Trois jours d’activité très bien remplis en Bolivie du mercredi 21 novembre au vendredi 23 novembre 2007.
Contexte bolivien
Quelques mots sur le contexte général de la Bolivie écrits rapidement sans avoir le temps de vérifier une série de données. Ce pays de 10 millions d’habitants (bref une population proche de celle de la Belgique, du Niger, du Sénégal, du Burkina Faso ou du Mali) est un des plus pauvres d’Amérique latine. Il n’a pas d’accès à la mer (comme le Niger, le Mali et le Burkina). Sa capitale La Paz est située à 3600 mètres d’altitude. Le pays comprend trois grands types de géographie : 1) grande région montagneuse avec des plaines situées au-dessus de 2500 mètres d’altitude à la frontière avec le Pérou, le Chili et l’Argentine ; 2) plaine à basse altitude proche de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay ; 3) région amazonienne avec végétation luxuriante proche du Brésil. Le pays est exportateur de combustibles, de matières premières et de produits agricoles : pétrole, gaz, étain, soja…
Le pays a connu une grande explosion révolutionnaire en 1952 qui a abouti à une réforme agraire et à des nationalisations. A partir de 1971, la Bolivie a connu un régime militaire conduit par le général Banzer.
Très affectée par la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui a explosé en 1982, la Bolivie a été soumise à un plan de choc néolibéral à partir de 1985 : privatisation des mines et du pétrole, réduction massive des salaires et de l’emploi, ouverture économique forcée, réduction des dépenses publiques. L’auteur intellectuel de ce plan d’ajustement structurel
Plan d'ajustement structurel
En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante.
est l’économiste nord américain Jeffrey Sachs qui ensuite a conçu le plan de choc appliqué en Russie puis s’est converti en un adepte de l’annulation de la dette des pays pauvres notamment des pays d’Afrique sub- saharienne.
A partir de l’année 2000 et jusqu’à aujourd’hui, les luttes sociales ont été nombreuses et le peuple bolivien a joué un rôle d’avant-garde au niveau mondial en mettant la lutte pour le contrôle public sur les biens communs au centre de l’agenda : la lutte victorieuse contre la privatisation de l’eau à Cochabamba en avril 2000 et à El Alto en 2004 ; la lutte pour la récupération du contrôle public sur le gaz en 2003.
La majorité de la population est indienne. Elle a été exclue du pouvoir jusqu’à l’élection fin 2005 d’Evo Morales, indien Aymara, ex-dirigeant syndical paysan des producteurs de la feuille de coca, à la présidence de la république bolivienne. Le MAS (Mouvement vers le Socialisme), parti d’Evo Morales, est majoritaire à l’assemblée constituante. Evo Morales dispose d’une majorité à la chambre des députés mais pas au Sénat qui est dominé par la droite qui tente de bloquer toutes les réformes démocratiques et toutes les mesures favorables au peuple.
En 2006, Evo Morales et son gouvernement ont décrété la nationalisation du pétrole et du gaz, ce qui est très apprécié par une très grande majorité de la population.
La Bolivie d’Evo Morales est très proche des gouvernements vénézuéliens, cubains et équatoriens. La Bolivie fait partie de l’ALBA, l’alternative bolivarienne pour les Amériques, et a signé des traités commerciaux entre les peuples avec le Venezuela et Cuba.
Les gouverneurs des provinces de Santa Cruz et de Cochabamba au service des capitalistes locaux font tout pour déstabiliser le régime d’Evo Morales : menace de sécession, refus d’appliquer des réformes, mobilisation de secteurs de la population financées par le patronat, campagne diffamatoire contre Evo Morales et son gouvernement. La province riche de Santa Cruz se comporte comme la Croatie lors de l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990 (une série d’immigrés croates jouent d’ailleurs un rôle actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
dans la menace de sécession) : elle déclare qu’elle ne veut plus financer les provinces pauvres du pays et la capitale. Nous assistons au même jeu centrifuge au Venezuela avec l’Etat pétrolier de Zulia (capitale Maracaibo) qui menace aussi de se séparer du reste du pays ainsi qu’en Equateur avec la province de Guayaquil (ville très riche du littoral tenue par la droite).
