Bientôt un vaccin contre la « maladie hollandaise » ?

26 février 2018 par Eric Toussaint , Damien Millet


La maladie hollandaise ! Cette histoire commence en 1959 à Slochteren, dans la province de Groningue au nord des Pays-Bas, avec la découverte du plus grand gisement de gaz naturel d’Europe occidentale, l’un des plus importants au monde.



Vous venez de vous asseoir devant votre nouveau bureau. Vous caressez le velours rouge des accoudoirs, vous fermez les yeux. Il y a un an, tout cela paraissait si lointain, dans ce petit État pétrolier d’un continent défavorisé. Le dictateur semblait solidement en place, mais vers la fin de l’année, plusieurs peuples voisins se sont soulevés et la révolte a fait tache d’huile. Très tôt, vous vous êtes impliqué-e dans la mobilisation. Le dictateur a fui après plusieurs massacres, le soutien de quelques ministres d’Europe occidentale qui passaient volontiers leurs vacances dans l’une de ses villas n’a pas suffi. Le mouvement populaire a reçu le soutien d’une partie de l’armée, et au cours des discussions entre mouvements sociaux et responsables militaires acquis à la cause que vous défendiez, votre nom a émergé. Laborieux au début, le processus électoral a finalement été mené à bien. Vous avez été élu-e hier avec une majorité plutôt confortable, vous venez de vous installer au palais présidentiel. Vous avez l’impression qu’Emmanuel Macron va vous tutoyer mais, au bout du compte, il ne vous aidera pas. Vous savez que Donald Trump va vous secouer la main comme un prunier, mais vous ferez front. Vous pensez avoir les cartes en main.

Vous savez que d’autres gouvernements progressistes sont déjà parvenus au pouvoir, mais les expériences n’ont pas toutes été concluantes, loin de là. Vous n’ignorez pas que la partie est compliquée. Vous ne manquez pas d’opposants : à l’intérieur du pays, les grands médias privés tirent à boulets rouges sur votre mouvement, de grandes sociétés étrangères et les capitalistes locaux ont profité des privatisations réalisées par votre prédécesseur, les plus hauts revenus sont inquiets pour leur fortune ; à l’extérieur, les grandes puissances ne lisent pas d’un bon œil vos déclarations sur un projet de développement endogène, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, au service des grands créanciers, veulent que le nouveau régime reconnaisse la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
contractée par la dictature aujourd’hui renversée. Ils veulent également que vous imposiez de nouvelles mesures d’ajustement structurel afin de réduire le déficit budgétaire et rembourser la dette. Mais vous avez la confiance de votre peuple et vous ne voulez pas le décevoir. Une expression prononcée par un ami économiste, auquel vous avez confié le portefeuille des Finances, a retenu votre attention : « Pourvu qu’on ne soit pas victime de la maladie hollandaise ! »

La maladie hollandaise ! Cette histoire commence en 1959 à Slochteren, dans la province de Groningue au nord des Pays-Bas, avec la découverte du plus grand gisement de gaz naturel d’Europe occidentale, l’un des plus importants au monde : 2 820 milliards de mètres-cubes. Dans les années qui suivent, les autorités néerlandaises incitent particuliers et entreprises à se tourner vers le gaz naturel. Les mines de charbon sont fermées. En 1965, le premier contrat de vente du gaz de Groningue à l’étranger est signé avec l’entreprise allemande Ruhrgas, portant sur plus de trois milliards de mètres-cubes par an, soit environ la consommation annuelle de la Suisse actuellement. Les exportations se développent rapidement vers les pays voisins. Les devises affluent, les perspectives sont florissantes.

