Carte blanche dans Le Soir et sur le site de la RTBF
20 août 2015 par Olivier Bonfond , Renaud Vivien
Le 20 août, la Banque centrale européenne (BCE) attend de la Grèce un nouveau versement de 3,2 milliards d’euros. En s’appuyant sur les conclusions du rapport de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, le gouvernement pourrait refuser de payer ce créancier qui a agi dans l’illégalité et s’est comporté comme un véritable fonds vautour.
Dans le cadre du programme Securities Market Program (SMP) qui s’est déroulé entre mai 2010 et septembre 2012, la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
a acquis des titres grecs à un prix inférieur à leur valeur nominale sur le marché secondaire de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, le marché d’ « occasion » où les titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
se rachètent et se revendent en fonction de l’offre et de la demande. A l’instar des fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
, la BCE a racheté à plusieurs banques privées des titres grecs pour une valeur de 40 milliards d’euros et, maintenant, exige de la Grèce le remboursement intégral de la valeur nominale, soit 55 milliards d’euros plus les intérêts [1].
Un deuxième élément caractéristique de la stratégie des fonds vautours est qu’ils refusent systématiquement de prendre part aux restructurations de dettes. C’est également le cas de la BCE qui a exclu toute possibilité de participer à la restructuration de la dette grecque en 2012. Celle-ci a même fait pression pour empêcher une réduction de cette dette en 2010, qui était pourtant déjà insoutenable. Selon l’ancien représentant de la Grèce au FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, Panagiotis Roumeliotis, auditionné au Parlement grec, le président de la BCE de l’époque, le Français Jean-Claude Trichet « était parmi ceux qui ont mené bataille contre une restructuration en menaçant la Grèce de lui couper les liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
. En réalité, Mr Trichet bluffait pour sauver les banques françaises et allemandes » [2]. L’objectif était de leur laisser le temps d’être remboursées grâce au prêt de la Troïka et de se débarrasser de leurs titres grecs sur le marché secondaire grâce au programme SMP. Rappelons qu’en 2010, 7 banques (3 françaises et 4 allemandes) constituaient à elles seules les principales créancières de la Grèce avant l’intervention de la Troïka rebaptisée aujourd’hui « Institutions », composées du FMI, de la BCE, de la Commission européenne et du Mécanisme européen de stabilité.
Une dette illégitime
Le rapport de notre Commission d’audit a établi que plus de 80% des 240 milliards des prêts octroyés par la Troïka en 2010 et 2012 sont repartis directement dans le remboursement d’une vingtaine de banques privées. Une partie importante de cet argent n’est même jamais arrivée sur le sol grec, il a simplement transité par un compte spécifique créé à la BCE. En permettant à ces banques de se mettre à l’abri de l’éclatement de la bulle de crédit privé qu’elles avaient créée, cette opération de sauvetage des créanciers privés par des institutions publiques a créé une dette illégitime pour la population.
Troisième point commun avec les fonds vautours : la BCE a abusé de la faiblesse de l’État débiteur pour « négocier » des accords manifestement déséquilibrés. Les « Institutions » ont imposé à la Grèce des mémorandums qui violent les droits du peuple grec et aggravent le poids de la dette. Pire, elle l’ont fait de manière consciente. Dans un de ses documents internes confidentiels, le FMI écrivait en mars 2010 que le mémorandum auquel il allait participer aurait des effets dramatiques sur le plan social et augmenterait encore la dette grecque [3].
De plus, les accords conclus depuis 2010 contiennent des clauses abusives qui montrent que la Grèce a été forcée d’abandonner des pans importants de sa souveraineté. Le droit anglais, particulièrement protecteur des créanciers (c’est le droit privilégié par les fonds vautours), est désormais d’application en cas de litige. Ces accords stipulent aussi que l’État s’engage à renoncer totalement à son immunité. Autrement dit, la Grèce renonce à tout moyen de défense contre ses créanciers qui pourront saisir, à la manière des fonds vautours, tout bien appartenant à l’État pour se faire payer. Pour se protéger, les créanciers ont poussé le bouchon jusqu’à insérer une clause qui garantit que la Grèce devra honorer ses obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
même si les accords s’avéraient illégaux !
Contraire au droit grec, européen et international
D’illégalité, il en est bien question. Les mesures d’austérité inscrites dans les mémorandums violent de manière directe une série de dispositions du droit grec, européen et international. Ces violations engagent la responsabilité des « Institutions », dont la BCE, qui agit en infraction avec les règles de l’Union européenne et ses propres statuts. Par exemple, le programme SMP est conditionné à l’application des mesures d’austérité, ce qui est manifestement une violation de ses statuts et du principe d’ « indépendance » de la BCE posé à l’article 130 du TFUE. En exerçant ce chantage politique, elle outrepasse manifestement son mandat à la différence des fonds vautours uniquement intéressés par le profit. Récemment, la BCE a commis d’autres abus de pouvoir en asphyxiant les banques grecques dans le but de faire plier le gouvernement Syriza. Pourtant, en tant que banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
, elle est censée être la prêteuse en dernier ressort et agir pour éviter toute instabilité ou panique bancaire. A ce titre, elle aurait dû fournir les liquidités nécessaires aux institutions financières grecques. Toutes ces actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et pressions de la BCE constituent des irrégularités qui invalident les engagements de la Grèce à son égard.
[1] Atkins R. (2012). ECB Moves to Help Fund Greece Bail-Out. Financial Times
[2] PAUMARD Emilie, Audition de Panagiotis Roumeliotis (15 juin 2015), 17 juin 2015, www.cadtm.org
[3] Dossier pénal transmis au Parlement grec par le procureur chargé des crimes économiques concernant les déclarations de l’ancien représentant de la Grèce au FMI : http://gesd.free.fr/imfinter2010.pdf
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
31 août, par Olivier Bonfond
Cycle de formation du CADTM
La dette publique belge avec Olivier Bonfond30 mai, par Olivier Bonfond
3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
13 mars, par Olivier Bonfond
14 décembre 2022, par Olivier Bonfond
13 janvier 2022, par Olivier Bonfond
31 mars 2021, par Collectif , Olivier Bonfond
5 février 2021, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers
16 décembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
2 mars, par Renaud Vivien
13 février, par Eric Toussaint , Renaud Vivien , Victor Nzuzi , Luc Mukendi , Yvonne Ngoyi , Najla Mulhondi , Anaïs Carton , Cynthia Mukosa , Nordine Saïdi , Mouhad Reghif , Georgine Dibua , Graziella Vella , Monique Mbeka , Guillermo Kozlowski , CMCLD , ACM , Pauline Fonsny , Céline Beigbeder , Nicolas Luçon , Julie Nathan
21 juin 2022, par Camille Chalmers , Renaud Vivien , Jérôme Duval
17 mai 2022, par Renaud Vivien
7 mars 2022, par Renaud Vivien
21 février 2022, par Renaud Vivien , Anaïs Carton , Leïla Oulhaj
14 décembre 2021, par Renaud Vivien
6 décembre 2021, par Renaud Vivien , Anaïs Carton
12 octobre 2021, par Renaud Vivien , Anaïs Carton , Leïla Oulhaj
20 septembre 2021, par Renaud Vivien , RTBF , Anaïs Carton