Tsunami : Annuler la dette, une urgence

21 janvier 2005 par Pierre Rousset




Le drame du tsunami a relancé la campagne pour l’annulation de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du tiers monde. Après la réunion internationale de Djakarta et celle du Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, la tenue du Forum social mondial à Porto Alegre, fin janvier, doit aider à poursuivre l’effort en ce domaine aussi.

L’impact politique du tsunami permet de poser de nouveau, en termes concrets et actuels, la question de la dette des pays du tiers monde. Il est très significatif que le Parlement européen ait adopté, le 13 janvier, une résolution demandant « à la Commission et aux États membres de prendre l’initiative, dans les instances tant multilatérales que bilatérales, d’annuler progressivement la dette extérieure de pays en développement et leur demande aussi de poursuivre activement l’objectif que 0,7 % du PNB PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
soit consacré à l’aide au développement à l’étranger
 ». Cette résolution, adoptée à une très large majorité (473 voix pour, 66 contre et 14 abstentions) n’est pas exempte d’ambiguïtés ; mais elle marque un net progrès par rapport aux documents passés. Pour autant, la bataille pour l’annulation immédiate de la dette extérieure des pays frappés par le tsunami et, plus généralement, du tiers monde, n’est pas gagnée. Diverses organisations ont porté cette exigence solidaire le 12 janvier, devant le ministère des Finances, alors que se réunissait le Club de Paris (qui rassemble dix-neuf pays créanciers, dont la France). Ce club des nantis se contente en effet, pour l’heure, de prudentes propositions de moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
. Un report des remboursements donc, pendant lequel les intérêts de la dette continueront à s’empiler. Un report qui sera évalué par le Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
(FMI), dont on connaît pourtant les orientations néolibérales désastreuses. Certains gouvernements hésitent à accepter le moratoire. Ils ont peur de perdre en « crédibilité » auprès des investisseurs étrangers, alors même que toutes leurs ressources devraient être consacrées à la reconstruction et à l’aide aux populations sinistrées. Voilà qui en dit long sur la dictature que le système de la dette fait peser sur les peuples du tiers monde ; car ce sont bien eux qui se privent de l’indispensable pour payer les intérêts faramineux d’une dette illégitime aux riches créanciers du Nord. Le système s’alimente lui-même, rendant la dette perpétuelle. Selon l’évaluation du CADTM, les Indonésiens ont déjà remboursé onze fois ce que leur État devait en 1982 ; et l’endettement continue, se renouvelant sans fin, maintenant le pays sous la loi du FMI. « Maintenant plus que jamais, en cette période d’immenses besoins, la demande historique des peuples du Sud pour annuler les dettes extérieures réclamées à leurs pays doit être entendue. » Sur cette exigence, le réseau Jubilée Sud a lancé un appel intitulé « Face à la dette et au désastre : voici un soulagement durable ». «  S’il existe un peu de sincérité dans les généreuses expressions de compassion proférées par les gouvernements du Nord envers les peuples du Sud, elle devrait se manifester par des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
concrètes. En plus de la mobilisation des secours d’urgence et de réhabilitation, ce dont nous avons un besoin immédiat, c’est l’annulation de la dette sans condition et dès maintenant. Les gouvernements du Sud ne devraient plus continuer à donner la priorité au service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. extérieure en gaspillant ainsi les ressources publiques.
 » Une première liste de signatures a été collectée dans l’urgence, pour être présentée à la réunion de Djakarta sur l’aide aux pays frappés par le tsunami. Au 15 janvier, des réseaux internationaux avaient apporté leurs signatures, tels que Jubilée Sud, le Conseil mondial des Églises, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), les Amis de la Terre, l’International Rivers Network, Oxfam International, la Marche mondiale des femmes... Il en va de même pour de nombreux réseaux régionaux, des organisations d’Asie, d’Afrique, des Amériques et d’Europe. Mais à cette date, il n’y avait encore que six associations françaises signataires, dont le CADTM, France-Amérique latine (FAL) et Europe solidaire sans frontières (ESSF). L’appel de Jubilée Sud sera distribué à Porto Alegre, au cinquième Forum social mondial. Il est donc encore temps de le faire signer par de nouvelles organisations, notamment françaises.

Par Pierre Rousset


Source : Rouge (http://www.lcr-rouge.org), janvier 2005.