Covid-19 et dette publique : va-t-on nous rejouer le mauvais scenario de 2008

Carte Blanche publiée dans le journal Le Soir du 7 mai 2020

8 mai 2020 par ACiDe


Face à une crise inédite, les mesures prises par le gouvernement belge et la récession économique en cours vont avoir un impact énorme sur les finances et l’endettement publics. Le scenario actuellement en cours est le même qu’en 2008. Mais ce scenario désastreux n’est pas une fatalité.



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 L’austérité et le dogme du paiement de la dette publique ont aggravé la crise sanitaire

La situation dramatique dans laquelle nous sommes ne sort pas de nulle part. Elle est la conséquence directe des politiques désastreuses d’austérité qui ont affaibli notre système public de santé, nos services publics et notre sécurité sociale. Entre 2011 et 2018, la Commission européenne a recommandé à 63 reprises aux États membres de l’UE de privatiser certains pans du secteur de la santé ou de réduire les dépenses publiques en matière de santé.

En Belgique, sur la même période 2012-2018, les deux gouvernements fédéraux successifs ont réalisé des coupes pour plus de 20 milliards dans la sécurité sociale et les services publics, dont plus de 9 milliards uniquement dans les soins de santé. Le nombre de lits est passé de plus de 9,3 unités pour 1.000 habitant.e.s en 1985 à 6,2 lits trente ans plus tard [1]. Sans oublier que, par souci d’économie budgétaire, le gouvernement a procédé à la destruction d’un stock stratégique de 6 millions de masques FFP2, et a décidé de ne pas le renouveler.

 Un déficit de plus de 30 milliards et une dette qui passera de 99% à 115% du PIB. Au minimum…

Récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.  : 8 %, déficit public : 7,5 %, dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique : 115 %. Même si ces chiffres de la Banque nationale de Belgique et du Bureau fédéral du plan pour 2020 sont déjà impressionnants, ils semblent sous-estimés, notamment pour les raisons suivantes :

  • ils ne tiennent pas compte de toutes les mesures déjà prises, s’élevant déjà à plus de 9 milliards d’euros ;
  • ils ne prennent pas en compte les pertes de recettes liées à la suppression de dividendes (1,3 milliards d’euros) perçues par l’État en tant qu’actionnaire de grandes entreprises (Belfius, BNP Paribas Fortis, Proximus, …) ;
  • la BNB table sur une « reprise vigoureuse dans la deuxième moitié de l’année ». Cette hypothèse est fort optimiste.
  • de nouvelles dépenses sont inévitables. Vu l’ampleur de la crise sanitaire et sociale, les pouvoirs publics devront engager de nouvelles dépenses notamment dans le secteur de la santé mais aussi pour faire face à une augmentation forte du chômage structurel et pour venir en aide aux PME et aux indépendant·e·s.
  • les sauvetages plus « directs » de grandes entreprises vont commencer et ils vont coûter très cher. À titre d’exemple, Brussels Airlines, Tui Fly et d’autres acteurs aéronautiques ont déjà demandé une « aide » d’un demi-milliard d’euros au public. Ce n’est qu’un début.

 Va-t-on nous rejouer le mauvais scénario de 2008 ?

Tandis que les gouvernements s’apprêtent à augmenter fortement les dépenses pour sauver les grandes entreprises (dont les banques), la Commission européenne a annoncé que les règles budgétaires sont provisoirement suspendues.

Lors de la crise financière de 2008-2009, conséquence directe de la libéralisation financière et des comportements aberrants et criminels de grandes banques, tous les principes en vigueur depuis 30 ans, affirmant qu’il n’y a pas d’argent disponible (pour la santé, pour le social, pour la transition écologique, pour lutter contre la précarité et les inégalités) volent en éclat. Les États interviennent massivement pour sauver de la faillite les grandes institutions financières, ce qui fait exploser la dette publique de la majorité des pays européens. En ce qui concerne la Belgique : la dette publique passe de 84 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 2007 à 100% en 2011, suite aux sauvetages de Dexia, Fortis, KBC et Ethias. Après quelques discours sur la nécessité de mettre fin au capitalisme sauvage (sic) et à la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
effrénée, les gouvernements européens exonèrent très rapidement les institutions bancaires et leurs grands actionnaires de leurs responsabilités, pour pointer du doigt les dépenses prétendument irresponsables des États et des ménages, justifiant une nouvelle cure d’austérité...

Si nous laissons faire, le risque est grand de voir ce scenario se renouveler : après une socialisation des pertes, de nouvelles mesures d’austérité, des attaques supplémentaires sur les droits sociaux et la sécurité sociale au nom du retour à la croissance et à la compétitivité, ce qui aggravera encore un peu plus les inégalités, la précarité, la destruction des écosystèmes …

 Un autre scenario est possible : 4 propositions

En plus de mesures d’urgences visant à lutter efficacement contre la crise, des mesures peuvent être prises pour réduire radicalement la dette publique et ainsi dégager des moyens supplémentaires pour inverser la tendance.

  1. Instaurer un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

    Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
    sur le paiement de la dette en s’appuyant sur le droit international, notamment sur l’état de nécessité qui permet à un État de renoncer à poursuivre le paiement de la dette lorsque celui-ci l’empêche de répondre aux besoins fondamentaux de sa population. Un moratoire rien que sur les intérêts libérerait une dizaine de milliards d’euros sur l’année.
  2. Réaliser un audit de la dette avec participation citoyenne afin d’identifier, en vertu des principes du droit international et des textes légaux établissant les notions de dettes illégales, illégitimes et odieuses, ce que la population doit réellement rembourser et ce qui devrait être annulé.
  3. Dégager de nouvelles ressources sans s’endetter. L’annulation de la dette n’est pas une solution miracle. Plutôt que de s’endetter, il vaut mieux chercher à dégager de nouvelles ressources non génératrices d’endettement, et c’est possible : globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

    Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
    Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
    des revenus pour le calcul de l’impôt ; réelle lutte contre la grande fraude fiscale ; impôt exceptionnel et/ou structurel sur les gros patrimoines accumulés ; impôts spécifiques sur les entreprises qui ont accumulé des gros bénéfices durant la pandémie (grande distribution, GAFAMs,) ; …
  4. Permettre à la BCE BCE
    Banque centrale européenne
    La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
    Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
    de prêter directement aux États et d’annuler les dettes publiques qu’elle détient. Le plan « d’urgence » de 750 milliards d’euros ne vise pas à aider les États à faire face à la crise. Il consiste en un programme de rachat des titres de dette publique et privée exclusivement auprès des banques privées. Plutôt que d’injecter des liquidités Liquidité
    Liquidités
    Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
    gigantesques dans les banques de manière quasi inconditionnelle en espérant naïvement que celles-ci financeront l’économie réelle, il faut supprimer l’article 123 du Traité de Lisbonne et permettre à la BCE de prêter directement aux États à des taux nuls. Mais la BCE doit aller plus loin et décider d’effacer de ses comptes les dettes publiques de la zone euro qu’elle a achetées aux banques privées. En décembre 2019, la BCE détenait pour 60 milliards d’euros de la dette belge qu’elle pourrait effacer de son bilan.

Source : Le Soir

ACiDe

Plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique

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