20 février 2015 par Michel Husson
Georges Papandréou (à g.), Karolos Papoulias (au c.) et Antonis Samaras (à d.)
En 2007, la dette publique grecque représentait 103% du PIB (Produit intérieur brut). Ce niveau élevé explique au moins en partie pourquoi la Grèce a été particulièrement touchée ensuite, et c’est pourquoi on s’intéresse à la période précédant l’éclatement de la crise (1988-2007). La mécanique de la dette publique a en effet cette caractéristique qu’elle se transmet d’une année sur l’autre : une bonne partie de la dette actuelle est l’héritière des errements passés.
Cette brève étude cherche à évaluer cet héritage. Elle reprend la méthode utilisée en France par le Collectif pour un audit citoyen de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique [1]. Elle conduit au résultat suivant :
La moitié de la dette grecque acquise avant la crise est imputable à des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
extravagants (entre 1988 et 2000) et à une baisse des recettes publiques à partir de 2000. Sans ces dérapages, elle n’aurait représenté que 49% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 2007.
On peut donc considérer que la moitié de la dette grecque de 2007 était illégitime parce qu’elle découlait d’une véritable ponction sur la richesse opérée par les créanciers, nationaux ou étrangers, et dans la mesure où la baisse des recettes publiques a profité pour l’essentiel aux couches oligarchiques ou aux entreprises, sans retour pour la majorité du peuple grec.
La dette publique grecque est passée de 2,2 milliards d’euros en 1970 à 317,2 milliards en 2014 [2]. A prix constants, elle a été multipliée par 21, et on a l’impression d’une croissance exponentielle (graphique 1).
Graphique 1
Il s’agit cependant d’une illusion d’optique. Si on regarde le ratio dette publique/PIB, on peut en réalité observer quatre phases distinctes (graphique 2) :
Graphique 2
Dette/PIB : dette publique en % du PIB, échelle de gauche
Dette et PIB en milliards d’euros de 2005, échelle de droite
Quand la crise a éclaté, la Grèce avait une dette de l’ordre de 100% du PIB alors que ce ratio était voisin de 20% en 1980. La question qu’il faut éclaircir est de savoir pourquoi la dette a ainsi gagné près de 70 points de PIB, principalement entre 1980 et 1993. Chaque année, on peut décomposer l’augmentation de la dette publique en deux termes :
On constate alors que l’essentiel de la progression de la dette est liée aux paiements d’intérêt (graphique 3).
Graphique 3
Le tableau 1 suivant résume la contribution des différents éléments à la variation du ratio dette/PIB entre 1980 et 1993. Les intérêts contribuent pour 57% à l’accroissement de la dette, et cette proportion atteint 65% entre 1988 et 1993 [3].
Tableau 1
1980-1993 | 1980-1988 | 1988-1993 | |
Variation du ratio Dette/PIB | 70,4 | 36,0 | 34,4 |
dont : Intérêts | 40,0 | 17,9 | 22,2 |
Déficit primaire | 28,8 | 16,2 | 12,6 |
Ajustement | 1,6 | 2,0 | -0,4 |
Ce poids des intérêts correspond en grande partie à l’effet « boule de neige » qui se déclenche quand le taux d’intérêt est plus élevé que le taux de croissance du PIB. Dans ce cas le ratio dette/PIB augmente même si le solde budgétaire primaire (hors intérêts) est nul. L’écart critique désigne ce différentiel entre taux d’intérêt sur la dette et taux de croissance du PIB [4]. Sa trajectoire est parlante : il est négatif jusqu’au début des années 1980 puis devient positif durant les deux décennies suivantes, atteignant même des niveaux extrêmement élevés par comparaison avec le même indicateur pour la dette française (graphique 4).
Graphique 4
Losanges = écart critique sur la dette française (source : Insee)
Entre 1980 et 2007, le ratio dette/PIB est passé de 20,8% à 103,1%. On peut décomposer cette augmentation de 82,3 points de PIB en deux éléments :
Le graphique 5 ci-dessous permet de visualiser cette décomposition.
