11 avril 2005 par Olivier Bonfond
Malgré un succès de foule, malgré des avancées significatives dans différents domaines, le bilan du 5e camp intercontinental de la jeunesse à Porto Alegre est mitigé. Celui-ci a du faire face à des problèmes importants, qu’ils soient organisationnels ou politiques. Interview avec André Mombach [1], un des responsables de l’organisation du camp. Une vision très critique mais qui se veut constructive.
Le 5e FSM vient de se terminer. Pour beaucoup, le bilan est très positif. Il aurait réussi à pallier les critiques précédentes et réalisé des sauts qualitatifs importants, notamment en terme d’autogestion, de propositions d’alternatives et de convergences d’actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
. Tires-tu le même bilan en ce qui concerne le camp ?
Les aspects positifs de ce 5e camp intercontinental de la jeunesse sont nombreux et se doivent d’être soulignés avec force. Tout d’abord, avec plus de 35.000 jeunes, le camp bat son record de participation. Ensuite, on a assisté à une forte augmentation du nombre d’organisations internationales qui ont pris part au camp. Cette année, quasiment toutes les organisations de jeunesse brésiliennes ont participé. Les conférences, séminaires, ateliers et les débats qui se sont produits ont été dans l’ensemble de bonne qualité. La création d’espaces thématiques [2] a également eu des résultats très positifs, en termes de formulations d’alternatives concrètes mais aussi d’agenda de luttes communes.
Le bilan est donc très positif ?
Je ne dirai pas cela. Loin de là. A mes yeux, cette 5e édition fut contradictoire. Car à côté de ces progrès, le camp n’a pas atteint les objectifs qu’il s’était fixés et les problèmes auxquels il a dû faire face sont loin d’être négligeables.
Quand tu parles de problèmes, ferais-tu allusion à la sécurité ? Personnellement présent au camp durant cette semaine, on m’a volé ma tente et tout son contenu.
Le problème des vols est très présent depuis la deuxième édition, mais cette année, malgré la diffusion de nombreuses consignes de sécurité et une surveillance accrue avec l’engagement d’une équipe de sécurité et la participation de nombreux bénévoles, les vols ont fortement augmenté.
Comment expliques-tu cela ?
Le Brésil reste un pays du Tiers Monde, où la pauvreté et les inégalités sont parmi les plus élevées du monde. Lorsque des milliers de jeunes venant des quatre coins de la planète se regroupent dans un même lieu, la tentation est grande de venir s’installer dans le camp ou aux alentours spécifiquement pour voler les participants, même si ceux-ci sont là justement pour lutter contre cette pauvreté et ces inégalités. D’autant plus quand on sait combien cette nouvelle génération est très friande d’appareils technologiques de haute valeur. Nous vivons dans un monde capitaliste et il est bien difficile d’échapper à ces contradictions.
J’ai entendu des informations disant qu’il y avait eu également des cas de viols et autres agressions physiques. Peux-tu nous dire ce qu’il en est réellement ?
Malheureusement c’est la triste vérité. Ces problèmes étaient déjà présents lors des éditions précédentes, mais jamais d’une manière aussi forte. Cela peut arriver, mais un camp progressiste et révolutionnaire ne devrait pas connaître ce genre d’incident. Or, le machisme, le manque de respect et la violence vis-à-vis des femmes, en particulier dans l’espace de bains, a été quotidien. Il y a même eu des tentatives de lynchages, certains jeunes voulant faire la justice eux-mêmes. Deux cas d’agressions sexuelles ont été enregistrés par la police ! Ceci est tout simplement inacceptable et doit nous pousser à une réflexion critique et globale, si l’on veut que le camp reste viable et porteur de sens, si l’on veut construire cet autre monde possible.
Lors de l’édition de 2003, le problème de la pollution dans le camp avait donné lieu a de gros débats. On avait même parlé de « scandale écologique ». Comment les choses se sont-elles passées cette année ?
Le bilan du camp 2003 en terme de pollution était en effet désastreux. Suite à ce « scandale », le comité de direction du camp a créé une commission environnementale, chargée de gérer cette problématique. La question de l’environnement et de l’écologie était réellement au centre de ce 5e FSM. Dans le Camp, situé dans le Parc écologique « Harmonia », nous avons essayé de limiter au maximum l’impact écologique que peut avoir l’organisation d’une activité rassemblant une foule de 35.000 personnes pendant une semaine. Des démarches positives et prometteuses ont été entreprises : nous avons fait appel à des architectes et écologistes pour construire les infrastructures du camp à partir de matériaux recyclés. La collecte et le tri des déchets étaient également une priorité. Plusieurs poubelles différentes ainsi qu’un centre de tri et de recyclage ont été créés. Nous avons également travaillé beaucoup sur la question de l’éducation : il y a eu beaucoup d’informations distribuées, que ce soit via le site internet, des folders, ou la radio du camp. Un centre d’action spécifique était réservé à cette question et de nombreux séminaires et ateliers ont donc été organisés sur cette thématique. Comme tu le vois, cette commission a donc dépensé beaucoup d’énergie ces deux dernières années. L’idée était de dépasser la théorie et le débat et de mettre en place des pratiques écologiques concrètes. Malheureusement, ce travail n’a pas donné les résultats escomptés. Il suffit de se promener dans le parc et de regarder les tonnes de déchets qui gisent un peu partout pour comprendre que ça n’a pas marché. L’explication est toute simple. Il faut bien comprendre que le travail préalable ne sert à rien s’il n’y a pas une prise de conscience et une collaboration active de tout le monde. Certes, il y avait différentes poubelles et une possibilité de gérer les déchets, mais les jeunes n’ont eu pour ainsi dire aucun respect quant au tri et à la collecte des déchets. Et sans la participation des campeurs, rien n’est possible.
