Les peuples font entendre à nouveau leur voix à l’occasion de la « IIe Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et en Défense de la Vie »

30 octobre 2015 par Maria Elena Saludas


La IIe Conférence mondiale des Peuples sur le changement climatique et en défense de la vie a débuté ce samedi 10 octobre à Tiquipaya, Cochabamba, en Bolivie, où des appels urgents sont lancés en faveur de la défense de la « Terre-Mère » (la « Madre Tierra ») et de la Vie.
Depuis 20 ans, aucun accord international significatif sur les changements climatiques n’a pu être consolidé. La Conférence des Parties des Nations Unies (COP21), qui aura lieu à Paris début décembre, promouvra la signature d’un nouvel accord climatique. En conséquence, nous les peuples du monde devons, à nouveau, faire entendre notre voix pour aborder nos propres visions et solutions face au changement climatique, comme le souligne l’appel de cette conférence.



L’idée principale de cette rencontre est de consolider le travail élaboré par les peuples du monde pour construire une culture de vie qui défende la Terre Mère.

Le premier jour, environ 6.000 participants, venus de divers endroits du monde, pour la plupart de « Notre Amérique » (« Nuestramerica »), se sont rendus à la municipalité périrurale de Tiquipaya, où se trouve le campus universitaire connu sous le nom de UNIVALLE, siège de la rencontre. À partir de 9 h, les 12 ateliers programmés ont démarré ; des débats virtuels avaient déjà eu lieu sur la base d’un document et de 4 questions destinées à lancer les discussions. Les groupes de travail ont abordé les thématiques suivantes :

Menaces du capitalisme contre la vie

1) Agenda des intérêts capitalistes contre la vie. Les multinationales et les intérêts capitalistes mettent en péril la santé des terres, des aliments, de l’eau et des forêts par le biais d’actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
responsables de maladies, d’épidémies et de mort des êtres vivants.

2) Menaces sur la vie : les guerres et la géopolitique des empires pour se répartir nos terres et territoires. La machine militaire des pays du Nord s’est chargée de détruire des populations entières dans le but de s’approprier les ressources naturelles stratégiques, alimentant ainsi l’architecture financière du capitalisme et l’industrie de la mort.

La construction du Vivre Bien et les chemins de la vie

3) Les chemins du « Vivre Bien » (« Buen Vivir ») sont des solutions alternatives au capitalisme. Le « Vivre Bien » en harmonie avec la nature, est par essence, le seul modèle universel de vie possible.

4) Charte universelle des droits de la Terre Mère pour résister au capitalisme. À l’instar des êtres humains qui voient reconnaître leurs droits, tous les êtres vivants doivent voir respecter leurs droits dans le cadre de la charte universelle des droits de la Terre Mère, comme un instrument de sa défense face au capitalisme.

5) Des connaissances, des pratiques et des technologies des peuples sur le changement climatique et sur la vie. Le capitalisme promeut les technologies modernes qui viennent du monde des affaires et du secteur privé. Nous les peuples devons renforcer les techniques ancestrales, millénaires et de la vie.

6) La défense de notre patrimoine commun. Nous les peuples défendons avec fermeté nos ressources naturelles et notre patrimoine commun contre ceux qui marchandisent la vie sous couvert de protection de la nature.

Le changement climatique et la culture de la vie

7) Les sciences climatiques au service de la vie. Face aux rapports scientifiques trompeurs du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique) concernant les causes et les impacts du réchauffement climatique, il nous incombe de récupérer et construire notre science sur le changement climatique.

8) Tribunal international de justice climatique et de la vie. Le monde a besoin d’un organisme international qui nous pousse à assumer nos responsabilités envers la VIE et envers les engagements pris par nos pays pour la protéger intégralement.

9) Mécanismes pour la non-marchandisation de la nature. Les pays capitalistes ont proposé sur la scène internationale des mécanismes de marché comme proposition cynique de solution au changement climatique, face à laquelle nous devons promouvoir des mécanismes et des instruments contre la marchandisation de la nature.

