Zoe Konstantopoulou à propos des révélations de Wikileaks sur les conversations internes au FMI

13 avril 2016 par Zoe Konstantopoulou


CC - Flickr - thierry ehrmann

La publication des conversations entre Thomsen – le responsable du FMI pour l’Europe- et Velculescu –la responsable du FMI pour la Grèce- (voir https://wikileaks.org/imf-internal-20160319/ et http://cadtm.org/SYRIZA-the-IMF-and-the-EU-Gambling), de même que les réactions de la part du palais Maximou et du premier ministre, purement formelles, mettent en lumière la funeste incapacité et la complaisance déloyale d’un gouvernement peu désireux de mettre à profit les armes offertes au pays dans la négociation, au bénéfice du peuple, un gouvernement qui au contraire participe sciemment à la sape de l’intérêt public et de notre position internationale dans les négociations.



M. Tsipras feint d’être surpris devant la simple révélation que la stratégie de l’atermoiement vise en réalité à vider les caisses de la Grèce et à répéter le scénario de l’absence d’alternative et du chantage, qui le contraindra à nouveau à accepter des mesures encore plus catastrophiques. Ce prétendu étonnement est un faux semblant hypocrite. La même stratégie a déjà été appliquée l’année dernière. Sur ce point, je l’avais averti, tant lors d’une conversation privée le 21/02/2015 que lors de mon intervention en réunion du groupe parlementaire de Syriza le 25/02/2015. Malgré tous ces avertissements, M.Tsipras a fait le choix de continuer à vider les caisses du pays, d’abord en poursuivant le remboursement coupable des créanciers, alors qu’eux-mêmes ne versaient pas le moindre centime ; mais aussi en instaurant un contrôle partiel des changes, dès avril 2015, en le présentant comme « une mesure toute provisoire pour affronter un manque de liquidité Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
tout à fait passager, juste pour deux semaines » trompant ainsi le parti lui-même et son propre groupe parlementaire.

« L’événement » (une faillite) auquel se réfèrent Thomsen et Velculescu s’est produit l’année dernière avec la participation pleine et entière de Tsipras lui-même et de membres de son gouvernement. Et cet « événement », qui était absolument prévisible, même pour un ignare, puisque le pays puisait dans les caisses pour rembourser une dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
insoutenable sans que les créanciers versent le moindre centime, M. Tsipras l’a mis à profit pour justifier la trahison qu’a été la signature du 3e mémorandum.
Des « événements » comparables avaient été utilisés pour la signature du premier mémorandum comme pour celle du deuxième. Il est donc ridicule que M. Tsipras simule l’étonnement et l’indignation.

Par contre, ce qu’il n’explique pas, c’est la raison pour laquelle il ne met toujours pas à profit les armes du pays face aux créanciers et au FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, pas plus qu’il ne l’a fait à l’époque. Au contraire, en réalité, lorsqu’il demande un retrait sans condition du seul FMI et non de l’ensemble des créanciers et de la Troïka, il accorde de fait au FMI toute facilité pour ne pas dédommager le pays des immenses préjudices qu’il lui a consciemment et frauduleusement infligés.

Puisque M. Tsipras n’a répondu à aucune des questions que je lui ai posées dernièrement concernant la corruption et la collusion des élites, qu’il réponde donc à celles ci-dessous, concernant le sujet du jour, au lieu de ne s’exprimer que par le biais de fuites arrangées extraites de ses conversations téléphoniques avec M. Pavlopoulos (Le Président de la République, de droite NdT) ou dans le cadre confortable d’un parlement sans opposition politique.

1. Pourquoi n’a-t-il pas mis à profit, pendant l’été 2015, le rapport préliminaire de la Commissions pour la Vérité sur la Dette Publique (voir http://cadtm.org/Rapport-preliminaire-de-la), qui démontrait que le FMI, connaissant dès 2010 la nature insoutenable de la dette grecque, l’avait dissimulée pour sauver les banques françaises et allemandes, de connivence avec les gouvernements allemands et français, Mme Lagarde étant alors ministre chargée des affaires économiques à cette période décisive ?
2. Pourquoi n’a-t-il pas mis à profit non plus le fait que le FMI, paniqué par cette révélation, a publié deux rapports en juin et juillet 2015 dans lesquels il reconnaissait pour la première fois publiquement le caractère insoutenable de la dette grecque en en proposant la réduction ?

