Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à l’issue de négociations menées secrètement entre le patronat et plusieurs organisations syndicales, sous l’égide du gouvernement de Londres, est instituée en Belgique la « sécurité sociale pour tous » : un droit désormais constitutionnel qui repose sur un système de socialisation partielle des salaires.
Cette étonnante avancée sociale trouve ses origines un siècle auparavant, lorsqu’à l’initiative de corporations d’artisans et puis, bien plus tard, d’ouvriers de la grande industrie, se créèrent les premières caisses volontaires de secours mutuels, couvrant leurs membres contre l’absence de salaires ou de revenus due à des crises, aux accidents, à la maladie, etc. Elles versent même, à l’époque, des aides pour l’enterrement des victimes d’accidents du travail.
En guise de préhistoire
Les premières caisses ouvrières de la fin du XIXe englobent souvent caisses mutuelles, caisses syndicales ou de grève, et caisses de chômage... À l’époque la distinction ne semble pas faire sens, bien au contraire : tout semble vraiment lié. L’un des buts ou « fonctions » politiques essentielles de ces caisses, c’est, en réalité, de permettre aux candidats salariés, surtout aux artisans, de peser à la hausse sur les salaires, en imposant un seuil salarial au-dessous duquel personne n’acceptera de travailler, protégés qu’ils sont tous par la caisse collective. En effet, en cas de journée non prestée, celle-ci assurera à chacun un minimum vital et financera même une journée convenue de refus de travail.
Rapidement épuisées lors des grosses crises, comme à la fin de la guerre 14-18 ou au début des années 30 dans la foulée du crash financier mondial, les caisses de secours mutuels ont fait l’objet, progressivement, et sous conditions, du versement d’un complément ou d’une prise de relais par les instances publiques. Ces conditions sont par exemple : la transparence des comptes, le caractère public des listes de membres, l’inscription des « bénéficiaires » d’allocations auprès d’une bourse Bourse La Bourse est l’endroit où sont émises les obligations et les actions. Une obligation est un titre d’emprunt et une action est un titre de propriété d’une entreprise. Les actions et les obligations peuvent être revendues et rachetées à souhait sur le marché secondaire de la Bourse (le marché primaire est l’endroit où les nouveaux titres sont émis pour la première fois). de travail (le Forem d’aujourd’hui), la séparation des activités d’entraide mutuelle de celles plus syndicales (caisse de grève), etc.
Si elles offrent l’avantage d’être gérées par les travailleurs cotisants eux-mêmes, ces caisses volontaires, organisées entre travailleurs au salaire souvent très bas, s’avèrent très précaires et ne sont accessibles qu’à ceux qui peuvent se le permettre : leur autonomie est donc extrêmement fragile.
1936 marque cependant un tournant important : les congés payés symbolisent un changement paradigmatique central. Pour la première fois s’établit légitimement l’ide
Investissements directs à l’étranger
IDE
Les investissements étrangers peuvent s’effectuer sous forme d’investissements directs ou sous forme d’investissements de portefeuille. Même s’il est parfois difficile de faire la distinction pour des raisons comptables, juridiques ou statistiques, on considère qu’un investissement étranger est un investissement direct si l’investisseur étranger possède 10 % ou plus des actions ordinaires ou de droits de vote dans une entreprise.
́e que les entreprises paient leurs travailleurs pendant qu’ils vont se reposer, se ressourcer, taper la carte en bord de mer, lire et visiter des musées, voyager à travers un réseau d’auberges de jeunesse qui rapidement s’étendra dans l’Europe tout entière.
Pacte social
Tout bascule à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. L’État, les libéraux et la social-démocratie craignent l’avancée du communisme qui, concrètement, revendique en Belgique la république, le contrôle ouvrier dans les entreprises et des augmentations substantielles de salaires – arguant (comme en 1918) de l’explosion des prix.