Graphique 5
L’analyse qui s’esquisse est donc la suivante : pendant deux décennies, la dette grecque a été financée à des taux excessifs qui ont conduit à une croissance extravagante de la dette. Pour mesurer l’impact de ces taux d’intérêt excessifs, il faut calculer un taux d’intérêt « légitime ». Pour ce faire, on prendra deux références :
Le taux d’intérêt « de référence » qui sera utilisé pour évaluer l’effet « boule de neige » est alors la moyenne de ces deux références. Il est comparé ci-dessous au taux effectivement observé (graphique 6). On constate un écart considérable entre le taux d’intérêt effectif et le taux d’intérêt de référence : en moyenne sur la période 1988-2000, cet écart est de 4 points par an. Même si la référence choisie est conventionnelle et donc contestable, ce différentiel est extravagant.
Graphique 6
Il est possible d’évaluer l’impact de ces taux d’intérêt excessifs sur la dynamique de la dette grecque. La méthode est simple : elle consiste à remplacer le taux d’intérêt effectif par le taux de référence, tout en conservant la même séquence de déficits budgétaires. Le résultat de cette simulation est illustré par le graphique 7.
Si le taux d’intérêt sur la dette grecque n’avait pas dérapé entre 1988 et 2000, le ratio dette/PIB aurait été en 2007 de 68,3% au lieu de 103,1%, soit un différentiel de 34,8 points de PIB.
Graphique 7
L’économie grecque est caractérisée par un déficit budgétaire chronique qui résulte plutôt de recettes insuffisantes. Cependant la période précédant l’entrée dans l’euro a été marquée par une montée régulière des recettes alors que les dépenses restaient à peu près constantes en proportion du PIB (graphique 8). Il faut y voir évidemment la volonté de remplir les critères de Maastricht, en ce qui concerne au moins la norme de déficit public inférieur à 3% du PIB. On sait que les statistiques grecques ont été maquillées (sous l’égide de Goldman Sachs) mais les données fournies aujourd’hui ont été en grande partie « nettoyées » et validées par la Commission européenne.
Mais il est frappant de constater que, dès l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001, les recettes publiques, toujours en proportion du PIB, ont commencé à baisser aussi vite qu’elles avaient monté. Puis, à partir de 2005, la remontée des dépenses a été accompagnée d’une progression concomitante.
Pour évaluer l’effet de cette baisse de recettes, on a construit un scénario qui suppose que celles-ci seraient restées à peu près constantes en proportion du PIB à partir de 2000, et jusqu’en 2007 (graphique 8).
Graphique 8
La simulation correspondante conduit au résultat suivant :
Si les recettes publiques n’avaient pas baissé à partir de 2000, la dette publique grecque aurait représenté 86,2% du PIB au lieu de 103,1%, soit un écart de 16,9 points de PIB (graphique 9).
Graphique 9
Le cumul de ces deux scénarios (taux d’intérêt « raisonnable » et maintien des recettes) conduit au résultat présenté en introduction :
La dette grecque n’aurait représenté que 49% du PIB au lieu de 103,1%, soit un écart de 54,1% du PIB qui se décompose en un effet intérêt (37,2 points) et un effet recettes (16,9 points) [5]. (Février 2015)
Graphique 10
Source : À L’encontre
[1] Collectif pour un audit citoyen, Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France, 27 mai 2014.
[2] Sauf mention contraire, les données proviennent de la base Ameco établie par la Commission européenne.
[3] Les données de la Commission européenne détaillées n’étant disponibles qu’à partir de 1988, on a procédé à une rétropolation sur la période 1970-1987 (voir annexes).
[4] Voir l’annexe 1.
[5] Les deux effets se cumulent pour donner un effet global légèrement supérieur à la somme des deux simulations prises séparément.
statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm
17 avril, par Michel Husson
12 juillet 2021, par Michel Husson
15 septembre 2020, par Michel Husson
23 juin 2020, par Michel Husson
4 juin 2020, par Michel Husson
3 octobre 2018, par Michel Husson
Mondialisation
L’accaparement des terres, entre Monopoly et colonisation21 août 2018, par Michel Husson
5 juillet 2018, par Michel Husson
22 mai 2018, par Michel Husson
10 novembre 2017, par Michel Husson