8e Rencontre internationale de la Marche mondiale des femmes aux Philippines
10 janvier 2012 par Christine Vanden Daelen
C’est en rythme, au son de musiques et de chansons traditionnelles philippines, que débuta la 8e Rencontre internationale de la Marche mondiale des femmes. Des déléguées de pas moins de 34 pays [1] ont fait le déplacement jusqu’à Manille pour, toutes ensemble, mettre leurs énergies, expériences et analyses au service du renforcement et de la consolidation de ce mouvement féministe et anticapitaliste international.
Les repas entre les sessions de travail étaient préparés par des collectifs de femmes ayant survécu à la prostitution et à la violence sexuelle. L’une de ces femmes a volontairement témoigné de la descente aux enfers que vit une femme lorsqu’elle est sexuellement violée et exploitée : « J’ai été violée par un homme dont j’étais amoureuse. J’ai aussi été abusée par mon employeur. J’ai été engagée dans un travail domestique qui est devenu de la prostitution. Ce n’est que ma détermination qui m’a permis de quitter le milieu. En tant que victime, je sais qu’on doit se battre continuellement pour nos droits. Rien ne nous est ‘généreusement’ octroyé. Tant que le capitalisme continuera à utiliser nos corps, les femmes seront toujours en prostitution. Sans mon implication au sein de mon organisation (Bagong Kamalayan Collective – organisation de masse des survivantes de la prostitution de rue et du trafic sexuel) jamais je n’aurais pu être parmi vous ni suffisamment vivante que pour vous raconter mon histoire ». Lorsqu’on entend un tel récit, l’affirmation selon laquelle la prostitution est un travail comme un autre sonne plus que jamais comme une infamie destinée à légitimer ce commerce humain insoutenable.
Si face à un gouvernement ultralibéral générant d’immenses inégalités (1% de la population détient 30% du revenu national), un chômage endémique et des emplois sous-payés et précaires, si face à une Église catholique toute puissante qui s’oppose au passage de la loi sur la contraception et l’avortement et interdit le divorce, si face à une présence militaire accrue des États-Unis et des désastres climatiques qui s’abattent prioritairement sur les populations précarisées (et donc sur les femmes) [2], il ne fait pas bon être « femme » aux Philippines (comme dans de trop nombreux autres endroits de par le monde…), dès la fin de la dictature de Marcos (1986) l’auto-organisation des femmes a donné naissance à un mouvement féministe populaire fort et revendicatif. Les défis féministes d’autrefois contre l’impérialisme et le patriarcat se matérialisent aujourd’hui dans les luttes pour l’égalité, contre la prostitution et la commercialisation du corps des femmes et des enfants, pour la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs comme des droits humains fondamentaux, pour la paix et la démilitarisation, pour la souveraineté alimentaire, contre l’agrobusiness qui est en train de s’implanter dans le pays et contre les déséquilibres écologiques résultant d’un productivisme effréné.
La Marche mondiale des femmes comme mouvement permanent de mobilisation et d’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
féministe
Dans un contexte de crise systémique où toutes les politiques répondent aux logiques du capital et consacrent le saccage de la vie, où ne cessent de croître militarisation, fondamentalismes et désordres climatiques, où -au nom de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
- sont imposées les pires régressions sociales, où partout les droits des femmes sont attaqués et les violences de toutes formes à leur égard s’intensifient, la MMF
Money Market Funds
MMF
Les Money Market Funds (MMF) sont des sociétés financières des États-Unis et d’Europe, très peu ou pas du contrôlées ni réglementées car elles n’ont pas de licence bancaire. Ils font partie du shadow banking. En théorie, les MMF mènent une politique prudente mais la réalité est bien différente. L’administration Obama envisage de les réglementer car, en cas de faillite d’un MMF, le risque de devoir utiliser des deniers publics pour les sauver est très élevé. Les MMF suscitent beaucoup d’inquiétude vu les fonds considérables qu’ils gèrent et la chute depuis 2008 de leur marge de profit. En 2012, les MMF états-uniens maniaient 2 700 milliards de dollars de fonds, contre 3 800 milliards en 2008. En tant que fonds d’investissement, les MMF collectent les capitaux des investisseurs (banques, fonds de pension…). Cette épargne est ensuite prêtée à très court terme, souvent au jour le jour, à des banques, des entreprises et des États.