3. Pourquoi à ce jour M. Tsipras n’a-t-il pas réclamé un dédommagement au FMI, alors qu’ont été rassemblés et publiés les documents écrits qui démontrent une violation consciente de la part du FMI par rapport à ses obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
internationales et à ses statuts. ?

4. Pourquoi le gouvernement passe-t-il sous silence le rôle de Mme Lagarde, alors qu’elle s’est efforcée par une lettre d’écarter le témoignage éminemment révélateur du précédent représentant de la Grèce au FMI, Panayotis Roumeliotis, devant la commission pour la Vérité sur la dette à la date du 15 juin 2015 (voir http://cadtm.org/Audition-de-Panagiotis-Roumeliotis) , en rappelant, entre menace et séduction, le droit exclusif du FMI de lever son immunité ?

5. Pourquoi le gouvernement, par la bouche de Ministre E. Tsakalotos dans l’interview qu’il a donnée la semaine dernière au journal TA NEA, parle-t-il du « bon FMI, celui de Mme Lagarde, et du mauvais, celui des technocrates, – mais pas tous. » ?

6. Pourquoi M. Tsipras dans sa lettre suivant les révélations d’aujourd’hui, propose-t-il comme solution à Mme Lagarde de circonscrire le problème aux seuls Velculescu et Thomsen ?

7. Pourquoi persiste-t-il à ne rien exiger du FMI et se contente-t-il de prier pour que « l’évaluation » se conclue ? (Le processus de contrôle par la bureaucratie de l’UE de l’effectivité des mesures mémorandaires, préalable au versement par les créanciers d’une petite partie des prêts, processus à travers lequel s’exerce le chantage sans fin à l’asphyxie financière NdT)

8. Pourquoi, aujourd’hui, Tsipras et Pavlopoulos se hâtent-ils de laisser fuiter le contenu de leur conversation, en réalité d’en dicter leur version à des médias zélés, sans aucun contrôle possible, alors que, dans le cas de la rencontre des chefs de partis qui s’est déroulée le 06/07/2015 sous la responsabilité du Président de la République, le compte-rendu n’a pas été rendu public, comme il aurait dû l’être et comme j’en avais fait la demande officielle en qualité de Présidente de l’Assemblée en juillet 2015 ?

9. Pourquoi Tsipras et Pavlopoulos s’obstinent-ils à désigner la Commission Européenne et la BCE BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
comme de « bons créanciers », après le terrible coup d’état de l’été dernier à l’encontre du peuple, qui a révolté les consciences de tous les démocrates de la planète ?

10. Pourquoi Tsipras et Pavlopoulos assument-il avec autant d’inélégance le rôle de représentants d’une partie des créanciers et violent-ils si ostensiblement leurs obligations envers le peuple grec et la République ?

11. M. Tsipras rendra-t-il public le contenu des négociations menées actuellement et des positions que prend son gouvernement concernant les retraites, les impôts, (impôt sur les revenus et TVA), et aussi le droit du travail, toutes choses mentionnées directement dans la conversation Thomsen-Velculescu ?

12. Rendra-t-il publique la position officielle du Palais Maximou concernant l’annulation de la dette, à propos de laquelle M. Thomsen se déclare certain qu’elle n’aura pas lieu, tout en affirmant qu’il faut la faire dépendre des conditions que posera le FMI.

13. Réclamera-t-il la publication immédiate de l’analyse secrète du FMI sur la viabilité de la dette, à laquelle se réfèrent formellement Thomsen et Velculescu dans leur conversation, quand ils complotent sur le moment où ils la rendront publique, appliquant ainsi la même politique de dissimulation, d’occultation et de tromperie que celle suivie par le FMI dès le début, depuis 2010.

14. Utilisera-t-il enfin les travaux de la Commission pour la Vérité sur la Dette Publique, mise hors circuit sur décision de M. Voutsis (voir http://cadtm.org/Lettre-ouverte-au-President-du) , bien qu’ils aient renforcé comme jamais les capacités de négociations du pays, en élaborant une argumentation détaillée pour l’annulation de la dette et la fin des chantages.

