14 novembre 2010 par Nicolas Sersiron
Comment les gouvernements des pays riches et les détenteurs de capitaux ont-ils surendetté les pays du Tiers Monde.
La première opération a été d’éliminer par des assassinats ou des évictions forcées les véritables démocrates, ceux qui recherchaient l’égalité et la justice sociale pour leur peuple : Lumumba vs Mobutu, Mossadegh vs le Chah d’Iran, Allende vs Pinochet, Soekarno vs Suharto, Sankara vs Compaoré, et bien d’autres ont été ainsi remplacés par des dirigeants corruptibles. La deuxième opération était de faire endosser par les gouvernements des pays nouvellement indépendants, le remboursement des emprunts faits par l’ancien pays colonisateur auprès de la Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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(BM), ce qui constituait pourtant au regard du droit international [1] une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
qui n’avait donc pas à être remboursée. La troisième a été d’envoyer des agents (secrets) corrupteurs tels John Perkins [2] pour soudoyer directement les dirigeants du Sud. Or les prêts de la BM, du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et les « aides » des pays occidentaux avaient souvent des visées géostratégiques –renforcer les liens pour contenir l’influence de l’ennemi soviétique– mais surtout des visées économiques : soit écouler les surproductions du nord, soit financer les investissements nécessaires à l’exploitation des richesses exportées vers le nord. Ils n’ont jamais profité aux populations. Les détournements faits par les dirigeants du Sud étaient secrètement encouragés, l’essentiel était de conserver le flux de matières premières nécessaires au profit des grandes compagnies occidentales. Pour maintenir voire dépasser la prédation de la période coloniale, il fallait plus intéresser les dirigeants du sud aux profits des ETN (entreprises transnationales) qu’au bien-être de leurs peuples.
La conquête du monde commencée par les rois et les armateurs européens entre les XV et XVIII n’avait d’autre but que de s’approprier l’or et les autres richesses. Au grand génocide des indiens d’Amérique a succédé le commerce triangulaire avec l’immigration forcée d’environ 50 millions d’Africains pour la production des matières exportées. Vers 1850, la fin de l’esclavage a été concomitante avec les premières conquêtes coloniales en Afrique et en Asie : ce ne sont plus des individus mais des pays et des continents qui ont été asservis à l’enrichissement des Européens. Un siècle plus tard, les indépendances de l’après guerre, marqueront le début d’un nouveau système de soumission : le système dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. Sa mise en place progressive sera orchestrée par les gouvernements et les institutions financières internationales. Il est une redoutable arme de conquête du pouvoir et de la richesse pour les grands actionnaires du nord. Connaissez-vous une ETN qui pourrait enrichir ses propriétaires sans les matières premières des pays en développement ? Elles sont leur énergie vitale. Leur achat à très bas prix et les bas salaires des travailleurs sont indispensables pour qu’après transformation et commercialisation, en passant par les paradis fiscaux
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
et la défiscalisation des prix de transfert, elles se gavent de superprofits. Total, la 5e ETN du monde existerait-elle ainsi sans le pétrole africain ou le gaz birman dont leurs peuples sont spoliés ? Bien sûr que non !
Mais c’est la crise des années 80 et la médecine de choc administrée par le FMI qui va faire entrer les peuples du Sud dans un cycle d’appauvrissement, casser leurs services publiques et imposer la privatisation de leurs grandes entreprises d’Etat. Les banques occidentales débordaient des euros-dollars du Plan Marshall Plan Marshall Ce plan a été conçu par l’administration du président démocrate Harry Truman, sous le nom de European Recovery Program. Il sera ensuite connu sous le nom du secrétaire d’État de l’époque, Georges Marshall (qui a été chef d’état-major général entre 1939 et 1945), chargé d’en assurer la mise sur pied. Entre avril 1948 et décembre 1951, les États-Unis accordent, principalement sous forme de dons, à quinze pays européens et à la Turquie une aide de 12,5 milliards de dollars (ce qui représente une somme plus de dix fois supérieure en 2020). Le Plan Marshall visait à favoriser la reconstruction de l’Europe dévastée au cours de la Seconde Guerre mondiale. et des pétrodollars Pétrodollars Les pétrodollars sont les dollars issus du pétrole. de la crise de 1973. Elles ont alors beaucoup prêté aux nouveaux pays indépendants à des taux très bas mais indexés sur le taux officiel étasunien (prime rate). La brutale remontée de ce taux (multiplié par 3), décidée par Paul Volker en 1979, a provoqué leur faillite. Le FMI venu à leur secours par des prêts conditionnés, leurs a imposé de rembourser les banques qu’il a ainsi sauvées de la faillite. Pour les pays du Tiers Monde, rembourser un créancier avec un nouveau prêt à taux plus élevé revenait à entrer dans une spirale infernale dont ils ne sont pas encore sortis après 25 ans. Ce fût le choc du surendettement. Profitant de cet état de sidération des peuples, et avec l’aide de leurs dirigeants corrompus, à chaque nouveau prêt de secours, le FMI a imposé des mesures de libéralisation et de dérégulation des économies du Sud favorables aux investisseurs du Nord et catastrophiques pour les populations. La disparition des taxes douanières a mis en concurrence les petits producteurs agricoles du Sud avec les productions industrielles et subventionnées du Nord, les privatisations des entreprises publiques ont créé des « déflatés » par millions, l’instauration de la TVA a permis de faire rembourser les dettes publiques par l’ensemble des populations jusqu’aux plus pauvres. Quant à la liberté de mouvement de capitaux elle permet encore aujourd’hui des rapatriements vers le Nord de bénéfices colossaux faits par les ETN qui ne profitent nullement aux peuples du Sud, si ce n’est à leur bourgeoisie dirigeante. Cet ensemble de mesures ultralibérales imposées par le FMI est appelé « plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. » (PAS)
Comment la croissance de la dette publique au nord depuis les années 80 a-t-elle abouti au surendettement et à la résurrection du FMI avec ses mesures de choc ?
