8h contre la dette illégitime
23 décembre 2016 par Patrick Saurin , Aline Fares , Eva Betavatzi
Depuis l’explosion de la crise bancaire de 2008 en Europe, aucune des réglementations du secteur bancaire mises en place par les pouvoirs publics n’a permis de changer la donne. Face à ce constant, il est donc temps que nous prenions ce sujet en charge et que nous nous mobilisions pour imposer des vraies alternatives au système bancaire actuel. Tel était l’ambition de cet atelier qui s’est déroulé durant l’événement des « 8 heures contre la dette illégitime ».
Intervenant-e-s : Paul Murphy (député irlandais, Anti austerity alliance), Aline Fares (CADTM Belgique, ex-Finance Watch et Dexia), Martine Orange (Mediapart), Eva Betavatzi (Initiative de Solidarité avec la Grèce qui Résiste)
1) Crises bancaires et fausses réponses
Malgré le sauvetage le plus onéreux au monde et une nationalisation, les banques irlandaises ont continué à fonctionner comme des banques privées.
Paul Murphy donne un éclairage sur le cas de l’Irlande. Il rappelle le statut de paradis fiscal
Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.
La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
de son pays et dénonce le manque flagrant de réglementations sur le capital financier et les banques, la taille démesurée des banques et du secteur financier dans son ensemble, ainsi que sa responsabilité dans la crise immobilière avec des prix de l’immobilier sans rapport avec le revenu des gens. Suite à la crise de 2008, le lobby
Lobby
Lobbies
Un lobby est une structure organisée pour représenter et défendre les intérêts d’un groupe donné en exerçant des pressions ou influences sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir. Le lobbying consiste ainsi en des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Ainsi, le rôle d’un lobby est d’infléchir une norme, d’en créer une nouvelle ou de supprimer des dispositions existantes.
du « golden circle » (des banquiers et financiers influents) a rédigé le texte de la garantie bancaire accordée par l’État à des banques qui se trouvaient alors au bord de la faillite. Paul Murphy qualifie ce texte de « rhétorique patriotique du gouvernement » et souligne le rôle de la propagande massive des médias. L’Anglo Irish Bank et d’autres banques ont été nationalisées, l’État dépensant 64 milliards d’euros pour ces sauvetages, le « bail out » [1] le plus onéreux au monde. Paul Murphy souligne aussi le rôle non démocratique de la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) qui s’est livrée à un chantage ; il a rappelé que sous la direction de Jean-Claude Trichet, elle a menacé de couper les liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
aux banques irlandaises – risquant ainsi de les mener à la faillite. Aujourd’hui, malgré leur nationalisation, les banques irlandaises ont continué à fonctionner comme des banques commerciales
Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
privées.
Martine Orange aborde ensuite la question du système bancaire européen et des nouvelles lois sensées le réguler. Pour elle, aujourd’hui, le système est obligé de reconnaître la crise en cours, avec en particulier le cas de la Deutsche Bank, dont le bilan équivaut à la moitié du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de l’Allemagne, et qui, par conséquent, apparaît comme étant « too big to fail », mais aussi « too big to jail » et « too big to help ». Après une crise de confiance en février 2016, la crise est réapparue fin septembre lorsque l’on a appris que la justice américaine réclamait 14 milliards de dollars à la banque allemande, alors qu’elle aurait été incapable de rembourser plus du tiers de cette somme.
Deutsche Bank, too big to fail, too big to jail et... too big to help !
Les leçons à tirer aujourd’hui sont que l’Union Bancaire, sensée assurer une bonne résolution des crises bancaires sans recours à l’argent public, ne fonctionne pas (le « stress test » de la Deutsche Bank a d’ailleurs été fait sur mesure pour elle par la BCE). La banque allemande, même si elle a réduit son hors-bilan de 75 000 à 42 000 milliards de dollars, poursuit ses activités spéculatives. Il n’y a toujours pas de séparation entre les activités de banque de détail et de banque d’affaires
Banques d'affaires
Banque d'affaires
Société financière dont l’activité consiste à effectuer trois types d’opérations : du conseil (notamment en fusion-acquisition), de la gestion de haut de bilan pour le compte d’entreprises (augmentations de capital, introductions en bourse, émissions d’emprunts obligataires) et des placements sur les marchés avec des prises de risque souvent excessives et mal contrôlées. Une banque d’affaires ne collecte pas de fonds auprès du public, mais se finance en empruntant aux banques ou sur les marchés financiers.
. Par ailleurs, pour maintenir un taux de rentabilité important pour leurs actionnaires, les banques comme la Deutsche Bank ont conçu de nouveaux produits risqués tels que les « Cocos » [2] : il s’agit de produits financiers
Produits financiers
Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements).
assimilables à des actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
(donc très exposés en cas de pertes de la banque) mais vendus comme des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
(par nature moins exposés), avec le risque pour les porteurs de ces titres de tout perdre en cas de difficultés ou de faillite de la banque. La valeur des Cocos émis par la Deutsche Bank continue de chuter aujourd’hui, indice non négligeable qui démontre en partie que rien n’a été résolu.