15. Nous tiendra-t-il informés sur un éventuel cas de conflit d’intérêts d’ordre personnel, familial, économique au sein de son gouvernement, qui l’empêcherait depuis un an et plus de faire ce qui va de soi pour la défense du pays et du peuple ?

16. Expliquera-t-il pourquoi il est le seul aujourd’hui à défendre Merkel, Schaüble et Hollande, en les présentant comme de « bons créanciers » par opposition à celui qui est bon à jeter, Thomsen (« Nous ne laisserons pas Thomsen détruire l’Europe) ?

17. Y avait-il tant d’argent que ça censé nous être attribué pour la question des réfugiés pour qu’il oublie tout ce qu’il a dit en septembre ?

A l’évidence, M. Tsipras ne répondra pas non plus à ces questions. Il est trop occupé à communiquer pour faire diversion et pour préserver son image avant la prochaine opération. Toutefois, l’inspiration s’est tarie, puisqu’il a mis fin au scénario mal ficelé de la bataille contre la collusion des élites, de façon tout à fait semblable et dans des circonstances similaires à la constitution l’an passé de la commission d’enquête sur les mémorandums, qu’il a lui-même dissoute par la suite avant qu’elle n’ait bouclé ses travaux.

Entre-temps, il brade à tout va, jusqu’à la culture du pays, à des personnages controversés qu’on importe de l’étranger et qui, en pleine crise, n’ont rien trouvé de mieux que de promouvoir leur œuvre et leur intérêt personnels avec l’argent public. Malheureusement, Jan Fabre est une chose, Éric Toussaint en est une autre, lui qui a travaillé inlassablement, de façon désintéressée, sans être rétribué, pendant des mois, pour offrir son aide à la Grèce. Heureusement le premier a démissionné, sous la pression d’un tollé justifié (Explication : Jan Fabre, nommé en février 2016 à la direction du prestigieux Festival d’Athènes et d’Epidaure par le ministre de la Culture Aristides Baltas (Syriza), a démissionné après le scandale provoqué par le fait qu’il avait préparé une programmation artistique à 100% belge alors que les éditions précédentes étaient à 90% grecque Voir http://next.liberation.fr/theatre/2016/04/03/jan-fabre-demissionne-du-festival-d-athenes-et-d-epidaure_1443644). Malheureusement, en ce qui concerne Éric Toussaint, le gouvernement et M. Voutsis l’actuel président du parlement grec déchaînent leurs efforts pour le mettre hors circuit, devant l’adhésion populaire suscitée par son travail.

Entre-temps, hier, le parlement a adopté le plus monstrueux des accords internationaux, qui renverse tout les acquis du XXe siècle en matière de droit international, de droits humanitaires et de droits de l’homme. Et le gouvernement grec se livre désormais à des petits calculs sordides, dans l’espoir de grignoter des subsides afférents, en échange de constructions sommaires, dressées avec « notre » participation.

Tout cela constitue une leçon et un rappel : la défense de la démocratie, de l’intérêt public et social, des droits de l’homme, requiert un engagement sans contrepartie. Elle requiert des hommes décidés à défendre des valeurs supérieures universelles, même au prix de sacrifices personnels, et non des individus qui sont le jouet de leur ambition personnelle et de leur amour du pouvoir. Malheureusement, dans le gouvernement actuel, il n’existe personne de cette envergure. Il ne saurait y en avoir dans tout gouvernement qui procéderait de l’actuel parlement.


Traduction du grec : Jean Marie Réveillon


Zoe Konstantopoulou

avocate et femme politique grecque. Ex-députée du parti de la gauche radicale Syriza, qui a gagné les élections législatives du 25 janvier 2015 en Grèce, a été la plus jeune présidente de la Vouli (Parlement grec), de janvier à octobre 2015, et la deuxième femme seulement à exercer cette fonction. Dès son élection elle mandata, en avril 2015, un audit de la dette publique grecque avec la formation de la Commission pour la vérité sur la dette publique. Zoé Konstantopoulou s’est opposée à la trahison du résultat du référendum du 5 juillet 2015 par le gouvernement d’Alexis Tsipras. En 2016, elle a fondé une nouvelle organisation politique appelée Trajet de Liberté.

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