Dans les années 2000, le financement par les MMF est devenu une composante importante du financement à court terme des banques. Parmi les principaux fonds, on trouve Prime Money Market Fund, créé par la principale banque des États-Unis JP.Morgan, qui gérait, en 2012, 115 milliards de dollars. La même année, Wells Fargo, la 4e banque aux États-Unis, gérait un MMF de 24 milliards de dollars. Goldman Sachs, la 5e banque, contrôlait un MMF de 25 milliards de dollars.
Sur le marché des MMF en euros, on trouve de nouveau des sociétés états-uniennes : JP.Morgan (avec 18 milliards d’euros), Black Rock (11,5 milliards), Goldman Sachs (10 milliards) et des européennes avec principalement BNP Paribas (7,4 milliards) et Deutsche Bank (11,3 milliards) toujours pour l’année 2012. Certains MMF opèrent également avec des livres sterling. Bien que Michel Barnier ait annoncé vouloir réglementer le secteur, jusqu’à aujourd’hui rien n’a été mis en place. Encore des déclarations d’intention...
1. L’agence de notation Moody’s a calculé que pendant la période 2007-2009, 62 MMF ont dû être sauvés de la faillite par les banques ou les fonds de pensions qui les avaient créés. Il s’est agi de 36 MMF opérant aux États-Unis et 26 en Europe, pour un coût total de 12,1 milliards de dollars. Entre 1980 et 2007, 146 MMF ont été sauvés par leurs sponsors. En 2010-2011, toujours selon Moody’s, 20 MMF ont été renfloués.
2 Cela montre à quel point ils peuvent mettre en danger la stabilité du système financier privé.
veut construire des alternatives concrètes et être une force de recomposition et de mobilisation. Elle entend continuer à créer et à renforcer ses alliances avec les mouvements sociaux en veillant à ce qu’il n’y ait pas hiérarchisation mais bien articulation entre les luttes, chacune incluant désormais l’analyse féministe.
En 2015, la Marche entend bien être plus large, s’être renforcée dans les différents pays et continents, constituer une organisation féministe, anticapitaliste de dimension internationale où les femmes de cultures, de régions et de milieux sociaux différents se retrouvent et agissent ensemble. Elle désire fermement construire un mouvement enraciné dans les luttes locales capable de rompre l’isolement des communautés qui souffrent des impacts de la militarisation et de l’avancée du capital sur toutes les sphères de la vie. En renforçant la solidarité internationale, la MMF désire appuyer les luttes locales et être encore plus proche des femmes de la base.
Pour donner corps à leurs aspirations, les activistes de la Marche mondiale des femmes ont, durant cette rencontre, élaboré collectivement des pistes stratégiques et des propositions d’actions :
D’un mouvement aux activités sporadiques et cycliques, la MMF se constitue désormais en un mouvement permanent de sensibilisation et d’action féministe ;
La Marche travaillera à devenir plus inclusive : elle sera plus présente dans les luttes locales, veillera à associer toujours davantage les femmes rurales, autochtones, migrantes, prostituées, sans-papières et à renforcer l’engagement des jeunes féministes ;
La MMF développera ses activités d’éducation populaire ;
Afin de garantir son autonomie, la Marche réfléchira à une politique d’autofinancement ;
Encore plus de stratégies de convergences et de travail conjoint avec les mouvements sociaux mixtes, une présence accrue de la MMF aux mobilisations sociales en cours et à venir et l’appropriation par les mouvements « amis » de la thématique du féminisme constitueront les lignes de force majeures de la politique d’alliance de la MMF ;
Renforcer son travail sur les alternatives féministes notamment dans le domaine macro-économique, réaliser plus d’analyses sur les impacts de la crise sur les femmes (la MMF Europe lance une campagne contre les plans d’austérité) et profiter de celle-ci pour impulser un changement radical de société constitueront également des priorités pour la Marche ;
Des groupes de travail et d’action unilingues sont réactivés. Ils approfondiront les thèmes suivants : les politiques d’austérité et la pauvreté, les compagnies minières canadiennes, l’impact de la présence militaire des États-Unis mais aussi des Nations Unies sur la vie des femmes et la façon de poursuivre le débat sur les droits des lesbiennes dans la Marche ;
La MMF entend assurer le transfert de son Secrétariat International (pour l’instant établi au Brésil) pour 2016.
