Rapport du 2e séminaire CADTM AYNA « propositions souveraines et alternatives sociales face à la dette »

25 octobre 2010 par Daniel Munevar




Les 16 et 17 septembre s’est tenu à Buenos Aires en Argentine, le second séminaire du réseau CADTM AYNA intitulé « propositions souveraines et alternatives sociales face à la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 ». Cet espace de discussion a permis d’analyser les tendances récentes de l’évolution de l’endettement public au niveau régional et de mettre en avant la prise de mesures souveraines comme un élément clé dans la lutte contre le système d’oppression de la dette.

Les activités ont commencé le 16 septembre avec une présentation de Daniel Munevar (CADTM Belgique) sur la dynamique de la dette publique en Amérique latine au cours de la dernière décennie. Celle-ci a montré le changement dans la composition de la dette publique qui a eu lieu dans une grande partie des pays de la région où l’émission de dette publique interne s’est convertie en instrument principal de financement des Etats. Ce phénomène est important pour comprendre la stabilité relative de la région face aux assauts de la crise financière.

Par la suite, William Gaviria (CADTM Colombie) et Paulino Nuñez (CADTM Venezuela) ont poursuivi la discussion sur le panorama régional de la dette en se concentrant sur la région andine. Pendant que William Gaviria présentait l’impact négatif du paiement de la dette sur la prestation de services publics par le renforcement du modèle néo-libéral et militariste en Colombie, Paulino Nuñez a parlé de la nécessité de la part du gouvernement du Venezuela de prendre des mesures plus fortes contre la dette et les traités de double imposition. Les deux conférenciers ont signalé l’importance d’un énergique rejet de la présence militaire nord-américaine en Colombie du fait de la menace qu’elle représente pour la paix régionale.

Au cours de l’après-midi, les présentations ont continué avec un Panel sur le CIRDI CIRDI Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.

Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.

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et les traités bilatéraux d’investissements auquel ont participé Aristides Corti et Luciana Ghiotto tous deux d’Argentine. Les conférenciers ont présenté les problèmes en termes de perte de souveraineté des tribunaux d’arbitrage, dans lesquels les Etats se retrouvent presque sans exception toujours désavantagés vis-à-vis de la partie adverse du secteur privé. Ils se sont donc montrés sceptiques face à l’établissement d’un tribunal régional d’arbitrage dans le cadre de la nouvelle architecture financière (NAF) régionale. Ils ont en même temps souligné la nécessité de l’adoption de mesures souveraines pour faire face aux investisseurs internationaux qui avec leurs opérations ont affecté le bien-être de la population locale en rappelant que lorsque s’achèvent les Traités bilatéraux sur l’investissement il y existe une période de 10 ans au cours de laquelle les Etats restent soumis aux conditions de ces contrats.

Les panels du jeudi se sont terminés avec une discussion sur la NAF à laquelle ont participé Carlos Marichal du Mexique et Julio Gambina d’Argentine. Carlos Marichal a réalisé sa présentation sur la question de la démocratie économique. A son avis, le manque de conscience des citoyens vis-à-vis des principales dynamiques économiques affaiblit leur participation quant à la prise de décision de politique économique. Il en découle une limitation de leur possibilité d’exercer leurs droits démocratiques. Sa proposition consiste à tenter de vulgariser la thématique de l’intégration régionale vis-à-vis du citoyen ordinaire par un travail de sensibilisation pour renforcer l’appui politique à ce genre d’initiative. Julio Gambina n’a pour sa part pas hésité à signaler que le principal obstacle auquel fait face la Banque du Sud et le Sucre réside dans le manque de volonté politique de la part de certains gouvernements de la région à laquelle s’ajoute l’opposition totale de la part de la technocratie en charge desdits projets. Seule la mobilisation populaire peut surmonter ce blocage.

Le vendredi 17 a commencé par la présentation des résultats de la Commission parlementaire sur la dette du Brésil par un de ceux qui en ont été à l’initiative, Rodrigo Avila. Son intervention s’est centrée sur l’explication des mécanismes techniques qui ont permis d’obtenir l’appui politique pour mettre en place cette Commission. Dans cette optique, il a signalé que alors que l’audit est terminé, il s’agit seulement du premier pas pour rétablir le contrôle citoyen sur les finances publiques du pays. Le pas suivant dans la lutte consiste à initier des processus de poursuites à l’encontre de ces individus qui ont commis des illégalités dans l’endettement du Brésil. Rodrigo Avila a mentionné que l’appui international aux travaux de la Commission parlementaire sur la dette doit se poursuivre tout au long des prochains mois.

