De nombreuses personnes venant de différents pays et continents étaient présentes pour cet atelier qui s’est déroulé le dimanche 2 juillet 2017 pendant notre 5e université d’été. Il traitait de la domination des puissances du Nord sur l’Afrique qui ne s’est pas arrêtée avec la fin de la colonisation, au contraire. De nouveaux outils, surtout dans le domaine de l’économie, sont en place et empêchent l’émancipation des peuples. Parmi ces outils on trouve le Franc CFA, l’extractivisme et le mécanisme de conversion de dettes en investissements utilisé par la France, appelé C2D.
Dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et extractivisme
Extractivisme
Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique.
Nicolas Sersiron du CADTM France a commencé par démontrer qu’en dépit de l’obtention de leur indépendance par la lutte, les pays africains sont aujourd’hui toujours dominés via des outils économiques. Contrairement au « hard power », c’est-à-dire l’utilisation du pouvoir militaire par un État sur un autre État, typique de la période coloniale, le néocolonialisme désigne la capacité des puissances occidentales à imposer leur propre volonté aux ex-colonies par l’utilisation du « soft power », c’est-à-dire à travers des moyens non coercitifs. Ce « soft power » se caractérise par le recours à une entité politique afin d’agir et influencer indirectement sur les prises de décisions des zones et acteurs concernés. Les réseaux françafricains en sont une expression manifeste.
L’extractivisme trouve ses origines dans la recherche de l’or et le pillage des ressources de l’Amérique, puis continue violemment en Afrique notamment durant l’industrialisation. L’extractivisme est basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique, sans prendre en compte les externalités négatives. Alors que De Gaulle, face aux résistances croissantes des populations, entame le processus de décolonisation pour les colonies françaises, le soft power est utilisé pour déstabiliser les régimes souverains, voire progressiste, en place et les remplacer par des dirigeants corruptibles comme Mobutu en RDC, Eyadema au Togo, ou encore Compaoré au Burkina Faso, qui joueront un grand rôle dans l’accumulation d’une dette illégitime et odieuse.
Cette dette est l’expression de rapports de force existants entre colonisateurs et colonisés et montre bien une volonté très nette d’empêcher les pays du Sud de suivre leur propre voie. Le développement des sociétés adu Nord est basé sur le pillage des ressources de l’hémisphère Sud, que l’on qualifie ensuite de « moins développés ». Les « trente glorieuses » sont en réalité les « trente odieuses » pour les pays africains ! De nombreux pays du Sud souffrent des taux d’intérêts attachés à leurs prêts, des conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
imposées par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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en échange de ces prêts et de la destruction des moyens de subsistances face aux produits exportés et subventionnés par la politique agricole commune européenne (PAC). Tous ces mécanismes s’inscrivent dans une logique de domination par le soft power, via une influence à la fois politique et économique, relayée par des représentants politiques véreux, qui ébranle les volontés de développement souverain des populations.
Les C2D : Contrats de désendettement et développement… ou nouveau Cheval de Troie du développement français ?
Derrières les beaux discours d’accompagnement des pays pauvres vers le désendettement, des intérêts néocoloniaux apparaissent et il est nécessaire de les déconstruire, ce que nous avons fait avec Rémi Vilain du CADTM Belgique durant cette partie. « Le C2D est un mécanisme spécifique à la France qui intervient quand un pays débiteur atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(Pays Pauvre Très Endetté) ». Quand un pays rembourse à la France une tranche de son prêt relatif à l’aide public au développement (APD
APD
On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible.
), la France refinance ce pays par « dons » d’un montant équivalent gérés dans le cadre d’un contrat « de désendettement et développement » (C2D). Ces « dons » sont cependant fléchés et bénéficient souvent aux intérêts publics et privés français à travers des investissements dirigés dans certains secteurs, activités et pays. En réalité, via ce nouvel outil au service du « soft power », les C2D remettent au goût du jour le vieux mécanisme de l’aide liée.
