11 juillet 2008 par Virginie de Romanet
Les 16 créanciers bilatéraux de l’Equateur lui réclament 2,1 milliards de dollars, soit 22% du total de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
équatorienne.
Or, il se trouve dans ces dettes une série d’éléments qui pourraient permettre au gouvernement équatorien de contester voire de répudier certaines de ces dettes bilatérales.
Nous allons parcourir dans ce qui suit quelques éléments contestables de dettes réclamées par certains pays. Ces quelques points d’appuis ont été établis par un travail conjoint des campagnes dette de quelques pays européens, auquel devrait s’ajouter les éléments concernant d’autres créanciers importants comme le Japon, le Brésil, Israël, les Etats-Unis et le Royaume Uni. La seule ambition de ce travail est d’amorcer un questionnement sur l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de rembourser des prêts et de montrer qu’il est possible de considérer d’arrêter leur remboursement en se fondant sur une trop grande disparité dans le rapport de force entre l’Equateur et les pays du Nord qui imposent leurs conditions.
Il faut d’abord mentionner que la plupart des contrats sont des prêts d’aide liée. L’aide liée est en soi contestable puisque l’argent prêté revient aux prêteurs, tout en empêchant que le pays du Sud, ici en l’occurrence l’Equateur, ne puisse faire jouer la concurrence pour acheter en fonction du meilleur rapport qualité prix. Les contrats d’aide liée sont donc avant tout profitables aux créanciers ; il est par conséquent permis de d’interroger sur la légitimité de ces prêts. L’analyse d’une partie de la dette bilatérale équatorienne, dont les conclusions sont présentées ci-après, a en outre permis de dégager d’autres éléments contestables.
La Belgique
La dette réclamée à l’Equateur n’est pas très élevée puisqu’elle ne représente qu’un montant de 16,4 millions d’Euros. Comme pour les autres pays européens, tous les prêts en cours sont de l’aide liée, le transport même devant revenir à une entreprise du pays créancier comme il est stipulé pour les prêts belges.
La dette réclamée à l’Equateur est issue de neuf prêts contractés pour 4 projets différents. Le premier prêt remonte au 5 décembre 1983 et le dernier au 9 janvier 2003. Les informations ont été obtenues par un échange de questions réponses des campagnes dettes à un représentant du Ministère belge des finances.
Le premier prêt du 5 décembre 1983 portait sur un montant de 200 millions de FB (1Euro=40,33FB) soit 4,95 millions d’euros et il semble avoir été utilisé pour financer deux projets distincts.
On peut déceler plusieurs éléments contestables dans ce prêt.
Primo, dans le prêt intitulé Varios proyectos, le contrat qui y est lié date du 8 avril 1988 soit plus de 4 ans après la signature, et il y est stipulé que 189 millions de FB du prêt du 5 décembre 1983 seront utilisés pour financer 40% d’un contrat d’achat de matériel médical à une entreprise de Gembloux. Le laps de temps de 4 ans qui s’est écoulé entre l’octroi du prêt et la signature du contrat semble bien témoigner que le prêt ne répondait pas à un besoin urgent et impérieux de l’Equateur et que le gouvernement belge se serait montré plus soucieux de trouver un débouché pour une entreprise belge que de répondre à un vrai besoin de l’Equateur, ce à quoi le responsable du Ministère des finances n’a pas eu d’argument à opposer.
Secundo, il nous a confirmé qu’aucune étude de prix, pour contrôler si les prix facturés par l’entreprise de Gembloux étaient conformes aux prix du marché, n’a eu lieu ; l’entreprise a ainsi pu facturer des montants supérieurs au taux du marché. Cette façon de procéder, bien qu’elle ne soit pas illégale à proprement parler [1], est pour le moins absolument illégitime.
Tertio, si dans l’Accord du 5 décembre 1983, il est stipulé à l’article 2 que le gouvernement équatorien devra payer un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
annuel de 2% sur le montant du prêt octroyé, un document de la Banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
de l’Equateur relatif à ce prêt et daté du 28 décembre 1984 fait mention d’un taux d’intérêt de 8%. Le montant des intérêts payés représentant selon un récapitulatif du Ministère équatorien des finances plus de 900.000 euros sur un prêt de 4,6 millions d’euros, il ne correspond ni a du 2%, ni à du 8%. Toujours concernant ce premier prêt du 5 décembre 1983, le deuxième projet concerné est intitulé Palma Africana et porte sur l’achat de « dos calderas de residuos de palma » pour un montant de 49, 7 millions de FB dont 25% est financé via une partie de prêt d’Etat à Etat. Pour ce marché l’entreprise équatorienne Palmeras de Ecuador doit obtenir une licence d’importation du gouvernement. Or, dans le cas où cette licence ne serait pas accordée, le point 4.2 du contrat stipule que l’acheteur n’a pas le droit de renoncer au contrat.
Les prêts concernant l’entreprise électrique INECEL se sont échelonnés sur une période de 6 ans entre 1992 et 1998. Alors que ces prêts ont représenté un total supérieur à 10 millions d’euros, on ne trouve pas trace d’étude de faisabilité ni d’étude d’impact. Cela peut être considéré comme relativement contestable, même s’il n’existe pas en Belgique d’obligation légale de procéder à des études d’impact.
