29 avril 2014 par Christine Vanden Daelen
C’est de Ouarzazate, ville rose, ville frontière avec le grand Sud marocain, que s’élança la caravane internationale de solidarité avec la lutte des femmes contre le microcrédit.
Cette initiative impulsée par ATTAC/CADTM Maroc et l’association de protection populaire pour le Développement Social entend soutenir les 4.500 femmes qui se sont levées contre le microcrédit et les renforcer dans leurs luttes. Faire éclater l’isolement et la peur dans lesquelles tentent de les maintenir la microfinance en apportant dans les villes où elle passera la solidarité de femmes venues du monde entier, voilà ce qui fait battre le cœur de la caravane.
Son lancement fut à peine retardé par la fermeture inopinée de l’Hôtel de ville de Ouarzazate censé pourtant l’accueillir… Après être parvenus à faire tomber, par des chants, des youyous et un plaidoyer soutenu, les chaînes qui entravaient son accès, les militant-e-s prirent instantanément possession de la salle. Très vite, elle fut comble et décorée de banderoles, d’affiches et de slogans. Près de 150 personnes s’y étaient données rendez-vous. Pour l’essentiel, des femmes victimes des microcrédits mais aussi des habitant-e-s de Ouarzazate et de sa région venu-e-s les soutenir. Des slogans dénonçant dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et microcrédits, injustice et répression inaugurèrent cette soirée. Ensemble, en amazigh, en arable et en français nous avons criés : « Nous sommes des femmes et nous n’avons pas peur ! » « Crédits voleurs, vous avez pillé les pauvres ! », « Nos droits circulent dans nos veines, nous ne les oublierons jamais ! » et l’universel « So, So, So, Solidarité avec les femmes de Ouarzazate ! ».
Amina Mourad, coordinatrice de l’association de protection populaire pour le Développement Social dénonça d’emblée la mafia des microcrédits. Avec leurs contrats illégaux et leurs taux d’intérêts usurier, ils appauvrissent et oppriment la population tout en renforçant les discriminations envers les plus pauvres des pauvres : les femmes. Avec détermination et force, elle appela à continuer à résister et déclara : « Nous n’avons pas peur. S’ils nous ont préparé la prison, nous y irons pour défendre nos droits. Nous allons porter plainte contre les institutions de microcrédits qui tentent de nous faire taire et continuer à faire connaitre notre lutte. Si nous ne trouvons pas de soutien au Maroc, nous irons le chercher ailleurs ! ». Elle appela à l’unification des secteurs en lutte, au ralliement des mouvements des ouvrier/ères, des paysan-ne-s sans terre, des étudiant-e-s chômeurs/euses au combat des femmes victimes des microcrédits pour que partout s’élargisse la contestation populaire.
ATTAC/CADTM Maroc exprima par des mots et des concepts forts son soutien aux femmes victimes des microcrédits et retraça les liens entre dette publique et microcrédits. « Les politiques néolibérales consécutives aux plans d’ajustement structurel ont détruit les services publics précipitant les marocain-e-s dans les ornières de la pauvreté et de l’exclusion. Le réseau CADTM présent à Ouarzazate et dans le monde continuera à faire connaitre les souffrances et la résistance des femmes victimes des microcrédits. En arrêtant de payer des crédits illégitimes, ce mouvement a démontré que la lutte contre les institutions qui s’enrichissent sur le dos des populations est possible. Cette lutte doit s’étendre et exiger, après la réalisation d’un audit de la dette publique, le non remboursement de sa partie illégitime. »
Une femme victime des microcrédits remercia les militant-e-s d’ATTAC/CADTM Maroc et les femmes venues d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe pour leur solidarité. Leur présence lui donne de l’espoir, la renforce dans sa volonté de continuer à aller de l’avant même si la mobilisation la mène, elle et les autres femmes du mouvement, derrière les barreaux de la prison… « Les institutions de microfinance ont piégé les femmes, la plupart analphabètes, avec leurs promesses d’un avenir meilleur. Elles leur ont tout pris. Elles les ont jetées dans la rue, ont fait fuir leurs enfants, ont brisé tout espoir d’avoir des revenus susceptibles de les sortir de la misère. Elles n’ont plus rien mais sont plus déterminées que jamais à continuer la lutte contre ces microcrédits voleurs ».
Pour Émilie Atchaka de la CADD Bénin, microcrédits et dette sont une double peine pour les femmes. Ils les touchent en toute priorité, les enfonçant dans la pauvreté et détruisant leur santé physique et mentale. Cependant, de plus en plus, les femmes disent « non » au business de la pauvreté et élaborent des alternatives telles que la mise en place de mutuelles d’épargne- crédits solidaires et autogérées par les femmes.
Christine Vanden Daelen du CADTM Belgique rappela que les microcrédits sont la conséquence directe de la dette. Avec les PAS (Plans d’ajustement structurel), la santé, l’eau, les transports, l’éducation, le logement, l’électricité ont tous été vendus un à un, ont tous été privatisés pour rembourser la dette. Or, l’accès à ces services publics est un droit fondamental. Les femmes n’ont plus d’autres alternatives que de recourir aux microcrédits pour assurer à leurs proches la couverture de leurs besoins sociaux de base. Ainsi les microcrédits, loin de constituer un outil de leur émancipation, assignent les femmes aux affres du surendettement pour pallier au désengagement de l’État.
Maria Elena Saludas d’ATTAC Argentine déclara qu’elle porte en elle tout le soutien des mouvements populaires d’Amérique latine et ramènera en Argentine le message et la lutte des femmes de Ouarzazate.
