Dette irakienne : des ONG dénoncent l’opportunisme des pays riches

25 novembre 2004 par Agence France Presse




PARIS, 22 nov 2004 (AFP) - La gigantesque dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de l’Irak, contractée par un dictateur, est « odieuse » et n’a pas à être supportée par son peuple, tandis que l’allègement substantiel consenti par le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
vise surtout à préserver les intérêts des pays riches dans une zone stratégique, ont accusé lundi plusieurs ONG.

La dette extérieure de l’Irak est estimée entre 120 et 125 milliards de dollars. L’accord conclu dimanche par le Club de Paris, une instance informelle réunissant 19 pays industrialisés créanciers, a permis de ramener la part lui revenant de 38,9 milliards de dollars actuellement à 7,8 milliards en 2008.
Les autres créanciers de l’Irak - pays du Golfe ou de l’ancien bloc soviétique et créanciers privés - ont été invités à faire un geste à leur tour.

Mais cette annonce est loin de satisfaire les organisations non gouvernementales (ONG) réclamant l’annulation de la dette des pays du tiers-monde, qui dénoncent les méthodes du Club de Paris.

Ainsi la plate-forme Dette et Développement, qui rassemble une série d’associations, a dénoncé « l’opportunisme et le cynisme des créanciers, qui apportent des solutions à leur mesure à la dette irakienne, mais (sont) sans pitié lorsqu’il s’agit de pays pauvres sans enjeu stratégique ».

Les Etats-Unis « cherchent avant tout à offrir à leurs entreprises les marchés liés à la reconstruction du pays et à l’exploitation des considérables réserves pétrolières. Pour eux, il est hors de question que la dette laissée par Saddam Hussein vienne ponctionner le budget irakien et gager les futures recettes pétrolières » de ce pays très riche en ressources, poursuit l’association dans un communiqué.

Damien Millet, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM-France), est également d’avis que le cas irakien pose un problème d’équité.

La somme que prévoit d’effacer le Club de Paris représente ainsi presque l’équivalent « de toutes les annulations qui ont eu lieu pour les 40 pays les plus pauvres » membres de l’initiative Pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE) du Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
(FMI), souligne-t-il. Ces derniers n’ont bénéficié d’une annulation de dette que dans la mesure où ils ne parvenaient pas à rembourser, explique-t-il à l’AFP.

Cet argument avait également été mis en avant par le gouvernement français dans les négociations sur l’Irak.

M. Millet souligne par ailleurs que la dette irakienne, contractée par Saddam Hussein, est « odieuse » et devrait donc être « nulle et non avenue ». Elle rentre selon lui dans le cadre de la doctrine juridique conceptualisée en 1927 par Alexander Nahum Sack, ancien ministre du tsar Nicolas II et professeur de droit à Paris.

Selon cette théorie, une dette contractée par un pouvoir despotique pour se renforcer au détriment de sa population est une « dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».

Cette notion avait été utilisée dès 1898 pour le règlement de la dette cubaine, et en 1922 au profit du Costa Rica, a-t-il indiqué. Depuis, en revanche, les pays créanciers ont « verrouillé » le système pour empêcher de telles situations de se reproduire. Le travail des ONG consiste à « faire ressortir ces notions de droit international qui existent et ont été enterrées profondément », souligne-t-il.

Au Club de Paris, on estime à l’inverse que la notion de dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
« existe dans la littérature, mais qu’il n’y a pas de normes juridiques internationales. Les créanciers ont retenu pour principe la continuité des Etats ». Une telle notion introduirait une énorme dose d’insécurité, souligne-t-on.

Par Amélie HERENSTEIN


Source : AFP, 22 novembre 2004.