« Les Grecs ne paient pas leurs impôts et ont vécu au-dessus de leurs moyens » : FAUX ET ARCHI FAUX !

15 juillet 2015 par Olivier Bonfond , Thanos Contargyris


CC - flicker

Dans les médias dominants, on entend souvent que la crise en Grèce serait notamment due au fait que les Grecs ne paient pas leurs impôts. Mieux : ne pas payer ses impôts en Grèce serait un sport national. Cette affirmation ne résiste pas à l’examen des faits : la grande majorité des citoyennes et citoyens grecs paient leurs impôts. En effet, en 2009, 77,5 % des contribuables étaient des salariés ou des pensionnés, et payaient donc leurs impôts directement à la source !



« Les Grecs ne paient pas leurs impôts » : FAUX !

Il ne s’agit aucunement de nier que l’administration fiscale grecque puisse être déficiente à certains niveaux, mais on ne peut certainement pas en conclure que les travailleuses et travailleurs grecs ne paient pas leurs impôts. En réalité, ce sont essentiellement les grandes entreprises et les citoyens grecs fortunés qui eux ont pu, de manière légale ou illégale, éviter de payer des impôts.

« Les Grecs ont vécu au-dessus de leurs moyens » : ARCHI FAUX !

Depuis plusieurs années, que ce soit à la télé, à la radio ou dans la presse écrite, nous entendons que s’il y a une crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
en Grèce, c’est parce que l’État aurait gaspillé l’argent et beaucoup trop dépensé, pour les salaires, les pensions, les services publics, etc. Les Grecs auraient donc profité depuis trop longtemps d’un système bien trop favorable et totalement insoutenable du point de vue des finances publiques. Bref, les Grecs auraient vécu au-dessus de leurs moyens.

Cette affirmation est également fausse : sur la période 1995-2009, les dépenses publiques en Grèce ont été en moyenne de 48% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
, ce qui est inférieur à la moyenne des dépenses publiques des onze pays ayant adopté l’euro en 2000 (48,5%) [1]. L’État grec, n’a donc pas plus dépensé que les autres États de la zone euro. La dette publique grecque ne provient pas d’un excès de dépenses sociales, mais bien des 8 facteurs suivants :

1) Des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
très élevés payés aux créanciers. Ces intérêts ont profité directement aux grandes banques privées européennes, en particulier françaises, allemandes, hollandaises, mais aussi grecques. Ce facteur représente environ 65 % de l’augmentation de la dette entre 1980 et 2007.

2) Des dépenses militaires excessives, dont beaucoup sont marquées d’irrégularités, de fraude et de corruption, et qui ont profité directement aux vendeurs d’armes, en particulier allemands et français.

3) Des contrats surfacturés ou frauduleux obtenus via la corruption de la classe politique grecque qui a gouverné le pays avant 2015 par de grandes entreprises étrangères. Citons par exemple l’entreprise allemande Siemens, qui est accusée - tant par la justice allemande que grecque- d’avoir versé des pots de vin au personnel politique, militaire et administratif grec pour un montant d’environ 1 milliard d’euros. Le principal dirigeant de la firme Siemens, qui a reconnu avoir « financé » les deux grands partis grecs (PASOK et Nouvelle Démocratie), s’est enfui en 2010 en Allemagne et la justice allemande a rejeté la demande d’extradition introduite par la Grèce [2].

4) Des réformes fiscales socialement injustes, en particulier la diminution de l’imposition sur les bénéfices des sociétés, qui est passée de 40 % en 1995 à 25 % en 2009, et qui a permis aux grandes entreprises d’éviter légalement de payer des impôts.

5) Une administration fiscale corrompue et un système de collecte de l’impôt déficient, essentiellement au bénéfice des grandes entreprises et du 1% le plus riche de la population grecque qui, via des pots de vin, ne payaient pas leur dû.