Comment ? Les C2D financent des projets dans les secteurs de l’agriculture (agro-business), la santé (hôpitaux), l’éducation et la formation professionnelle, le développement urbain, les énergies et l’ « environnement » (REDD+, etc.), ou encore dans la justice.
Ces conversions de dette en investissements atteignent dans certains cas des montants considérables (Cameroun environ 1,5 milliard d’euro, Côte d’Ivoire environ 1,75 milliard d’euro), et la présence des C2D dans certains pays reste opaque. En tout, plus de 4 milliards d’euros de dette envers la France ont été convertis en investissements dans 18 pays, particulièrement dans ses anciennes colonies aux régimes dictatoriaux ou fantoches (par exemple en RDC, au Cameroun, etc.).
Si en théorie les C2D prévoient une supervision des projets à la fois par la société civile française et celle du pays « bénéficiaire », en pratique, la France dispose d’un droit de veto sur l’ensemble des projets par l’intermédiaire de son « avis de non objection » (ANO).
De plus, la pertinence de nombreux projets peut être remise en question car ils tendent à promouvoir une agriculture productiviste orientée vers l’export, des projets environnementaux visant à augmenter les crédits carbone de la France, développer le tourisme ou encore à accorder le développement des ressources énergétiques à des mastodontes du secteur de la construction en France. Ces projets entrent également souvent dans le cadre de partenariats publics-privés, qui en plus de leur surcoût pour l’Etat, ont recourt à des partenaires qui font la part belle aux intérêts privés (Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, PROPARCO).
Les C2D peuvent donc être considérés comme un outil géopolitique et un levier de renforcement de la présence de la France dans les pays du Sud, en plaçant des entreprises françaises (VINCI, Eiffage, Razel-Bec, etc.) et leurs profits au centre des projets. En outre, il est faux d’affirmer que les C2D sont des annulations de dettes : la dette continue d’être remboursée en échange de ces « dons » qui sont en réalité des investissements dans l’intérêt de la France, et qui participe au maintien de ces pays sous contrôle ! Le « remboursement » de ces dettes est donc illégitime, renforce la logique néolibérale actuellement dominante et entrave la souveraineté des peuples.
Le Franc CFA : outil de domination économique
Inspirée des mécanismes utilisés par l’Allemagne nazie envers ses territoires occupés, la France a mis en place une monnaie dans ses colonies qui lui permet encore aujourd’hui de piller les ressources ainsi que de sortir systématiquement gagnante des échanges commerciaux. Le Franc CFA (FCFA) – nous explique Broulaye Bagayoko (secrétaire Permanent du CADTM Afrique) - a été créé en 1945 par De Gaulle, le ministre des Finances et le ministre des Colonies, et signifiait à l’origine « franc des Colonies françaises d’Afrique ». L’appellation a changé au fil du temps, mais la première reste la plus réaliste pour beaucoup. La zone Franc CFA, qui comprend en plus des Comores, 14 pays d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et d’Afrique centrale (CEMAC), repose sur 4 grands principes :
Concrètement, au moins 50 % des réserves de changes des pays de la zone CFA (obtenus grâce aux exportations) sont centralisés sur le compte d’opération du trésor public français géré par la France. Cet argent est mis à disposition des pays africains pour leurs règlements, mais avec des intérêts, ce qui signifie que la France endette les pays avec leur propre argent. Ainsi, lorsque la France désire importer des produits de la zone CFA, elle ne débourse aucune devise, contrairement à quand elle désire importer d’un autre pays. Une chose est certaine : les réserves de change africaines permettent à la France de payer une petite partie de sa dette publique : 0,5 %, selon les calculs de Bruno Tinel.
La fixité des parités signifie que le taux de change entre franc CFA et l’euro est fixe – les pays africains n’ont pas le pouvoir de dévaluer ou de réévaluer leurs monnaie afin de se protéger ou de s’adapter en période de crise.
