Le tribunal constitutionnel portugais est aux abois. D’aucuns attendent de lui d’être préservés des mesures d’austérité contraires aux droits fondamentaux consacrés par la Constitution et le droit international. D’autres lui demandent une application de la Loi Fondamentale amendée par les conditionalités et les exigences de la Troika. D’autres encore exigent la disparition du TC, sur la base de son remplacement par un conseil supérieur de juges de carrière. Mais en réalité qu’est ce que le TC Portugais ?
Le Tribunal constitutionnel portugais
Selon le texte digitalisé du TC, ce Tribunal « a pour objet de garantir et de défendre la Loi Fondamentale ».
« le Tribunal Constitutionnel est un organisme de souveraineté autonome (...) ses décisions s’imposent à toutes les autres autorités. Le Tribunal Constitutionnel n’est pas intégré dans l’organisation de tous les autres tribunaux ».
10 des 13 juges du TC « sont élus par l’Assemblée de la République » à la majorité qualifiée. Les 3 derniers juges « sont cooptés (choisis) par les 10 juges élus par l’Assemblée de la République ». Parmi les 13 juges 6 « sont obligatoirement choisis parmi les juges des autres tribunaux .
A l’inverse de ce que peut suggérer la phrase « a pour objet de garantir et de défendre la Loi Fondamentale », la mission du TC n’est pas d’être le « superviseur » de tous les actes administratifs et législatifs, il peut seulement se prononcer à la demande expresse des autres organismes de souveraineté, et même ainsi avec d’énormes limitations procédurales.
Pour être nommé juge du TC pour une période de 9 ans, il suffit à la majorité des candidats (7 sur 13) d’avoir une formation juridique sans spécialisation (ex. : avoir seulement une licence) ; une candidature dépend essentiellement de la confiance politique du parlement ( c’est-à-dire des partis de l’arc du pouvoir ). [1]
Qui produit les lois que le TC doit contrôler ?
Les lois émanent des mêmes entités qui choisissent les juges du TC :
Du point de vue du public, nommément, en ce qu’il en paraît, l’activité du TC consiste à contrôler les lois, examinées à la lumière d’une interprétation de la Constitution.
Il est fréquent que chacune des 13 têtes du TC ait une interprétation différente des autres, comme il est possible de le vérifier au travers des déclarations de votes des sessions du TC – ce qu’empêche pas, miraculeusement, qu’ils prennent des décisions à la majorité et jusqu’à l’unanimité.
Comme la Loi Fondamentale est l’instrument de travail du TC, pour bien comprendre la mission actuelle de ce tribunal, nous devons avoir une vision claire de la construction, de l’origine et de l’évolution de la Constitution.
Comment s’est élaborée l’actuelle Constitution ?
L’actuelle constitution portugaise, même en prenant en compte les modifications qu’elle a subi au long des derniers 36 ans, résulte d’un ensemble de circonstances historiques spécifiques.
D’un coté, elle vient à la suite d’un coup d’état militaire ( 25 novembre 1975) destiné à entraver le processus révolutionnaire alors en cours et à mettre en place un état de droit et de démocratie représentative – c’est à dire elle est le résultat d’un processus qui mit un frein à la participation directe des citoyens au gouvernement et à la planification ; cette participation directe devenait de plus en plus forte en 1975, et menaçait de constituer un double pouvoir organisé.
D’un autre coté, le coup d’état militaire ne fut pas de type chilien. Il ne visait pas à imposer une dictature militaire mais plutôt un état de droit sur des modes classiques. Donc l’impulsion révolutionnaire en cours avant le coup d’état militaire ne s’éteignit pas totalement du jour au lendemain le 25 novembre 1975. Une partie de son influence se maintint quelque temps, et durant cette période se déroula la discussion de la première constitution portugaise post-dictature, approuvée le 25 avril 1976 soit, quatre mois après le coup militaire.
Ces deux vecteurs générateurs (révolution et contre-révolution) se reflètent encore aujourd’hui dans la Constitution, provoquant des interprétations divergentes et des conflits d’intérêt fréquents. Sans doute pour cela, en 1982, les partis représentés au Parlement décidèrent d’établir un compromis : mettre en place un cinquième organisme de souveraineté, le Tribunal Constitutionnel. Cet organisme doit fonctionner, en pratique et indépendamment des aspects formels, comme le garant du pacte de régime établi en novembre 1975 ; si cette mission devenait inutile, il serait naturel qu’il soit supprimé.
La révision de 1982 est une étape décisive dans le changement progressif d’orientation de la constitution. Parmi les diverses modifications, on peut noter : la république portugaise ne se définit plus comme « un état démocratique en transition vers le socialisme » et se définit maintenant comme « un état de droit démocratique » ; l’appropriation collective des principaux moyens de production et des ressources naturelles disparaît des déclarations initiales – la section ou les constitutions définissent les principes fondamentaux, la souveraineté, la souveraineté, la nature de l’État et du régime – est transférée à la section « organisation économique » ; les partis politiques deviennent les représentants absolus de la volonté populaire, remettant au second plan la participation citoyenne directe ; etc. Il est important de noter qu’en 1982, en même temps que la constitution subit une première inflexion en direction du néo-libéralisme, persistent diverses références à la propriété collective des ressources et des biens communs et à la prévalence des intérêts collectifs sur les intérêts privés. De telle façon que les contradictions et les incongruités qui existaient dans le texte constitutionnel initial s’aggravèrent davantage. Ceci permet peut être de comprendre l’introduction d’un arbitre politique bizarre – quoique le Tribunal Constitutionnel, dans le texte constitutionnel, soit rattaché à la section des tribunaux, il n’obéit ni n’appartient à la structure judiciaire ni aux principes et aux garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). de la justice (seuls les autres organismes de souveraineté peuvent recourir au TC et le citoyen seul ne peut avoir recours au TC ) ; il est proclamé autonome et ses décisions obligent tous les autres organismes de souveraineté incluant les tribunaux.
