Série : 1944-2020, 76 ans d’intervention de la Banque mondiale et du FMI (partie 11)

Banque mondiale et Philippines

17 avril 2020 par Eric Toussaint


Ferdinand Marcos à la Maison blanche en 1966

En 2020, la Banque mondiale (BM) et le FMI atteignent l’âge de 76 ans. Ces deux institutions financières internationales (IFI), créées en 1944, sont dominées par les États-Unis et quelques grandes puissances alliées qui agissent pour généraliser des politiques contraires aux intérêts des peuples.

La BM et le FMI ont systématiquement prêté à des États afin d’influencer leur politique. L’endettement extérieur a été et est encore utilisé comme un instrument de subordination des débiteurs. Depuis leur création, le FMI et la BM ont violé les pactes internationaux sur les droits humains et n’hésitent pas à soutenir des dictatures.

Une nouvelle forme de décolonisation s’impose pour sortir de l’impasse dans laquelle les IFI et leurs principaux actionnaires ont enfermé le monde en général. De nouvelles institutions internationales doivent être construites. Nous publions une série d’articles d’Éric Toussaint qui retrace l’évolution de la BM et du FMI depuis leur création en 1944. Ces articles sont tirés du livre Banque mondiale : le coup d’État permanent, publié en 2006, aujourd’hui épuisé et disponible gratuitement en pdf.


  1. Autour de la fondation des institutions de Bretton Woods
  2. La Banque mondiale au service des puissants dans un climat de chasse aux sorcières
  3. Conflits entre l’ONU et le tandem Banque mondiale/FMI des origines aux années 1970
  4. SUNFED versus Banque mondiale
  5. Pourquoi le Plan Marshall ?
  6. Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement
  7. Leadership des États-Unis sur la Banque mondiale
  8. Le soutien de la Banque mondiale et du FMI aux dictatures
  9. Banque mondiale et Philippines
  10. Le soutien de la Banque mondiale à la dictature en Turquie (1980-1983)
  11. La Banque mondiale et le FMI en Indonésie : une intervention emblématique
  12. Les mensonges théoriques de la Banque mondiale
  13. La Corée du Sud et le miracle démasqué
  14. Le piège de l’endettement
  15. La Banque mondiale voyait venir la crise de la dette
  16. La crise de la dette mexicaine et la Banque mondiale
  17. Banque mondiale et FMI : huissiers des créanciers
  18. Les présidents Barber Conable et Lewis Preston (1986-1995)
  19. L’opération de séduction de James Wolfensohn (1995-2005)
  20. La Commission Meltzer sur les IFI au Congrès des États-Unis en 2000
  21. Les comptes de la Banque mondiale
  22. De Wolfowitz (2005-2007) à David Malpass (2019-...) : les hommes du président des États-Unis restent à la tête de la Banque mondiale
  23. Le FMI et la Banque mondiale au temps du coronavirus : La quête ratée d’une nouvelle image
  24. Banque mondiale et FMI : 76 ans, ça suffit ! Abolition !
  25. La Banque mondiale, le FMI et les droits humains
  26. La Banque mondiale n’a pas vu venir le printemps arabe et préconise la poursuite des politiques qui ont produit les soulèvements populaires
  27. Les divagations de la Banque mondiale concernant le nombre de pauvres sur la planète
  28. L’ABC de la Banque mondiale
  29. L’ABC du Fonds monétaire international (FMI) 

L’indépendance des Philippines concédée par les États-Unis en 1946 ouvre une période de prospérité pour le pays. En raison d’enjeux géostratégiques, après la seconde guerre mondiale, Washington permet au gouvernement philippin de mener une politique qu’il interdit ailleurs.

