La tragédie du Rio Grande do Sul et son impact sur la politique nationale

3 juin 2024 par Israel Dutra , Roberto Robaina


Porto Alegre sous les eaux

CC Por Caroline Ferraz/Sul21

La crise du Rio Grande do Sul a un impact national et met au centre du débat des questions clés telles que l’urgence climatique et la dette.



Plus d’un demi-million de personnes ont été affectées par la catastrophe, qui a fait 170 morts et de nombreux disparus

La pire tragédie climatique de l’histoire du Rio Grande do Sul dure depuis un mois. Plus d’un demi-million de personnes ont été affectées par la catastrophe, qui a fait 170 morts et de nombreux disparus. La responsabilité des gouvernements et du modèle de développement basé sur l’agro-industrie est patente.

D’autre part, le mouvement autour des demandes et des revendications est en pleine formation, avec de nombreux épisodes de protestations qui ont éclaté au milieu de la catastrophe. Le samedi 25 mai, la première assemblée du MAE (Mouvement des Affectés par les Inondations) a eu lieu, et a fait l’objet d’un reportage du collectif « Catarse » (voir plus loin).

 Un changement dans la situation politique nationale

La crise du Rio Grande do Sul a un impact national. Alors que la situation politique allait se focalisant sur les élections municipales d’octobre, c’est maintenant la catastrophe du Rio Grande do Sul qui est au premier plan. Une situation de calamité, d’urgence et de délabrement dans l’un des États les plus importants - politiquement et économiquement – qui est suivie avec attention tant par le gouvernement fédéral, la presse et tous les pouvoirs en place.

Trois facteurs importants, produits par la situation vécue par le Rio Grande do Sul, pèsent sur la situation nationale :

  • Le caractère exceptionnel de la situation a conduit à la remettre en cause de piliers importants comme la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
    Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
    Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
    publique - suspendue pour trois ans, ce qui a conduit à une remise en cause des cadres plus généraux de l’austérité, comme l’ont bien expliqué Maringoni et Deccache dans une tribune de la Folha de Sâo Paulo (voir plus loin) : « Les plans audacieux d’investissement par le pouvoir public sont incompatibles avec les mesures d’encadrement fiscal, qui plaisent tant à Faria Lima [1] ».
  • Un saut dans conscience des masses de l’urgence de la crise climatique. Il est urgent de mettre en œuvre des mesures préventives qui incluent un programme concret - qui touche des millions de personnes – articulé autour de l’arrêt de la déforestation et la préservation des biomes, d’une réforme agraire d’ampleur, durable et massive, de la défense des ressources naturelles telles que l’eau aux mains du contrôle public, d’ une transition énergétique juste et populaire et de la lutte contre le racisme environnemental. Cette démarche se heurte à la ligne du gouvernement fédéral qui insiste sur l’exploration pétrolière, alors que le monde réclame à cor et à cri un changement de la matrice énergétique.
  • Le développement des luttes dans le Rio Grande do Sul, où les revendications imposeront la nécessité de luttes, de solidarité et d’organisation ; la colère contre les gouvernements continuera à se manifester, par exemple, face à la faillite du maire [de Porto Alegre] Sebastião Melo, aux positions collaborationniste de Eduardo Leite [gouverneur de l’État du RS ] avec l’agrobusiness et à la déprédation de l’environnement. La polarisation et la lutte contre l’extrême droite vont atteindre un autre niveau.

 Lutte politique et programmatique

Nous sommes confrontés à un nouveau scénario, où la situation - et même la décadence - du Rio Grande do Sul impose un programme autour des thèmes que nous venons de citer. L’importance de la solidarité doit aller de pair avec la lutte politique et programmatique, des points qui sont, et c’est heureux, des références communes au sein du PSOL. Et un appui à l’auto organisation alors que alors que les luttes pour le logement, des conditions dignes et une assistance de base font leurs premiers pas.

La question environnementale va traverser toute la situation politique, et va occuper le devant de la scène électorale, un nouveau chapitre de l’affrontement avec l’extrême droite et le bolsonarisme, qui cherche à se regrouper en profitant des faiblesses du gouvernement fédéral.

Il est essentiel de continuer à construire le mouvement de solidarité sur tous les fronts, en soutenant les efforts de la société et du peuple du Rio Grande do Sul. L’exemple du DCE (Directoire central des étudiants de la UFRGS (Université Fédérale du Rio Grande do Sul), à avant-garde en matière de solidarité active, doit être suivi.

Le reportage du collectif Catarse : Les organisations de souveraineté populaire dans la lutte contre la catastrophe



Reportage et photo de Bruni Pedrotti

Malgré le temps nuageux avec des moments de crachin et le vent glacial du sud (qui jette la temperature ressentie dien en dessous des 12°C du termomètre), le samedi 25 mai a été une journée d’intense mobilisation. Tant dans les espaces centraux qu’aux périphéries de Porto Alegre, différents groupes de personnes se sont réunis pour lutter contre la capitalisation de la catastrophe qui a frappé le RS et pour réfléchir à des alternatives locales qui tiennent compte de la science et des demandes des territoires. Le Collectif Catarse était présent en deux lieux très différents - une librairie dans le centre ville et la cour d’une école de samba dans la périphérie - et a pu constater que dans ces deux espaces se rencontraient des personnes qui pour discuter d’alternatives pour la ville en ces temps difficiles.

Le matin, à l’invitation d’un ami professeur de biologie, nous avons assisté au « Débat Parenthèse - Conversations sur l’avenir ». La réunion organisée par le media « Matinal Jornalismo » comptait avec la participation de Marcia Barbosa, professeur à l’UFRGS (université Fédérale de Rio Grande do Sul), qui représentait un groupe de professeurs en train d’élaborer un programme d’urgence climatique et environnementale afin d’organiser et de coordonner la réponse aux défis climatiques que l’État connaît et connaîtra de plus en plus fréquemment. Le public, composé principalement de professeurs, d’étudiants, d’universitaires et d’écologistes, a rempli la librairie Paralelo 30, située dans l’une des ruelles de Brique da Redenção.
La chercheuse de l’UFRGS a présenté le plan proposé par son groupe de professionnels, qui se divise en deux axes de services : l’alerte et l’adaptation. Le groupe d’alerte serait chargé de rassembler les différentes informations collectées par les stations météorologiques, de les croiser avec différentes sources et de proposer des plans d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Selon elle, il serait également possible et nécessaire de moderniser les équipements d’eau et d’assainissement, y compris les équipements qui avertissent lorsqu’ils ont besoin d’entretien ou qu’ils sont sur le point de tomber en panne.
En ce qui concerne le groupe d’adaptation, elle préconise la réalisation d’études sur l’aménagement du territoire, la modification des règles de plantation, la manière de planter et l’organisation du territoire. Elle a préconisé lque les appels d’offres soient adressés aux universités publiques et communautaires, en favorisant la dynamique de réseau et en investissant sur les scientifiques qui travaillent déjà dans l’État. Opposée au recours aux entreprise de conseils étrangères, elle conclu : « Je n’ai pas besoin d’un gringo pour résoudre un problème d’ici ».

À l’autre bout de la ville, dans le quartier de Rubem Berta, au nord de la capitale, les mouvements sociaux et les personnes touchées par les inondations ont tenu une séance plénière pour fonder le Mouvement des personnes touchées par les inondations dans l’État du Rio Grande do Sul. Environ 200 personnes se sont rassemblées sur la place de l’école de samba Imperatriz Dona Leopoldina pour réclamer « un processus d’organisation qui combatte ce négationnisme climatique », comme l’a souligné Cláudia Favaro dans son discours d’ouverture. Elle a affirmé que les réfugiés climatiques paient la facture du modèle de développement prédateur, raison pour laquelle ils doivent s’organiser pour défendre leurs droits.

Bruno Pedrotti


Antônio Moraes, militant d’Emancipa et l’un des organisateurs du refuge de Santa Rosa, qui accueille principalement des réfugiés de la région de Sarandi, a parlé de la lutte menée pour maintenir le refuge dans les locaux du collège de Santa Rosa, face aux pressions exercées par le directeur pour mettre fin à l’hébergement des familles et reprendre les cours. Bryan Rodrigues, également du refuge de Santa Rosa, a présenté la lettre de revendication envoyée au gouvernement. La lettre, rédigée avec les réfugiés, s’oppose à la cité temporaire proposée, considérée comme une « bande de Gaza à Porto Seco », et demande un retour à des espaces de dignité, en citant les propriétés vides qui ne sont pas disponibles pour la population, tout en pensant à des options de logement permanent.
Almiro Rodrigo Gehrat, connu sous le nom de Cebola, habitant de Canoas, a rendu compte de la situation de sa ville, dont les quartiers Mathias Velho, Harmonia et Rio Branco étaient encore inondés. Le militant a proposé que les personnes touchées ne paient pas l’IPTU (impôt foncier).

Ces deux initiatives qui font l’objet de ce reportage témoignent de la volonté de la société civile du Rio Grande do Sul de prendre part à la lutte contre la catastrophe climatique à laquelle l’État du Rio Grande do Sul est confronté. Dans ces deux espaces, différents à bien des égards, un grand nombre de personnes se sont rassemblées pour lutter et faire que la gestion de la crise climatique soit construite horizontalement et avec la participation de la population des territoires et des chercheurs du Rio Grande do Sul.

La chronique de Maringoni et Deccache : L’encadrement budgétaire ou la vie



La tragédie du Rio Grande do Sul n’est pas une tragédie isolée. C’est la tragédie systémique d’un pays soumis depuis plus de trois décennies à des politiques de démantèlement de l’État, de privatisation d’entreprises stratégiques, de diffusion de l’idée fausse que le développement peut être guidé par le marché, que les règles environnementales limitent l’agro-industrie, que les réglementations sont des obstacles à la modernisation, que les décisions en matière d’infrastructures et d’investissements peuvent être laissées aux mains d’oligopoles dont le siège est à l’étranger et que la politique interfère dans les décisions qui devraient être prises sur la base de critères purement techniques.

Avec plus de 90 % de ses 497 municipalités touchées par la fureur naturelle provoquée par l’action humaine, le Rio Grande a d[ejà connu un chaos similaire il y a quelques mois et en connaîtra d’autres, car les conditions objectives de la dévastation environnementale et de l’hallucination privatiste n’ont pas changé. Quelle sécurité pour l’industrie, le commerce et l’investissement dans une région qui pourrait, à tout moment, subir une nouvelle hécatombe comme celle que nous vivons actuellement ? Combien coûtera, en termes matériels et humains, la reconstruction d’un État qui compte 11 millions d’habitants, dont le PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
est le quatrième de la Fédération, qui a une longue histoire et qui a défini la vie nationale au cours des deux derniers siècles ? Jusqu’à présent, on ne sait toujours pas ce qu’il faudra faire pour réorganiser la région sur le plan politique, économique et social.

Les hérauts du « le marché avant tout, l’initiative privée avant tous » sont soudain muets, attendant peut-être que les eaux et l’attention se calment. La reconstruction par le marché se traduira par l’exacerbation des déséquilibres régionaux et sociaux et visera à gonfler les poches des spéculateurs. N’oublions pas que la soi-disant reconstruction de l’Irak après l’invasion américaine de 2003 s’est traduite par de gros profits pour les entrepreneurs et les compagnies pétrolières qui ont privatisé presque tout dans le pays.

Une fois de plus, en temps de crise, ce sont les pouvoirs publics qui sont les agents essentiels de la relance. Pendant la pandémie, nous avons vu partout dans le monde que ce sont les États qui ont renfloué les entreprises, les banques et les familles, détruisant le mythe du manque d’argent et mobilisant pleinement les ressources disponibles. À ce moment-là, les vieilles leçons de Keynes ont été appliquées, montrant qu’en temps de crise, l’intervention de l’État est indispensable pour éviter l’effondrement économique.
Dans un État monétairement souverain, les limites réelles des dépenses sont données par la pleine utilisation de la capacité de production nationale. Les restrictions fiscales qui laissent inemployées des ressources qui devraient être mobilisées pour la reconstruction, la prévention de nouvelles catastrophes et l’atténuation des maux sociaux et environnementaux sont non seulement auto-imposées, mais aussi humainement et écologiquement inacceptables.

Les plans d’investissement audacieux des autorités publiques sont incompatibles avec les mesures d’encadrement fiscal, qui plaisent tant à Faria Lima. Il n’est pas étonnant qu’au moment où l’on annonce des fonds extraordinaires pour le Sud, les voix du secteur financier se multiplient dans les éditoriaux, les interviews et les lobbies Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
, évoquant le pire des mondes si les « dépenses » ne sont pas freinées.
Le pire des mondes est ici et maintenant, si des investissements publics énormes et continus sont bloqués pour aider la région et rechercher une transformation du modèle de développement qui apportera de meilleurs horizons au Brésil. Nous avons besoin d’un nouveau pacte national, d’un New Deal New Deal Nom donné aux mesures prises aux États-Unis par Roosevelt à partir de son élection en 1933 à la présidence pour faire face à la crise économique déclenchée en 1929.

Rappelons que dans le cadre du New Deal aux États-Unis et des politiques keynésiennes qui ont été étendues à l’Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale sous la pression d’importantes mobilisations populaires, les droits sociaux ont été nettement améliorés, une protection sociale importante a été mise en place, les banques d’affaires ont été séparées des banques de dépôts, le taux d’imposition des revenus les plus élevés a atteint 80 % aux États-Unis. On pourrait ajouter que les inégalités dans la répartition des revenus et du patrimoine ont été réduites. À cette époque, le Grand Capital avait été contraint de faire des concessions aux classes populaires qui s’étaient fortement mobilisées. Le gouvernement du président Roosevelt, qui voulait réformer le capitalisme pour le sauver et le consolider, avait dû affronter la Cour suprême qui avait essayé de faire abroger plusieurs de ses décisions. Roosevelt, pressé par la radicalisation à gauche des classes populaires, avait réussi à contrecarrer les décisions de la Cour suprême et avait imposé des mesures fortes, y compris en permettant aux syndicats de se renforcer dans les usines et aux travailleurs de recourir aux grèves pour obtenir des concessions des patrons.
à la brésilienne. Contrairement à ce que Margaret Thatcher a proclamé, il y a deux options : l’encadrement budgétaire ou la vie.

Gilberto Maringoni est Professor de Relations Internationales á l’Université Fédérale de l"ABC.
David Deccache est Docteur en Économie (UNB) et conseiller du groupe parlementaire du PSOL à l’Aseemblée Législative Fédérale.


Source : Revista Movimento
Traduction : Alain Geffrouais

Notes

[1Avenue de Sao Paulo qui abrite le centre financier, la Wall Street brésilienne, NdT

Israel Dutra

Israel Dutra é sociólogo, Secretário de Movimentos Sociais do PSOL, membro da Direção Nacional do partido e do Movimento Esquerda Socialista (MES/PSOL)

Roberto Robaina

é dirigente do PSOL e do Movimento Esquerda Socialista (MES), editor da Revista Movimento e vereador de Porto Alegre