Pour le prêt du 9 janvier 2003 concernant l’acquisition d’une station côtière pour les Galapagos, il n’y a pas davantage eu d’étude de faisabilité ou d’impact.
Rafael Correa pourrait exiger du gouvernement belge qu’il organise un audit public sur ses créances vis-à-vis de l’Equateur avec la participation des organisations ayant fait la preuve d’une expertise en matière de dettes. Nous rappellerons là que le Ministre des finances, Didier Reynders, interpellé par Eric Toussaint sur la question de l’organisation par les pouvoirs publics belges d’un audit officiel sur les créances réclamées aux pays du Sud en Commission mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
du Sénat belge le 13 mars 2006, a déclaré qu’il refuserait de répondre à cette demande de la part d’organisations sociales belges. En revanche il a déclaré qu’il y donnerait suite si la demande provenait d’un mandataire politique étranger. C’est bien là l’occasion pour Rafael Correa de le prendre au mot et de lui adresser cette demande officielle.
La France
La France réclame à l’Equateur un total de 179 millions de dollars.
On peut contester la légitimité de prêts dont les taux d’intérêts payés sont supérieurs au montant du capital. Ainsi le pays créancier gagne sur deux terrains, non seulement il offre à ses entreprises des débouchés qu’elle n’aurait pas eus autrement, mais il gagne également sur les montants que cela lui rapporte. C’est ainsi le cas pour la France d’après la documentation que nous avons pu obtenir sur 4 des 12 prêts à l’Equateur.
Les prêts sont grevés de taux d’intérêt élevés ainsi que d’autres charges cachées.
Ainsi l’accord du 16 mai 1988 prévoit un taux d’engagement annuel de 5% qui vient s’ajouter au taux d’intérêt de base de 4,65% ce qui porte le taux à 9,65%, ce à quoi il faut rajouter 5% à titre de frais de gestion. L’intérêt payé n’est donc plus de 4,65% mais de 14,65%.
Dans le cas d’un retard de paiement, le taux de pénalité qui vient s’ajouter ne peut être inférieur à 11,65%, et vient bien évidemment s’ajouter au reste.
La seule langue reconnue pour le contrat et la correspondance est le français, ce qui montre bien que c’est la France qui fixe les conditions.
Il s’agit donc là d’une excellente affaire pour la France, les taux concessionnels de l’aide publique au développement ne sont qu’un subterfuge qui vise à dissimuler le coût réel de l’acquisition de biens ou services.
L’Espagne
L’Espagne est le principal créancier bilatéral de l’Equateur. Elle lui réclame 396,8 millions dollars dont 378,2 en contrats originaux et 18,6 millions en restructurations auprès du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
.
Le projet du barrage de la Esperanza est censé transvaser l’eau du Daule jusqu’à Esperanza et de là à un autre barrage, en théorie pour l’agriculture mais selon les organisations paysannes il n’y avait pas d’eau pour eux mais bien pour les industries.
L’Italie
L’Italie a financé environ 58 millions de dollars pour le projet de centrale hydraulique Daule Peripa sur un montant total estimé de 214,8 millions de dollars. Si le taux d’intérêt de 1% sur 30 ans n’est pas élevé, il semble que l’entreprise bénéficiaire italienne ait ignoré les spécifications techniques du projet et vendu davantage de biens que nécessaires.
L’impact du projet du point de vue social et environnemental a été négatif.
Le Danemark
En cas de paiement en retard, le Danemark instaure une pénalité importante, un taux d’intérêt de retard qui ne peut être inférieur à 8%. L’intérêt de retard sera intégré à l’intérêt conclu à l’issue de la période de financement déterminée par le créancier (The default interest will be compound at the end of the funding period as determined by the lender), ce qu’on peut assimiler à de l’anatocisme ou capitalisation des intérêts, ce que l’actuelle Constitution équatorienne interdit.
Le contrat est uniquement disponible en anglais et il est stipulé que toute la communication relative au contrat doit avoir lieu en anglais.
En conclusion, ce bref aperçu des éléments contestables montre que le gouvernement équatorien est en droit de questionner la légitimité de ses dettes bilatérales. Les travaux de la CAIC permettront sans aucun doute d’apporter d’autres éléments pour fonder une décision unilatérale du gouvernement équatorien de répudier sa dette extérieure. Le gouvernement équatorien pourrait très bien s’appuyer sur sa légitimité sociale et la volonté mise en avant de commencer à solder sa dette sociale vis-à-vis du peuple équatorien pour mettre en place un tel acte unilatéral.
Cela serait un acte fort car il créerait un précédent qui pourrait être extrêmement utile pour quelques autres dirigeants du Sud qui sont soucieux de l’intérêt de leurs peuples, pour la constitution d’un front de remise en cause voire de non paiement de la dette. Cet acte pourrait avoir des conséquences au-delà de l’Equateur en contribuant à transformer le rapport de forces entre dominants et dominés au bénéfice de ces derniers ; plus largement, il pourrait s’inscrire dans un processus plus large de transformation sociale en cours en Amérique latine dont les avancées dans un pays ont des répercussions positives sur l’ensemble du processus.
[1] Il n’existe pas en Belgique d’obligation légale de procéder à des études de prix.
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