapide de l’Etat, ayant conduit à la crise sociale dont laquelle le Maroc est en train de « piétiner ».
Réduction du déficit budgétaire par la baisse des dépenses publiques consacrées aux secteurs sociaux (santé, éducation, emploi...).
Dévaluation
Dévaluation
Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres.
de la monnaie nationale à plusieurs reprises, pour encourager les exportations et donc l’entrée de devises, afin de pouvoir payer les services de la dette !
Réduction, voire annulation des subventions du prix des matières de première nécessité (application de la liberté des prix).
Libéralisation du commerce extérieur et réforme du système bancaire afin d’attirer les capitaux étrangers.
Réforme fiscale, notamment à travers l’élargissement de l’assiette d’imposition et de l’élévation du taux de TVA.
...etc.
Dès le début des années 1990, on va opter pour d’autres politiques non moins contraignantes :
- La politique de rééchelonnement de la dette, qui a permis de relier davantage le pays au FMI, ce qui lui a permis encore une fois de demander une nouvelle restructuration de l’économie nationale selon les intérêts du capital impérialiste. Il faut signaler dans ce cadre que le Maroc applique à la lettre les recommandations des institutions financières internationales, ce qui fait de lui « l’élève sage » ou le « bon élève » du FMI..
- La politique de gestion active de la dette, matérialisée par le passage du taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
flottant au taux d’intérêt fixe, mais surtout par la conversion de la dette en investissement. Opération qui a porté entre 1996 et 2005 sur un montant de 50 milliards de dirhams (DH). Elle a été surtout effectuée auprès des pays comme la France, l’Espagne, l’Italie et le Koweït. En 1996, la France a converti en investissement au Maroc un milliard de FF. Avec plus de 34 milliards de DH de dette marocaine envers la France à l’époque, ce montant paraît toutefois dérisoire.
La conversion de la dette en investissement a, cependant, permis aux multinationales des pays capitalistes, comme la France, de rapatrier la richesse locale sous forme de profits.
Le piège de la dette intérieure
Une fois la « gauche » au pouvoir en 1999, elle a aussitôt procédé à l’allégement de l’endettement extérieur, mais au détriment de l’endettement intérieur. Hormis l’effet d’éviction que produit ce revirement vers la dette intérieure, les répercussions seront par la suite négatives sur la croissance économique et l’emploi.
Quoique la dette extérieure ait sensiblement diminué, en contrepartie la dette intérieure a augmenté en flèche. Elle s’est accrue de 30% entre 2000 et 2003, pour atteindre en 2005 près de 45 milliards de DH, sans compter ce que doit l’Etat, en arriérés, à la caisse marocaine de retraite et aux organismes de prévoyance sociale.
La part de la dette intérieure dans l’encours de l’endettement du Trésor public a atteint, en fin 2005, 79% et se chiffre à 258,5 milliards de dirhams. Les charges de la dette interne accaparent, à elles seules, plus de 80% de la totalité des charges de la dette publique qui s’élève à 17,3 milliards de dirhams, selon les chiffres officiels.
Le taux de l’endettement intérieur a été estimé en 2005 à 56.1% du PIB, alors qu’il était à l’ordre de 42.2% en 2000 et seulement 7.5% en 1965 !
Le recours excessif à l’endettement intérieur se justifie, en partie, par le coût plus élevé de l’endettement extérieur ayant atteint parfois le taux de 18%. Toujours est-il que son évolution devient de plus en plus inquiétante, vu la conjoncture économique actuelle défavorable, due notamment au renchérissement de la facture énergétique suite à la flambée du prix du pétrole. Il y a donc le risque d’un creusement du déficit budgétaire et, partant, le recours à davantage d’emprunts internes. L’endettement intérieur est en passe de devenir un fardeau pour les finances de l’Etat.
Le piège de l’annulation de la dette
Les mensonges du G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
et des institutions financières internationales concernant l’annulation de la dette, camouflent des conditions draconiennes qui ramènent les fameux PAS à l’ordre du jour mais sous une forme différente.
Le Maroc, pays dont la dette est considérée comme « soutenable », n’est pas concerné par cette annulation qui s’annonce d’ailleurs comme un simple allégement de la dette, ou un effacement d’une partie de la dette qui ne touche que les services de la dette. Le stock de la dette
Stock de la dette
Montant total des dettes.
restant constant. Autrement dit, on réduit juste quelque peu le montant de certains remboursements !
Nous sommes contraints aujourd’hui de militer pour l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure, mais aussi pour demander une réparation pour le sous-développement causé par le mécanisme de la dette extérieure. En tant que militants, nous devons être conscients et éviter de tomber dans le piège d’un simple effacement d’une partie de la dette, ou d’une négociation des formes de son service ou éventuellement de son rééchelonnement parce que, de cette façon-là, on légitime la dette extérieure qui est le plus souvent une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
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Mimoun RAHMANI, Secrétaire général adjoint d’ATTAC Maroc .
Secrétaire général adjoint d’ATTAC Maroc, est membre d’ATTAC/CADTM Maroc et représentant du Réseau CADTM international au CI du FSM.
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