Ouarzazate

Séminaire du CADTM Afrique « Femmes, dette et microcrédit »

17 avril 2014 par CADTM Afrique


Durant 4 journées, du 21 au 24 avril 2014, des déléguées venant de pas moins de 10 pays membres du CADTM Afrique, une quinzaine de militantes d’ATTAC/CADTM Maroc et des femmes engagées dans la lutte contre les microcrédits dans la région de Ouarzazate se sont retrouvé-e-s pour participer à une formation internationale sur la dette, l’audit et les microcrédits. Tout un travail sur les alternatives et les luttes que les femmes peuvent mener spécifiquement contre ces deux systèmes d’appauvrissement structurel des peuples au profit des institutions bancaires et des plus riches structurera cette activité.



Quels étaient les objectifs du Séminaire ?

Ces 4 journées de formations avaient comme axes thématiques :

  • La dette
  • L’audit
  • Les microcrédits
  • Les alternatives et luttes à mettre en place

Matinée consacrée aux perspectives et projets communs de la Coordination internationale des luttes féministes du CADTM avec, entre autres, la volonté d’établir les prochaines étapes de la lutte contre les microcrédits.


Programme

LUNDI 21 AVRIL

9h00 - 9h30 : Présentation des participantes
9h30 - 10h00 : Présentation du programme et des objectifs de la formation
10h15 - 12h45 : Témoignages des victimes des microcrédits. Questions et débat
14h30 - 15h30 : Le système microcrédit (fonctionnement des organismes et logiques du système)
15h30 - 16h30 : Pourquoi la microfinance ne permet pas la lutte contre la pauvreté
16h45 - 17h45 : Microfinance et institutions financières internationales

MARDI 22 AVRIL

8h45 - 9h15 : Synthèse de la première journée. Objectifs de la deuxième
9h15 - 10h15 : Du micro au macrocrédit : endettement des personnes, endettement des Etats
10h30 - 12h30 : La ligne du temps de la dette du Sud au Nord
14h00 - 15h00 : La Groupes de travail : études de cas (ex : santé, enseignement, agriculture...)dette, les PAS : analyse des impacts sur la vie des femmes
15h00 - 16h00 : Mise en commun
16h30 - 18h00 : La dette, les PAS : analyse des impacts sur la vie des femmes
Soirée : films de Souad Guennoun / IFNI - Mounasser

MERCREDI 23 AVRIL

8h45 - 9h15 : Synthèse de la deuxième journée. Objectifs de la troisième
9h15 - 10h45 : Jeu des alternatives et débriefing
11h00 - 12h00 : Groupes de travail : la place des femmes dans la lutte contre la dette illégitime. Quelles actions mener, quels interlocuteurs interpeler, quels outils utiliser ?
12h00 - 13h00 : Mise en commun
14h30 - 16h00 : Une expérience concrète : le CADD du Bénin
16h00 - 17h00 : Groupes de travail : chercher ensemble des alternatives à la pauvreté (mise en pratique d’éducation populaire participative)
17h15 - 18h15 : Mise en commun
21h : Danse, chants, rires et partage

JEUDI 24 AVRIL

9h00 - 11h00 : Perspectives de la coordination : renforcement des actions entamées et nouveaux projets
11h00 - 12h30 : Synthèse et évaluation
12h30 - 14h00 : Déjeuner
14h00 - 16h00 : Atelier agitprop

Première journée du Séminaire du CADTM Afrique « Femmes, dette et microcrédit »

par Christine Vanden Daelen

Le Séminaire du CADTM Afrique « Femmes, dette et microcrédit » a débuté ce lundi 21 avril en chants, danses et slogans en arabe, amazigh, wolof, français. Avec les militantes d’ATTAC/CADTM Maroc, les femmes de l’association de lutte contre les microcrédits de la région de Ouarzazate et la délégation du CADTM Afrique, nous étions une cinquantaine ce matin à exprimer l’enthousiasme que procure le sentiment de lutte collective et la volonté de faire de cette rencontre une étape de renforcement significative pour contrer les systèmes de la dette et des microfinances.

Chaque jour, deux participantes prendront des notes pour aboutir en fin de formation à un document de travail complet. Souad Guennoun (ATTAC/CADTM Maroc), quant à elle, filme les débats ! Nous aurons ainsi matière à communiquer autour de tout le travail qui sera fait ici à Ouarzazate.

