Lors de sa tournée africaine, Nicolas Sarkozy a fait un certain nombre de déclarations scandaleuses et déplacées. Tout d’abord, à Dakar, il a prôné un « partenariat » entre la France et l’Afrique qui soit en rupture avec le passé, proposant de « chasser les vieux démons du clientélisme, du paternalisme et de l’assistanat », mais refusant de « ressasser le passé » colonial et écartant l’idée de « repentance ». A Libreville, il a précisé, avec sa dialectique bien particulière : « On ne peut pas tout mettre sur le dos de la colonisation (...). La corruption, les dictateurs, les génocides, c’est pas la colonisation. » Avec ses discours moralisateurs et ses rodomontades, le président français n’est pas à une incohérence près.
Le Gabon est dirigé depuis 40 ans par Omar Bongo, cet « ami fidèle de la France », que Sarkozy a remercié pour ses conseils pendant la campagne électorale et reçu à l’Elysée dès le 25 mai. Bongo, pilier de la Françafrique depuis des décennies et large vainqueur d’élections au déroulement douteux, fait actuellement l’objet d’une enquête pour recel de détournement de fonds publics, concernant des biens immobiliers à Paris. Selon une investigation du Sénat états-unien citée par l’association Survie [1], il se réserverait chaque année 8,5% du budget de ce petit émirat pétrolier qui a fait les beaux jours d’Elf. Le soutien affiché du président français est donc très surprenant quand, dans le même temps, il fustige la corruption, le clientélisme et les dégâts causés par les dictatures…
Dans la même veine, le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
a annoncé le 19 juillet, sous l’impulsion de la France, un allègement de 15% de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
bilatérale du Gabon, sous forme de rachat anticipé à valeur décotée. Le 27 juillet, lors de son passage au Gabon, le chef de l’Etat français y a même annoncé une décote plus importante (20%) de la part détenue par la France, la différence étant convertie en investissements pour sauver la forêt, importante richesse gabonaise dont les revenus sont accaparés par le clan au pouvoir. Pourtant, cela n’empêchera pas environ la moitié du budget de l’Etat gabonais de passer dans le service de la dette
Service de la dette
Remboursements des intérêts et du capital emprunté.
. Une fois de plus, la dette est au programme quand il s’agit de remercier un « parrain » africain tout en continuant d’aspirer les richesses de son pays.
Outre le bois, le Gabon est riche en ressources naturelles : pétrole, fer, manganèse… Son produit national brut
PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
par habitant est l’un des plus élevés d’Afrique. Mais la population ne profite en rien de cette manne, et 62% des Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les plans d’ajustement structurel successifs, imposés par la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le Fonds monétaire international (privatisations, réduction des budgets sociaux, libéralisation de l’économie, ouverture des marchés, suppression des subventions aux produits de base, etc.), s’ils ont permis l’enrichissement de quelques-uns et ouvert des marchés aux multinationales, n’ont entraîné pour le peuple gabonais que chômage et pauvreté : en 2006, le Gabon était au 124e rang sur 177 pour l’indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement
PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
(PNUD).
Aucune solution juste et durable ne pourra être trouvée tant que les puissances occidentales, dont la France, n’auront pas tiré toutes les conséquences de leur complicité avec des régimes dictatoriaux et corrompus, voire génocidaires. Les signes d’amitié adressés à des dictateurs corrompus ne font que les renforcer dans leur attitude prédatrice et sont une insulte aux peuples qui en sont les victimes. Le modèle économique néolibéral, soutenu par les dirigeants français, est le terreau idéal pour l’accroissement de la dette, de la pauvreté et de la corruption. Ce modèle, dont la dette est un des centres nerveux, conduit in fine à une nouvelle forme de colonisation des pays du tiers-monde. Dans son dernier livre [2], Eric Toussaint a révélé qu’au moment de l’indépendance du Gabon en 1960, la Banque mondiale lui a transféré les dettes précédemment contractées par la France pour la colonisation du Gabon, en violation complète des règles du droit international. Depuis, la mainmise des dirigeants français sur l’économie gabonaise ne s’est jamais démentie : Omar Bongo en est avant tout le garant. Une dette constituée dans ces conditions est illégitime et n’a pas à être remboursée.
On arrive là à un point crucial : il n’y a pas d’un côté la France et de l’autre l’Afrique, comme le sous-entend le discours du chef de l’Etat français, ce qui conduit à des interprétations hasardeuses. La réalité est tout autre : il y a d’un côté ceux qui profitent du mécanisme de la dette (créanciers, multinationales, dirigeants des pays riches, mais aussi élites des pays du Sud qui s’enrichissent formidablement) et ceux qui le subissent (populations du Sud, mais aussi du Nord, qui se saignent aux quatre veines pour rembourser une dette immorale et observent souvent une dégradation de leurs conditions de vie). En somme, Sarkozy-Bongo même combat, et nous refusons catégoriquement la logique qu’ils défendent. Les citoyens français, gabonais, sénégalais subissent, à des degrés divers, ce que l’on peut appeler « la brutalité de la dette ».
La colonisation a bloqué toute forme de développement en Afrique. Grâce à la dette, une colonisation économique s’est poursuivie sans relâche et les indépendances n’ont été que des leurres. Aujourd’hui, les peuples africains ne disposent d’aucune souveraineté et les décisions qui les concernent sont prises dans les grandes capitales occidentales. Qui ne tire pas les leçons de son passé est appelé à refaire les mêmes erreurs. La France doit reconnaître ses fautes et réparer les ravages causés par le pillage des richesses et la colonisation, en s’appuyant sur trois mesures significatives : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des pays du Sud ; l’abandon définitif des politiques d’ajustement structurel ; une juste redistribution des richesses à l’échelle planétaire, par exemple en taxant les bénéfices des transnationales et les grosses fortunes, à l’opposé de ce qui se fait actuellement. Voilà de quoi initier une véritable rupture, bien loin des figures de style de Nicolas Sarkozy.
[1] Survie, Billets d’Afrique, avril 2007.
[2] Eric Toussaint, Banque mondiale, le coup d’Etat permanent, CADTM-Syllepse, 2006.
professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
Toutes les créances doivent être honorées, sauf...
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