5 mars 2021 par Antonio De Lellis
Mario Draghi (CC - Flickr - European Parliament)
Comme un virus, le capitalisme produit des variants. Draghi représente, ce me semble, un variant en soi, autonome, pragmatique, laïque et en même temps respectueux de la religion. Le capitalisme absorbe la transition écologique, numérique et technologique, il fait sa sélection interne, c’est une sorte de capitalisme darwinien, qui rassure celui de la finance et apparemment s’oppose au capitalisme de la dette.
Comme des vaccins, nous devons nous développer, nous équiper et apprendre à analyser les mutations des variants à l’intérieur même du paradigme.
Le variant Draghi ne doit pas être sous-estimé parce qu’il est l’expression d’une nouvelle phase. La philosophie de Draghi, prétendument progressiste et environnementaliste, ne laisse aucune place à l’avenir de l’humanité, ou du moins le passe-t-elle délibérément sous silence. Quel rôle joueront encore les gens dans cette vision ? Qu’en sera-t-il du travail humain ?
Draghi semble dire : guérissons du virus, guérissons la terre, étudions, rendons-nous compétitifs et innovants et nous aurons une possibilité de croissance. Dans un discours qui reste prisonnier de son univers financier, bancaire et d’entreprise, le message serait : acceptons les défis pour permettre à l’économie de continuer sa marche, en coupant les subventions et en procédant même à une sélection interne préalable.
Ceux qui survivront à la sélection, vivront. Et ceux qui n’y arriveront pas ? Quelle place pour les marginalisés, les vulnérables, les “derniers de cordée” ? Plusieurs observateurs ont fait remarquer que, dans son premier discours au parlement, Draghi n’a pas mentionné la question carcérale ni les autres lieux de marginalité et de soin. Il a parlé de vaccins, oui, mais comme une fonction de la relance économique. Le concept de soin était absent et la perspective d’une société du soin n’a aucun droit de cité dans le cadre du capitalisme variant Draghi.
Ce serait une erreur de rentrer en conflit avec ceux qui sont fascinés par la sobriété de sa communication et son effet stabilisateur sur les marchés financiers, par la garantie qu’il offre concernant l’utilisation des fonds européens pour la relance de l’Italie. Une erreur, parce que plutôt que de s’attaquer au variant, il est plus efficace de nous placer sur un plan où le vivant et l’humain sont au centre de notre conscience et de notre vision.
Dans ce variant du capitalisme proposé par Draghi du haut de son autorité et s’adressant à son monde, le soin envers les vivants n’a pas de place pas plus que la réorientation de l’économie et de la finance en fonction du soin, parce que la sélection, celle qui produit tant d’injustices et d’inégalités, concernera aussi ceux qui avant étaient exclus et c’est à ces derniers qu’il faut penser, car les autres seront, de toute manière, disciplinés.
D’un autre côté, la société du soin, cette intéressante convergence de mouvements - italiens mais pas seulement - a face à elle un variant qui l’oblige à mettre à jour sa conscience et à développer sa manière de voir. On est en train de peaufiner notre vaccin, mais il faut élargir le champ d'action. La société du soin doit avoir une vision ferme, et travailler sur la conscience collective et l’élargissement territorial, horizontal et universel. Les luttes de secteur ne serviront à rien sans une vision partagée alternative et viable. On fait face à un capitalisme inédit, dans son variant Draghi, et il nous faut formuler une alternative aussi inédite.
La perspective que gagner une bataille puisse enrayer le système parait aujourd’hui faible. Il est impossible d’arrêter un virus qui mute en continu. Il vaut mieux disposer d’un vrai vaccin, lui aussi en mutation continue, et, j’ajoute, d’un vrai “soin”.
C’est justement cette vision alternative qui doit pousser la conscience à devenir pratique, globale, territoriale et toujours collective. Peut-on vouloir la transition écologique sans se prononcer sur la transition sociale ? La lecture de la situation actuelle n’est possible que si nous la percevons dans ce contexte toujours changeant, et si nous développons notre analyse sur le rôle et l’avenir de l’être humain en tant que vivant dans un système ouvert et soutenable. On se tromperait en se divisant en mille courants différents et en se limitant à un projet sectoriel sans nous affirmer en tant que mouvement de convergence, alternatif et riche de propositions d’avenir.
Que peut la société du soin ? Beaucoup, en veillant à ne pas se faire emporter dans les abimes de la fragmentation, en pratiquant une expérimentation sociale, conflictuelle et visionnaire, qui, par sa pratique même, produit une immunisation de la communauté tout entière au variant capitaliste en acte.
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