Le gouvernement philippin peut donc se permettre la mise en place de politiques indépendantes, favorables au développement de l’économie du pays. Cette situation finit par incommoder les États-Unis, et avec le soutien du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, les Conservateurs, majoritaires au Congrès philippin suite aux élections de 1959, imposent à partir de 1962 des politiques très différentes, qui vont provoquer hémorragie des capitaux, surendettement, dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. et perte de revenus pour la population. C’est dans ce contexte de crise que Ferdinand Marcos proclame la loi martiale en 1972. La Banque mondiale applaudit le dictateur qui mène une politique conforme aux vœux de Washington. La corruption massive accroît le mécontentement et finit par provoquer en 1986 la chute de Ferdinand Marcos au profit de Corazon Aquino, leader de l’opposition démocratique mais intimement liée aux grands propriétaires des plantations. C. Aquino mène une politique économique néo-libérale intransigeante, dans la meilleure tradition de la Banque mondiale, qui bien sûr déçoit profondément le peuple.

Les Philippines ont été une colonie espagnole jusqu’en 1898, année de la défaite de l’Espagne dans une guerre déclarée par les États-Unis qui occupent à leur tour le pays sauf au cours de seconde guerre mondiale où c’est le Japon qui l’occupe. Les Philippines obtiennent leur indépendance à l’égard des États-Unis en 1946 mais ceux-ci imposent certaines conditions : taux de change fixe entre le peso philippin et le dollar américain afin de prémunir les entreprises états-uniennes contre les effets d’une dévaluation, accords de libre échange, etc. Au début, cela se passe sans trop de heurts car les États-Unis procurent beaucoup de dollars aux Philippines, notamment via une forte présence militaire.

Mais à partir de 1949, le flux des dollars se tarit. Le gouvernement philippin instaure alors un fort contrôle sur le change de monnaie afin d’éviter une hémorragie de devises. On interdit aux firmes privées d’emprunter à l’étranger. Le gouvernement des États-Unis et le FMI tolèrent cette mesure pour préserver leurs bonnes relations avec leur allié philippin. L’introduction du contrôle des changes, des mouvements de capitaux et des importations ouvre une période de vaches grasses pour l’économie philippine avec un développement de l’industrialisation du pays. Cela dure douze ans, jusqu’au moment où les États-Unis, le FMI et la Banque mondiale obtiennent l’abandon de ces mesures de contrôle en 1962.

Au cours de la décennie 1950, le secteur manufacturier connaît une croissance annuelle de 10 à 12%, l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. ne dépasse pas 2% par an, les Philippines accumulent des réserves de change et la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
externe est très faible. Mais cela ne fait pas que des heureux : les entreprises états-uniennes et autres se plaignent de devoir réinvestir tous leurs bénéfices dans l’économie du pays. En effet, les capitalistes exportateurs, qu’ils soient philippins ou étrangers, doivent remettre leurs revenus d’exportation en dollars à la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. qui leur rend des pesos à un taux désavantageux. Cela procure d’importants revenus à l’État. Le gouvernement philippin, fort de son succès, exige des États-Unis en 1954 qu’ils modifient les règles du jeu imposées lors de l’indépendance de 1946. Washington accepte et cela consolide la position des autorités philippines.

Bien sûr, il ne faut pas idéaliser le succès philippin : la société est restée capitaliste, elle est marquée par de profondes inégalités, l’industrialisation se fait surtout dans l’assemblage. Cependant, en comparaison de ce qui arrive depuis 1962, on ne peut s’empêcher de penser que la situation des années 1950 était prometteuse. C’est bien cela qui provoque une offensive conjointe des États-Unis, du FMI et de la Banque mondiale en alliance avec les secteurs les plus conservateurs des classes dominantes philippines pour forcer l’abandon de l’expérience.

Les conservateurs, majoritaires au Congrès philippin suite aux élections de 1959, imposent à partir de 1962 l’abandon du contrôle sur les mouvements de capitaux. Le FMI et le gouvernement des États-Unis applaudissent et un prêt de 300 millions de dollars est immédiatement accordé.

L’abandon du contrôle entraîne une hémorragie de capitaux vers l’étranger qui est jugulée à coups d’emprunts extérieurs. La dette externe est multipliée par sept entre 1962 et 1969 : elle passe de 275 millions à 1 880 millions de dollars !