Nasser Bensmaïni, autre coordinateur de mouvement des femmes victimes des microcrédits condamné à une année d’emprisonnement pour son action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
politique, dénonça la barbarie de l’Etat qui défend les voleurs de la microfinance. « Au Maroc, il n’y a pas de démocratie mais bien un État du désordre, un État totalement corrompu qui n’a de cesse de réprimer tout mouvement social, tout mouvement contestataire ».
Les prises de parole se clôturèrent par l’expression de la solidarité du syndicat de la CDT (Confédération démocratique des travailleurs) avec la lutte des femmes victimes des microcrédits. « Tous et toutes connaissent les mêmes souffrances, la même répression d’un Etat policier et tyrannique. C’est pourquoi la lutte doit être unitaire et collective ».
Des sketches, joués par les victimes des microcrédits mettant en scène leur quotidien et les façons dont les microcrédits les ont arnaquées, suivis de chants et de danses et de l’appel à rejoindre la caravane clôturèrent cette première étape.
Le lendemain, très tôt dans la matinée, victimes des microcrédits, membres d’ATTAC/CADTM Maroc et militantes africaines, latino-américaines et européennes du CADTM se donnèrent rendez-vous pour rejoindre la vallée du Draa. Pas moins de 17 taxis solidaires de la lutte contre les microcrédits les attendaient ainsi que des journalistes de TV5 et de la presse hollandaise. « Là-bas si j’y suis » sur France Inter suit, quant à elle, à distance, la caravane. Elle diffusera sur ses ondes des émissions consacrées aux luttes contre le microcrédit des femmes de la région de Ourzazate [1].
Après deux heures de voyage sur des routes tout en virages parmi un désert de dunes rocheuses, la caravane arriva à Agdz où l’attendait un comité d’accueil énergique malgré l’attente sous un soleil de plomb. Plus de 200 personnes, des habitant-e-s d’Agdz, des victimes des microcrédits de cette ville mais aussi de T’agonit, de Hamid et même de Zagora (ville proche de la frontière algérienne) entamèrent avec les participant-e-s de la caravane danses, chants et rondes. Là aussi, des slogans ponctués de youyous fusèrent : « L’argent du peuple est parti dans les poches des voleurs », « Microcrédit, dégage ! », « On est des citoyen-ne-s sans droit ni loi », « IFI et microcrédits, vous pouvez être tranquilles, on n’a ni parlement ni gouvernement », « Solidarité avec les femmes d’Adgz ! »
À chaque étape, la caravane tient un meeting public et une réunion de travail avec les victimes des microcrédits. À Agdz, Amina Mourad parla du nouveau projet de loi sur les microcrédits qui légitime le vol des populations. Elle appela à la résistance absolue contre ce fléau. « Non à l’arnaque, non à l’injustice, non au vol des microcrédits ! ». Aussitôt dans la salle plusieurs V de la victoire se levèrent soutenus par de vibrants applaudissements.
Christine et Maria Elena renouvelèrent leurs messages de solidarité tandis que Fatimata Boundy de la CAD Mali déclara qu’alors que la dette, les privatisations et les microcrédits ont tout détruit, les femmes de la caravane ont décidé d’être solidaires, rien ne les fera plus reculer ! « Ce n’est qu’ensemble et unies que nous arriverons à construire une Afrique plus juste, une Afrique qui permette l’épanouissement de toutes et de tous ! ». Après que Sihem Azek de RAID/ATTAC CADTM eut exprimé sa volonté d’apporter la lutte jusqu’en Tunisie afin que, là aussi, les femmes se mobilisent contre la microfinance, plusieurs victimes des microcrédits prirent la parole. Leurs témoignages ne firent qu’étayer la similitude des situations qui forcent les femmes à prendre des microcrédits et l’enchaînement des catastrophes humaines qu’ils provoquent. Comme à Ouarzazate, ces crédits sont octroyés à tout va, au seuil même des maisons, sans que les agents de la microfinance ne s’inquiètent nullement des capacités de remboursement de leurs « client-e-s » ni ne les informent de l’évolution des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
. Ils sont cédés à l’étudiante sans ressource obligée de se prostituer pour les rembourser, au fils de 16 ans désireux d’améliorer la vie de sa famille, à la fille qui voulait payer l’opération des yeux de sa mère et à dû contracter de nouveaux prêts pour acheter les médicaments, à la mère de famille qui, alors qu’elle escomptait tirer quelques revenus du bétail acheté avec le microcrédit, a été obligée de directement revendre ses bêtes pour rembourser le prêt mais en outre, a été contrainte, pour payer les intérêts, de déscolariser ses enfants maintenant condamnés au chômage. Face aux menaces des agents de recouvrement, face à la pauvreté absolue dans laquelle les ont plongées les microcrédits, ces femmes déclarent haut et fort que pour elles il n’y pas d’autre alternative que de lutter.
La caravane et la solidarité qu’elle apporte leur procure un peu de paix et de réconfort et surtout les conforte dans la légitimité de leur combat. Elles demandent aux participantes de la caravane de diffuser leurs voix et leur combat, de contribuer à la coordination des luttes pour mettre à mort, ici et ailleurs, ces microcrédits qui les étranglent.
Fortes de ces échanges et de ces expériences et solidarités partagées, la caravane reprit la route pour atteindre le lendemain El Kalaa d’Mgouna et Rich dans la vallée du Ziz.
[1] Une reportère de « Là-bas si j’y suis ! » est venue à Ouarzazate pour réaliser des émissions sur les microcrédits et le mouvement de lutte des femmes de la région de Ouarzazate. Elles sont disponibles sur le site http://www.franceinter.fr/emission-la-bas-si-jy-suis-microcredit-comment-se-faire-des-perles-avec-la-sueur-des-pauvres
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