Cela paraît étrange car les jeunes qui viennent participer au FSM ne sont-ils pas sensés déjà avoir intégré certaines « valeurs altermondialistes » ?
A mes yeux, cela s’explique en partie par le profil du public présent. Le public de cette année était beaucoup moins militant que celui des autres éditions. Il y avait beaucoup de jeunes venus uniquement à Porto Alegre pour faire la fête. Des organisations de droite, voire d’extrême droite, qui pour moi ne peuvent pas faire partie de la construction de cet autre monde possible, étaient également de la partie. Ce profil particulier explique certainement aussi en partie les problèmes d’agression et de machisme que le camp a connu. Quoi qu’il en soit, le travail d’éducation de la jeunesse, en particulier en ce qui concerne l’écologie, est loin d’être terminé.
Depuis la deuxième édition, le Camp des jeunes se plaint d’être à l’écart du FSM. Cette année, la revendication d’intégrer le camp au forum a porté ses fruits puisque, pour la première fois, le camp et le FSM ont partagé le même espace. Cela a-t-il eu des effets positifs ?
Personnellement, je suis très critique quant à la force politique que ce camp a dégagée. Je participe à l’organisation du Camp depuis la première édition et je crois que c’est peut-être le camp qui fut le plus éloigné du forum d’un point de vue politique, alors qu’il était le plus proche d’un point de vue géographique. Les perspectives du forum et celles du camp ne se sont quasiment pas croisées à un seul moment. Seuls quelques centres d’actions ont vraiment réussi un travail intéressant à ce niveau, en créant des connexions concrètes avec les organisations et mouvements sociaux du Forum. Cependant, de manière générale, la collaboration avec le FSM, comme par exemple la participation à l’élaboration de l’appel des mouvements sociaux, n’a été que très faible. Et cette absence de participation et d’intégration de la jeunesse dans la dynamique du FSM est pour moi un aspect très négatif pour le renforcement de la lutte.
Dans le même temps, critiquant la « verticalité » du FSM et le fait que ce sont toujours les mêmes qui prennent les décisions, la question de l’autonomie politique de la jeunesse est un point positif, non ?
Tout d’abord, je pense que le Comité organisateur devrait d’abord analyser son propre fonctionnement avant de critiquer la soi-disant verticalité du FSM. Il faut savoir que l’organisation et la méthodologie du Camp furent discutées à partir de Porto Alegre, sans aucune participation internationale. Le Comité organisateur est en effet uniquement composé de personnes de Porto Alegre, et non d’organisations, brésiliennes ou étrangères. Il n’y a donc pas d’échange ni de participation internationale dans la construction politique et organisationnelle du Camp. De ce point de vue, la structure et le fonctionnement du Forum social mondial, avec son Conseil international, est certainement plus démocratique et moins verticale que le Camp.
Ensuite, il faut être conscient que l’autonomie du camp par rapport au forum est très relative. Le Camp n’a aucune capacité de financement propre. Celui-ci existe uniquement parce que le forum existe. Toute l’infrastructure et l’organisation du camp, c’est le Forum qui le finance. Et toi qui travailles sur la question de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, tu le sais aussi bien que moi : lorsqu’il n’y a pas d’autonomie financière, il n’y a pas vraiment d’autonomie politique possible.
C’est vrai que l’autonomie de la jeunesse est importante et que son renforcement est essentiel dans la mesure où il s’agit d’une classe sociale qui a des intérêts propres et des combats spécifiques à mener. En ce sens, le Camp garde toute son utilité. D’autant plus que la nouvelle génération est une génération très divisée, très fragile, qui a grandi uniquement sous la politique du néolibéralisme, où l’individualisme est roi. Il faut continuer à rassembler les mouvements de jeunesse et à mener le débat stratégique sur une organisation alternative de la société. Mais il ne faut pas oublier que la solidarité est un élément clé des conquêtes sociales, et que la construction d’un autre rapport de forces ne pourra se faire que si des liens forts et durables se créent entre toutes les classes opprimées.
A mes yeux, le grand défi à relever pour les organisations de jeunesse, à l’avenir, sera d’être capables de se renforcer et de s’unifier en tant que mouvement propre, tout en participant activement aux luttes qui rassemblent le FSM et le mouvement altermondialiste dans son ensemble. La tâche est grande mais en vaut la chandelle.
Propos recueillis par Olivier BONFOND.
Pour plus d’infos : www.acampamentofsm.org/
[1] Andre Mombach fait partie du comité de mobilisation depuis la première édition en janvier 2001. Il était également responsable de l’organisation d un des neufs espaces thermiques du camp espace TERRAU : travail ; éducation ; réforme agraire et urbaine) Il est aussi militant dans le collectif Mizomba, un mouvement étudiant universitaire brésilien.
[2] Les activités se répartissent en 7 centres d’actions et 9 axones.
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
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