10)
Dettes du capitalisme : dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
climatique, dette sociale et dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
. Les pays capitalistes ont contracté un ensemble de dettes envers les peuples, l’humanité et la Terre Mère, dettes qu’ils se doivent de payer, en commençant par la dette climatique.

11) Dialogue interreligieux pour sauver la Terre Mère. Les religions du monde luttent avec un message de paix et de dialogue pour une solution à la crise climatique face au système capitaliste mondial qui détruit toutes nos valeurs communautaires.

Continuer sur le chemin de la défense de la vie

12) Évaluations des progrès et des avancées de Tiquipaya et la voix des peuples pour la COP21 de Paris sur le changement climatique. Évaluer la conférence de Tiquipaya et faire entendre de nouveau notre voix en proposant nos propres solutions face au changement climatique et les négociations des pays aux Nations Unies.

L’inauguration de cette conférence s’est déroulée au début de l’après-midi, dans l’amphithéâtre de UNIVALLE. Outre la présence d’Evo Morales, à l’origine de cette rencontre, se trouvaient également le maire de Bogota Gustavo Petro, le prix Nobel de la paix, Adolfo Pérez Esquivel et des délégués d’organisations populaires. Le ministre bolivien des Affaires étrangères, David Choquehuanca, a entamé une réflexion émouvante demandant de l’aide pour sauver la Terre Mère « blessée à mort ».

Après plusieurs interventions, entre autres celle du Pape François qui, par le biais d’une lettre envoyée aux participants, a exhorté à se laisser guider par le principe d’une « écologie juste et intégrale » pour mettre au point une proposition ferme dans le cadre de la défense de la nature ; le président bolivien, Evo Morales, s’est adressé aux participants en affirmant que le capitalisme est comme le cancer de la Terre Mère, et il a appelé à extirper ce mal pour sauver la planète et l’humanité. Dans ce sillage, il a appelé à une alliance des peuples du Sud et des peuples du Nord pour construire un « grand mouvement mondial » pour pouvoir reconstruire la relation Vie-Terre Mère. « Pour ce faire, il faut développer de nombreuses politiques et programmes, car pour le système capitaliste, la planète, l’environnement, est un objet, objet de pillage. Tandis que pour les peuples la Pachamama, c’est la vie. »

À la fin de la journée, après les groupes de réflexion thématiques, s’est déroulée la rencontre des peuples avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon. À cette occasion, le président Evo Morales lui a remis les « Contributions prévues et déterminées » de l’État plurinational de Bolivie pour sauver la Terre Mère, détaillées en 10 points, qui font partie de la proposition de ce pays pour la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique (COP21).

La proposition bolivienne propose, entre autres, d’adopter un nouveau modèle « de civilisation » dans le monde, sans société de consommation, « guerrerisme », mercantilisme, ni capitalisme, en construisant et consolidant un ordre mondial pour le « vivre bien ».

Durant toute la journée du dimanche 11 octobre, des séances des groupes de travail ont été organisées sur les 12 axes mentionnés. Ces dernières ont fait l’objet de débats intenses et de ces séances est ressortie un grand potentiel de proposition.

Cette rencontre s’est poursuivi jusqu’au lundi 12 octobre et le début de la plénière pour la présentation des résultats des groupes de travail. L’après-midi, la cérémonie de clôture comptait sur la présence des présidents Rafael Correa (Équateur) et Nicolas Maduro (Venezuela).
L’idée fondamentale pour construire ce « grand mouvement mondial » est, non seulement de présenter les résultats des débats auprès du sommet de la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre, mais également de porter ces réflexions dans nos pays pour que les peuples et les organisations sociales du monde approfondissent la lutte pour la défense de la vie, de la Terre Mère, et avancent vers des transitions post-capitalistes.

Ce texte a été publié le 13 octobre en espagnol.
Il a été traduit vers le français par Marion Antonini.


Maria Elena Saludas

ATTAC/CADTM Argentina

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