Critères de convergence, plans d’austérité tous azimuts, règle d’or… Le péquin moyen, dont nous sommes, n’y entrave en général que dalle. En revanche, ce qui est certain, c’est que l’entourloupe est destinée à nous faire payer leur crise. Histoire d’approfondir le sujet, CQFD a demandé à un expert de la chose financière de débroussailler un peu le terrain. Il en ressort que l’État, institution censée défendre l’intérêt général contre les intérêts particuliers depuis au moins le siècle des Lumières, s’est vendu, corps et biens, aux appétits du marché triomphant. Seulement voilà, l’un comme l’autre semblent aujourd’hui au bout du rouleau, et les failles béantes ainsi ouvertes laissent quelque espoir de joyeuses expérimentations en attendant la fin de leur monde. Rencontre avec Nicolas Sersiron, vice-président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde France et président de l’association Échanges non marchands.
CQFD : On nous parle de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique, de ses conséquences inévitables, des menaces qu’elle fait peser sur nos vies… De quoi s’agit-il ?
Nicolas Sersiron : C’est la dette qui s’est accumulée au fur et à mesure des déficits budgétaires qui permettent aux administrations de faire fonctionner l’armée, l’éducation, la santé, la justice, les routes, etc. On peut comparer cette situation à celle d’un ménage qui, ayant des fins de mois difficiles, va voir son banquier ou ses copains et leur emprunte de l’argent. Quand l’État n’arrive pas à boucler son budget, il emprunte de l’argent en mettant en vente ce qu’on appelle des bons du trésor
Bons du Trésor
Titres d’emprunts émis par le Trésor public pour se financer. Leur durée peut aller de quelques mois à trente ans ou plus.
ou obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
d’État à terme (OAT).
Mais les États ne disposaient-ils pas d’autres moyens, moins onéreux pour l’ensemble de la collectivité ?
Pendant les « Trente glorieuses », le déficit était comblé par la planche à billets. Depuis 1973, la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
des marchés et l’entrée dans l’Europe, les États se sont contraints à emprunter des capitaux privés sur le marché, en versant des intérêts. Avec la victoire de l’ultralibéralisme marquée par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux États-Unis, on a voulu diminuer l’emprise de l’État désigné comme un frein au développement. On a donc réduit ses recettes en diminuant les impôts des plus riches, ceux des grandes entreprises, en créant des niches fiscales et des paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
. Résultat, chaque année, le déficit s’est accumulé. Lorsqu’il est devenu trop important, les gouvernements ont déclaré qu’ils ne pouvaient plus payer les dépenses d’éducation, retraites, santé, etc. Pour combler le trou, ils ont émis de plus en plus d’OAT, faisant ainsi monter encore le stock de la dette
Stock de la dette
Montant total des dettes.
. Émettre des OAT, c’est vendre du papier contre de l’argent, c’est faire une reconnaissance de dette avec intérêt remboursable après six mois, dix ans ou trente ans.
À qui l’État emprunte cet argent ? Qui achète ces morceaux de papier ?
Pour l’essentiel, ils sont achetés par les investisseurs institutionnels, aussi appelés Zinzins
Zinzins
On surnomme ’zinzins’ les investisseurs institutionnels, c’est-à-dire les gestionnaires de fonds collectifs qui ont atteint un poids financier paroxysmique sur les marchés financiers, tels les fonds de pension, les compagnies d’assurance et autres organismes de placements collectifs.
. Ce sont notamment les compagnies d’assurance, les banques et les fonds de pension
Fonds de pension
Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers.
(retraites par capitalisation). Mais ces organismes font aussi des placements à risque, avec des rendements allant jusqu’à 20 % ou plus. L’exemple de ces prêts subprimes
Subprimes
Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
tellement rentables et qui sont devenus des actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
toxiques, donc non remboursables, est emblématique. Pour compenser, ils s’engagent massivement sur les placements prétendument sûrs que sont les OAT, avec des intérêts de 3 % pour les pays bien notés, les fameux AAA.
Revenir au système antérieur serait donc « financièrement » insupportable pour les détenteurs de capitaux ?