Le pacte social est alors signé. Il substitue, à une augmentation salariale individuelle, le principe du versement par chaque entreprise, au prorata de sa masse salariale (exclusivement ouvrière au départ [1]) d’une sorte de salaire social, « collectif », vers des caisses couvrant différents « risques » inhérents au marché du travail et pouvant entraîner une perte importante de salaire individuel (maladie, invalidité, vieillesse, chômage), ainsi qu’une aide au financement de l’éducation des enfants à travers des « allocations familiales ». Toutes ces caisses, regroupées sous l’égide de l’Office national de la sécurité sociale (ONSS), seront gérées paritairement par des représentants syndicaux et patronaux, avec l’arbitrage de représentants de l’État.
Le pacte social instaure le principe du versement par chaque entreprise d’une sorte de salaire social
Ces versements collectivement « assuranciels » ne résulteront donc plus d’une succession de gestes individuels et volontaires, mais d’une mutualisation de versements obligatoires partant directement des entreprises vers l’ONSS et reversés instantanément en prestations multiples, dont les allocations de chômage. Leur caractère illimité dans le temps constitue une exclusivité belge jusque dans les années 80, où il est mis à mal [2], et surtout jusqu’au début 2012 où sa remise en cause devient beaucoup plus nette [3].
Il convient de souligner que la signature du Pacte précisait une série d’obligations réciproques : les travailleurs reconnaissent l’autorité patronale sur les lieux de travail (par là ils se dégagent de toute prise sur la finalité même, sur le contenu, de la production) et s’engagent à respecter la paix sociale (ce qui implique de ne plus faire de grèves « sauvages », sans préavis) ; en contrepartie, les patrons s’engagent, pour leur part, à assurer à chacun un emploi « normal » (ce qui à l’époque signifiait « à temps plein et à durée indéterminée ») et à garantir la protection sociale de tous les salariés, avec ou sans emploi, par le versement par chaque entreprise de cotisations sociales convenues comme pourcentage de sa masse salariale brute.
Aujourd’hui... le pacte social est rompu
Mais, depuis 30 ans, en butte à des revendications patronales massives [4], le pacte d’avant-guerre n’est plus assuré par une des deux parties. Depuis le début des années 80 en effet, date où le chômage devient durablement massif, on voit apparaître des types de contrats qui permettent aux entreprises de s’exonérer d’une partie des cotisations, et donc de ne plus devoir comptabiliser la totalité de la masse salariale pour le calcul du montant de celles-ci, ce qui génère un déficit récurrent de la Sécurité sociale (environ 40 milliards, soit 10 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
!) que l’État comble via l’impôt direct et indirect (TVA et accises). Ce que les entreprises ne paient plus est donc assuré par les salariés eux-mêmes, par ponction fiscale sur leurs propres ressources.
En ne versant plus les montants nécessaires, par exonération directe d’une part, par récupération via subsidiation à l’emploi d’autre part, le patronat ne peut plus garantir la « protection sociale » qu’il s’était engagé à assurer à la fin de la guerre, en échange du non versement d’augmentations salariales directes et individuelles. Parallèlement, il n’assure plus non plus le plein emploi « normal », requalifié aujourd’hui de « convenable »... ce qui fait augmenter les besoins en dépenses et réduit les recettes, puisque celles-ci sont calculées sur une masse salariale qui s’amenuise sans cesse.
Le paradoxe est que ce processus de délitement des acquis sociaux de 44 a été mené au nom de « la lutte pour l’emploi et pour la relance économique ».