La dette publique externe de la Bolivie a été réduite de 45% en 2005-2006. Dans le cadre de l’achèvement de l’initiative PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(Pays pauvres très endettés), la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et la BID (Banque interaméricaine de développement) ont annulé environ 2 milliards de dollars de dette. Par contre la dette publique interne monte en flèche ces dernières années et dépasse aujourd’hui la dette publique externe. Le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
publique ne baisse pas fortement, il oscille entre 800 et 900 millions de dollars par an. En 2006, le service de la dette publique interne a coûté 556 millions de dollars au Trésor public et celui de la dette publique externe a représenté 325 millions de dollars.
Compte-rendu du programme d’activité d’Eric Toussaint
Voyage le mardi 20 novembre de Caracas à La Paz via Lima (Pérou) –environ 4.000 km- arrivée à La Paz à minuit 15 le mercredi 21 novembre.
J’étais invité par la « Section bolivienne des Droits Humains » (Capitulo boliviano de derechos humanos) en collaboration avec le CEDLA (Centro de Estudio para el Desarrollo laboral y agrario) et par la principale Université publique (UMSA). Remberto Arias, ancien ouvrier horloger, militant révolutionnaire trotskyste bolivien, a joué un rôle très actif dans la préparation de mon programme d’activité. Victor Vacaflorès, directeur du Capitulo boliviano de derechos humanos que j’avais rencontré pour la première fois à Quito en avril 2007, a été l’organisateur final du programme.
Petit-déjeuner de travail le mercredi 21 novembre avec Remberto Arias et Mauricio Linares du Capitulo boliviano de derechos humanos. A l’hôtel El Dorado où je suis hébergé, je rencontre de manière imprévue au petit déjeuner José Seoane (Argentine) et Massimo (Mexique) des amis du Conseil latino américain de Sciences Sociales (CLACSO) avec lequel je collabore depuis 5 ans (CLACSO a publié en 2003 et en 2004 deux éditions de mon livre La Finance contre les Peuples. La Bourse
Bourse
La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois).
ou la Vie).
10H00 : conférence de presse au salon d’honneur de l’université publique UMSA (qui compte 60.000 étudiants). 5 médias présents dont la correspondante en Bolivie du quotidien mexicain La Jornada. Au cours de la conférence de presse, j’ai présenté l’édition bolivienne de mon livre « Banque mondiale : le Coup d’Etat permanent » réalisée par le Capitulo boliviano de derechos humanos et une imprimerie militante. Le livre de 318 pages sorti de presse le 20 novembre 2007 est en diffusion gratuite. C’est la quatrième édition en espagnol de ce livre au cours de l’année 2007 : la première édition a été réalisée à Barcelone par El Viejo Topo (janvier 2007), la deuxième est parue à Caracas le 8 août 2007 sous la responsabilité du Centre international Miranda (diffusion gratuite), la troisième a été réalisée par l’éditeur Abya-Yala en Equateur et a été présentée le 17 août 2007 à Quito.
J’ai également abordé au cours de la conférence de presse l’audit de la dette et la création de la Banque du Sud.
Après la conférence de presse, j’ai rendu visite aux autorités académiques de la faculté d’économie de l’UMSA en compagnie de Baco (surnom de Victor Vacaflorès, directeur du Capitulo boliviano de derechos humanos) et de Abraham Pérez, directeur de l’institut de recherches économiques.
A 11H30, j’ai donné une interview à la chaîne de télévision universitaire.
L’université UMSA était en effervescence ce 21 novembre car s’y déroulaient les élections universitaires au cours desquelles s’affrontaient la droite et la gauche. Les élections ont été gagnées par la droite grâce aux votes des professeurs (la majorité des étudiants ont voté pour la gauche mais le vote des profs est prépondérant).
Déjeuner de travail le 21 novembre à 13H00 avec Baco et Remberto au cours duquel nous avons discuté de la situation politique générale.