Avant 1973, si l’État avait un déficit d’un milliard de francs, il fabriquait un milliard de francs et pouvait alors payer ses dépenses. Mais le principe de rareté, qui veut que plus il y a d’objets sur le marché moins ils valent cher, est le même concernant la monnaie : plus on en crée moins elle vaut. Cette inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison.
monétaire est surtout ressentie par ceux qui disposent de beaucoup de monnaie : celui qui détient un million de dollars, quand il y a une inflation de 15 %, ne dispose plus que de 850 000 dollars au bout d’un an. Dans la zone euro, les traités ont fixé à la banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE), comme premier objectif, la lutte contre l’inflation. Les raisons d’une telle prise de position ? L’application du dogme ultra-libéral appelé trickle down effect ou théorie du ruissellement qui affirme qu’il faut soutenir les détenteurs de capitaux parce que plus les riches seront riches, plus ils pourront investir et créer de l’emploi…
Justement, quel est le véritable rôle de la BCE dans cette crise ?
Auparavant, les États pouvaient faire des dévaluations compétitives de la monnaie qui relançaient leurs économies en baissant les prix des biens produits dans le pays. La valeur des dettes baissait d’autant. Aujourd’hui avec la BCE indépendante, il n’y a plus de dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. possible. Mais ce n’est pas la véritable raison des déficits.
Quand l’investisseur prête de l’argent à un État en achetant des OAT à dix ans par exemple, il ne sera remboursé de son capital initial qu’à ce terme, les intérêts lui auront été versés au cours des années. L’État dont les OAT arrivent à terme réemprunte aussitôt une somme équivalente sous forme de nouvelles émissions d’OAT. La Grèce dont la note s’est effondrée ne peut emprunter qu’avec des taux de 15 à 18 % sur ses émissions à dix ans. Ces taux étant insupportables, elle n’emprunte qu’à court terme, six mois, en solution de secours.
La BCE achète actuellement avec des intérêts de 4 % les OAT des pays mal notés, et l’Union européenne leur prête des milliards d’euros afin de leur éviter une faillite liée à l’impossibilité de réémettre des OAT pour remplacer celles arrivées à échéance, plus celles nécessaires à combler leur déficit budgétaire. Il s’agit de parer à l’effet domino qui entraînerait l’ensemble de l’Europe dans une crise insurmontable. Le sauvetage des banques en 2008 par les États a permis d’éviter cet effet qui fût redoutable en 1929. Ces achats en masse par la BCE des OAT des pays à risques comme le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne représentent déjà 100 milliards d’euros. Ils redonnent confiance aux marchés et repoussent le moment de la faillite de ces pays. Or le paiement des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). résulte de la capacité des États à trouver de l’argent par les impôts directs et indirects, donc de la santé de l’économie.
La dette est-elle un élément structurel du capitalisme ?
Le mécanisme est semblable à celui de la dette des pays en développement. La Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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avait, dès le début, imposé aux ex-pays colonisés le remboursement des prêts engagés par le pays colonisateur. Cela s’appelle « une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
». Depuis plus de trente ans, ces pays ont été chargés de dettes, les décideurs corrompus et les États contraints de signer des contrats commerciaux défavorables avec les ex-colonisateurs. Le but était de continuer l’extractivisme
Extractivisme
Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique.
– l’appropriation des matières premières qui naît avec la conquête des Amériques, puis se poursuit avec l’esclavage et la colonisation. Aujourd’hui, ce système-dette est remonté vers le Nord. C’est le résultat de la volonté de domination totale des capitalistes sur la planète. Le grand changement se trouve dans l’épuisement des matières premières. Ces dernières, à la base de l’enrichissement des capitalistes, commencé avec le pillage de l’or des Incas et avec les enclosures en Angleterre, sont en voie d’épuisement. Aujourd’hui, la question est : qu’y a-t-il encore à extraire ? Ce qui produit la richesse est le travail salarié. Par la dette, on va donc amplifier l’extraction de la plus-value
Plus-value
La plus-value est la différence entre la valeur nouvellement produite par la force de travail et la valeur propre de cette force de travail, c’est-à-dire la différence entre la valeur nouvellement produite par le travailleur ou la travailleuse et les coûts de reproduction de la force de travail.