L’introduction d’un élément étranger (bizarre) dans le mécanisme institutionnel : la TROIKA
Les accords signés avec la Troïka sont, dans toutes leurs conséquences pratiques, une deuxième Charte fondamentale : ils conditionnent (influencent) l’activité législative et gouvernementale. Le peuple portugais est dans la situation bizarre d’avoir deux constitutions en même temps. La Charte de la Troïka entre constamment en contradiction avec la Constitution Portugaise, elle permet la violation des droits, des libertés et des garanties, annule les engagements de concertation sociale et de négociation collective, élimine les garanties élémentaires d’indépendance politique, sociale, économique et culturelle... On en arrive même au point d’annuler quelques principes de base de l’état de droit : elle rend possible la rétroactivité des taxes et des impôts et le reniement des rétributions antérieurement garanties. Elle sous-entend une altération fonctionnelle des divers organismes de souveraineté, nommément des tribunaux.
Ouvertement et sans ambages l’exécutif et la majorité parlementaire se sont mis à gouverner en accord avec le Mémorandum de la Troïka. Il est fréquent que les pouvoirs publics affirment ne pas pouvoir complètement agir en accord avec certains articles de la constitution, car nous sommes tenus d’honorer un ACCORD que « nous avons signé ». Mais, et c’est là qu’on se mord la queue, les institutions prévues dans la Constitution continuent à fonctionner, et elles permettent que le TC se prononce sur la constitutionnalité des règles émises en harmonie avec la nouvelle Charte.
Cette situation induit une multitude de problèmes insolubles :
Les partis de droite furent les premiers à tirer les conséquences de la situation actuelle : il y a déjà quelque temps que leurs groupes les plus courageux demandent une révision radicale de la Constitution. D’autres, bien avant tout ce brouhaha, demandèrent la suspension de la Constitution.
Et nous , ceux d’en bas, quelles options avons nous ?
L’unique réponse efficace devant le conflit d’intérêt actuel est celle-ci : que l’Accord avec la Troïka soit annulé. Sans hésitation, sans compromis, sans renégociation ! Annuler l’accord et réinstaurer la Constitution, au moins pour maintenant, en dépit de tout ce que cette Constitution peut avoir de blâmable mais aussi avec tous les petits acquis qui restent encore des conquêtes obtenues durant la période révolutionnaire de 1974 – 1975.
Là, cependant , émerge un triple problème :
1 – L’actuel Parlement, qui est celui qui détient l’autorité institutionnelle pour abroger l’Accord avec la Troïka, est dans sa majorité pour l’Accord,
2 – Ceci signifie qu’il faudrait aller aux élections pour constituer une nouvelle majorité (défavorable à l’Accord...). Mais s’il suffit d’une modification de l’équilibre majorité/ minorité, le PS aura un rôle charnière central. Mais sa direction fut la première signataire de l’Accord. Nous voyons que l’affaire n’est pas aussi aisée qu’elle pourrait le paraître à première vue.
3 – Avec élections ou bien sans élections, avec nouvelle majorité parlementaire ou sans, les pouvoirs économiques nationaux ou internationaux n’accepteront pas sans renâcler l’annulation de l’Accord. Quelque soit le parti qui serait au pouvoir. L’unique raison qui pourrait les conduire à accepter cette annulation et de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique est un mouvement social d’une intensité telle, que le capital préfère céder et enterrer la hache de guerre avant d’être obligé de conduire le conflit à une phase extrême e sans retour.
Lire l’article suivant : Portugal. Les Zigzag du Tribunal Constitutionnel
Traduction : Jacques Dachary
[1] Le droit Portugais a une particularité : il se préoccupe davantage de la procédure de l’appareil juridique que des faits, du contenu et de l’intention des lois. Cet article adopte une approche exclusivement basée sur l’analyse du contenu et de la portée politique des lois, des institutions et des faits historiques. A cause de ceci il est possible qu’il soit en contradiction avec le point de vue des juristes.
est traducteur et sonoplaste, co-fondateur du Comité pour l’audit de la dette publique portugaise (CADPP), membre de Démocracie & dette. Avec Renato Guedes il a publié « Qui paye l’État providence au Portugal ? » (in Quem Paga o Estado Social em Portugal ?, coordonné par Raquel Varela ; Bertrand, Lisbonne, 2012) et « Et s’il y avait le plein emploi ? » (in A Segurança Social É Sustentável, coordonné par Raquel Varela ; Bertrand, Lisbonne, 2013).
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