Le 21 novembre à 15H00, j’ai donné une conférence publique à la salle Capitolio en compagnie de trois représentants du ministre des Finances de la Bolivie (le ministre a dû se faire remplacer en dernière minute car il devait répondre en urgence à des interpellations au Sénat). Nous avons débattu de la création de la Banque du Sud devant 110 personnes. Un public composé des dirigeantes des campagnes dette (Fondation Jubilé Bolivie et Caritas Catolica) ainsi que des leaders et des militants des mouvements sociaux.
Au cours de la pause, j’ai dû me retirer pour enregistrer dans une salle attenante un programme de télévision de 25 minutes avec Amalia Pando, la fameuse journaliste politique bolivienne. Son programme est très prisé. L’émission a porté sur la situation financière internationale et les alternatives.
A 20H30, repas de travail avec Baco et Mauricio Linares pour poursuivre la discussion sur la situation politique bolivienne.
A 22H00, j’étais l’invité en direct de l’émission « Que no me pierda » (qu’on peut traduire par « A ne pas rater ») du journaliste John Arandia sur la chaîne privée Canal UNO. Cette émission quotidienne nocturne dure 1H30 et bénéficie d’une large audience (en compétition avec le même type d’émission sur la chaîne publique, voir plus loin). Mon interview a duré 40 minutes. Elle a porté sur le livre Banque mondiale, sur la dette, sur l’audit et sur la Banque du Sud.
La journée du 21 novembre a été très chargée et tendue en terme de mobilisation sociale et politique. Pendant que nous donnions la conférence à la salle du Capitole, à un kilomètre de là, 3000 manifestants venant de la ville de El Alto (située à 10 km de La PAZ à 4000 mètres d’altitude) arrivaient sur la place centrale (Plazza Murillo) afin de protester contre le Sénat tenu par la droite. Les manifestants qui soutiennent le gouvernement d’Evo Morales (en se situant sur sa gauche) ont demandé la fermeture du Sénat et ont brûlé des effigies de Sénateurs. Le Sénat bloque notamment une loi favorable aux pensionnés à faible revenu.
A 120 km de La Paz, un groupe indien de 1000 ponchos rouges armés de chicotes et de quelques fusils se rassemblait avant de prendre la route de Sucre, la capitale administrative de la Bolivie où doit se réunir le lendemain l’Assemblée constituante. Cette Assemblée est en panne depuis trois mois à cause des manœuvres de la droite minoritaire qui veut à tout prix éviter une réforme démocratique des institutions du pays. Par bien des aspects, cette droite est raciste à l’égard de la majorité indienne de la population. La droite défend clairement à la fois les privilèges des capitalistes et la minorité blanche du pays (dans laquelle se recrute la plupart des capitalistes). Comme indiqué précédemment les bastions de la droite sont Santa Cruz (capitale financière du pays) et en second lieu Cochabamba. La droite est soutenue activement par la hiérarchie catholique qui ce jour-là a critiqué les mobilisations populaires et a attaqué le gouvernement. Au même moment à Sucre, des étudiants de l’université locale soutenus par la droite expulsaient une délégation d’un millier d’Indiens venus soutenir les travaux de la constituante devant démarrer le lendemain. Cette délégation indienne avait été invitée par les autorités universitaires à camper sur le campus. Les étudiants ont invectivé de manière raciste les Indiens et ont tenté violemment de les expulser du domaine universitaire. Au même moment, plusieurs dizaines de délégués d’El Alto ont pris ensuite la route de Sucre en bus. Le climat est électrique. Les partisans de la droite commencent à occuper différentes institutions publiques à Sucre et dans les localités environnantes. L’Armée intervient pacifiquement pour empêcher ces occupations. Dans ce contexte, l’Assemblée constituante décide de se réunir dans une caserne militaire de Sucre afin d’éviter d’être bloquée dans ses travaux par des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de la droite.
Au moment où je suis interviewé sur le Canal Uno de télévision, un étudiant de droite de l’UMSA est assassiné. Je ne l’apprendrai que le lendemain à 18H00.
Le deuxième jour de mon programme d’activité à La Paz est bien rempli également.
A 9H30, je donne une interview à la revue du CEDLA sur la Banque du Sud.