6) Des fuites illicites de capitaux, estimées à 200 milliards d’euros rien que pour la période 2003-2009. Ajoutons que cette évasion fiscale a été favorisée par le système mis en place par l’Union Européenne. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, déclare : « Les dirigeants européens et occidentaux critiquent la Grèce pour son incapacité à collecter l’impôt. Dans le même temps, les occidentaux ont créé un système d’évasion fiscale mondial... et les pays avancés essayent de contrer l’effort global pour stopper l’évasion fiscale. On ne peut pas être plus hypocrite [3] »

7) Les prêts dit de « sauvetage » de 2010 et 2012 qui n’ont pas servi à aider la Grèce, mais bien à sauver les banques grecques et étrangères (en particulier françaises, allemandes et hollandaises) qui avaient spéculé sur la dette grecque. Plus de 80% des 240 milliards de prêts faits à la Grèce dans le cadre des deux memoranda 2010 et 2012 ne sont jamais arrivés en Grèce, mais sont repartis directement dans les coffres de ces quelques grandes banques privées.

8) Les politiques d’austérité qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Il existe en effet un lien direct entre, d’une part, l’application des mesures d’austérité et, d’autre part, la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. économique et l’augmentation de la dette. Ajoutons que le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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lui-même a admis dans un document confidentiel qu’il savait que les politiques d’austérité allaient inévitablement provoquer un désastre économique et une explosion de la dette.

Conclusion

La Grèce a commis des erreurs ces dernières années et décennies, c’est une évidence. Mais qui a commis ces erreurs, qui est en responsable et qui en a profité ? Certainement pas la majorité des citoyens mais bien une minorité privilégiée ainsi que les dirigeants politiques corrompus des gouvernements précédents. Il n’est donc pas acceptable de faire payer à la population le prix de ces erreurs et une dette dont elle n’est pas responsable et dont elle n’a pas profité. Ajoutons que cette dette est d’autant plus impayable que, comme la Commission pour la Vérité sur la dette (voir encadré) l’a démontré dans son rapport préliminaire, une grande partie de celle-ci est illégale et illégitime.

La Commission pour la Vérité sur la dette grecque en quelques mots

Depuis plus de 5 ans (mai 2010), la Grèce applique un programme d’austérité et d’ajustement structurel, qui est la condition pour recevoir une « aide financière » du Fonds Monétaire International, de quatorze États membres de la zone et du Fonds européen de Stabilité financière. Ces mesures étaient censées réduire le déficit budgétaire et la dette publique et ramener la compétitivité et la croissance. C’est tout le contraire qui s’est passé : la dette a explosé (elle est passée de 130% du PIB à 177% du PIB, l’économie a connu une profonde récession (-25%), les services publics se sont fortement dégradés et des millions de citoyens ont plongé dans la pauvreté et la précarité. C’est en réaction à cette situation, et dans le cadre de la responsabilité du Parlement envers le peuple grec, que le 4 avril 2015, la Présidente du Parlement grec, Zoé Kostantopoulou [4], a décidé de créer la « Commission pour la Vérité sur la Dette publique » (the Debt truth Committee).

Composée d’une trentaine d’experts internationaux et grecs, la Commission pour la Vérité sur la Dette publique a reçu pour mandat d’analyser tout le processus d’endettement de la Grèce et de détecter les dettes qui peuvent être considérées comme illégales, odieuses, illégitimes et/ou insoutenables. Bien que son mandat se termine en mai 201, la Commission a remis un rapport préliminaire le 18 juin 2015, dont les conclusions sont très claires : la dette réclamée à la Grèce est totalement insoutenable et une grande partie de celle-ci est illégale, illégitime et odieuse.

Pour plus d’infos, lire la synthèse du rapport, disponible ici
Le rapport complet est disponible en anglais ici.
Il est en cours de traduction vers le français et devrait être disponible dans les jours qui viennent.

Notes

[1Lire le rapport du Comité pour la Vérité sur la dette, Preliminary report, June 2015, http://cadtm.org/Preliminary-Report-of-the-Truth ; En considérant Le moyenne annuelle des dépenses publiques de 1995 à 2009, si les dépenses de défense étaient au niveau (en % du PIB) de la moyenne européenne, est de 46,4% du PIB pour la Grèce et de 48,4% pour les 11 pays ayant adopté l’euro en 2000.

[2Lire TOUSSAINT Eric, 16/01/2015, « Grèce : Tout un symbole de dette illégitime », http://cadtm.org/Grece-Tout-un-symbole-de-dette

[3STIGLITZ Joseph, « Grèce, Joseph Stiglitz crie au désastre », 12/07/2015, source AFP

Olivier Bonfond

est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).

Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles

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