Microcrédit et autogestion en Argentine

23 août 2017 par Équipe microcrédit UST- MNCI


L’UST-MNCI [1], organisation affiliée à la Via campesina regroupe paysans et communautés rurales de la région de Mendoza, en Argentine et développe une expérience de microcrédit originale, autogérée par l’association pour le seul bénéfice de ses membres. Nous avons voulu en savoir plus.



L’UST regroupe plus de 25 communautés de la province de Mendoza (Argentine). Ses membres sont des paysan-nes, des ouvrier-e-s agricoles, des éleveurs et il y a une forte participation des jeunes et des femmes. Quant au MNCI, il regroupe des organisations de base et démocratiques, qui cherchent à améliorer les conditions de vie de leurs membres, renforcer leurs droits, préserver leurs territoires [2].


Une région aride, au pied des Andes

Ces communautés vivent dans une région au climat aride et semi-aride, avec deux agroécosystèmes différents : une zone irriguée (oasis) et la zone non irriguée. En zone irriguée, on pratique une agriculture intensive (horticulture, vignobles, arboriculture fruitière), pratiquée dans de grandes propriétés qui ont besoin de main d’œuvre salariée et parallèlement de petits agriculteurs travaillent comme fermiers ou métayers. Les familles d’ouvriers agricoles constituent la majorité de la population, elles n’ont pas accès à la propriété de la terre et travaillent en majorité sans contrats, pour des salaires bas et variables selon les cycles de production et les aléas climatiques. La pauvreté est bien plus importante dans les zones rurales que dans les zones urbaines, et les zones les plus riches sur le plan agricole sont souvent celles qui comptent la population rurale la plus pauvre.

La zone non irriguée représente 97 % de la superficie de la province. L’économie y repose principalement sur le petit élevage extensif (caprins surtout, ovins, bovins). Les terres sont d’usage communautaire, mais cette forme de propriété collective n’est pas garantie par des titres, d’où une grande précarité. L’autre grand problème est celui de l’accès à l’eau. Le peu d’eau disponible ne permet pas une agriculture de subsistance et dans bien des cas elle est même insuffisante pour abreuver le bétail. Le travail artisanal (laine, cuir, paniers en rotin) constitue une autre activité de la région.


Une population pauvre, vivant dans la précarité

La population rurale de la province de Mendoza a un niveau d’éduction bien plus bas que dans les villes, 12 % de la population âgée de plus de 10 ans est analphabète, le taux de scolarisation primaire est de 91 % et de 2,2 % pour la scolarisation post-bac et universitaire. Plus de 50 % de la population vit dans des maisons sans eau courante ni égouts, aux sols de terre battue. L’eau potable est distribuée en camions citernes quand les chemins le permettent. Il y a peu de dispensaires et pas de service permanent de premiers secours.

Les voies d’accès aux communautés sont en général de simples tracés non goudronnés et leur ensablement les rend impraticables pour des véhicules ordinaires.

La principale conséquence de cette situation d’indigence et d’absence de services publics est l’exode rural, des jeunes surtout. Dans les zones rurales, il y a peu de possibilités d’accès à des sources de financements que ce soit pour l’agriculture et l’élevage, ou pour des activités rurales non agricoles.

L’UST travaille sur différents axes : genre (formations, aide aux victimes de violence…), éducation (école secondaire habilitée par l’Etat, formation postbac), territoire et droits humains (soutien aux paysans en cas de conflits, ateliers sur la terre, l’eau), communication (3 radios communautaires FM).

L’UST développe différents systèmes de production et de commercialisation, tenant compte de la multiplicité des acteurs et des réalités territoriales, reliant les activités et permettant de meilleurs bénéfices pour les producteurs.

Agro-industrie : production de semis sous serre et de légumes en plein champ ; conserves végétales. L’UST organise ces chaînons dans le cadre d’une planification d’ensemble et gère les ressources pour la construction des conserveries et leur équipement ; le financement de tracteurs et outils agricoles d’usage collectif ; le développement et la diversification de la commercialisation ; les autorisations.

Fourrages : production et commercialisation d’alfa en zones non irriguées.

Petit élevage : amélioration des bergeries, réseaux de commercialisation (cabris et agneaux, de produits dérivés, cornes, fromages, viande séchée ; de produits artisanaux, espadrilles, filage, feutres).

Production apicole : elle a été développée comme activité complémentaire en zone non irriguée. Jusqu’à présent, seul le miel est commercialisé.

Production de raisins et de vin : les familles ont souvent quelques treilles près de leurs maisons ou des vignes sur de petites parcelles. Le développement de ce secteur a supposé l’implantation de nouvelles treilles, l’amélioration des variétés de raisins, l’investissement dans les machines à usage collectif et l’organisation d’équipes pour l’élaboration du vin, l’enregistrement et autres aspects légaux.

Production d’animaux de basse cour et de cochons : l’UST a proposé des modèles d’élevage et de gestion, approvisionné en poussins et aliments, installé une couveuse et une fabrique d’aliments pour animaux.