En somme, l’économie devient dépendante de sa principale ressource d’exportation
Sauf que la réalité est moins rose. Car suite à cet accroissement rapide des exportations, la monnaie néerlandaise, le florin, s’apprécie nettement par rapport aux autres devises. De ce fait, les exportations des autres secteurs deviennent moins compétitives sur les marchés étrangers, ce qui provoque une forte contraction du secteur industriel. Le secteur du gaz - avec ceux qui y sont liés dans un premier temps, comme la construction des infrastructures nécessaires - tend à aspirer la plupart des investissements alors que les autres secteurs ralentissent nettement. De plus en plus, les recettes d’exportation servent à financer des importations de biens et de services que l’appareil productif du pays ne peut plus fournir à prix compétitif. En somme, l’économie devient dépendante de sa principale ressource d’exportation. Voilà pourquoi, au milieu des années 1970, La Haye éprouve des difficultés économiques majeures, alors même que la production de gaz naturel atteint son maximum : 81,7 milliards de mètres-cubes en 1976 [1], avant de se stabiliser entre 60 et 70 milliards de mètres-cubes après 1982. Le 26 novembre 1977, The Economist titre sur ce qu’il appelle « the Dutch disease ». La maladie hollandaise est née.

Pourtant, le phénomène a vu le jour bien avant les années 1960. Déjà au seizième siècle, l’Espagne, grâce au pillage du Nouveau monde, a profité de l’arrivée massive d’or et de métaux précieux en provenance des Amériques. Mais, en quelques décennies, son secteur manufacturier a reculé et une période de déclin économique a commencé. Il en fut de même pour l’Australie au dix-neuvième siècle, au moment de la ruée vers l’or. Plus récemment, le Nigeria, l’Algérie, le Venezuela ou le Mexique, tous fortement dépendants de la rente pétrolière, ont été concernés. Des menaces planent également sur des pays où un tel processus pourrait être engagé : au Nord, le Canada avec le pétrole de l’Alberta, ou la Russie ; au Sud, le Tchad et la Guinée équatoriale nouveaux exportateurs de pétrole, mais aussi le Paraguay avec le soja transgénique et la Bolivie avec le lithium…

Avec la maladie hollandaise, la croissance du PIB peut être très forte les premières années mais sans permettre de développer une industrie sur place

Quand un pays en développement est touché par la maladie hollandaise, la croissance du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
peut être très forte les premières années, mais les revenus enrichissent les sociétés transnationales du secteur, les capitalistes locaux qui se spécialisent notamment dans l’importation de biens de consommation acquis à l’étranger grâce aux matières premières exportées et une minorité de personnes proches du pouvoir, sans permettre de développer une industrie sur place. Par exemple, l’exploitation du pétrole tchadien a juste permis la création de quelques milliers d’emplois sur place (35 000 pendant la construction de l’oléoduc, environ 2 300 de manière permanente ensuite), mieux payés que dans les autres secteurs, ce qui a attiré les producteurs de coton, auparavant la première culture d’exportation : la culture du coton s’est trouvée marginalisée et toute l’économie locale a finalement été désorganisée, sans oublier les multiples dégâts environnementaux et les violations répétées des droits des populations qui vivent dans la zone. Certains pays comme l’Argentine et le Brésil, dotés d’industries à technologie avancée dans les années 1960-1970, ont connu une inquiétante régression due à une dépendance accrue à l’égard d’exportations de biens primaires (minerais, soja transgénique, viande…). Quand il s’agit d’un pays industrialisé, la croissance s’affaiblit rapidement dans les autres secteurs et l’économie peut entrer en récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. . Dès que la ressource se raréfie ou que le cours sur les marchés mondiaux baisse si fortement que l’exploitation de la ressource n’est plus profitable, la situation se dégrade très vite. Il est donc urgent de trouver un vaccin innovant.

L’Algérie s’y est employée, mais au lieu d’investir dans l’économie productive en développant un modèle d’industrialisation novateur, le gouvernement a utilisé les recettes pétrolières et gazières pour rembourser de manière anticipée une très grande partie de la dette. La Norvège a elle aussi procédé à des choix très discutables avec ses revenus liés aux hydrocarbures : elle a abondé un fonds souverain afin de réaliser des investissements à l’étranger tout en limitant fortement les augmentations de salaires. Pour les populations, le bénéfice retiré est minime. Au contraire, les créanciers et les institutions financières privées y trouvent largement leur compte. Une autre voie s’impose, jetons-en les bases.