Durant la matinée, les femmes de l’association de lutte contre les microcrédits ont partagé des témoignages poignants et parfois difficiles à entendre de vive voix sur la façon dont les microcrédits leur avaient tout pris, les avaient dépossédé de tous biens et dignité, de leur santé physique et morale, les avaient contraint à se prostituer et/ou à ne plus pouvoir financer les études de leurs enfants et à devoir les envoyer travailler pour pouvoir rembourser les crédits, etc. Elles ont clôturé leurs interventions par un appel poignant à la solidarité des participantes sans laquelle elles ne parviendront à trouver la force et les débouchés nécessaires pour continuer à avancer dans leurs luttes et résistances.

L’après-midi fut consacrée à des exposés sur le système des microcrédits. Fatimazahra d’ATTAC/CADTM Maroc nous expliqua les modes de financements mêmes des agences de microcrédits (elles sont financées au Maroc à 70% par des banques privées et à 16% par l’Etat qui contribue de la sorte très concrètement à l’appauvrissement des plus pauvres) et du personnel de ces

agences qui est payé au client, à la prime, ce qui explique que les crédits sont « octroyés » sans aucun contrôle et à tout va, à un maximum de client-e-s. Bambi Soumare du CADTM Sénégal nous a démontré que les problèmes des femmes victimes de microcrédits au Sénégal sont exactement identiques à ceux que vivent les femmes de Ouarzazate. A plusieurs reprises, ont été soulignés l’importance de coordonner les luttes contre la microfinance et le rôle que pouvait jouer le CADTM à ce niveau.

L’expansion des microcrédits et la mise en application des Plans d’ajustement structurel (PAS) dans les années 1980 sont des phénomènes non sans lien et qui témoignent de l’implication des Institutions financières internationales (IFI) dans le développement de la microfinance qui considère la pauvreté non comme une réalité à combattre mais comme un business. Lucile Daumas (ATTAC-CADTM Maroc) nous en dira plus demain sur les relations intrinsèques entre microfinance et IFI. Aussi, nous analyserons les liens entre le « système dette » et les microcrédits et leurs impacts spécifiques sur les femmes.

Microcrédit. Pour une poignée de dirham

Ce n’est pas le titre d’un film tourné à Ouarzazate au Maroc dans les studios de l’Atlas, mais l’histoire de milliers de femmes victimes du microcrédit.

par Reine Tem (ATTAC-CADTM Togo), Sihem Azak (RAID/ATTAC-CADTM Tunisie) et Pauline Imbach (CADTM Belgique)

Il était une fois, dans une petite ville du sud du Maroc, des femmes courageuses luttant contre des institutions de microcrédits. Elles ont emprunté de « micro » sommes d’argent pour améliorer leur activité économique, pour se soigner, pour payer la scolarité de leurs enfants. Elles ont signé des contrats sans les comprendre et sans connaître les conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. . Elles ont payé des intérêts usuriers. Elles ont tout perdu. Leurs vies ont basculé. Elles ont arrêté de payer et ont subi des menaces et des condamnations. Elles sont sorties de la honte et de l’isolement et se sont organisées pour résister collectivement. Elles sont aujourd’hui 4500 femmes. Elles sont déterminées à ne pas se laisser faire. Lors de la première journée de travail du séminaire du CADTM Afrique « Femmes, dette et microcrédit » qui se tient actuellement à Ouarzazate, les femmes victimes du microcrédit ont expliqué comment le microcrédit les a dépossédées de leurs biens, de leurs vies et de leur dignité.

Au moment où les premiers prêts de microcrédits sont apparus, ils étaient perçus comme émancipateurs pour les femmes. Ces dernières n’avaient pas accès à la gestion budgétaire et étaient largement dépendantes des hommes sur le plan financier. Les institutions ont d’ailleurs surfé sur cette image « libératrice » et « entrepreneuriale ». Mais dans la réalité, les intentions des institutions étaient de faire entrer dans le secteur financier une très grande partie de la population, un réservoir inexploré et inexploité de profit... les pauvres des pauvres : les femmes. Ainsi, les agences de microcrédit ont prêté de l’argent à de nombreuses femmes. AlAmana Microfinance, leader du secteur au Maroc (qui a bénéficié de subventions des USA et du Fonds Hassan II), a plus de 500 points de vente et a déjà octroyé plus de 3 millions de prêts pour un montant d’environ 25 milliards de dirhams [1].

A Ouarzazate la situation économique est particulièrement dure, les conditions de travail (quand il y en a) sont difficiles. La moitié des hôtels ont fermé alors que le secteur touristique est sensé être créateur d’emplois. C’est dans ce contexte que le microcrédit est arrivé et a fait rêver de nombreuses femmes à un avenir enfin meilleur.