La plus-value, c’est-à-dire la somme totale des revenus de la classe possédante (profits + intérêts + rente foncière) est donc une déduction (un résidu) du produit social, une fois assurée la reproduction de la force de travail, une fois couverts ses frais d’entretien. Elle n’est donc rien d’autre que la forme monétaire du surproduit social, qui constitue la part des classes possédantes dans la répartition du produit social de toute société de classe : les revenus des maîtres d’esclaves dans une société esclavagiste ; la rente foncière féodale dans une société féodale ; le tribut dans le mode de production tributaire, etc.
Le salarié et la salariée, le prolétaire et la prolétaire, ne vendent pas « du travail », mais leur force de travail, leur capacité de production. C’est cette force de travail que la société bourgeoise transforme en marchandise. Elle a donc sa valeur propre, donnée objective comme la valeur de toute autre marchandise : ses propres coûts de production, ses propres frais de reproduction. Comme toute marchandise, elle a une utilité (valeur d’usage) pour son acheteur, utilité qui est la pré-condition de sa vente, mais qui ne détermine point le prix (la valeur) de la marchandise vendue.
Or l’utilité, la valeur d’usage, de la force de travail pour son acheteur, le capitaliste, c’est justement celle de produire de la valeur, puisque, par définition, tout travail en société marchande ajoute de la valeur à la valeur des machines et des matières premières auxquelles il s’applique. Tout salarié produit donc de la « valeur ajoutée ». Mais comme le capitaliste paye un salaire à l’ouvrier et à l’ouvrière - le salaire qui représente le coût de reproduction de la force de travail -, il n’achètera cette force de travail que si « la valeur ajoutée » par l’ouvrier ou l’ouvrière dépasse la valeur de la force de travail elle-même. Cette fraction de la valeur nouvellement produite par le salarié, Marx l’appelle plus-value.
La découverte de la plus-value comme catégorie fondamentale de la société bourgeoise et de son mode de production, ainsi que l’explication de sa nature (résultat du surtravail, du travail non compensé, non rémunéré, fourni par le salarié) et de ses origines (obligation économique pour le ou la prolétaire de vendre sa force de travail comme marchandise au capitaliste) représente l’apport principal de Marx à la science économique et aux sciences sociales en général. Mais elle constitue elle-même l’application de la théorie perfectionnée de la valeur-travail d’Adam Smith et de David Ricardo au cas spécifique d’une marchandise particulière, la force de travail (Mandel, 1986, p. 14).
faite sur le dos de la grande majorité des travailleurs.
On retrouve ce dont parlait Marx à propos de la rente foncière…
C’est exactement ça, le foncier en moins. C’est l’assujettissement à un ordre mondial totalitaire. Quand les pays sont trop endettés et donc abandonnés par les investisseurs, le Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI) entre dans la danse en tant qu’ultime prêteur. Il fixe alors ses conditions : d’abord rembourser les investisseurs avec cet argent prêté. Il impose ensuite des « conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
» ultralibérales. Au Sud ce sont les plans d’ajustement structurels, au Nord, aujourd’hui, les plans d’austérité. Sont exigés en conséquence la diminution des dépenses affectant les budgets publics, la multiplication des privatisations, le libre-échange, la liberté de mouvements des capitaux. Toutes choses destinées à aggraver les conditions de l’asservissement des peuples aux profits des détenteurs de capitaux.
Les capitalistes peuvent-ils encore redynamiser le système pour sortir de cette crise ?
Non, car ils se tirent une balle dans le pied. Ils n’ont pas de projets organisés à part celui de, chacun et contre tous, faire des profits. Aujourd’hui, trente ans après la victoire des Friedrich Hayek et Milton Friedman, ils sont devant la catastrophe. La trilogie consommation-production-profit est en train de se casser la gueule car elle reposait depuis cette révolution conservatrice, en grande partie sur l’endettement des ménages et des États. Faudra-t-il atteindre la saturation pour que ce système s’effondre ? Par ailleurs, aujourd’hui, il est confronté aux limites du réchauffement, de l’épuisement des ressources, de la perte de la biodiversité, etc.