Ces systèmes fonctionnent en coordination permanente, grâce à des espaces de réflexion, prises de décision, planification et évaluation ; l’intégration de pratiques agro écologiques ; la formation et le travail associatif ; le renforcement des espaces et usages collectifs des installations et des machines.


La mise en œuvre d’un système de microcrédit

En 2003 nous avons fait quelques expériences de fonds de roulement pour trois projets : pharmacies vétérinaires communautaires ; bocaux en verre pour les conserves ; éléments pour l’apiculture. À partir de l’évaluation de ces expériences, indépendantes les unes des autres, nous avons envisagé des formes plus strictes d’administration des microcrédits.

Les meilleurs remboursements sont le fait de personnes intégrées dans un système collectif de production.

On a intégré la signature de contrats, la centralisation des microcrédits en un seul fonds qui les octroie (ce qui permet de croiser les données sur les dettes dans les différentes lignes de production), avec une personne qui gère et contrôle les crédits, l’élargissement à de nouvelles productions. Au fil des ans, l’expérience a permis de perfectionner cette structure. On a constaté que les meilleurs remboursements étaient le fait de personnes intégrées dans un système collectif de production.

Vers 2009, nous avons pu bénéficier de l’opération microcrédits de la CONAMI [3] du Ministère du développement social qui a mis en place un système on-line d’enregistrement, contrats et remboursement en espèces. La structure a mis en œuvre la ligne de microcrédits de la CONAMI, avec ses formes de représentation et ses équipes de travail.


Le fonctionnement du système de microcrédit de l’UST

L’UST est divisées en zones, “les regionales”, qui regroupent des représentants des différentes communautés organisées, les “groupes de base”.

On a établi des critères généraux en fonction des productions, élevage, potagers, fourrage, vin, pépinière, apiculture, conserves, basse cour, ateliers mécaniques, menuiserie, métallurgie, commercialisation des produits, magasins communautaires, sérigraphie et ateliers de couture.

Du fait de l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. , les montants sont révisés une fois par an. Les crédits sont pris de façon individuelle, mais les montants qui peuvent être demandés varient selon que la production est individuelle ou collective. Le taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
est fixé à 6 % par an conformément à la loi mise en œuvre par la CONAMI.

En cas de non remboursement, on ne peut pas demander de nouveau crédit. Les premiers prêts sont d’un petit montant et ils augmentent au fur et à mesure que se fait le remboursement.

En fonction des activités, le montant des prêts s’échelonne entre 800 pesos et 22 000 pesos. Certains prêts sont pluriannuels, jusqu’à 3 ans en plusieurs versements annuels, afin d’accompagner la mise sur pied de l’activité sur la durée. Les remboursements peuvent être mensuels, remboursables en 2, 6, 9, 12 ou 24 mois. Certains prennent effet immédiatement mais pour des activités de long terme, comme les fourrages, pépinières, viticulture, apiculture, le remboursement n’intervient qu’au bout d’un an ou deux, en 2 ou 3 versements. Et les taux d’intérêts ne dépassent jamais les 6 % annuels.


Réussites et échecs

De façon générale les prêts octroyés ont été plus fructueux dans le cas de systèmes de production collectifs, notamment les ateliers collectifs de fabrication de conserves. Le prêt permet l’achat des matières premières et le remboursement se fait directement au niveau de l’équipe de commercialisation.

Sur le plan individuel, il y a eu des expériences de cultures qui ont bien marché. Le problème c’est lorsque qu’il y a des accidents climatiques (grêle, pluies, inondations) qui détruisent les récoltes.

Les prêts pour la réfection de maisons, ont moins bien fonctionné parce qu’ils ne sont pas liés à une activité commerciale ou de production collective qui permette le remboursement à partir des ventes.


Un projet collectif et communautaire

Pour l’UST, le moteur d’un véritable développement rural durable, c’est l’organisation des acteurs des communautés paysannes. L’un de ses objectifs est de renforcer les systèmes productifs. Elle a pu le faire grâce à divers financements pour l’infrastructure, les machines, les autorisations, la logistique. La mise en œuvre du microcrédit a permis d’avoir des fonds pour les intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. ou la rémunération du travail et pour créer les conditions permettant de réaliser des ateliers, d’ouvrir des espaces de planification, éducation et formation. Les familles ont pu améliorer leurs conditions de vie et pas seulement sur le plan économique, mais aussi au niveau de leur confiance en elles-mêmes.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète


Notes

[1Union de trabajadores rurales sin tierras- Movimiento Nacional Campesino Indígena

[2Pour de plus amples informations voir le blog du MNCI : https://www.facebook.com/ust.mnci

[3Commission nationale de microcrédits

Équipe microcrédit UST- MNCI

L’UST-MNCI, organisation affiliée à la Via campesina regroupe paysans et communautés rurales de la région de Mendoza, en Argentine et développe une expérience de microcrédit originale, autogérée par l’association pour le seul bénéfice de ses membres.