Les exportateurs philippins de produits agricoles et de matières premières ainsi que les transnationales exultent car leurs profits explosent. En contrepartie, le secteur manufacturier travaillant pour le marché intérieur décline rapidement. En 1970, il faut dévaluer très fortement le peso. Les salaires et les revenus des petits producteurs s’effondrent.

C’est dans ce cadre de crise des politiques soutenues par les États-Unis, le FMI, la Banque mondiale et les conservateurs que Ferdinand Marcos instaure en 1972 une dictature dont le but ultime est la consolidation par la force de la politique néolibérale.

Un an plus tard, de l’autre côté du Pacifique, Augusto Pinochet prend le pouvoir au Chili avec les mêmes objectifs, les mêmes maîtres et les mêmes appuis !


Le rôle de la Banque mondiale

Les premiers prêts de la Banque mondiale aux Philippines remontent à 1958 mais jusqu’à l’arrivée de Robert McNamara à la présidence de la Banque en 1968, ceux-ci restent très faibles. Robert McNamara considère que les Philippines, où se trouvent des bases militaires des États-Unis, tout comme l’Indonésie et la Turquie, représentent un tel enjeu stratégique qu’il faut à tout prix renforcer leurs liens avec la Banque mondiale. Prêter de l’argent est un moyen de pression. Les historiens de la Banque mondiale n’hésitent pas à écrire : “McNamara et son équipe étaient préoccupés par les réformes politiques faites par le Parlement philippin. Les Philippines représentaient alors un cas où la loi martiale avait déclenché un grand volume de prêts de la Banque. Marcos a écarté le Parlement et a commencé à gouverner par décrets présidentiels en août 1972. McNamara et les fonctionnaires de la banque ont salué ce changement ». [1] . Un des premiers actes posés par Ferdinand Marcos après avoir instauré la dictature consiste à supprimer le plafond d’endettement public que le Parlement philippin a instauré en 1970. La réglementation abrogée fixait à un milliard de dollars la marge d’endettement du gouvernement avec un plafond annuel de 250 millions de dollars. Ferdinand Marcos fait sauter ce verrou, ce qui ravit la Banque mondiale [2]. Robert McNamara annonce que la Banque mondiale est disposée à multiplier au moins par deux les montants prêtés [3]. Il est trop tard pour augmenter les prêts pour 1973 au grand dam de Robert McNamara. Qu’à cela ne tienne : la Banque met les bouchées doubles et en 1974, elle multiplie par 5,5 le montant de 1973 (165 millions au lieu de 30) [4].

La Banque mondiale et le FMI sont à ce point publiquement derrière la dictature qu’ils organisent leur assemblée annuelle en 1976 à Manille. Cette année-là, Bernard Bell, vice-président de la Banque pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, déclare : « Le risque pris en prêtant aux Philippines est inférieur à celui pris à l’égard de la Malaisie ou de la Corée » [5]. A noter également que la Banque mondiale, en collaboration avec les Fondations Ford et Rockfeller, a implanté aux Philippines un des trois centres de recherche de la révolution verte.

Pourtant, Ferdinand Marcos ne mène pas exactement la politique économique voulue par la Banque. La Banque mondiale est désappointée car elle entretient d’excellentes relations avec le dictateur et les universitaires dont il s’est entouré, certains d’entre eux devenant plus tard des fonctionnaires de la Banque tel Gerardo Sicat, ministre de la Planification puis président de la Philippines National Bank, la principale banque du pays.