En Italie, alors que l’économie est en stagnation voire en récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. , les banques plombées par les prêts à risque (NPLs, Non performing loans – de l’ordre de 360 milliards) risquent de voir leur situation s’aggraver à cause de la grave crise financière traversée par Monte dei Paschi di Siena (la troisième banque italienne pour nombre de filiales et la plus vielle banque en Europe), pour laquelle un plan de sauvetage a entretemps été prévu par le gouvernement italien. Un plan a été mis en place pour aider la banque Monte dei Paschi, fondée en 1472, plan qui n’a rien résolu. Le plan de sauvetage consiste en effet à supprimer les petites banques pour mieux renforcer les grosses banques existantes, ce qui est à l’opposé de ce qu’il aurait fallu faire. Ce plan ne fait qu’éliminer la concurrence, facilitant le développement de banques plus grosses, et donc la concentration du secteur, et aggravant ainsi les risques. Rien que l’année dernière, quatre petites banques ont fait faillite.
Enfin, Aline Fares analyse la réponse réglementaire qui a été apportée à la crise de 2008. Pour Aline, le constat est sans appel :
Plus de 2/3 des activités des grandes banques sont réalisées sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, contre 30 % pour l’économie productive. Aline détaille le bilan des banques et fait apparaître le lien entre la nature des activités des banques, leur interconnexion - entre elles et avec les autres institutions financières, et le risque - inévitable en l’état actuel des choses - de propagation en cascade en cas de faillite d’une banque. Ce risque est aggravé par l’effet de levier
Effet de levier
L’effet de levier désigne l’effet sur la rentabilité des capitaux propres d’une entité (entreprise, banque, etc.) qu’aura son recours à l’endettement (elle augmentera lorsque le coût de l’endettement sera inférieur à l’augmentation des bénéfices obtenus grâce à lui, et inversement). Le ratio de levier calcule le rapport entre les fonds propres d’une telle entité et le volume de ses dettes. Les banques ont progressivement augmenté cet effet de levier avec la libéralisation financière, c’est-à-dire que pour 1000 euros de capital le nombre d’euros qu’elles ont pu emprunter a considérablement augmenté.
qui permet aux banques d’engager des actifs
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
33 fois supérieurs à leurs fonds propres
Fonds propres
Capitaux apportés ou laissés par les associés à la disposition d’une entreprise. Une distinction doit être faite entre les fonds propres au sens strict appelés aussi capitaux propres (ou capital dur) et les fonds propres au sens élargi qui comprennent aussi des dettes subordonnées à durée illimitée.
, en clair, les banques peuvent se financer en empruntant 97% du total de ses ressources auprès des déposants et des marchés financiers (c’est à dire d’autres banques, des fonds d’investissements, des sociétés d’assurance, des fonds de pension
Fonds de pension
Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers.
, etc.).
Aline Fares énumère également différentes réglementations introduites en réponse à la crise bancaire comme :
Toutes ces réglementations ont pris comme point de départ le secteur tel qu’il est. Elles sont extrêmement complexes et techniques, en ligne avec les attentes des lobbys, ont très peu d’effet (pour preuve l’état du système bancaire aujourd’hui) et ne reflètent aucune des attentes populaires d’après crise.
La discussion qui suit porte sur le caractère illusoire de la garantie des dépôts bancaires à 100 000 euros avec un fond de garantie doté d’un montant ridicule, et sur l’absence d’effets du Quantitative easing3 de la BCE (si ce n’est un soutien aux banques et un maintien de la logique qui prédomine), signe supplémentaire d’un système bancaire très malade.
2) Quelles pistes pour des alternatives ?
Il faut un service public suffisamment grand dans le secteur bancaire pour faire reculer la sphère financière
La question est abordée à travers des échanges entre les intervenants et la salle qui font ressortir les points saillants suivants :
La discussion porte également sur l’importance de défendre et reconquérir un service public ou un « commun » suffisamment grand que pour faire reculer la sphère financière et le pouvoir de ses institutions.
[1] Pour saisir les options pour assumer les pertes d’une banque et comprendre le bail-out (« renflouement extérieur », sauvetage des banques avec de l’argent publique) et le bail-in (« renflouement interne », par les créanciers, c’est-à-dire les investisseurs qui ont prêté à la banque), lire : http://www.cadtm.org/Quelles-sont-les-options-pour
[2] Les Cocos, abréviation de « contingent convertible bonds », sont des obligations (titres de dette) convertibles en actions ordinaires de la banque si son ratio réglementaire (Core tier one, ou fonds propres durs) tombe en-dessous d’un certain pourcentage, suite par exemple à une perte importante enregistrée par la banque.
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.
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Article précédemment publié le 28 février 2018
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Conférencière, auteure et militante.
Voir également sa page « Chroniques d’une ex-banquière »
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