Interview d’Eric Toussaint, président du CADTM
avril 2003 par CADTM
Par qui étais-tu invité ?
Je me suis rendu du 18 au 23 mars 2003 à Dili, capitale du Timor Oriental, pour répondre à l’invitation du ministère de la Planification et des Finances ainsi que l’Université nationale. En outre, j’étais accompagné par une responsable de Focus on the Global South. L’objectif était de transmettre une analyse critique de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et des politiques qu’elle recommande. Concrètement, j’ai donné des formations sous la forme de séminaires aux hauts fonctionnaires du ministère ainsi qu’aux étudiants et professeurs de l’Université nationale. J’en ai profité pour rencontrer un maximum de mouvements citoyens et d’organisations sociales. J’ai donné plusieurs interviews à la presse locale, une conférence pour des activistes progressistes et enfin, j’ai rencontré la représentante plénipotentiaire de la Banque mondiale et son collègue du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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En quelques mots, peux-tu dresser un topo de la situation du pays ?
Aujourd’hui peuplé de 800.000 habitants, situé à 500 km des côtes australiennes, le Timor Oriental a accédé à l’indépendance en mai 2002 après plusieurs décennies de lutte de libération. Ancienne colonie portugaise jusqu’en 1975, le Timor Oriental a été annexé à l’Indonésie par la dictature de Suharto. La lutte de libération a connu des moments forts dans les années ’70 à la fin du régime portugais (la révolution des œillets en 1974 au Portugal a notamment débouché sur l’indépendance des colonies portugaises : Guinée-Bissau, Cap Vert, Angola, Mozambique, Timor Oriental…) et en 1998-99, après le renversement de Suharto par le peuple indonésien. Le principal mouvement de libération, le FRETILIN, qui a recouru à la lutte armée pendant près de 30 ans, dispose aujourd’hui d’une confortable majorité au sein du parlement. Le président de la République Xanana Gusmao est une figure historique du FRETILIN. La lutte de libération après la chute de Suharto a coûté la vie à plus de 100.000 Timorais. A partir de 1999, suite à un référendum au cours duquel la population timoraise à une majorité écrasante a choisi l’indépendance, le pays a été mis sous administration de l’ONU.
Le pays a une économie très pauvre, peu diversifiée, sans industrie. L’activité principale est constituée par l’agriculture (plus de 75% de la population est rurale). A part le café destiné à l’exportation, l’essentiel de la production agricole est tourné vers la satisfaction de la demande intérieure ce qui constitue, selon moi, un avantage. Le défi de toute politique économique dirigée vers l’amélioration des conditions de vie de la population consiste à prendre en compte la réalité de cette agriculture locale. Le pétrole et le gaz vont être déterminants pour l’avenir du Timor oriental. En pleine mer, à l’endroit où les eaux territoriales australiennes et timoraises se jouxtent, se trouvent d’importantes réserves de pétrole et de gaz. De puissants intérêts financiers et économiques australiens ont réussi à s’octroyer la plus grande partie du gâteau du temps de la dictature de Suharto. Quand le Timor est devenu indépendant et a voulu renégocier les accords pour obtenir la part qui lui revenait de droit, l’Australie a refusé. Les autorités timoraises ont envisagé d’en appeler à la Cour Internationale de Justice de La Haye mais ont finalement renoncé face aux menaces de rétorsion économiques de la part de l’Australie. Il y a un très grand risque que le Timor Oriental subisse le sort de pays comme l’Angola ou le Congo Brazzaville car l’exploitation des champs pétroliers et gaziers sera dominée par quelques multinationales pétrolières. Si les autorités n’y prennent garde, le bonheur des pétroliers et de la minorité nantie des Timorais peut faire le malheur du pays et de ses habitants.
Quelle est l’attitude du gouvernement par rapport à la problématique de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
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Le nouvel Etat est né sans dettes et le gouvernement a pris la sage décision de refuser d’emprunter. Pour la reconstruction du pays, il n’accepte de la communauté internationale que des dons. La Banque mondiale qui avait débarqué avec un plan d’endettement, a dû adopter une nouvelle stratégie pour arriver à convaincre les autorités d’appliquer le Consensus de Washington. Elle a réussi à s’imposer comme l’institution qui coordonne la majeure partie des dons provenant de la communauté internationale. Elle signe des contrats avec les autorités locales et à travers ces contrats, elle distille la politique néo-libérale : abandon des barrières douanières (au détriment des agriculteurs locaux notamment dans la production du riz), imposition d’une politique de recouvrement des coûts (droit d’inscription élevé dans l’enseignement supérieur et universitaire, soins de santé payants), privatisation de la gestion du secteur électricité et installation de compteurs électriques à pré-paiement…
J’ai pu me rendre compte par ailleurs d’un phénomène très grave : une partie marginale de chaque don (de 10 à 20% seulement) atteint réellement l’économie locale. La majeure partie des sommes représentées par les dons est dépensée à l’extérieur du Timor, soit sous la forme de rémunérations des experts étrangers, soit en achats de biens et de services sur les marchés internationaux. La Banque mondiale réussit à imposer le recours à des consultants internationaux (certains provenant directement de la Banque mondiale) dont les honoraires représentent 15 à 30% des dons. La Banque mondiale prélève elle-même 2% sur chaque don qu’elle gère. L’inégalité des rémunérations est particulièrement frappante. Un expert international reçoit une rémunération de 500 dollars par jour (à quoi il faut ajouter la prise en charge de tous ses frais sur place) tandis que le travailleur timorais moyen perçoit de 3 à 5 dollars par jour. La représentante de la Banque mondiale, quant à elle, gagne environ 15.000 dollars par mois. Et son collègue du FMI qui en gagne autant, s’oppose activement à l’adoption par le parlement d’une loi fixant un salaire minimum légal. Il n’a pas hésité à me déclarer lors d’une entrevue qu’un salaire de 3 à 5 dollars par jour était beaucoup trop élevé.
Au cours des séminaires que j’ai donné, j’ai comparé l’attitude de la Banque mondiale à celle de Christophe Colomb et d’autres conquistadors qui, pour s’établir sur un territoire donné, commençaient par faire des cadeaux. La première fois que j’ai fait cette comparaison, je me suis dit qu’elle allait entraîner des protestations de l’auditoire. Il n’en a rien été. Au Timor, beaucoup de personnes sincèrement engagées dans la reconstruction du pays sont très inquiètes de l’influence prise par la Banque mondiale. Ils ont l’impression que leur gouvernement lui-même commence à se laisser influencer par le credo néolibéral et ils se demandent comment redresser la barre.
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