Restructuration de la dette ou non-paiement souverain ?

3 décembre 2015 par PACD


La question épineuse des restructurations de dette est méticuleusement traitée dans notre nouvelle revue Les autres voix de la planète. Nous publions ci-dessous un article critique de la Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette de Valence en Espagne sur le positionnement de Podemos initialement paru en octobre 2014.



Quelques réflexions en réponse à la résolution Audit et restructuration de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 : une proposition pour Podemos, [1] par Alberto Montero Soler, Bibiana Medialdea García et Nacho Álvarez Peralta.

Plusieurs documents récemment publiés par Podemos laissent supposer un changement de tendance concernant leur politique contre le système-dette, aussi connu sous le nom de Dettocratie. Le manifeste Avancer : transformer l’indignation en changement politique, en vue des élections européennes, proclamait : « Il faut abroger l’article 135 de la Constitution espagnole et [décréter] un moratoire Moratoire Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.

Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
pour mener un audit citoyen de la dette qui détermine dans quelle mesure celle-ci n’est pas légitime ; les dettes illégitimes ne se paient pas. »
Dans un premier temps, une fois les élections européennes passées, avec le résultat prometteur de Podemos, le groupe promoteur parle plus d’« audit public » que d’audit citoyen. Il n’évoque pas non plus la possibilité du non-paiement de la dette. La résolution présentée et adoptée lors de l’assemblée citoyenne du 18 au 19 octobre 2014, Audit et restructuration de la dette : une proposition pour Podemos, et l’avis de Juan Torres López, [2] chargé de proposer, en collaboration avec Vicenç Navarro, un programme économique pour Podemos, nous font entrevoir une autre solution, celle de la restructuration.

De manière générale et en guise d’introduction, nous sommes surpris par cette position en faveur d’une restructuration de la dette quand on sait que, depuis des années, des mouvements sociaux luttent pour le non-paiement de la dette, et notamment, depuis trois ans en Espagne, la Plateforme pour un audit citoyen de la dette (PACD) qui est associée au mot d’ordre : « Nous ne devons rien, nous ne paierons rien ».

L’histoire nous a appris qu’un pays gagne en souveraineté quand il fait face avec fermeté à ses créanciers, non pas pour négocier ou restructurer, mais pour rejeter le paiement de ce qu’il considère comme illégitime, illégal ou odieux. Le sens du terme « restructurer » est modifier la structure d’une œuvre, d’une disposition, d’une entreprise, d’un projet, d’une organisation, etc., [3] autrement dit, cela signifie remanier ou réorganiser, ce qui suppose le maintien de la structure existante. La différence entre la proposition de Podemos et celle que nous promouvons au sein de la PACD depuis 2011 est notable : lorsque nous parlons du non-paiement, nous appelons à l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
populaire pour parvenir à l’annulation de la partie de la dette identifiée comme illégitime ou illégale
, c’est-à-dire, nous voulons répudier ce que nous considérons être illégitime. Le sens de « répudier » est rejeter quelque chose, ne pas l’accepter. [4] Par conséquent, en lieu et place de la restructuration, ce que nous voulons, c’est nous défaire du système-dette, lequel assujettit les peuples et les plonge dans une spirale de misère et de crainte, du fait d’un ensemble de dettes contractées en leur nom sans consultation ni autorisation populaire préalable.

Nous ne pensons pas qu’il puisse exister de « coopération naturelle entre les créanciers et les débiteurs », loin s’en faut. Les débiteurs se doivent d’agir fermement et sans appel pour faire face à la dette illégitime. À la différence de la résolution de Podemos, nous ne voulons pas négocier pour arriver à une simple « réduction de la valeur nominale des prêts hypothécaires des résidences principales ». Nous ne réclamons pas non plus une restructuration de la dette hypothécaire comme l’a proposé le secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, le 21 octobre 2014 au Parlement, en faisant appel au FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, institution discréditée. [5] Il est indispensable d’annuler totalement et sans condition les dettes hypothécaires des familles en difficulté de paiement. Cela correspond à un montant quelque peu inférieur à 30 milliards d’euros, [6] tandis que l’on a injecté plus du double (64,262 milliards d’euros sans compter les garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). ) pour sauver uniquement le secteur bancaire à l’aide de l’argent public. [7]