Et si les États refusaient de rembourser leur dette ?
C’est déjà arrivé, et ça marche très bien ! L’Argentine en 2001 était au fond du gouffre après la dictature de Jorge Rafael Videla et ses massifs détournements de prêts. Le président Nèstor Kirchner a décidé de ne pas rembourser ces dettes illégitimes. Après quelques années, il a offert à ses créanciers de payer seulement 30 % de la valeur, en précisant que c’était à prendre ou à laisser. Depuis, l’Argentine a eu un taux de croissance de 7 %… L’économie s’est remontée en supprimant l’essentiel de sa dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
, avec, hélas, une inégalité sociale très forte. Le second exemple est l’Équateur qui a fait un audit public de sa dette en passant en revue tous les emprunts afin de répondre aux questions : d’où vient l’argent, à quoi et à qui a-t-il servi, cette dette est-elle légitime ? Résultat : une grande partie de la dette a été annulée, et l’Équateur gagne sur ce non-remboursement entre 600 à 700 millions de dollars par an qui financent des mesures de rééquilibrage économique en faveur d’un développement pour tous. Le pays qui ne rembourse pas n’aurait-il plus accès au crédit ? En réalité les États ont finalement plus d’argent s’ils refusent de se plier au remboursement de la dette illégitime et cessent d’emprunter.
Et si la Grèce, l’Espagne, le Portugal… refusaient de rembourser, que se passerait-il, ici, en Europe ?
Cela casserait le traité de Lisbonne fondé sur les équilibres budgétaires, et ce serait très probablement la fin de l’euro. Le grand perdant serait l’Allemagne qui exporte plus de 60 % de sa production en Europe grâce à l’euro. Avec une drachme (monnaie grecque) dévaluée, les produits allemands deviendraient trop chers. Ses banques comme celles de France qui détiennent environ 50 % des dettes publiques de ces pays seraient très mal en point. C’est pour tenter d’éviter cela que la population grecque subit les terribles conditionnalités de l’Europe et du FMI. En diminuant les salaires des fonctionnaires et les retraites, en augmentant la TVA, ce pays s’enfonce dans la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. . À terme, il ne pourra pas rembourser sa dette.
Les plans d’austérité qui tombent un peu partout en Europe, et notamment en France, sont une application de la « stratégie du choc » de Naomi Klein : augmentation des privatisations et de la part de la plus-value qui va aux capitalistes, diminution des salaires et des services publics. La consommation baisse, le chômage augmente, les rentrées fiscales diminuent. La récession qui pointe rendra impossible le remboursement de la dette publique.
L’agonie du système ultralibéral nous empoisonnera-t-elle encore longtemps l’existence ?
La solution la plus logique serait de faire des audits des dettes publiques en Europe et d’annuler les dettes illégitimes. Est-il légitime de baisser les impôts des plus riches comme l’ont fait Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy alors que le budget était déjà lourdement déficitaire ? Est-il légitime de sauver les banques avec de l’argent public sans avoir un droit de regard sur leur gestion ? La deuxième solution qui risque fort de se produire sera la fabrication de monnaie par la BCE comme le fait la réserve fédérale américaine. Cela provoquera une forte perte de valeur de la monnaie et donc des dettes à rembourser et l’euro aura bien du mal à y résister. Le système ultralibéral a trente ans, il va très probablement continuer à s’effondrer…
Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.
8 octobre 2021, par Nicolas Sersiron
4 juin 2021, par Nicolas Sersiron
10 février 2021, par CADTM Belgique , Nicolas Sersiron , Sushovan Dhar , Camille Bruneau , Pablo Laixhay , Jonathan Peuch
26 octobre 2020, par Nicolas Sersiron
22 avril 2020, par Nicolas Sersiron
3 septembre 2019, par Nicolas Sersiron
19 mars 2019, par Nicolas Sersiron
24 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Cédric Durand , Nathalie Janson , Charles Gave , Frédéric Taddeï
7 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Aznague Ali
18 décembre 2018, par Nicolas Sersiron