Dépenses sociales actives et dépenses sociales passives
Si le travail s’est considérablement modifié ces dernières décennies, le chômage s’est lui aussi transformé. Jusqu’au début des années 2000, où on atteint plus de vingt ans de crise et de surproduction, les allocations de chômage et le minimex dispensé par les Centres publics d’aide sociale constituaient – sans que qui que ce soit ait, semble-t-il, à y redire – des dépenses considérées comme passives. Elles n’avaient d’autre effet-retour positif pour l’économie que de garantir à tous un minimum à consommer, sans quoi l’économie se serait comprimée davantage encore. Mais cette option va s’inverser au début des années 2000 sous l’impulsion de divers économistes et hommes politiques, de droite – libéraux réformateurs –, mais aussi sociaux-démocrates, comme Franck Vandenbroucke (SP. A) qui popularisera chez nous le concept d’État social actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
, conceptualisé en Angleterre par Anthony Giddens et déjà appliqué outre-Manche par le gouvernement travailliste de Tony Blair : dorénavant les droits sociaux doivent être individuellement contractualisés et « activés », c’est-à-dire soumis à des « efforts », prédéfinis et vérifiables, fournis par chaque « bénéficiaire » pour quitter au plus vite sa position de « hors emploi », qu’il soit au chômage, en maladie ou en invalidité. Aujourd’hui, les pensionnés eux-mêmes subissent de plus en plus de pression pour rester plus tard au boulot.
En activant les « allocations » sociales (contrôles « ACRE » par l’Onem, pour Activation du comportement de recherche d’emploi, et passage des CPAS au titre et à des pratiques de Centre public d’action sociale, par exemple), le but est semble-t-il de concevoir désormais ces « dépenses publiques sociales » comme autant d’investissements entrepris par la collectivité sur la personne même du bénéficiaire d’allocation, dont on attend un « return » positif sur le développement économique : l’allocation de chômage (ou le Minimex devenu Revenu d’intégration sociale) devient non plus une « dépense » consentie pour entretenir stérilement un être oisif dont on attend juste qu’il consomme dans l’attente que le marché du travail vienne le chercher, mais un « investissement » sur la formation de la personne. Elle se doit d’améliorer par elle-même et en permanence son employabilité d’une part, et s’employer d’autre part à mettre le marché du travail sous pression, par le biais notamment de recherches régulières et systématisées d’emplois, y compris via l’envoi de « candidatures spontanées » dans des entreprises qui n’embauchent pas.
D’un côté, la dépense de l’État (40 % du financement de la Sécurité sociale) devient, en stimulant la formation professionnelle par exemple, un investissement sur la future et meilleure adéquation, productivité et rentabilité du « sans emploi », pour qui l’embauchera par la suite.
De l’autre, par sa quête permanente et intensive d’emploi, le chômeur devient indemnisé pour compresser vers le bas les exigences salariales (NAIRU [5]), ce qui, tirant potentiellement les profits vers le haut, doit accroître l’attractivité de l’investissement sur notre territoire et, par rebond, la création d’emplois... Plus d’emplois, donc moins de dépenses sociales, plus de rentrées en cotisations sociales et impôts sur les personnes physiques : tout bénéfice pour un État criblé de dettes !
Sauf que... ce concept de « dépenses actives », et donc « activées », implique aussi que la Sécurité sociale finance aujourd’hui directement et massivement une partie parfois importante du coût de l’emploi (Titres-Services, Activa, SINE, ALE, PTP, Subside Premier Emploi, APE, Article 60...) au lieu d’assurer des « prestations sociales », ce qui en vide en permanence les moyens... et donc en creuse le déficit à combler.