Par la suite une discussion s’est tenue sur le processus d’audit d’Itaipu-Yacireta au Paraguay et l’appui apporté par le CADTM à ce processus. Le point central de la discussion a consisté à analyser les mécanismes par lesquels on peut souligner l’importance de réaliser en Argentine un processus d’audit par rapport à l’entreprise binationale Paraguay – Argentine de Yacireta. Comme le cas du Brésil l’a démontré c’est la pression nationale et internationale qui a ouvert la voie à ce que la Cour des comptes du Paraguay entame un travail de révision des documents relatifs à l’entreprise binationale Itaipu, ce qui représente un premier pas pour la réalisation d’un éventuel processus d’audit intégral de la dette. Le CADTM s’est engagé à fournir de l’information régulière sur le thème, de telle manière que les mouvements sociaux argentins puissent l’utiliser pour créer de la pression sociale et politique sur la question.

Pendant l’après-midi, la discussion s’est centrée sur la dynamique récente de la dette publique en Argentine et comment promouvoir l’organisation d’une nouvelle Commission parlementaire d’audit de la dette qui tienne compte du rapport Olmos. Les panels étaient composés de Mario Cafiero, Isaac Rudnick, Claudio Katz, Eduardo Lucita, Alejandro Olmos et le parlementaire Eduardo Macaluse. Ce premier groupe de présentation s’est centré sur la description de la dynamique de la dette publique en Argentine au cours de la dernière décennie ainsi que l’impact du défaut sur le modèle économique du pays. Ce débat a lieu à un moment où on peut entrevoir la possibilité de l’utilisation des réserves externes pour le paiement de la dette publique externe. Les conférenciers étaient d’accord pour signaler que si le paiement de la dette réduit la fragilité externe du pays, son coût associé à l’utilisation de ces ressources dans un contexte marqué par des mobilisations sociales et avec l’antécédent de l’illégitimité et de l’illégalité de la dette argentine établie par la Commission Olmos est inacceptable.

Le second groupe de conférenciers composé d’Alejandro Olmos et du parlementaire Eduardo Macaluse a traité des aspects juridiques et politiques de la dette argentine. Olmos a souligné que le caractère illégal de la dette argentine avait été clairement établi. Sur la base de son expérience dans la Commission d’audit de l’Equateur il a mentionné que l’appui et la pression politique de la société civile est fondamental pour mener à bien un processus d’audit jusqu’à son terme attendu c’est-à-dire l’annulation des contrats illégaux et les poursuites juridiques contre les responsables de ces irrégularités. Le parlementaire Macaluse a pour sa part montré sa volonté de mener à bien le cas au sein du parlement argentin et a demandé l’appui des différents partis politiques et mouvements sociaux présents dans la réunion pour parvenir à placer le thème de la dette dans l’agenda politique national.

Les activités du IIe séminaire du réseau CADTM AYNA se sont conclues par un panel avec Eric Toussaint du CADTM Belgique et Atilio Boron d’Argentine. Le président du CADTM Belgique a partagé avec le public sa récente expérience de participation à l’Assemblée générale de l’ONU le 15 septembre. Après un bref compte-rendu de son intervention, Eric Toussaint a parlé de l’importance de réaliser des mesures d’audit et la prise de mesures souveraines pour s’opposer au système d’oppression de la dette. Etant donné le rôle de premier plan du débat sur la dette et l’austérité dans l’agenda du réseau CADTM Europe, le conférencier a affirmé que la prise de mesures comme l’audit de la dette en Equateur représentent un modèle pour le monde, ce qui place la région à l’avant-garde des luttes sociales contre la dette. Atilio Boron a pour sa part parlé de la situation sociale et politique que traverse l’Amérique latine et l’importance des processus alternatifs en cours au niveau régional pour la mise en œuvre de politiques progressistes qui conduisent à l’annulation de la dette externe.

De cette manière l’événement s’est terminé sur une note positive en se constituant en un point de rencontre au niveau national en Argentine et au niveau régional pour promouvoir et renforcer le travail des mouvements sociaux pour l’élimination de la dette publique de l’Amérique latine. Le IIIe séminaire du réseau CADTM AYNA a été convoqué pour le mois de septembre 2011 pour poursuivre ce type de synergie avec les mouvements sociaux.


Traduction : Virginie de Romanet

Daniel Munevar

est un économiste post-keynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette.
Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. Il a également travaillé à la CNUCED.
C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique au niveau international. Il est chercheur à Eurodad.

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