D’ici 2013, sera organisée une journée féministe d’action commune –24heures d’action pour la paix– ainsi qu’une campagne en vue de promouvoir le droit des femmes à disposer librement de leur corps.
A l’assaut de Manille contre les violences faites aux femmes !
Réveillées aux aurores, les participantes à cette 8e Rencontre internationale rejoignirent en un convoi de cinq « jeepney » (mini taxis collectifs colorés et intrépides) le centre de Manille. La manifestation qui a rassemblé près de 1 200 femmes et hommes a marqué ce 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes. Les différents slogans de la Marche y furent scandés dans toutes les langues :
L’éternel et incontournable SO-SO-SO-Solidarité avec les femmes du monde entier ! On n’est pas des marchandises ! Nous sommes des femmes en lutte ! Contre le capitalisme, je refuse et je résiste, contre le patriarcat je résiste et je me bats ! Les droits reproductifs sont nos droits, personne ni les hommes, ni l’État, ni l’Église ne peuvent décider pour nous ! Les droits reproductifs doivent passer maintenant !
Des slogans exprimant les luttes féministes contre la marchandisation du corps des femmes, pour leur autonomie et liberté, contre l’impérialisme états-unien, la militarisation, la faim et l’insécurité alimentaire, l’homophobie et la discrimination des femmes handicapées… Une manifestation festive, animée et revendicative traversée d’une forte énergie collective.
La rencontre s’est clôturée par un Forum public organisé autour des 4 thèmes de la MMF [3].Des interventions faites par des membres de la Marche et des femmes d’organisations et d’associations féministes des Philippines nous ont permis de partager des témoignages très forts sur le trafic des femmes et l’impérialisme états-unien avec ses forces armées omniprésentes dans ce pays, synonyme de violences accrues à l’égard des femmes.
Si les militantes de la Marche se sont donné rendez-vous en 2013 au Brésil, tout laisse présager que les rues et villes de leurs pays résonneront des échos de leurs revendications et de leurs actions bien avant cette date, car tant que toutes les femmes ne seront pas libres, elles seront toujours en marche !
[1] Les 80 participantes à cette réunion venaient d’Afrique du Sud, d’Allemagne, de Belgique, du Brésil, du Canada, du Chili, de Corée, de Cuba, de l’État espagnol, des Etats-Unis, de France, de Galice, d’Haïti, d’Indonésie, du Japon, du Kenya, de Macédoine, du Mali, du Mozambique, de Nouvelle Calédonie, des Pays-Bas, du Pakistan, de Palestine, des Philippines, du Portugal, du Québec, de République démocratique du Congo, du Sahara Occidental, de Suisse, de Tunisie, de Turquie, d’Uruguay, du Vanuatu et du Zimbabwe.
[2] Encore tout récemment, durant le week-end des 17 et 18 décembre 2011, une tempête tropicale a balayé le sud des Philippines entraînant dans son sillage plus d’un millier de mort-e-s et de nombreux/euses disparu-e-s. Des villages entiers ont été dévastés par les inondations, des routes et des ponts ont été détruits, jetant en pleine nuit des dizaines de milliers de personnes à la rue, sans vêtements ni nourriture. Les intempéries ont comme à leur habitude particulièrement touché les plus pauvres, dont les habitations illégales, érigées sur des terrains proches de cours d’eau les exposent à une brusque montée des eaux.
[3] Paix et démilitarisation, Biens communs et services publics, Autonomie économique des femmes, Lutte contre les violences faites aux femmes
6 janvier 2023, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau , Capire
13 septembre 2022, par CADTM Belgique , Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau
5 septembre 2022, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau , July Robert - magazine Axelle
4 avril 2022, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau
3 mars 2021, par Christine Vanden Daelen
26 février 2021, par Christine Vanden Daelen
11 février 2021, par Christine Vanden Daelen
8 décembre 2020, par Christine Vanden Daelen , ZinTV , Jules Falquet
26 novembre 2020, par Eric Toussaint , CADTM International , Jean Nanga , Christine Vanden Daelen , Sushovan Dhar , Maria Elena Saludas , Omar Aziki , Rémi Vilain
31 juillet 2020, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau