Le CADTM se félicite d’une possible collaboration entre la Tunisie et l’Équateur pour auditer la dette tunisienne

10 octobre 2012 par CADTM International




Le CADTM se félicite d’une possible collaboration entre la Tunisie et l’Équateur pour auditer la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
tunisienne

À la demande du président de la Tunisie, le chef de l’État équatorien Rafael Correa vient d’annoncer qu’il enverrait une équipe d’économistes en Tunisie pour conseiller et partager l’expérience de son pays sur l’audit de la dette. Cette aide intervient après l’introduction par une députée de l’Assemblée nationale constituante de Tunisie d’une proposition de loi pour mettre en place une commission d’audit de la dette.

Le CADTM, qui a participé à l’audit de la dette équatorienne et soutenu activement la campagne contre la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
menée en Tunisie par RAID (membre des réseaux CADTM et ATTAC), se félicite de cette possible collaboration entre la Tunisie et l’Équateur. Comme en Équateur, l’audit pourrait, en effet, aboutir à des résultats concrets en libérant le peuple tunisien d’une dette largement odieuse et illégitime. En effet, le pays est encore aujourd’hui étranglé par une dette largement héritée de l’ère Ben Ali. Le budget consacré au remboursement de cette dette représente 8 fois le budget des affaires sociales, 3 fois celui de la santé et presque 6 fois celui de l’emploi. Un audit de la dette tunisienne comme celui réalisé en Équateur afin d’identifier la part odieuse et illégitime, qui doit être annulée sans condition, apparaît dès lors vital pour le peuple tunisien.

Rappelons que l’Équateur a mené entre 2007 et 2009 un bras de fer avec ses créanciers en décidant d’auditer unilatéralement l’intégralité de sa dette publique. Sur base des conclusions de cet audit mené par une commission internationale instituée par Rafael Correa et composée de représentants de l’État, de mouvements sociaux et de réseaux internationaux travaillant sur la dette dont le CADTM, l’Équateur avait alors suspendu le paiement d’une part importante de sa dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
et forcé ses créanciers à reprendre leurs titres diminués de trois quarts de leur valeur. Au final, cette opération a permis au pays d’épargner 7 milliards de dollars, autant de nouveaux moyens financiers qui peuvent être consacrés non plus au remboursement de la dette mais aux dépenses sociales dans la santé, l’éducation et dans le développement d’infrastructures de communication.

La Tunisie pourrait donc être le prochain pays à suivre l’exemple de l’Équateur. Mais il faut rester prudent. En effet, la proposition de loi tunisienne, qui n’a pas encore été débattue au sein de l’Assemblée nationale constituante, comporte plusieurs limites. L’audit tel qu’il est prévu concerne seulement la dette contractée sous la dictature de Ben Ali alors que d’importants prêts ont été contractés avec la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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après les soulèvements populaires de 2011. Or ces nouvelles dettes sont assorties de conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. violant la souveraineté et les droits sociaux du peuple. De même, la suspension du remboursement de la dette n’est pas envisagée par cette proposition de loi alors que la situation sociale et économique est extrêmement critique. La Tunisie pourrait notamment s’appuyer sur le droit international comme l’état de nécessité ou le changement fondamental de circonstances pour instaurer immédiatement un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur sa dette. Enfin, il faut rester vigilant quant à la composition de la commission chargée d’auditer la dette même si la proposition de loi prévoit comme dans le cas équatorien une participation de représentant-e-s de la « société civile ».

Le CADTM apporte donc son soutien critique à la proposition de loi tunisienne sur l’audit de la dette et exhorte les créanciers à s’abstenir de prendre toute mesure visant à influencer le choix des élu-e-s tunisien-ne-s. A ce titre, les programmes d’échanges de dettes comme celui annoncé par le président français François Hollande en juillet dernier doivent être immédiatement suspendus. En effet, ces échanges risquent de porter sur des dettes odieuses et illégitimes.
Ce qui s’est passé en Équateur peut également se produire en Tunisie et ailleurs à condition que les peuples se mobilisent ensemble contre la dette odieuse et illégitime de leur pays afin de constituer un front uni contre les créanciers, comme l’appelait de ses vœux le défunt président du Burkina Faso Thomas Sankara. Le CADTM se joint à l’appel pour une mobilisation mondiale contre la dette illégitime pendant la Semaine d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
contre la dette du 8 au 15 octobre.

Contacts :

Renaud Vivien, juriste au CADTM, 0032 (0) 497 04 79 99
Fathi CHAMKHI, Porte parole de RAID (membre Attac et Cadtm), + 216.79.325.158 / + 216.55.52.23.78 (gsm)


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