Le peuple doit être acteur du changement

Les citoyens jouent un rôle crucial puisqu’ils doivent être acteurs du processus d’audit, démocratique et transparent. Comme le rappellent les auteurs de la résolution, « Un audit citoyen de la dette est un instrument de sensibilisation et de mobilisation sociale... ». Mais cela ne peut avoir lieu qu’à condition que le peuple soit acteur du processus. Sa fonction ne doit en aucun cas se réduire à contrôler, surveiller et diffuser un travail d’experts. La raison est évidente : les experts, de par la nature inhérente à leur travail, sont facilement déconnectés du drame humain engendré par la dettocratie. Certes les experts peuvent fournir des données, mais l’audit requiert la participation active de la société pour détecter les dettes pouvant être considérées illégitimes, étant donné que nous nous trouvons dès lors dans la sphère politique, où la synthèse et l’analyse concernent tout le monde.

Bien que cela représente l’obstacle le plus scandaleux contre tout progrès en matière de dette, nous sommes au regret de constater que la résolution n’évoque pas la modification de l’article 135 de la Constitution, qui donne la priorité au paiement de la dette sur toute nécessité sociale.

Par ailleurs, depuis la PACD de Valence, nous estimons que la réponse ne peut venir uniquement des pays périphériques : nous devons opérer une distinction entre ceux qui pâtissent de la dette et ceux qui en profitent, et pas entre les pays périphériques et non-périphériques. L’objectif NE peut PAS être de « retrouver un niveau d’endettement et une dette soutenable afin de rétablir les niveaux de bien-être de la population » : la solution consistant à annuler uniquement la partie insoutenable de la dette se borne à assurer au créancier la continuité du paiement sans remettre en cause sa légitimité. Tôt ou tard, et plus tôt que tard, nous reprendrons le même chemin de l’endettement et connaîtrons les mêmes problèmes qu’aujourd’hui. La restructuration est une recette de la caste [8] dont le seul but est reproduire le schéma grec. Nous souhaitons mener un audit intégral et participatif de la dette publique et approfondir le débat, l’organisation et la mobilisation à l’égard de la nécessité de suspendre le paiement. Notre objectif est de NE PAS payer la dette illégitime et/ou illégale contractée en notre nom, sans notre accord, qui ne bénéficie pas à la population et que nous avons déjà payée plusieurs fois, car, en fin de compte, avec tant de vol et de gaspillage, le véritable créancier, c’est nous, le peuple. Nous refusons de payer ce que nous ne devons pas, et nous exigeons que les voleurs, les corrompus et les responsables de la situation paient.

Traduction réalisée par Marion Antonini.


Source : Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette de Valencia. « Nous ne devons rien, nous ne paierons rien ! », Valencia, 27 octobre 2014.

Notes

[2Entretien avec Juan Torres López dans Diario Sur, 12 octobre 2014. http://www.diariosur.es/andalucia/201410/12/revolucion-necesita-espana-hacer-20141012143551.html

[3Diccionario de la lengua española (DRAE), Real Academia Española, octobre 2014, http://lema.rae.es/drae/?val=reestructurar

[4Diccionario de la lengua española (DRAE), Real Academia Española, octobre 2014, http://lema.rae.es/drae/?val=repudiar

[5Pedro Sánchez cherche à restructurer la dette hypothécaire pour « sauver » 500 000 familles’, El Diario, 21/10/2014, http://www.eldiario.es/politica/Pedro-Sanchez-Gobierno-reestructuracion-familias_0_316019219.html

[6Selon Carlos Sánchez Mato au vu des données de juin 2014, selon la Asociación Hipotecaría Española, « Tasas de dudosidad del crédito inmobiliario », Madrid, octobre 2014, www.ahe.es/bocms/images/bfilecontent/2006/04/26/90.pdf ?version=44

[7L’illégitimité des sauvetages bancaires en Espagne, rapport PACD octobre 2013, page 8 (point 3.1), https://www.dropbox.com/s/4yrhbz3q2ybatzt/InformeRescatesBancarios.pdf

[8Ce terme a été mainte fois employé par Podemos à ses débuts afin de dénoncer les 1 % corrompus qui s’enrichissent illégitimement et qui mènent le pays au chaos social.

PACD

Plataforma Auditoría Ciudadana de la Deuda http://auditoriaciudadana.net/