De 10H30 à 13H00, des responsables des mouvements sociaux sont invités par le CEDLA et Capitulo boliviano de derechos humanos, à venir discuter avec moi de la Banque mondiale, de l’audit de la dette, de la Banque du Sud, etc.
Une vingtaine de délégués sont au rendez-vous : ils représentent la légendaire COB (Centrale ouvrière bolivienne), l’UNEPEPB (une organisation de défenses des anciens prisonniers politiques et des disparus), le Collège des économistes de La Paz, le Comité civique populaire de Bolivie, des organisations de quartier et quelques ONG (Mouvement Justice et Paix, CEDLA, Capitulo boliviano de derechos humanos). Deux représentants du ministère des affaires extérieures m’avaient demandé à être invités : ils sont donc également présents à cette réunion de mouvements sociaux. Je fais 5 propositions : 1) envisager un procès contre la Banque mondiale en Bolivie, 2) obtenir du président Evo Morales la création d’une commission d’audit de la dette publique interne et externe à l’image de l’Equateur ; 3) réaliser une édition bolivienne du Manuel de la dette CADTM/CETIM ; 4) signer la deuxième lettre ouverte des mouvements sociaux aux présidents latino-américains lancés dans la création de la Banque du Sud ; 5) organiser en Bolivie des actions dans le cadre de la semaine globale d’action du Forum social mondial qui culminera le samedi 26 janvier 2008. Les participants de cette réunion de travail sont enthousiastes.
Ensuite, déjeuner de travail avec une conseillère du ministère de la Santé qui souhaite mon avis sur la pertinence d’accepter des prêts de la Banque mondiale dans le cadre du programme de santé publique. Elle est plutôt contre mais explique que le budget de l’Etat attribué à la santé est tout à fait insuffisant. La Banque mondiale via l’IDA prête à un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très attractif de 0,7%. Mais bien sûr la Banque mondiale ne souhaite pas que la Bolivie adopte une politique de santé intégrale et unique comme à Cuba et au Venezuela alors que c’est cela qu’il faut faire. La Banque mondiale veut une politique de santé publique ciblée sur les plus pauvres et centrées vers des projets précis, fragmentaires.
A 18H00, j’arrive à l’université UMSA pour donner une conférence intitulée « Néo développementisme ou Socialisme du 21e siècle ». J’arrive au Salon d’honneur où doit se dérouler la conférence. Consternation, la salle a été transformée en chambre mortuaire. Au milieu repose le corps d’un étudiant dans un cercueil blanc, il est entouré d’une quarantaine de personnes en pleurs. Plusieurs personnes venues pour la conférence me disent que celle-ci est annulée mais j’apprends ensuite que le lieu a été modifié et que celle-ci aura bien lieu. Très ému, je me rends au nouveau local. Abraham Perez qui est professeur à l’université m’apprend que l’étudiant a été assassiné la veille au soir. Après avoir fêté la victoire de la droite universitaire, il a été poignardé dans la rue sur le chemin du retour. On m’apprendra plus tard qu’il s’agit certainement d’un crime sans contenu politique.
Une centaine d’étudiants et quelques professeurs participent à ma conférence.
A 21H00, je suis l’invité du journaliste Jhimy Iturri qui anime l’émission quotidienne « Con Sentido » (« Avec du sens ») sur la chaîne publique Canal 7 de la Television boliviana. Jhimy Iturri est un journaliste de gauche, ex-trotskyste. L’interview en direct dure 20 minutes. Sujets : mon livre sur la banque mondiale, l’audit de la dette et la Banque du Sud. Par ailleurs, l’émission est consacrée à l’actualité politique nationale : l’assemblée constituante présidée par la députée indienne, Silvia Lazarte (en costume traditionnel), vient de commencer ses travaux dans la caserne de La Glorieta à Sucre. On se demande si la droite va provoquer des affrontements.
Sur les chaînes de TV de droite, on annonce que les partisans d’Evo Morales s’apprêtent à provoquer des incidents violents…
Le deuxième jour de travail s’achève à minuit. J’ai travaillé 16H00 par jour depuis deux jours, je suis éreinté mais cela valait la peine.