La France demande aux Trésors des pays africains sous franc CFA d’acheter leur propre monnaie. Or, on ne peut pas acheter le FCFA avec le FCFA, on l’achète avec d’autres devises. En outre, la France puise dans les comptes d’opération plusieurs milliards pour pouvoir faire remonter la demande du FCFA. C’est ce qu’on appelle soutenir la monnaie. Dès lors, les africains passent beaucoup de temps à gaspiller leurs devises pour soutenir le FCFA plutôt qu’à les utiliser en importation de biens.
De nombreux exemples techniques, suscitant beaucoup de questions et d’intérêt de la part des participants ont amené à montrer que, à travers des jeux monétaires, la France s’enrichit alors que l’Afrique s’endette. Au final, on peut identifier une double arnaque :
De plus, les conseils d’administration des banques centrales sont largement influencés, voire nommés, par la France. Ce qui entre en conflit avec la souveraineté du peuple sur sa monnaie, comme inscrit dans la plupart des Constitutions.
Broulaye Bagayoko conclut son intervention avec un triste constat : les populations de la zone franc CFA sont totalement déconnectées de sa gestion qui est confiée aux élites françaises et africaines. Il est donc nécessaire de multiplier les discussions sur ce sujet et de démocratiser le débat sur le FCFA.
La discussion ayant suivi la présentation a montré qu’il y a beaucoup de désaccords concernant certains détails des politiques liées au FCFA, tout comme par rapport aux solutions envisagées. Ces discussions ont aussi continué à montrer la perversité de certaines de ces politiques. Mamadou Bah du CADTM Bruxelles, nous rappelle par exemple que son pays, la Guinée-Conakry, avait refusé d’adopter le FCFA : la France l’a alors « détruite » en y injectant de fausses monnaies et en orchestrant des assassinats politiques. Cela démontre à quel point le CFA est un instrument géopolitique indispensable et levier fondamental du processus de néocolonisation de la France vis-à-vis de ses ex-colonies. Mamadou estime également qu’un grand soutien de la gauche européenne va être nécessaire pour changer le FCFA ou l’abolir, ce sont surtout les populations locales qui doivent s’organiser et faire pression sur les gouvernements respectifs.
Pour finir, nous apprenons que l’accueil des migrants en France et dans autres pays européens est comptabilisé en tant qu’aide au développement, ce qui confirme le cynisme odieux des puissances occidentales !
La France, finalement, comme d’autres pays coloniaux, n’a jamais renoncé à « ses » colonies, à travers :
le pillage quotidien des ressources naturelles depuis des décennies sans aucun respect pour l’autonomie locale et les populations qui vivent sur ses terres ;
la conversion en investissements productifs pour des dettes largement illégitimes qui ont bénéficié une partie très minoritaire et favorisée de la population ;
le franc CFA,instrument financier colonial par excellence.
Il est temps d’exiger d’en finir avec le (néo)colonialisme et de permettre aux populations du Sud de s’émanciper de la domination des (ex-)puissances impérialistes maintenant et pour toujours !
Cycle de formation du CADTM
Dette et féminisme8 mars, par CADTM , Camille Bruneau
11 janvier, par Camille Bruneau
6 janvier, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau , Capire
13 septembre 2022, par CADTM Belgique , Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau
5 septembre 2022, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau , July Robert - magazine Axelle
4 avril 2022, par Christine Vanden Daelen , Camille Bruneau
18 novembre 2021, par Camille Bruneau , Fatima Zahra El Beghiti , Beatriz Ortiz Martínez , Anaïs Carton
17 septembre 2021, par Silvia Federici , Camille Bruneau , Verónica Gago
11 juin 2021, par Camille Bruneau
8 mars 2021, par Ecologistas en acción , Chiara Filoni , Blanca Bayas , Camille Bruneau , Nicola Scherer