Affaire LuxLeaks : Signal positif de la Cour de cassation

12 janvier 2018 par Françoise Mulfinger Vaupré , Marie-Claude Carrel


Au premier plan de gauche à droite : Raphaël Halet, Édouard Perrin et Antoine Deltour (CC - Wikimedia)

Périple judiciaire pour les lanceurs d’alerte français Antoine Deltour (31 ans) et Raphaël Halet (40 ans).



Ce 11 janvier 2018, la Cour de cassation luxembourgeoise a rendu son verdict en cassant l’arrêt de la Cour d’appel du 15 mars 2017 portant sur une condamnation de six mois avec sursis pour Antoine DELTOUR assortie d’une amende de 1500 euros.

Victoire indéniable saluée avec satisfaction ! La Cour d’appel avait déjà reconnu à Antoine le statut de lanceur d’alerte, au sens que lui donne la Cour européenne des droits de l’Homme, pour seulement une partie des faits, mais la Cour de cassation estime que l’ensemble des faits est indivisible et renvoie l’affaire à la Cour d’appel.

En revanche, Raphaël HALET n’a pas bénéficié du même traitement, condamné à une amende de 1000 euros, la Cour de cassation a jugé à son tour « que l’article 10 de la convention des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ne pouvait être accueilli ». Raphaël, dont le pourvoi en cassation a donc été rejeté a décidé de poursuivre le combat en décidant de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg.

Edouard PERRIN, le journaliste à qui ont été transmis les documents fiscaux confidentiels de la société PricewaterhouseCoopers (PwC) par les deux lanceurs d’alerte précités reste acquitté.

Rappelons que l’affaire « LuxLeaks » a permis notamment de mettre en lumière l’existence d’accords fiscaux appelés « taxruling » liant de nombreuses multinationales avec l’administration des contributions directes au Luxembourg.

Ces révélations reposent sur le travail remarquable du consortium de journalistes indépendants (ICIJ) et du courage exceptionnel d’Antoine et de Raphaël, lanceurs d’alerte, propulsés dans ce périple judiciaire éprouvant mais porteur d’espoir pour la reconnaissance même du « statut de lanceur d’alerte au niveau européen » et au-delà pour la lutte contre la fraude fiscale.

L’affaire a, en effet, d’ores et déjà suscité de multiples réactions d’indignation et ce, dans la mesure où il est devenu patent que les conséquences de ces accords jugés par d’aucuns illicites sont néfastes pour les finances des Etats, privant ainsi les populations concernées de ressources légitimes susceptibles d’améliorer leurs conditions de vie.

La dénonciation du système d’optimisation fiscale à grande échelle pratiquée par les multinationales avec la « complicité du Grand-Duché » a fait osciller aussi les lignes politiques dans l’Union européenne (UE). La liste noire officielle des paradis fiscaux Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
dressée par la Commission européenne en décembre dernier portait sur dix-sept paradis fiscaux tous hors UE. Mais, pour le rapporteur de la commission d’enquête du Parlement européen (Werner Langen), « l’UE ne peut se contenter d’avoir des exigences vis-à-vis des pays tiers, les pays européens doivent mettre de l’ordre chez eux ». Le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande, Malte (et la Grande-Bretagne avec son réseau néfaste de paradis fiscaux) ont été pointés du doigt par des parlementaires européen.ne.s appelé.e.s à se prononcer le 13 décembre 2017 sur des « recommandations destinées à mieux lutter contre les paradis fiscaux » élaborées par une commission d’enquête sur le scandale des Panama Papers.


« L’arbre qui cache la forêt »

Malgré de timides avancées (résolution européenne sur la protection des lanceurs d’alerte), les lanceurs d’alerte reconnus ou non comme tels restent poursuivis. Même sort pour les militant.e.s qui entendent dénoncer cet état de fait, comme témoigne le procès de Nicole Briend face à BNP Paribas [1]. Tandis que les multinationales bénéficiant largement de la fraude fiscale à grande échelle, les administrateurs du fisc et leur tutelle politique n’ont jamais été confrontés à leurs responsabilités dans la mise en place de ces montages fiscaux ni amenés à répondre de leurs actes. Exception faite de PricewaterhouseCoopers (PwC) qui a été appelé très récemment à comparaître en audience au Tribunal de Metz, accusé d’avoir manipulé la justice française.

- Ne relâchons pas notre soutien sans faille à Antoine et à Raphaël pour la suite de leur démarche respective en justice. Restons présent.e.s, actif.ve.s et solidaires à leurs côtés à Luxembourg et à Strasbourg ;

- Renforçons nos pressions citoyennes sur les élu.e.s au Parlement européen afin qu’ils.elles respectent leurs engagements en renforçant notamment la protection dont les lanceurs d’alertes devraient pouvoir bénéficier et en prenant des mesures fortes en faveur de la justice sociale, fiscale et environnementale ;

- Mobilisons-nous ici et là pour soutenir les luttes citoyennes qui à terme – nous l’espérons – se réapproprieront les ressources confisquées illégalement et illégitimement, pour les réorienter résolument vers la politique sociale, la transition écologique et donner sens à la démocratie participative pour plus de justice sociale.


Marie-Claude Carrel

Membre du CADTM France, Grenoble.

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