Troisième jour du programme :
Le vendredi 23 novembre devait être sans travail et destiné à découvrir la ville de La Paz et de El Alto (c’est ma première visite en Bolivie) mais tout a été bousculé au cours des deux journées précédentes.
A 7H30, surprise : coup de téléphone de Hugo Ruiz Diaz Balbuena depuis Paris. Hugo est conseiller juridique du CADTM et représente l’Association Américaine des Juristes auprès des Nations unies à Genève. Depuis un an, il travaille étroitement avec les autorités boliviennes sur les questions des traités bilatéraux d’investissement et du CIRDI
CIRDI
Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.
Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.
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- CIADI en espagnol - (le tribunal de la Banque mondiale en matière d’investissement). Hugo m’explique que Claudia Barrionuevo du ministère bolivien des Relations extérieures veut me rencontrer pour discuter de la sortie de la Bolivie du CIRDI. Je lui réponds que le rendez-vous est déjà pris et nous discutons Hugo et moi de la tactique à suivre à l’égard du CIRDI.
A 8H00, réunion de travail avec deux délégués et deux stagiaires du ministère des Affaires étrangères pour préparer la venue de la délégation bolivienne à Bruxelles en décembre. Objet de la visite : la négociation d’un accord de partenariat économique entre l’UE et la Communauté andine des Nations dont la Bolivie fait partie aux côtés de la Colombie, du Pérou et de l’Equateur (le Venezuela qui s’en est retiré en 2006 pour protester contre la tentative de signature de TLC entre la Colombie et les Etats-Unis ainsi qu’entre le Pérou et les Etats-Unis envisage d’y rentrer car depuis son retrait, l’Equateur est passé à gauche).
Nouvelle surprise parmi les quatre interlocuteurs se trouve Lucas, un militant genevois antiglobalisation que je connais depuis 1998 et qui est actif dans le réseau Action Mondiale des Peuples. C’est Olivier de Marcellus (AMP Genève) et Nicolas Maystre (CADTM Genève) qui l’ont prévenu que je venais en Bolivie. Mes interlocuteurs me demandent de leur présenter la situation des mouvements sociaux en Europe. Je commence par présenter rapidement le CADTM puis je fais un résumé de l’activité du Forum social européen, de l’assemblée européenne préparatoire du FSE, des luttes sociales en Europe, la situation de crise communautaire en Belgique (il n’y a pas que la Bolivie qui est déchirée par une crise entre « régions »). Ensuite ils me demandent si un mouvement est lancé en Europe sur le changement climatique. Je leur dis que leur visite tombe à pic car aura lieu à Bruxelles le 8 décembre 2007 une manif sur le thème « Climat et justice sociale ». Par ailleurs on envisage de convoquer une activité publique sur la Bolivie à Bruxelles le 11 décembre en coorganisation CADTM et toutes les orgas que cela intéresse (Comité Daniel Gillard, Association Belgique Bolivie, Oxfam, CNCD, ATTAC, RISAL,…). A suivre.
A 10H00, Mauricio Linares et Remberto m’emmènent en voiture à 100 km de La Paz pour une visite du site archéologique de Tiwanaku. La civilisation de Tiwanaku a débuté il y a 3000 ans, son apogée se situe environ au 7-9e siècle de l’ère chrétienne et le déclin final a lieu dans les années 1400 quand les Incas prennent le dessus avant que les conquistadors espagnols ne les écrasent un siècle plus tard. Le site de Tiwanaku est constitué de plusieurs pyramides qui partagent pas mal de points communs avec les pyramides mayas de la même époque. Tiwanaku est un des lieux qui symbolisent la force des civilisations indiennes qui précèdent la barbarie coloniale provoquée par l’irruption brutale des Européens dans la région. Evo Morales y a réalisé plusieurs activités importantes. Hugo Chavez et Evo y ont tenu un programme « Allo Président » en mai 2006.
La visite est extrêmement intéressante mais il faut reprendre la route de La Paz à 15H30 pour être au rendez-vous à 17H00 avec Claudia Barrionuevo du ministère des Relations extérieures.
