Série de 6 articles sur les enjeux du Sommet Rio+20 : pour un changement de système réellement durable.
Á 100 jours de Rio+20
14 mars 2012 par Eric De Ruest
L’un des enjeu primordiaux des préparatifs du Sommet Rio+20 qui se déroulera au mois de juin au Brésil est de ré-affirmer aux yeux des décideurs ce que le développement durable (DD) signifie réellement. Rappeler qu’il ne peut et ne saurait être confondu avec le capitalisme, le productivisme et l’économie de marché. Ces trois facettes de la construction politique actuelle - génératrices d’inégalités, d’injustice et de destruction des écosystèmes - sont la cause majeure de la diminution critique des capacités de la bio-régénérescence et d’un gaspillage des ressources sans buts éthiques ni limites rationnelles. Elles sont la source du problème et ne pourront en rien s’inscrire parmi les solutions à implémenter dans le futur que nous voulons. Le document de travail des États et des sociétés civile appelé Zero-draft ou encore The Future we want [1] ne se démarque pas suffisamment du système actuel et n’augure en rien ne serait-ce que l’ébauche prometteuse d’un futur souhaitable.
La situation ne souffre plus le consensus mou.
La conférence porte sur deux thèmes : « l’économie verte dans le cadre du développement durable et de la réduction de la pauvreté » et « Un cadre institutionnel pour le développement durable » . Le premier thème semble reprendre les trois piliers du DD [2] inscrits dans le plan d’action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
[3] de la précédente Conférence des Nations-unies pour le développement durable de 2002. Pourtant, des trois axes de travail contenus dans ce thème, seul l’économie verte est réellement portée dans les travaux préliminaire. La réduction de la pauvreté et le développement durable y occupent la partie congrue, voire sont repoussés hors radar.
Imaginer répondre aux défis et aux enjeux de développements socialement justes et écologiquement soutenables en stagnant dans le cadre idéologique du siècle passé est un processus irrémédiablement voué à l’échec. Les théories économiques néoclassiques, la marchandisation de la nature et le modèle unique du développement tel qu’il est imposé par les institutions financières internationales depuis Bretton Woods [4] sont des postulats obsolètes, invalidés par l’expérience. Nous avons fait le tour des biens matériels sans y trouver de valeurs satisfaisantes et comprenons bien tard le tribu incalculable à payer par notre société de consommation. L’enrichissement d’une minorité s’est fait au détriment des peuples et de la nature. Les inégalités explosent, le bien-être décroît au fur et à mesure que la nature est saccagée tandis que la richesse individuelle s’accompagne trop souvent de la perte des repères sociaux et engendre des comportements non-éthiques. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est de croissance certes, mais de croissance de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la justice sociale et écologique. Conditions sine qua non du développement durable.
Il faut également prendre en compte l’impasse dans laquelle se trouve depuis plusieurs années les négociations multilatérales que furent les COP 15, 16 et 17 sur le climat ; respectivement à Copenhague, Cancun et Durban, mais également la timidité des engagements pris lors du COP 10 de Nagoya sur la biodiversité. Il est nécessaire aussi d’intégrer la faiblesse de la réponse apportée par le Nord aux Objectifs du Millénaire pour le Développement [5] (OMD). Ces échecs sont parmi les symptômes qui démontrent l’erreur idéologique dans laquelle nous nous enfonçons contre vents et marées. La compétitivité, euphémisme notoire de la compétition brutale intra-espèce est pourtant contre les principes onusiens les plus élémentaires, les principes de solidarité et ceux de l’entraide entre les peuples du monde. Continuer à promouvoir ce concept issu du darwinisme social en se plaçant sous l’angle de la rationalité économique, c’est encore et toujours se fourvoyer dans les méandres d’idéologies invalides et passéistes.
La durabilité de l’humanité passe par cinq grands chantiers
1 : Ré-intégrer la nature
Souvent il est question d’intégrer la nature dans l’économie, dans les choix sociétaux, dans la ville, etc. Jamais le schéma inverse n’est envisagé or c’est précisément là où se joue la réussite ou l’échec du développement durable. L’erreur historique fut de croire que l’on pouvait s’extraire de la nature considérée soit comme dangereuse, soit comme misérable. Il est actuellement avéré que ce sont les sociétés les plus en phase avec les cycles naturels qui sont les plus résilientes [6]. La ré-intégration des sociétés humaines, complexes et variées, dans l’ensemble des processus naturels de l’évolution du vivant, riches et diversifiés eux aussi, devient dès lors une nécessité primordiale pour que la durabilité devienne effective. Éviter la généralisation d’un modèle unique pour favoriser les savoirs locaux et traditionnels intégrés dans les dynamiques de la biodiversité. Permettre l’interactivité constructive entre la science et les communautés locales plutôt que d’imposer un développement basé sur une vision technocratique de laboratoire et ses chimères scientistes.
2 : Abolir la pauvreté
La pauvreté n’est pas un état naturel mais le résultat d’une construction politique. Là où le Nord échoue à répondre financièrement aux OMD, il a pu rapidement débloquer des sommes stratosphériques pour venir au secours des créanciers privés. De la crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
de 1982 à la crise financière actuelle, seuls les intérêts de la minorité au pouvoir sont satisfaits, trop souvent à l’encontre de l’intérêt général. Les sommes déversées vers les actionnaires et les spéculateurs privés dans le cadre du sauvetage des banques dépassent celles cumulées de l’ensemble de la dette publique des pays du Tiers Monde et plongent aujourd’hui les économies publiques du Nord dans les abysses de l’austérité. Plutôt qu’avoir réussi à réduire la pauvreté, celle-ci explose là où elle était relativement marginale. Les dettes illégitimes construites sur base de théorèmes économiques invalides ne peuvent et ne doivent être supportées par les peuples du monde. L’annulation de ces dettes profitera à l’ensemble de l’humanité et pèsera uniquement sur ceux qui ont accaparé la richesse globale au delà de l’acceptable et contre le Bien commun. La réappropriation publique de l’argent et du crédit, comme moyen d’investir dans le temps, permettra, entre autre, de répondre aux ODD [7] proposés par la Colombie et le Guatemala et ainsi avancer plus loin sur le chemin initié par les OMD.