L’ensemble des témoignages montre que les microcrédits ont été accordés à toutes celles qui le demandaient, sans étude préalable sur leur projet, leur situation, les éventuels prêts contractés dans une autre agence, etc. Ce sont des femmes, des hommes, des fonctionnaires (chose illégale) et même des mineurs qui sont devenus clients des microcrédits. Les agences demandent comme unique document une carte d’identité et n’exigent aucune garantie. Ainsi de nombreux prêts ont été contractés pour des dépenses courantes (santé, éducation, famille, etc.).

Avec ou sans ressources, les femmes ont été très rapidement prises au piège dans un cercle vicieux et se sont trouvées dans une situation de surendettement, contractant de nouveaux prêts pour rembourser les intérêts du précédent. Les femmes qui avaient une activité (boutique, atelier, artisanat) et qui souhaitaient la renforcer grâce à un petit investissement ont fini par faire faillite en raison des montants énormes à rembourser mensuellement. Les témoignages se recoupent, «  on a tout perdu, on s’est fait arnaquer ».

De nombreux contrats ne sont pas signés, ne sont pas datés, d’autres ont été signés par des femmes analphabètes qui ignoraient ce à quoi elles s’engageaient. D’autres contrats ne sont pas officiels et les remboursements se font dans la rue, de main à la main. De plus, de nombreux contrats ne respectent pas certains articles du code des obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
et des droits et sont donc illégitimes.

Quant aux taux d’intérêts, ils sont non seulement usuriers mais varient d’une institution à une autre. Ils peuvent être de 17 % comme de 300 % selon les cas.

« C’est une vrai catastrophe qui s’est abattue sur nous ». Les témoignages qui se succèdent sont édifiants, les histoires plus tragiques les unes que les autres. On est très loin des success stories dont se vantent les institutions de microcrédits sur leur site internet [2].

Les conséquences sont dramatiques, certaines femmes se sont enfuies, d’autres se sont suicidées. De nombreuses familles ont explosé. Les effets dévastateurs du microcrédit sont multiples : sphère privée (divorce, fuite, suicide, dégradation des liens familiaux), santé (mentale et physique), éducation (déscolarisation), économique (perte/vente de tous les biens, faillites), sécurité (menaces par les agents des institutions, poursuites judiciaires), social (rejet, honte, prostitution, grande précarité, pauvreté).

«  Il n’y a pas d’issue sauf le refus collectif de paiement ! »
Après le mouvement du 20 février 2011, les femmes ont décidé de s’engager dans une action collective contre les taux d’intérêts usuriers. Elles ont été rencontrer les institutions pour leur demander de baisser les taux d’intérêts mais ces dernières les ont menacées de prison. Suite à tout cela, elles se sont alors organisées et se sont regroupées au sein de l’association des femmes victimes du microcrédit qui rassemble aujourd’hui 4500 femmes.

La répression s’est rapidement mise en place. Les autorités locales ont été jusqu’à fabriquer de faux dossiers juridiques pour les attaquer. Elles ont reçu différentes formes de pression et d’intimidation, leur interdisant de parler à la presse ou encore les « invitant » à quitter l’association.

L’association des femmes victimes de microcrédit a permis aux femmes d’organiser leurs résistances et leurs luttes. Elles refusent désormais de payer. Elles sont menacées de prison mais même malgré cela elles n’ont pas peur de revendiquer la détention collective. Elles s’assument en tant que victimes et réclament justice face aux arnaques du microcrédit. Elles se battent et continueront de se battre pour leurs droits.

La Banque mondiale, la pauvreté et le microcrédit

Exposé de Lucile Daumas, Séminaire Ouarzazate

La Banque mondiale, la pauvreté et le microcrédit - exposé L Daumas Séminiare Ouarzazate avril 14

 Déclaration finale du Séminaire du CADTM Afrique « Femmes, dette et microcrédit »

 Place à l’émancipation des femmes ! Solidaires face à la dette, unies contre les microcrédits


Notes

[2Par exemple : AlAmana Microfinance met en ligne des portraits de success story. Notons que dans le témoignage choisi au hasard sur le site de l’organisation (on ne va pas non plus tous les lire...), Souad Rharbal, gérante d’un atelier de confection et vente d’habits prêt à porter, raconte avoir contracté 11 prêts et travaillé 16h par jour pour s’en sortir... http://www.alamana.org.ma/detailTemoignage.aspx?id=2445

CADTM Afrique

SECRETARIAT RESEAU CADTM AFRIQUE, CAD-Mali Djélibougou Rue : 326 Porte : 26 - BP. 2521 Bamako - Mali - Tél./Fax : 20 24 01 34 / E-mail : secretariatcadtmafrique chez gmail.com

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