La réunion débute à 17H15, sont présents Claudia et deux de ses collègues dont le Nord Américain Tom Cruise (rien à voir avec l’acteur). Je suis accompagné de Remberto Arias. Claudia et Tom expliquent la politique du gouvernement bolivien basée sur l’approfondissement des conquêtes populaires de 2000 (déprivatisation de l’eau à Cochabamba contre Bechtel notamment), déprivatisation de l’eau à El Alto contre Suez en 2005) avant l’élection d’Evo. Le 2 mai 2007, la Bolivie a annoncé qu’elle sortait du CIRDI. D’autres pays de l’ALBA devait faire de même, notamment le Nicaragua mais cela ne s’est pas fait. Aujourd’hui, Italia Telecom qui contrôle grâce à la privatisation 70% du marché bolivien, veut traîner la Bolivie devant le CIRDI. Celui-ci s’est reconnu compétent il y a peu, bien que la Bolivie n’accepte plus son intervention. Il faut que la Bolivie refuse de se rendre au RDV fixé par le CIRDI. Un appui des syndicats des Telecom européens serait bienvenu. Je m’engage à prendre des contacts en Italie et en France.
Par ailleurs je leur demande s’ils sont prêts à aller dans le même sens que la deuxième lettre ouverte sur la Banque du Sud et s’ils sont favorables à la création d’une commission d’audit de la dette. Le courant passe très bien entre nous. Il est certain que la collaboration va se renforcer.
A 18H30, sous une pluie battante, Remberto et moi prenons le bus pour El Alto. Après une heure de voyage chaotique, nous arrivons au centre culturel ALBA où nous attendent 35 personnes dont des leaders sociaux locaux. El Alto compte 850.000 habitants. Les mouvements sociaux sont très combatifs. Sur la table de la tribune, des centaines de feuilles de coca. Il est de tradition de commencer une réunion importante en s’échangeant des feuilles de coca et en les consommant en les malaxant dans la bouche (sans les ingurgiter). La feuille de coca n’a rien d’une drogue. Elle coupe la faim, elle combat le malaise de l’altitude et permet de continuer à travailler malgré la fatigue. Beaucoup de Boliviens à bas revenus consomment la coca : les paysans, les mineurs, la population en général et Evo mène bataille pour la légalisation internationale de la coca. J’aime beaucoup consommer des feuilles de coca depuis une réunion des mouvements sociaux en août 2001 à Mexico au cours de laquelle des paysans boliviens nous en avaient offert lors de la séance d’ouverture.
Ma conférence porte sur la situation mondiale, le lien entre les luttes à El Alto et celles dans le monde entier. Beaucoup de questions : que se passe-t-il en Chine, en France, à Oaxaca au Mexique, en Croatie (voir l’action de droite des émigrés croates à Santa Cruz), en Espagne, au Venezuela ? Comment organiser un puissant front des ouvriers et des paysans ? Quel est le rôle des femmes ? Que devrait être le socialisme du 21e siècle ? L’audit de la dette. La Banque du sud.
Les participants viennent tous des milieux populaires, ils ont entre 20 et 70 ans. Les membres des mouvements suivants sont présents : une association d’handicapés, un orchestre de musique populaire (Chimpu), une association de jeunes (l’aube nouvelle ; nuevo amanecer), une coopérative de production, une association d’artisans bijoutiers, une association d’artisans boulangers, une bibliothèque populaire, un centre culturel, la centrale ouvrière, le MAS, le POR Combate. Un des animateurs de la réunion, immobilisé dans une chaise roulante depuis que ses membres inférieurs ont commencé à le lâcher suite à la sous-alimentation dans sa jeunesse, a suivi en 1983 une formation à l’institut de formation d’Amsterdam avec lequel le CADTM collabore depuis plus de 12 ans… Le monde est petit.
A 23H00 retour sous une pluie battante et glaciale à La Paz.
Le lendemain je suis debout à 5H00 du matin pour aller prendre l’avion vers Caracas via Lima.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Quand le président Joe Biden affirme que les États-Unis n’ont jamais dénoncé aucune dette, c’est un mensonge destiné à convaincre les gens qu’il n’y a pas d’alternative à un mauvais accord bi-partisan.
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