« Le déficit chronique en France est le produit de la reconquista défiscale des possédants » F.Lordon.
Comme dans les pays du Tiers Monde, on retrouve la stratégie de l’endettement des Etats au profit de la grande finance. Les plans d’austérité à partir de 1983 en France, la dérégulation et la disparition des barrières douanières ont mis en concurrence déloyale les salariés du nord avec les travailleurs du sud. L’Europe s’est ainsi désindustrialisée au profit des services. Ainsi à la différence du Sud, la matière première indispensable aux surprofits des grandes entreprises dans les pays du Nord est devenue le travail. L’organisation de la concurrence avec le moins-disant social des travailleurs du Sud et les gains de productivité ont fait augmenter le chômage, entrainant une diminution des salaires et des recettes de l’état. Les cadeaux fiscaux continus faits aux entreprises et aux plus hauts revenus ont approfondi le déficit budgétaire. Or pour sortir de l’endettement public, les solutions ultralibérales à la sauce européenne ne proposent que la diminution des dépenses, soit la sous-budgétisation des grands services publics gratuits, ceux qui avaient été gagnés en France par le Conseil National de la Résistance (CNR). La privatisation, auparavant rampante, est maintenant la solution ultralibérale aux problèmes financiers de l’éducation, de la santé publique et de la retraite par répartition
Retraite par capitalisation
par répartition
Le système de retraite par répartition est basé sur la solidarité inter-générationnelle garantie par l’État : les salariés cotisent pour financer la retraite des pensionnés.
Le système de retraite par capitalisation est basé sur l’épargne individuelle : les salariés cotisent dans un fonds de pension qui investit sur les marchés internationaux et est chargé de leur verser leur retraite à la fin de leur carrière.
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En 2007, l’origine de la catastrophe financière mondiale, est le surendettement des ménages américains, conséquence d’une perte de pouvoir d’achat des décennies précédentes au profit du capital. La crise immobilière liée aux prêts « subprime » et le crash de Lehman Brothers met le système bancaire occidental au bord de la faillite. Il est sauvé par les Etats, donc par les contribuables. La crise entraine un chômage de masse qui, avec le surendettement des Etats et l’attaque de la finance, génère une sidération populaire propice à la solution de choc ultralibérale. La diminution des dépenses publiques, est alors présentée comme l’unique solution. Le surendettement provoqué est bien le cheval de Troie qui, après avoir permis l’application des PAS au sud ouvre la porte aux nouveaux plans d’austérité au Nord.
Le FMI, cet outil de l’accaparement capitaliste par la dérégulation internationale, a été refinancé en 2009, à hauteur de 1.000 Milliards de dollars. Avec l’UE, ils proposent leurs « aides » conditionnées aux pays les plus endettés : ce sont les PAS du Nord. Au nom de l’assainissement des finances, les populations grecques, hongroises, roumaines, etc. subissent des coupes sombres dans leurs revenus et les services publics sont gravement touchés. La baisse des retraites par l’allongement de la durée du travail et la diminution du nombre des fonctionnaires en France sont les seules issues proposées pour combler les déficits publics. On ne parle pas de la défiscalisation des entreprises et des possédants depuis 20 ans, rien non plus sur les évasions fiscales colossales dans les paradis fiscaux, silence sur la perte de la part salariale dans la valeur ajoutée nationale au profit des créanciers de la dette. Le petit contribuable du Nord, après celui du Sud, en plus de perdre le bénéfice des services publics, est sommé de rembourser par des impôts indirects payés par tous, dont l’injuste TVA, les créanciers dont beaucoup sont responsables de la crise. Si les peuples n’obtiennent pas, après des audits sur le surendettement, l’annulation des dettes illégitimes, on assistera à un appauvrissement massif des populations du Nord comme ça a été le cas pour les populations du Sud avec les plans d’ajustement structurel.
[1] Le Traité de Versailles de 1919 avait interdit à l’Allemagne de mettre à la charge du nouvel Etat polonais reconstitué la dette que l’Allemagne avait contractée pour coloniser la Pologne.
[2] Les confessions d’un assassin financier. Révélations sur la manipulation des économies du monde par les Etats-Unis, 2005, alTerre, Québec
Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.
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