Les pays surendettés ont été contraints d’ouvrir leur économie et d’éliminer toute forme de protection pour leurs secteurs vitaux

Si la maladie hollandaise parvient à provoquer autant de dégâts, c’est que les économies des pays concernés sont déjà fragilisées au préalable. La logique imposée au Sud par le FMI et la Banque mondiale depuis les années 1980, à travers les plans d’ajustement structurel, porte une lourde responsabilité : afin de récupérer les devises nécessaires au remboursement de la dette, érigé en priorité absolue, les pays surendettés ont été contraints d’ouvrir leur économie et d’éliminer toute forme de protection pour leurs secteurs vitaux, de mettre en concurrence déloyale leurs producteurs avec des sociétés transnationales, de réduire les surfaces consacrées aux cultures vivrières Vivrières Vivrières (cultures)

Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).
et de se spécialiser dans une monoculture Monoculture Culture d’un seul produit. De nombreux pays du Sud ont été amenés à se spécialiser dans la culture d’une denrée destinée à l’exportation (coton, café, cacao, arachide, tabac, etc.) pour se procurer les devises permettant le remboursement de la dette. d’exportation. Après la crise de la dette du début des années 1980, tout ce processus a conduit à une puissante domination des peuples du Sud par les détenteurs de capitaux. Ce modèle de développement extractif basé sur l’exportation de biens primaires et l’importation d’aliments et de biens manufacturés a conduit à une impasse, avec des droits humains fondamentaux piétinés à grande échelle et un impact environnemental désastreux.

Face aux promoteurs de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale, la seule alternative est une approche à long terme qui vise à diminuer la dépendance vis-à-vis des marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et des exportations/importations, à redistribuer la richesse de manière plus juste afin de réduire les inégalités, à mieux répartir la production de la richesse nationale, dans un cercle vertueux basé sur la satisfaction et la promotion de la demande intérieure, avec priorité accordée aux droits économiques, sociaux et culturels de toute la population, au détriment de la consommation de luxe frénétique des classes favorisées. Des programmes sociaux d’accès gratuit aux soins de santé, à l’éducation (du primaire à l’enseignement universitaire), à la culture doivent être mis en place. Cela a pour corollaire l’intégration régionale entre les pays dont les gouvernements partagent une même vision des changements structurels nécessaires (dans le domaine de la propriété, des droits sociaux, des droits des femmes, des droits des peuples originaires, des droits civils et politiques) en refusant la logique capitaliste, extractive et exportatrice.

La valeur ajoutée par la richesse naturelle concernée par le mal hollandais doit être créée sur place : le but n’est surtout pas d’exporter du pétrole brut pour importer de l’essence ou du kérosène à prix bien plus élevé. Dans le cas du pétrole, une entreprise publique doit permettre de le raffiner, de produire des dérivés Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
et de le commercialiser sous ses différentes formes. L’ensemble du continent africain ne possède qu’une quarantaine de raffineries, souvent mal entretenues, qui bien sûr n’arrivent pas à satisfaire la demande régionale. Par exemple, au Nigeria, trois des quatre raffineries ont été réactivées en juillet 2015, mais ne fonctionnent pas au maximum de leurs capacités. Incité à tourner son économie vers l’exportation pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de sa dette, le Nigeria tire 70% de ses revenus et environ 90% de ses ressources en devises des exportations de brut. Seulement 10% de sa production est raffinée dans le pays. L’économie nigériane est très fragile et dépendante du pétrole qui pourtant ne lui a pas permis de sortir le pays de la pauvreté.