La Banque mondiale n’exprime aucun désaccord à l’égard de la politique répressive du régime. Par contre, elle s’inquiète de la lenteur à appliquer des réformes structurelles visant à remplacer ce qui reste du modèle d’industrialisation par substitution d’importation Industrialisation par substitution d’importation Cette stratégie renvoie principalement à l’expérience historique de l’Amérique latine des années trente et quarante, et aux travaux de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine de l’ONU) des années 1950, avec notamment les écrits de l’Argentin Raúl Prebisch (qui deviendra en 1964 le premier secrétaire général de la CNUCED). Le point de départ est le constat selon lequel, confrontés à une réduction drastique des échanges, les principaux pays d’Amérique latine avaient su répondre à la demande intérieure en remplaçant les produits importés par le développement de la production locale. La théorisation de la CEPAL vise à étendre ce procédé successivement à tous les secteurs de l’industrie en créant une « déconnexion » vis-à-vis du Centre. En s’appuyant sur une bonne dose de protectionnisme et sur une intervention coordonnée de l’État, elle vise à permettre l’essor des industries naissantes. La Corée du Sud a appliqué cette politique avec succès mais dans des conditions particulières. par le modèle de promotion d’exportation qu’elle prône. Pour peser davantage sur le gouvernement philippin, elle décide d’accorder deux importants prêts d’ajustement structurel en 1981 et en 1983, visant notamment la promotion des exportations. Elle sait parfaitement que ces prêts vont finir en grande partie sur les comptes en banque de Ferdinand Marcos et de ses généraux, mais elle considère que c’est de fait un dessous de table nécessaire à payer au personnel politique dirigeant pour qu’il accélère la contre réforme néolibérale.

Sur ces entrefaites, une crise bancaire éclate aux Philippines en 1981 suite à une énorme affaire de corruption touchant à la fois les capitalistes et l’appareil d’État. De proche en proche, la crise s’étend à tout le système financier philippin et les deux plus grandes banques publiques sont au bord de la faillite. La crise s’étend de 1981 à 1983-1984. Elle est exacerbée par la crise de la dette externe qui éclate internationalement en 1982. Les banques privées étrangères stoppent tout crédit aux Philippines. C’est un échec patent pour la Banque mondiale et ses bons amis, Ferdinand Marcos, Gerardo Sicat et le premier ministre Cesar Virata.

Le mécontentement populaire monte abruptement. Des secteurs importants des classes dominantes entrent en conflit avec le régime Marcos. Cela s’accentue avec l’assassinat d’un membre de l’oligarchie foncière opposée à Marcos : le sénateur Benigno Aquino, exilé aux États-Unis, est abattu dès son retour à l’aéroport de Manille en août 1983.

En dépit de la montée de l’opposition à Marcos, la Banque mondiale décide de maintenir son soutien au dictateur. En dérogation avec ce qu’elle a planifié, elle augmente fortement ses prêts : 600 millions de dollars en 1983, soit plus du double de l’année précédente (251 millions de dollars en 1982). Les historiens de la Banque mondiale écrivent qu’elle agit loyalement à l’égard d’un vieil ami [6].

Corazon AquinoLes mobilisations populaires se radicalisent et avec l’aide des États-Unis, représentés à Manille par Paul Wolfowitz [7], qui a pourtant accompagné le régime de Marcos jusqu’au bout, le secteur d’opposition des classes dominantes et de l’armée se débarrasse de Marcos et le pousse à l’exil [8]. Corazon Aquino, leader de l’opposition bourgeoise et foncière, veuve de Benigno Aquino, prend la direction du gouvernement en 1986.

La Banque mondiale hésite alors sur la conduite à suivre. Le vice-président de la Banque mondiale pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, Attila Karaosmanoglu, écrit une note interne qui n’a rien d’enthousiasmant sur le nouveau régime démocratique : « Nous nous attendons à ce que le processus de décision soit plus compliqué que par le passé, à cause de la nature plus collégiale de la nouvelle équipe, du rôle renforcé du législatif et des tendances populistes du nouveau gouvernement » [9].

Finalement, la Banque mondiale, le FMI et les États-Unis considèrent qu’il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur en misant sur la présidente Corazon Aquino car elle s’engage à maintenir son pays dans le bon camp et même à approfondir l’agenda néolibéral. La Banque mondiale prête 300 millions de dollars en 1987 et 200 millions en 1988 : il s’agit de mettre de l’huile dans les rouages de la privatisation des entreprises publiques. Entre 1989 et 1992, la Banque mondiale prête 1 324 millions de dollars pour poursuivre l’ajustement structurel. Les États-Unis menacent de bloquer ces prêts si les Philippines mettent à exécution le projet de fermeture des bases militaires des États-Unis sur leur territoire.