Activer le chômage, c’est activer le chômeur
On le voit, l’activation des dépenses chômage se traduit de facto par ce que l’on appellera vite « l’activation des chômeurs » eux-mêmes invités, sous peine de sanctions, à se percevoir désormais comme personnellement responsables de valoriser au mieux le coût qu’ils représentent pour la société. Ce changement de gouvernance a bien sûr un impact considérable sur la vie des gens au chômage, mais l’innovation sémantique sur laquelle il repose a aussi des effets – plus insidieux – sur la pensée générale qui innerve l’ensemble du corps social : s’il s’agit à ce point de devoir activer les chômeurs, c’est-à-dire de contrôler l’activation de leur comportement de recherche d’emploi, c’est qu’il y a là matière à penser, à penser que ces gens, sans carotte (accompagnement très suivi par des conseillers aide à la personne du Forem, d’Actiris ou du VDAB) ni bâton (menace d’exclusion) seraient spontanément des êtres inactifs, passifs, ne produisant rien, ni d’économiquement reconnu ni de socialement utile... Les syndicats eux-mêmes utilisent en permanence ces deux qualificatifs : il y a les travailleurs « actifs », qui ont un emploi, et les « inactifs », qui n’en ont pas et doivent en rechercher. Les évolutions de vocabulaire sont porteuses de préconceptions parfois très idéologiques, auxquelles il est indispensable de prêter attention pour ne pas les véhiculer sans distance ni conscience.
L’effet recherché de ce processus, culpabilisant/auto-responsabilisant, basé sur la stigmatisation, le contrôle et la sanction autant que sur l’incitation bienveillante est général : d’une part, les salariés, qu’ils aient ou non un emploi, sont amenés à se penser tous dans un avenir proche et radieux comme autant d’entreprises en compétition permanente, assumant voire assurant par elles-mêmes et pour elles-mêmes, leur réussite comme leur échec, contraintes pour y arriver de se rendre compétitives ; et d’autre part l’institution publique qui encadre, punit, exclut et encourage, finit par se penser et se gérer elle aussi comme telle. Le mot d’ordre est la rentabilité : chaque cent public investi doit concourir à améliorer « l’économie » nationale, au bénéfice inter-classe de tous, rivés à cette maxime : « Le profit d’aujourd’hui est l’investissement de demain qui est lui-même l’emploi d’aprèsdemain », considéré comme le Saint Graal...
Problème : depuis que ces mesures sont appliquées, et bien qu’elles continuent de l’être, le chômage reste massif ; en réalité même, il ne baisse pas... Cherchez l’erreur.
Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète
publié initialement par http://www.philocite.eu/basewp/wp-content/uploads/2015/11/La-Fin-de-la-s%C3%A9curit%C3%A9-sociale.pdf
[1] À l’époque, les cols blancs et les cadres ne sont pas de la partie.
[2] Application de l’Article 80 qui exclut du bénéfice des allocations de chômage les « chômeuses » co-habitantes (ce sont très majoritairement des femmes) dont on juge statistiquement la durée de chômage anormalement longue.
[3] Voir le site du réseau Stop Art.63§2 : www.stop632.be, qui lutte contre cet arrêté royal qui, depuis le début 2012, limite le bénéfice des « allocations d’insertion » à 3 ans à partir du trentième anniversaire, sauf pour une catégorie de chômeurs : ceux (et surtout celles une fois encore) qui cohabitent avec quelqu’un
[4] Quand nous évoquons les offensives patronales massives, nous faisons référence en particulier à la revendication persistante de « réduction des coûts salariaux », soit par exonérations de cotisations dites patronales (de 34 % de la masse salariale brute au début des années 80 à 25 % aujourd’hui), soit par versement aux entreprises de subsides pour payer les salaires. Exemples d’aides à l’emploi financées directement ou indirectement par la Sécurité sociale elle-même : Titres-services, Points Ape, P(rogramme de) T(ransition) P(rofessionnelle), Plan Activa, contrat SINE, emploi jeunes, aides « premier emploi »...
[5] NAIRU : Le taux de chômage n’accélérant pas l’inflation (en anglais : Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment), qui est un indicateur économique, estimé pour un pays et à un instant donné, mesurant approximativement le taux de chômage nécessaire pour freiner, voire empêcher, l’augmentation des salaires et donc assurer un taux d’inflation stable. Qui dit inflation en hausse, dit perte de valeur de la monnaie et donc perte de valeur des capitaux.
23 octobre 2017, par Thierry Müller
27 janvier 2017, par Thierry Müller