3 : Porter la croissance de la démocratie
Le monde a bien changé depuis le Sommet de la Terre de 1992. L’imposition de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
économique a exacerbé les clivages qui existent au cœur des sociétés. La contestation populaire a pris de l’ampleur, de Seattle en 1999 aux mouvements d’indignés, d’occupations et du printemps arabe qui ont secoué les sociétés et les consciences tout au long de l’année 2011. La diminution de la qualité de la vie pour la toute grande majorité des humains ne cadre plus avec le discours dominant qui vante encore la croissance et un développement dont nous ne voyons jamais les fruits, à peine les trognons. Des alternatives existent pourtant. Les peuples communiquent entre eux, débattent de pistes de sorties de crises, proposent des solutions claires et audibles. L’exemple récent du Sommet des peuples sur le climat qui s’est tenu en 2010 à Cochabamba en Bolivie, et dont la déclaration finale [8] n’a même pas été abordée lors du COP 16 de Cancun, montre à quel point l’intégration de l’avis des populations reste un droit ignoré par les instances dites représentatives. Verrons-nous une évolution lors de cette rencontre mondiale décisive sur l’avenir de l’humanité ? Rien n’est moins sur, bien que la pression de la rue commence enfin à inquiéter les décideurs. Le rapport de force n’est jamais acquis et doit être en constante croissance si nous voulons intégrer les processus de décision. Tel est le chemin vers la démocratie réelle.
4 : Insuffler la justice écologique
Aucun dialogue progressiste n’est possible si le passif
Passif
Partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes).
est un fardeau pour certains interlocuteurs. Les dégâts générés par la colonisation, l’industrialisation du Nord et la mondialisation économique sont autant de sources de frustrations pour les victimes non reconnues de ceux-ci. Le Sud réclame la reconnaissance d’une dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
comme premier pas sur le chemin de la justice écologique vers une réconciliation globale. N’est-il pas temps de reconnaître, au vu des dégâts écologiques et sociaux indiscutables, que le modèle de développement occidental est un échec et que d’autres mondes peuvent y succéder ? La science du vivant, celle des écosystèmes spécialement, appréhendent le monde dans une optique de complexité et de diversité. La politique doit suivre cette évolution du savoir et de la pensée pour coller à l’évolution intellectuelle afin de mériter l’appellation de science politique.
5 : Renforcer les instances écologiques multilatérales
Le dernier point, et non des moindre, concerne le second thème de Rio+20 : « Un cadre institutionnel pour le développement durable ». En effet, l’actuelle faiblesse des instances multilatérales qui dépassent l’économique pour englober l’ensemble des trois piliers du DD porte préjudice aux écosystèmes et aux sociétés humaines. Là où la loi du plus fort est favorisée par le système lui-même, les mécanismes de protections des espaces et espèces fragiles font cruellement défaut. L’ONU doit être renforcé dans ce qu’il a de multilatéral et doit retrouver une légitimité en intégrant plus spécifiquement les peuples. Le PNUE doit devenir une instance onusienne prépondérante, tandis que les institutions antidémocratiques issues de Bretton Woods que sont la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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doivent être dissoutes pour laisser place à de nouvelles organisations réellement démocratiques et au services des peuples. Il est urgent d’opposer un Rio+20 des peuples et de la démocratie au G20
G20
Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions.
illégitime des élites disqualifiées. Notre avenir en dépend.
Les cinq articles qui suivront cette introduction paraîtront tous les 20 jours afin de tracer le chemin vers Rio + 20. À 80 jours de Rio+20 : Ré-intégrer la nature À 60 jours de Rio+20 : Abolir la pauvreté À 40 jours de Rio+20 : Porter la croissance de la démocratie À 20 jours de Rio+20 : Insuffler la justice écologique Maintenant à Rio+20 : Renforcer les instances écologiques multilatérales |
[1] Le future que nous voulons
[2] Le social, l’écologique et l’économique
[6] Qui retrouvent le plus rapidement leur équilibre initial suite à un choc extérieur.
[7] Objectifs pour le Développement Durables. Basés sur les objectifs de la conférence de Rio de 1992 : http://www.environmentalgovernance.org/featured/2011/11/colombia-and-guatemala-propose-new-framework-of-sustainable-development-goals/
était membre du CADTM Belgique et co-auteur avec Renaud Duterme de La dette cachée de l’économie, Les Liens qui Libèrent, 2014.
9 mai 2022, par Eric Toussaint , Eric De Ruest , Jean-Pierre Carlon , Olaf Gustavson
30 janvier 2019, par Eric De Ruest , Renaud Duterme
31 mai 2015, par Eric De Ruest , Renaud Duterme
4 décembre 2014, par Eric De Ruest , Renaud Duterme
19 mai 2014, par Eric De Ruest
Lundi contre la dette
La dette cachée de l’économie - présentation du livre16 avril 2014, par Eric De Ruest
12 février 2014, par Eric De Ruest , Renaud Duterme
24 juillet 2012, par Eric De Ruest
Rio+20
L’économie verte : un nouveau round pour l’endettement.7 juin 2012, par Eric De Ruest
4 juin 2012, par Eric De Ruest