En ce qui concerne la réforme agraire mise en avant par le puissant mouvement populaire qui a provoqué l’éviction de Marcos et s’est encore renforcé en 1987, Corazon Aquino choisit le camp de l’oligarchie foncière dont elle est issue. Entre 1986 et 1990, l’État n’acquiert que 122 hectares [10] !

Finalement, le gouvernement Corazon Aquino fait mieux que Ferdinand Marcos en termes d’application de la panoplie de mesures néolibérales, à la grande satisfaction de la Banque mondiale.


Notes

[1D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p. 558.

[2Voir Cheryl Payer, 1991, p. 82

[3Les historiens de la Banque mondiale rendent public un compte-rendu interne d’une réunion au plus haut niveau entre McNamara et ses collègues : “Une réunion plutôt surprenante ! En effet, il n’y a plus été question des critiques des premières années relatives à la politique, à la corruption et à l’inégalité des revenus mais elle a plutôt montré un sentiment généralisé d’assentiment pour l’augmentation des prêts. Et l’équipe du département qui avait préparé un document prudent concernant les Philippines (Country Program P) était sidérée. L’ordre du jour de la réunion est de travailler à l’intérieur du système. (La politique du gouvernement philippin n’est pas nécessairement pire qu’en Thaïlande mais elle fait l’objet de plus de publicité). Nous devons avoir pour objectif de prêter en moyenne 120 millions de dollars par an pour les prochaines années de 1974 à 1978, 50% de plus que ce qui était prévu ». (World Bank, “Notes on the Philippines Country Program Review, July 28, 1972,” prepared by H. Schulmann on August 15, 1972, cité par D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p. 303) (World Bank, “Notes on the Philippines Country Program Review, July 28, 1972,” prepared by H. Schulmann on August 15, 1972, cité par D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p. 303) (…) “A miracle has occurred in the Philippines. Philosophically, it is distressing, however, that the miracle occurred under the auspices of a military dictatorship. Mr. Cargill said he didn’t believe the miracle would continue, ‘but while it does,’ interjected Mr McNamara, ‘and only as long as it does, let us continue to support it.’” “Un miracle s’est produit aux Philippines. Il est cependant philosophiquement gênant que ce miracle se soit produit sous les auspices d’une dictature militaire. Monsieur Cargill a dit qu’il ne pensait pas que le miracle allait continuer « mais tant que c’est le cas et seulement tant que c’est le cas, continuons à le soutenir » lança McNamara ».Memorandum, Alexis E. Lachman to John Adler, December 27, 1973, with attachment, “Philippines Country Program Review, December 19, 1973, cite par D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p. 304)

[4En 1980, la Banque mondiale prêta 400 millions.

[5« The risk in lending to the Philippines was lower than for Malaysia or Korea » (cité par D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p. 304)

[6D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1., p.563.

[7Paul Wolfowitz est devenu président de la Banque mondiale en 2005.

[8F. Marcos fut transféré par l’armée des États-Unis à Honolulu où il vécut jusqu’en 1989.

[9« We expect that the decision making process will be more difficult than in the past, because of a more collegial nature of the new team, the enhanced role of the legislative branch and the populist tendencies of the new government » Cité par D. Kapur, J. Lewis, R. Webb, 1997, vol. 1, note 102 p. 565.

[10En 1987, suite à la radicalisation des luttes paysannes, une équipe de la Banque mondiale dirigée par Martin Karcher envisagea la possibilité d’une réforme agraire radicale à l’image de celles qui furent réalisées au Japon, en Corée du Sud et à Taiwan, après la seconde guerre mondiale. Le document produit en mars 1987 par cette équipe prévoyait de limiter la propriété de la terre à sept hectares, ce qui impliquait de s’en prendre directement aux grands planteurs de canne à sucre (dont Corazon Aquino). Cette étude de la Banque mondiale proposait que les sans terre obtiennent les terres en s’acquittant d’une somme unique de 600 pesos (environ 30 dollars de l’époque). Il va sans dire que cette étude ne déboucha jamais sur des mesures concrètes.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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