Fonds vautours : La complicité des Etats et des organisations internationales

24 janvier 2018 par CADTM


Pour prospérer, les fonds vautours profitent à la fois des paradis fiscaux, de l’inexistence d’un droit international de la faillite ainsi que de l’absence quasi-totale de régulations au niveau national, témoignant ainsi de l’absence de volonté politique des gouvernements à combattre ces spéculateurs.

Certains États, via leurs fonds souverains, vont même jusqu’à investir directement dans ces fonds rapaces. C’est le cas par exemple du fonds souverain de la Corée du Sud (KIC) qui a investi 2,6 milliards de dollars dans 20 fonds spéculatifs dont 50 millions de dollars dans le fonds vautour Elliott [1]. Pire, dans le cas de la Grèce, les créanciers « classiques » vont même plus loin que les fonds vautours [2] en matière de saisie de biens appartenant à l’État.



Le 10 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté à une très large majorité (136 voix pour, 6 contre et 41 abstentions) une résolution énonçant neuf principes à suivre lors des restructurations des dettes d’États. Une restructuration se concrétise généralement par un rééchelonnement ou une réduction de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 [3]. L’objectif de l’ONU, par cette résolution, est de créer à moyen terme un cadre juridique international pour la restructuration de ces dettes et ainsi contrer la stratégie des fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
qui profitent de ce vide juridique au niveau international.

Les fonds vautours sont évidemment opposés à l’instauration d’un tel cadre multilatéral mais ils ne sont pas les seuls puisque six États parmi les plus puissants de la planète ont voté contre la résolution (États-Unis, Canada, Allemagne, Japon, Israël, Royaume-Uni) tandis que les autres pays de l’UE se sont abstenus.

Et ça continue en 2017...

Le 23 mars 2017, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU adoptait une résolution qui prolonge le mandat de l’Expert sur la dette et les droits humains et qui « réaffirme que les activités des fonds vautours mettent en évidence certains des problèmes du système financier mondial et témoignent du caractère injuste du système actuel, qui porte directement atteinte à l’exercice des droits de l’Homme dans les États débiteurs, et recommande aux États d’envisager la mise en place de cadres juridiques afin de restreindre les activités prédatrices des fonds rapaces sur leur territoire » (point 6). Une fois encore, tous les pays européens, le Japon, les États-Unis, le Brésil et la Corée du Sud réunis au sein du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont voté contre cette résolution.

Pour se justifier, les gouvernements de ces pays avancent deux arguments. Premièrement, les principes énoncés dans cette résolution (impartialité, transparence, bonne foi, traitement équitable, immunité souveraine, légitimité, durabilité, application de la règle majoritaire, souveraineté) ne refléteraient pas le droit international. L’Expert de l’ONU sur la dette et les droits humains [4], Juan Pablo Bohoslavsky, affirme, au contraire, que ces principes ne créent aucune nouvelle obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pour les États et ne font que codifier des règles existantes du droit international. Le second argument est de dire que l’ONU n’est pas le lieu approprié et qu’il revient au FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
et au Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
de gérer les questions portant sur les dettes souveraines.

Rappelons que le Club de Paris est le groupe informel réunissant les vingt-deux plus riches États créanciers, qu’aucun d’entre eux n’a voté en faveur de la résolution ; que les États-Unis disposent toujours d’un droit de veto au sein du FMI et que cette institution a toujours été dirigée par un-e ressortissant-e européen-ne. Ces organisations représentent donc exclusivement les intérêts de créanciers occidentaux au service des intérêts du secteur financier. Ce qui explique leur hostilité à réglementer les restructurations de dettes dans un cadre démocratique comme l’Assemblée générale des Nations unies où tous les États sont à égalité en disposant d’une voix.

Et cette hostilité n’est pas nouvelle, comme le souligne Cephas Lumina, ancien Expert de l’ONU sur la dette et les droits humains [5], dans un entretien qu’il a accordé au CADTM le 5 juin 2009 [6] à Genève en marge de la 11e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Voir l’encadré ci-dessous reprenant des extraits de cette interview.


Pour aller plus loin

Voir cette vidéo dans laquelle cet ancien Expert de l’ONU sur la dette, Cephas Lumina, évoque le rôle majeur joué par le Club de Paris et le FMI dans la promotion des intérêts des créanciers au détriment de la protection des droits humains fondamentaux. Son intervention a été filmée lors de la rencontre du 1er mars 2016 qui s’est tenue au Parlement européen à Bruxelles sur le thème « Restructuration de la dette - Reconstruction de la démocratie » : http://www.cadtm.org/Video-Cephas-Lumina-Le-Club-de

Extrait de l’entretien avec l’expert de l’ONU sur la dette et les droits humains

CADTM : Dans le rapport que vous avez présenté aujourd’hui au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, vous insistez sur le lien entre la dette extérieure et les droits humains. Est-ce que cette approche de la dette basée sur les droits humains recueille un large soutien des États et des IFI ?

Cephas Lumina : Non, pas tout à fait. La résolution 7/4 qui institue mon mandat a été adoptée par une majorité de 34 voix contre 13. Sur les 34 États ayant voté en faveur de cette résolution, aucun n’est un pays créancier du Nord. En réalité, le début de mon mandat fut marqué par les traditionnelles tensions entre les riches pays créanciers et les pays en développement. En effet, depuis la désignation à l’ONU du premier expert sur la dette externe en 1997, les États du Nord considèrent que la problématique de la dette n’a aucun lien avec les droits humains, qu’elle est purement économique et qu’elle doit donc être traitée en dehors du Conseil des droits de l’Homme et de l’Assemblée générale de l’ONU.

Ils préconisent notamment le règlement au sein du Club de Paris car à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’Homme, les pays du Nord se retrouvent en minorité puisque chaque pays dispose d’une voix. Ce qui va logiquement à l’encontre des intérêts des pays créanciers. Depuis le début de mon mandat, j’ai rencontré une diversité d’acteurs (États, IFI, ONG) mais je dois admettre que ce sont les organisations de la société civile et certains États comme l’Équateur et la Norvège qui m’ont le plus aidé.

Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Notes

[2Voir l’article « BCE, un fonds vautour pas comme les autres » paru dans le numéro 66 de l’AVP sur les restructurations de dettes et consultable à l’adresse : http://www.cadtm.org/BCE-ce-fonds-vautour-pas-comme-les

[3Voir le numéro spécial de l’AVP sur les restructurations de dettes (numéro 66, 4e trimestre 2015) : http://www.cadtm.org/Restructuration-solution

[4L’intitulé complet de sa fonction est le suivant : Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’Homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels.

[5Cephas Lumina est également membre de la Commission pour la vérité de la dette grecque et professeur de droit public à l’Université Fordham (Pretoria-Afrique du Sud).

[6Lire l’intégralité de l’entretien sur : http://www.cadtm.org/Entretien-avec-l-Expert

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