Au-delà, il faut développer un secteur manufacturier afin d’instaurer un modèle d’industrialisation par substitution d’importation Industrialisation par substitution d’importation Cette stratégie renvoie principalement à l’expérience historique de l’Amérique latine des années trente et quarante, et aux travaux de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine de l’ONU) des années 1950, avec notamment les écrits de l’Argentin Raúl Prebisch (qui deviendra en 1964 le premier secrétaire général de la CNUCED). Le point de départ est le constat selon lequel, confrontés à une réduction drastique des échanges, les principaux pays d’Amérique latine avaient su répondre à la demande intérieure en remplaçant les produits importés par le développement de la production locale. La théorisation de la CEPAL vise à étendre ce procédé successivement à tous les secteurs de l’industrie en créant une « déconnexion » vis-à-vis du Centre. En s’appuyant sur une bonne dose de protectionnisme et sur une intervention coordonnée de l’État, elle vise à permettre l’essor des industries naissantes. La Corée du Sud a appliqué cette politique avec succès mais dans des conditions particulières. , pour diminuer le nombre de produits importés, notamment finis et semi-finis, et de gérer sur place leur fabrication. Le gouvernement doit opter radicalement pour la souveraineté alimentaire du pays en soutenant la production vivrière locale. Le financement de telles filières doit être assuré par les ressources d’exportation, mais aussi par la création au niveau régional d’un organisme public multilatéral qui pourrait financer de telles démarches, une sorte de « Banque du Sud » qui permettrait aux pays signataires de mutualiser de tels investissements [2]. En contrepartie, ils pourraient bénéficier des biens et services des autres pays impliqués à un tarif inférieur aux cours mondiaux. Le président vénézuélien Hugo Chavez avait lancé l’initiative Petrocaribe, grâce à laquelle le Venezuela consentait un rabais conséquent (de l’ordre de 20%) sur la vente de pétrole à des pays de la Caraïbe alors qu’il le vendait au prix fort aux États-Unis. Des accords de troc (par exemple, du pétrole contre le service de personnel de santé) étaient également recherchés, notamment avec Cuba, pour réduire l’exposition financière. Mais avec la chute du prix du pétrole à partir de 2015, le gouvernement vénézuélien, confronté à une forte baisse de ses revenus, a dû mettre fin au programme Petrocaribe. On le voit, il a été incapable de se libérer de cette maladie hollandaise, ce qui est riche d’enseignements : il faut donc redoubler d’efforts pour opérer une réelle transformation du modèle de développement pour se libérer de la dépendance totale à l’égard des matières premières, et non essayer de trouver une voie progressiste au sein du modèle capitaliste.

Afin de réduire la dépendance aux marchés financiers, il faut prendre une série de mesures audacieuses

Une Banque du Sud bien timide a vu le jour à l’initiative de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de l’Équateur, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela. Elle aurait pu financer la connexion des réseaux ferroviaires de ces pays en relançant l’industrie de production de tout le matériel nécessaire à des chemins de fer de qualité, tout en modernisant les réseaux nationaux existants. Elle aurait pu aussi financer le développement d’une industrie pharmaceutique régionale afin de produire des médicaments génériques et promouvoir les plantes médicinales traditionnelles. La création d’une monnaie commune à ces pays aurait pu constituer un objectif. Mais les dirigeants brésiliens et argentins, liés aux intérêts des capitalistes du Nord et du Sud, ont saboté la structure en interne.

Afin de réduire la dépendance aux marchés financiers, qui rend le pays plus vulnérable à une éventuelle surévaluation de sa monnaie, il faut là aussi prendre une série de mesures audacieuses : réaliser un audit de la dette publique afin d’en déterminer la part odieuse ou illégitime, en vue de sa répudiation imposée aux créanciers sur la base des textes juridiques internationaux ; en attendant, déclarer un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur le remboursement de cette dette sans pénalités de retard ; abandonner les politiques d’ajustement structurel ; quitter définitivement le FMI, la Banque mondiale et l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, et inciter les autres pays partenaires à faire de même ; demander en justice l’expropriation des biens mal acquis par les régimes dictatoriaux précédents et leur rétrocession à l’État ; réinstaurer un contrôle sur les mouvements de capitaux ; taxer fortement les bénéfices des entreprises transnationales installées dans le pays et les patrimoines des grosses fortunes ; nationaliser le secteur bancaire et le secteur pétrolier.

Pour réussir, vous savez qu’il faudra affronter tous ceux qui profitent du système actuel et ils sont puissants. Mais vous savez que la grande majorité de votre peuple vous soutiendra car vous êtes juste le fer de lance d’un combat qui est le sien. Vous avez en main les ingrédients du vaccin contre la maladie hollandaise. Certains ont eu le prix Nobel pour moins que cela… Vous ouvrez les yeux en souriant : celui d’économie ou celui de médecine ? Puis vous vous mettez à rire de vous-même car vous savez que le Nobel n’est jamais attribué à des révolutionnaires. Vous n’avez donc aucune chance de le recevoir.


Notes

[1BP, Statistical Review of World Energy 2002.

[2Voir Éric Toussaint, Banque du Sud et nouvelle crise internationale, CADTM-Syllepse-CADTM, 2008. Disponible sur commande ici

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).

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